Return to Video

Que veut dire " traduire" ?

  • 0:00 - 0:18
    [MUSIQUE GENERIQUE]
  • 0:18 - 0:20
    La conversation scientifique,
    par Etienne Klein.
  • 0:33 - 0:36
    Aujourd'hui, que veut dire "traduire"?
  • 0:43 - 0:45
    Etienne Klein: Grand lecteur
    et grand traducteur,
  • 0:45 - 0:49
    Valéry Larbaud était entouré de livres
    qu'il avait fait relier dans une couleur
  • 0:49 - 0:52
    qui était fonction de la langue
    dans laquelle ces livres étaient écrits :
  • 0:53 - 0:57
    les romans anglais étaient reliés en bleu,
    les espagnols en rouge,
  • 0:57 - 0:59
    les allemands en vert, et ainsi de suite.
  • 1:00 - 1:03
    Il s’agissait de donner à voir
    que les langues ne sont pas neutres,
  • 1:03 - 1:07
    qu’elles colorient les textes d’une façon
    si singulière et si intense
  • 1:07 - 1:09
    qu’aucune œuvre ne peut être considérée
  • 1:09 - 1:11
    comme indépendante
    de sa langue originelle.
  • 1:12 - 1:16
    Pourtant, bien sûr, des transformations
    en forme de passerelles sont possibles,
  • 1:16 - 1:20
    mais elles relèvent toujours
    d’une opération délicate : la traduction.
  • 1:21 - 1:24
    "Tout le travail de la traduction,"
    écrivait le même Valéry Larbaud,
  • 1:24 - 1:26
    "est une pesée de mots.
  • 1:26 - 1:30
    Dans l’un des plateaux nous déposons
    l’un après l’autre les mots de l’auteur,
  • 1:30 - 1:34
    et dans l’autre nous essayons tour à tour
    un nombre indéterminé de mots
  • 1:34 - 1:37
    appartenant à la langue
    dans laquelle nous traduisons cet auteur,
  • 1:37 - 1:41
    et nous attendons l’instant
    où les deux plateaux seront en équilibre".
  • 1:41 - 1:43
    Fin de citation.
  • 1:43 - 1:46
    Mais est-ce bien ainsi qu'il faut
    concevoir la traduction?
  • 1:46 - 1:51
    Une opération de pesée toute en finesse,
    à la fois rigoureuse et littéraire?
  • 1:51 - 1:52
    Ce qui est certain,
  • 1:52 - 1:56
    c'est que la traduction n'est nullement
    un petit événement inoffensif
  • 1:56 - 1:58
    qui serait accessible à coups
    de petits logiciels.
  • 1:59 - 2:02
    Elle est toujours une authentique
    activité intellectuelle,
  • 2:02 - 2:05
    une sorte de savoir faire
    avec les différences,
  • 2:05 - 2:10
    de jeu subtil avec les mots, les phrases,
    le sens, les rythmes, les idées.
  • 2:10 - 2:15
    Traduire, c'est en somme pomper des ombres
    provenant d'horizons divers.
  • 2:16 - 2:18
    Il n'y a pas une, mais des langues:
    c'est un fait.
  • 2:19 - 2:21
    Dès lors, comment construire
    un monde commun,
  • 2:21 - 2:24
    un monde où chacun soit capable
    de parler à n'importe qui
  • 2:24 - 2:25
    et de s'en faire comprendre.
  • 2:26 - 2:27
    On voit bien qu'il y a deux écueils:
  • 2:28 - 2:30
    le premier, c'est la globalisation
    des échanges,
  • 2:30 - 2:33
    qui nous porte à parler une espce
    de "globish" pauvre,
  • 2:33 - 2:34
    sans âme, sans génie,
  • 2:35 - 2:39
    une sorte de désesperanto qui lui-même,
    nous pousse vers une culture universelle,
  • 2:39 - 2:41
    plate, et tristement homogène;
  • 2:42 - 2:46
    le second, c'est la juxtaposition
    de communautés linguistiques étanches,
  • 2:47 - 2:50
    repliées dans leurs surdités
    et figées dans leurs identités.
  • 2:50 - 2:52
    Comment éviter ces deux pièges?
  • 2:53 - 2:57
    En comprenant que la diversité des langues
    est une richesse, qu'elle est une chance,
  • 2:57 - 3:00
    mais à condition, bien sûr, de traduire.
  • 3:00 - 3:03
    D'où la question que va aborder aujourd'hui
    notre conversation scientifique:
  • 3:04 - 3:06
    Que veut dire "traduire"?
  • 3:06 - 3:09
    Et pour répondre à cette question,
    j'ai invité Barbara Cassin: bonjour.
  • 3:09 - 3:11
    B. Cassin: Bonjour.
    EK: Bonjour, vous êtes philosophe
  • 3:11 - 3:14
    et philologue,
    directrice de recherches au CNRS
  • 3:15 - 3:19
    et vous publiez Eloge de la traduction
    Compliquer l'universel
    ,
  • 3:19 - 3:21
    livre paru chez Fayard,
  • 3:21 - 3:24
    et ma première question porte
    sur la couverture.
  • 3:24 - 3:28
    Que représente-t-elle? On voit
    un panneau avec des lettres, des signes.
  • 3:28 - 3:35
    BC: Oui, c'est un panneau d'école
    qui indique l'Ecole des Dunes.
  • 3:35 - 3:40
    L'Ecole des Dunes, c'était l'école
    qui a été faite à Calais, et ce panneau,
  • 3:41 - 3:42
    ce qu'il y a d'extraordinaire ...
    EK Dans la Jungle?
  • 3:42 - 3:45
    BC Dans la Jungle, zone sud.
  • 3:45 - 3:47
    Et ce panneau,
    ce qu'il y a d'extraordinaire
  • 3:47 - 3:50
    -- c'est moi qui ai pris la photo --
    c'est qu'il est dans un No Man's Land,
  • 3:50 - 3:54
    parce qu'il subsiste seul
    après le démantèlement.
  • 3:54 - 4:00
    Et donc, on voit un paysage désertique,
    avec de temps en temps
  • 4:00 - 4:04
    une chaussure qui émerge, ou une poupée
    et des ordures en train de brûler,
  • 4:05 - 4:07
    avec une grande flèche rouge.
  • 4:07 - 4:11
    Et ce panneau indique "école"
    dans un grand nombre de langues,
  • 4:11 - 4:18
    pas seulement l'anglais, mais aussi
    de l'urdu, de l'arabe, 6 ou 7 langues
  • 4:18 - 4:22
    qui étaient les langues parlées
    par les migrants dans cette Zone.
  • 4:22 - 4:27
    Et donc, c'est une flèche vers le vide,
    le vide qui est notre accueil,
  • 4:27 - 4:31
    qui est notre manière d'accueillir
    ces gens qui parlent diverses langues,
  • 4:31 - 4:36
    Sauf que, sauf que quand j'y suis allée,
    le démantèlement venait d'avoir lieu,
  • 4:36 - 4:39
    mais l'école n'avait pas été démolie,
    elle est toujours là,
  • 4:39 - 4:42
    et cette Ecole des Dunes,
    il y avait des enfants
  • 4:42 - 4:46
    qui apprenaient et qui travaillaient
    avec des enseignants.
  • 4:47 - 4:52
    Et personne ne pouvait croire
    qu'il y avait encore quelque chose, là.
  • 4:52 - 4:56
    Mais si: il y avait encore
    quelque chose là et c'est ça, au fond,
  • 4:56 - 5:00
    qui m'a donné le seul espoir
    que j'ai pu avoir dans cette visite.
  • 5:01 - 5:03
    EK: Et cette école
    qui continue à fonctionner,
  • 5:03 - 5:05
    alors qu'alentour,
    c'était presque le désert.
  • 5:05 - 5:09
    BC: Oui, et que des voitures noires
    se sont arrêtées pendant que j'y étais,
  • 5:09 - 5:12
    des hommes bien mis en sont sortis,
    avec cravate,
  • 5:12 - 5:16
    et ils ont commencé par me demander
    si j'étais journaliste.
  • 5:16 - 5:18
    J'ai dit: "Non, je suis philosophe,"
    ça fait bizarre.
  • 5:18 - 5:22
    Et puis, ils ont passé la tête
    dans l'école,
  • 5:22 - 5:24
    en s'attendant à ce qu'il n'y ait
    plus rien ni personne.
  • 5:24 - 5:26
    En fait, il y avait donc des enfants
    en train de travailler.
  • 5:27 - 5:31
    Et je leur ai demandé -- j'ai compris
    qu'ils étaient des officiels, je crois,
  • 5:31 - 5:33
    le nouveau sou-préfet,
    et je lui ai demandé:
  • 5:33 - 5:37
    "Bien entendu, vous avez organisé
    le ramassage scolaire?" [RIRES]
  • 5:37 - 5:40
    EK Mais vous y étiez allée
    pour voir cette école,
  • 5:40 - 5:42
    ou vous l'avez découverte
    pour d'autres raisons?
  • 5:42 - 5:45
    BC: J'y suis allée à l'invitation
    d'un certain nombre d'associations
  • 5:45 - 5:48
    et un livre a été produit,
    qui s'appelle Décamper,
  • 5:49 - 5:51
    avec -- à l'invitation, par exemple,
    de Samuel Lequette
  • 5:51 - 5:55
    qui a dirigé ce livre collectif.
  • 5:56 - 6:00
    Et donc, j'étais allée voir, comprendre,
    tenter de comprendre.
  • 6:00 - 6:02
    EK: Alors dans ce livre,
    Eloge de la traduction,
  • 6:02 - 6:04
    vous abordez plusieurs problèmes,
    notamment,
  • 6:04 - 6:06
    comment nous considérons
    la langue de l'autre
  • 6:06 - 6:07
    quand nous ne la comprenons pas.
  • 6:07 - 6:10
    Alors, en français, on dit:
    "C'est du chinois" ou "c'est de l'hébreu,"
  • 6:10 - 6:13
    ça dépend, en arabe, on dit que c'est
    du persan ou de l'hindi,
  • 6:14 - 6:16
    en hindi, on dit que c'est du tamoul,
    etc.
  • 6:16 - 6:18
    BC: Oui
    EK: c'est-à-dire que chaque langue
  • 6:18 - 6:20
    en incrimine une autre,
    ou plusieurs autres,
  • 6:20 - 6:22
    comme radicalement étrangères.
    BC: Absolument.
  • 6:23 - 6:26
    EC: Est-ce que ça veut dire qu'on est
    portés toujours à considérer que
  • 6:26 - 6:29
    sa langue maternelle,
    c'est la meilleure langue possible?
  • 6:29 - 6:32
    BC: Si on est grec, grec ancien, oui.
  • 6:32 - 6:37
    Moi, je suis helléniste et pour moi,
    ce qui est très clair,
  • 6:37 - 6:42
    alors que bon, le grec est une langue
    absolument magnifique
  • 6:42 - 6:45
    et les textes en grec ancien
    sont des textes, je crois,
  • 6:45 - 6:47
    dont tout le monde peut avoir besoin.
  • 6:47 - 6:50
    Je veux dire, un texte comme
    La métaphysique d'Aristote,
  • 6:50 - 6:52
    qui commence par: "Tous les hommes
    désirent naturellement savoir,"
  • 6:52 - 6:54
    mais vous en avez besoin, comme moi, bon.
  • 6:55 - 6:59
    Hé bien, ce qu'il y a là dessous,
    malgré tout,
  • 6:59 - 7:02
    c'est une appropriation de l'universel.
  • 7:02 - 7:04
    C'est-à-dire que les Grecs
    appelaient logos
  • 7:04 - 7:08
    ce que les Latins ont traduit
    très justement, par ratio et oratio,
  • 7:09 - 7:12
    raison et discours.
    EK: Donc, il y a deux sens, pour le même -
  • 7:12 - 7:13
    BC: Ben, c'est u... c'est le même, voilà.
  • 7:14 - 7:16
    Et c'est même ça, le problème, c'est
    que ce soit le même sens.
  • 7:16 - 7:18
    C'est-à-dire que le logos
    que parlaient les Grecs
  • 7:19 - 7:21
    soit aussi la raison universelle.
  • 7:21 - 7:23
    C'est ça que j'appelle
    "appropriation de l'universel."
  • 7:23 - 7:27
    Moyennant quoi, ce lui qui parle et
    qu'on ne comprend pas, quand on est grec,
  • 7:27 - 7:30
    c'est un barbare
    qui fait "bla bla bla".
  • 7:30 - 7:33
    C'est-à-dire qu'il est
    non intelligible.
  • 7:33 - 7:35
    Peut-être qu'il ne pense pas vraiment,
  • 7:36 - 7:39
    en tout cas, il ne parle pas vraiment
    quand il ne parle pas comme vous.
  • 7:40 - 7:41
    EK: Donc les Grecs
    ne parlaient pas une langue,
  • 7:41 - 7:43
    mais ils parlaient la langue,
  • 7:43 - 7:45
    BC: Ils parlaient la langue: ils étaient,
    comme dit Modigliano,
  • 7:45 - 7:47
    fièrement monolingues.
  • 7:47 - 7:51
    EK: ça veut dire que le verbe traduire
    n'existait pas en grec ancien?
  • 7:52 - 7:54
    BC: Et bien non, vous voyez bien
    comment il est fait,
  • 7:55 - 8:00
    c'est un verbe latin, tra-ducere,
    conduire en face ou faire traverser.
  • 8:00 - 8:06
    Bon, et en latin -- en grec, il y avait
    beaucoup de candidats, mais a posteriori,
  • 8:06 - 8:07
    pour le mot traduire.
  • 8:07 - 8:12
    L'un des premiers candidats, c'est
    hermeneuein qui a donné "herméneutique"
  • 8:12 - 8:15
    et qui a été traduit en latin
    par interpretari.
  • 8:16 - 8:22
    Le De Interpretatione d'Aristote,
    c'est le Peri hermeneias, bon.
  • 8:22 - 8:25
    Donc vous voyez que ça ne veut pas dire
    d'abord traduire,
  • 8:25 - 8:27
    ça veut dire quelque chose comme
    "interpréter".
  • 8:27 - 8:30
    C'est d'ailleurs le sens
    que ce mot "traduire"
  • 8:30 - 8:33
    a aussi, littéralement, en arabe.
  • 8:33 - 8:38
    Et dans l'exposition que je fais
    à Marseille, "Après Babel, traduire",
  • 8:38 - 8:45
    le premier texte de salle, c'est un texte
    qui est en chinois, en arabe, en anglais,
  • 8:45 - 8:47
    parce qu'il le faut de toute façon,
    et en français.
  • 8:48 - 8:51
    Et à chaque fois, bon, il y a
    le mot "traduire" dans la première phrase,
  • 8:52 - 8:53
    dans -- chacun dans sa langue.,
  • 8:53 - 8:57
    Et ensuite, je fais comme un espèce de
    codicille, si vous voulez,
  • 8:57 - 8:59
    ou de note, mais en haut de page,
  • 8:59 - 9:02
    qui indique ce que veut dire littéralement
    "traduire" dans cette langue.
  • 9:02 - 9:04
    Donc, en arabe, ça veut dire interpréter
  • 9:04 - 9:08
    et en chinois, ben Fānyì, ça veut dire
    "retourner un tissu",
  • 9:09 - 9:11
    "échanger" et "retourner un tissu".
  • 9:11 - 9:15
    Et il y a une très belle phrase
    d'un maître chinois, qui dit:
  • 9:15 - 9:20
    "Voilà, traduire, c'est retourner
    un tissu, retourner une soie brodée
  • 9:20 - 9:24
    et se rendre compte que la fleur
    du dessous n'est pas celle du dessus.
  • 9:25 - 9:28
    Donc, vous voyez, c'est même
    un autre geste technique qui est enclos.
  • 9:29 - 9:31
    EK: Alors, on ne fait pas que
    traduire des langues,
  • 9:31 - 9:32
    on peut aussi traduire en justice.
  • 9:33 - 9:34
    D'où vient que ce soit le même mot?
  • 9:35 - 9:38
    BC: Porter vers, vous transportez devant.
  • 9:38 - 9:41
    EK: Une traduction des actes
    vers un autre langage,
  • 9:41 - 9:42
    qui est celui de la loi, par exemple?
  • 9:42 - 9:47
    BC: Absolument, oui, enfin,
    vous transportez aussi un accusé
  • 9:47 - 9:50
    devant les juges,
    vous traduisez en justice.
  • 9:51 - 9:54
    Ce n'est pas seulement l'acte,
    c'est la personne même
  • 9:55 - 9:57
    qui est mise devant ses juges.
  • 9:58 - 9:59
    Mais vous traduisez
  • 9:59 - 10:02
    --traduire a une métaphorique
    immensément large --
  • 10:02 - 10:05
    vous traduisez des sentiments, vous --
  • 10:05 - 10:07
    EK:: Bon, quand on dit "traduire"
    pour ce qui est du langage, on pense
  • 10:07 - 10:09
    à une traduction de phrases, de mots,
    BC: absolument.
  • 10:10 - 10:12
    EK: mais il y a aussi un rythme
    dans les phrases.
  • 10:12 - 10:14
    Comment est-ce qu'on fait
    pour traduire un rythme, par exemple,
  • 10:14 - 10:17
    le fait qu'en allemand,
    on mette le verbe à la fin,
  • 10:17 - 10:19
    est-ce que ça change le rythme
    des conversations?
  • 10:19 - 10:22
    BC: Ça change non seulement le rythme,
    mais ça change même la manière de penser;
  • 10:23 - 10:26
    D'une certaine manière, chaque langue
    est une culture et une vision du monde.
  • 10:26 - 10:27
    Ça, c'est absolument clair.
  • 10:27 - 10:30
    EK: Est-ce qu'on peut penser
    en plusieurs langues? La même chose?
  • 10:30 - 10:32
    BC: Oui -- euh, je ne sais pas
    ce que veut dire "la même chose":
  • 10:33 - 10:36
    on peut penser en plusieurs langues,
    et on peut penser --
  • 10:36 - 10:38
    EK: Je parle de la même personne qui
    penserait en plusieurs langues.
  • 10:38 - 10:41
    BC: Je comprends bien,
    mais je ne crois pas, par exemple
  • 10:41 - 10:44
    que -- je ne sais pas
    ce que ça veut dire, voilà.
  • 10:44 - 10:47
    Je sais que je peux rêver
    en plusieurs langues,
  • 10:47 - 10:49
    ça m'est déjà arrivé
    et c'est à chaque fois
  • 10:49 - 10:51
    un hommage à la langue de l'autre.
  • 10:52 - 10:56
    Penser la même chose en plusieurs langues,
  • 10:56 - 10:58
    je ne sais pas
    ce que veut dire même, alors.
  • 10:58 - 11:01
    C'est-à-dire que, vous le dites vous-même
    très justement,
  • 11:02 - 11:07
    il y a un corps des langues qui est,
    par définition, intraduisible.
  • 11:07 - 11:10
    C'est ce que Derrida appelait
    "l'intraduisible corps des langues".
  • 11:10 - 11:13
    Laisser tomber le corps, c'est
    l'essence même de la traduction.
  • 11:14 - 11:17
    EK: C'est-à-dire que les langues,
    ayant un corps propre,
  • 11:17 - 11:19
    ne peuvent pas être mises
    en bijection totale ou directe
  • 11:19 - 11:20
    les unes avec les autres?
  • 11:21 - 11:24
    Il y a toujours des trous, des manques,
    des sens différents?
  • 11:24 - 11:26
    BC: Oui
    EK: Et ça pose la question, par exemple, de
  • 11:26 - 11:31
    savoir si on peut traduire la Déclaration
    Universelle des Droits de l'Homme
  • 11:31 - 11:32
    dans toutes les langues:
    est-ce que c'est le cas?
  • 11:32 - 11:33
    Est-ce qu'on peut traduire
    cette Déclaration,
  • 11:33 - 11:35
    est-ce que tout a un sens?
  • 11:35 - 11:36
    BC: Je pense qu'on peut traduire tout,
  • 11:38 - 11:41
    c'est-à-dire que l'on peut transposer
    dans une autre langue.
  • 11:41 - 11:46
    On peut le mettre en d'autres rythmes,
    en d'autres mots, etc.
  • 11:46 - 11:51
    Dire que c'est la même chose qui est
    alors dénotée et connotée,
  • 11:51 - 11:53
    certainement pas
    EK: et comprise.
  • 11:54 - 11:56
    BC: Alors, comprise,
    c'est encore autre chose
  • 11:56 - 12:01
    parce que nous sommes tous, aussi,
    non seulement des gens
  • 12:01 - 12:04
    qui ont une culture et une histoire,
    mais des hommes.
  • 12:04 - 12:06
    Je ne sais pas ce que ça veut dire:
    ce que je veux dire,
  • 12:06 - 12:09
    c'est que, en tout cas, l'universel
    doit être compliqué.
  • 12:09 - 12:12
    C'est le sous-titre de mon travail
    sur la traduction,
  • 12:12 - 12:14
    de mon éloge de la traduction.
  • 12:14 - 12:15
    Compliquer l'universel.
  • 12:15 - 12:17
    EK: C'est une sorte d'injonction.
    BC: Oui --
  • 12:18 - 12:19
    EK: Parce que vous le dites
    à plusieurs reprises,
  • 12:19 - 12:21
    vous détestez
    -- je crois qu'on peut le dire comme ça --
  • 12:21 - 12:23
    BC: Oui.
    EK Ce qu'on appelle le globish,
  • 12:23 - 12:25
    BC: Oui.
    EK Qu'est-ce que vous lui reprochez,
  • 12:25 - 12:27
    parce que finalement, c'est une langue
    de communication, qui permet
  • 12:27 - 12:30
    à des gens qui ne pourraient pas
    communiquer autrement,
  • 12:30 - 12:31
    de se faire comprendre?
  • 12:31 - 12:32
    BC: Ils pourraient communiquer autrement,
  • 12:32 - 12:34
    ils pourraient communiquer
    par la traduction.
  • 12:34 - 12:39
    Le globish est une langue de communication
    tout à fait adaptée à, disons,
  • 12:39 - 12:43
    à un usage du monde
    tel que nous le vivons,
  • 12:43 - 12:46
    mais justement, c'est une langue de
    communication,
  • 12:46 - 12:51
    c'est-à-dire que le point, c'est que
    le globish fait penser que
  • 12:51 - 12:53
    toute langue est simplement
    un outil de communication.
  • 12:54 - 12:56
    Or c'est un outil de communication,
  • 12:56 - 12:58
    mais c'est aussi autre chose,
    à chaque fois,
  • 12:58 - 13:00
    et c'est pour ça qu'il faut partir
    du pluriel.
  • 13:00 - 13:02
    Il y a des langues.
  • 13:02 - 13:04
    EK: Oui, vous dites, "on ne rencontre
    jamais le langage,
  • 13:04 - 13:06
    on ne rencontre que des langues."
  • 13:06 - 13:11
    BC: Oui, je paraphrase Humboldt,
    le grand linguiste du 19éme, allemand.
  • 13:11 - 13:14
    Oui, on ne rencontre que des langues
  • 13:14 - 13:19
    et pour moi, c'est le contraire
    d'un universel postulé du genre logos
  • 13:19 - 13:24
    ou du genre Heidegger, du genre:
    "Es gibt Sein"
  • 13:24 - 13:27
    qui d'ailleurs se dit en allemand
    ou en grec.
  • 13:27 - 13:32
    "Il y a de l'être" -- en français,
    si vous voulez, avec le "Il y a",
  • 13:32 - 13:36
    ou en anglais, avec le "there is"
  • 13:36 - 13:40
    et vous voyez déjà qu'on n'est pas
    tout à fait dans le même.
  • 13:41 - 13:46
    EK Oui, par exemple, si l'on imagine --
    quand on prononce, nous, le mot "esprit";
  • 13:46 - 13:50
    est-ce que ça évoque pour nous qui le
    prononçons, ce mot,
  • 13:50 - 13:54
    quelque chose qui ressemble à ce que pense
    un Allemand lorsqu'il dit Geist?
  • 13:54 - 13:56
    BC Mais euh--
    EK Est-ce qu'on peut le savoir, ça?
  • 13:56 - 14:00
    Est-ce qu'on peut faire une expérience
    qui permettrait de comparer
  • 14:01 - 14:04
    ce qu'évoque ces mots, ce même mot,
    dans des langues différentes?
  • 14:05 - 14:08
    BC On peut en tour cas lire des textes
    où ces mots sont en usage
  • 14:08 - 14:12
    et regarder comment on le traduit,
    ces textes, comment on les traduit
  • 14:12 - 14:18
    et essayer de percevoir le "entre"
    et la différence.
  • 14:18 - 14:21
    Pour moi, la traduction, c'est à coup sûr,
  • 14:21 - 14:22
    la meilleure définition
    qu'on puisse en donner,
  • 14:22 - 14:24
    c'est que c'est un savoir faire avec
    les différences
  • 14:25 - 14:28
    et pour reprendre Hegel,
    l'exemple de Hegel,
  • 14:28 - 14:30
    la phénoménologie des Geistes,
  • 14:30 - 14:34
    vous pouvez voir que ça a été traduit
    deux fois en anglais:
  • 14:34 - 14:36
    une fois comme
    "phenomenology of the mind"
  • 14:36 - 14:39
    et une autre fois comme
    "phenomenology of the spirit".
  • 14:39 - 14:40
    EK Ce n'est pas la même chose
  • 14:40 - 14:41
    pour un anglais. BC Hé bien ce n'est
    pas du tout la même chose.
  • 14:41 - 14:45
    C'est-à-dire que dans un cas, Hegel
    est un ancêtre du spiritualisme,
  • 14:45 - 14:46
    ou un spiritualiste.
  • 14:47 - 14:50
    Et ce n'est pas faux:
    La phénoménologie de l'esprit
  • 14:50 - 14:52
    est aussi spiritualiste.
  • 14:52 - 14:55
    Et dans l'autre cas, c'est un ancêtre
    de la philosophie de l'esprit.
  • 14:55 - 14:57
    et ce n'est pas faux.
  • 14:57 - 14:59
    EK: Donc ce n'est pas un contresens
    dans les deux cas -- BC: Non --
  • 14:59 - 15:02
    EK: C'est juste une nuance --
    BC: C'est une visée
  • 15:02 - 15:07
    et cette visée, elle est toujours aussi
    politique.
  • 15:07 - 15:11
    Qu'est-ce qu'on veut faire de Hegel?
    Comment est-ce qu'on veut s'en servir?
  • 15:12 - 15:15
    EK: Vous voulez dire que la traduction
    peut servir à l'instrumentaliser?
  • 15:16 - 15:20
    BC: La traduction est,
    par définition même, politique.
  • 15:21 - 15:24
    Il n'y a pas d'acte de traduction
    qui ne soit pas un acte politique.
  • 15:24 - 15:28
    Et ce depuis le départ, c'est-à-dire
    depuis, si vous voulez,
  • 15:28 - 15:30
    le passage du grec au latin,
  • 15:31 - 15:33
    depuis la Translatio studiorum,
    le transfert des savoirs,
  • 15:33 - 15:38
    qui était aussi connue comme
    Translation imperii,
  • 15:38 - 15:42
    "transfert du pouvoir", au Moyen-Âge,
    entre le grec, le latin, l'arabe
  • 15:42 - 15:46
    et le retour dans le giron latin.
  • 15:47 - 15:49
    EK: Vous dites d'ailleurs:
    "la traduction est aux langues
  • 15:49 - 15:51
    ce que la politique est aux hommes."
    BC Oui.
  • 15:51 - 15:53
    EK: Ça lui donne une importance
    considérable. BC: Oui. mais--
  • 15:53 - 15:55
    EK: Pas seulement
    dans le champ de la politique, mais --
  • 15:55 - 15:56
    BC: Je pense --
    EK: dans le champ des idées.
  • 15:56 - 16:00
    BC: Je pense, et en ça, je serais,
    si vous voulez,
  • 16:00 - 16:07
    dans le prolongement de Arendt qui pense
    que pour qu'il y ait politique,
  • 16:07 - 16:11
    pour qu'il y ait du politique,
    il faut une pluralité de divers
  • 16:12 - 16:16
    et il faut des hommes avec un petit "h"
    et un "s".
  • 16:16 - 16:17
    EK: Elle est citée d'ailleurs --
    BC: et non pas "l'Homme"
  • 16:17 - 16:20
    EK: dans le catalogue de l'exposition
    dont vous avez parlé, à Marseille,
  • 16:20 - 16:23
    "Après Babel, traduire":
    vous citez Hannah Arendt,
  • 16:23 - 16:25
    enfin j'ai trouvé la citation dans
    le catalogue -- BC: Oui
  • 16:25 - 16:26
    EK: Je ne sais pas de qui elle est:
  • 16:26 - 16:29
    "A chaque fois que le langage est en jeu,
    la situation devient politique,
  • 16:29 - 16:32
    parce que c'est le langage qui fait
    de l'homme un être politique."
  • 16:32 - 16:33
    BC: Oui, absolument.
  • Not Synced
    Mais Arendt, en cela,
    est parfaitement aristotélicienne.
  • Not Synced
    Le début de La politique d'Aristote
    dit que
  • Not Synced
    l'homme est un animal plus politique
    que les autres, parce qu'il a le logos.
  • Not Synced
    EK: Alors vous avez dirigé, Barbara Cassin
    le Dictionnaire des intraduisibles
  • Not Synced
    qui a été traduit en plusieurs langues,
    paradoxalement [RIRES]
  • Not Synced
    BC: Oui, oui, tout à fait.
  • Not Synced
    EK: Qu'est-ce qui vous a donné cette idée,
    qui a été quand même un travail --
  • Not Synced
    BC: 15 ans
    EK: 15 ans de travail,
  • Not Synced
    beaucoup de collaborations
    BC: 150.
  • Not Synced
    EK: Les traductions, elles-mêmes
    réclament un travail colossal.
  • Not Synced
    BC: Oui
    EK: qu'est-ce que ça vous a appris
  • Not Synced
    sur la traduction
    que vous ne saviez pas auparavant?
  • Not Synced
    BC: Mais je ne savais rien
    sur la traduction! J'étais juste --
  • Not Synced
    EK: Alors, qu'est-ce qui vous a
    donné l'idée?
  • Not Synced
    BC: Oui, j'avais cette expérience
  • Not Synced
    de traductrice
    d'un certain nombre de langues,
  • Not Synced
    mais, essentiellement, du grec -- ancien.
  • Not Synced
    Et j'avais cette expérience, qui consiste
    à me rendre compte que,
  • Not Synced
    quand je lisais Aristote, par exemple
    L'étique à Nicomaque en français,
  • Not Synced
    non seulement, je ne comprenais pas,
    mais ça ne m'intéressait pas du tout, bon.
  • Not Synced
    Alors que quand je le lisais en grec,
    tout se mettait à pétiller et à vibrer.
  • Not Synced
    Et voilà: donc ça, c'est une expérience,
    si vous voulez, de philosophe.
  • Not Synced
    Je crois que tous les philosophes
    ont cette expérience de
  • Not Synced
    notes en bas de page nécessaires.
  • Not Synced
    Donc dans ce
    Dictionnaire des intraduisibes,
  • Not Synced
    au fond, ce sont
    toutes les notes en bas de page
  • Not Synced
    qui sont devenues du plein texte.
  • Not Synced
    Mais en revanche, j'avais très clairement
    un désir politique.
  • Not Synced
    C'est-à-dire que l'Europe était
    en train de se fabriquer,
  • Not Synced
    l'Europe de la culture, et pour moi,
    il y avait deux dangers extrêmes.
  • Not Synced
    Le premier danger, c'était le globish,
    le Global English,
  • Not Synced
    qui aurait, au fond, réduit
    toutes les langues que nous parlons,
  • Not Synced
    toutes les langues de culture, à être
    de simples dialectes à parler chez soi.
  • Not Synced
    Donc la seule langue, l’espéranto moderne,
    si vous voulez, le Global English,
  • Not Synced
    c'est véritablement une langue
    de pure communication qui sert à quoi?
  • Not Synced
    Qui sert aux expertises européennes
    et qui sert au financement.
  • Not Synced
    EK: Au commerce.
  • Not Synced
    BC: Au commerce et au financement
    intellectuel aussi.
  • Not Synced
    Quand vous avez un projet de recherche
    au CNRS, vous devez le rédiger
  • Not Synced
    pour obtenir des fonds --
    EK: pas qu'au CNRS --
  • Not Synced
    BC: en globish -- et pas qu'au CNRS,
  • Not Synced
    mais au CNRS, en tout cas,
    j'en ai fait l'expérience.
  • Not Synced
    Pour l'Europe, c'est comme ça.
  • Not Synced
    Donc vous -- c'est une langue, disons,
    aussi plate que possible
  • Not Synced
    et dès que vous la parlez bien,
    c'est-à-dire si vous parlez
  • Not Synced
    non pas globish mais anglais,
    vous n'êtes pas compris, donc --
  • Not Synced
    EK: Les Anglais sont peu compris
    dans les conférences internationales.
  • Not Synced
    BC: C'est les seuls qu'on ne comprenne
    absolument pas.
  • Not Synced
    Celui qui vient d'Oxford, c'est un --
    EK: un barbare.
  • Not Synced
    BC: Oui [RIRES] absolument.
  • Not Synced
    EK: Mais alors ce travail, donc
    la direction de ce
  • Not Synced
    Dictionnaire des intraduisibles,
    c'est un travail d'érudits?
  • Not Synced
    BC: Non --
    EK: qui a eu un succès, quand même,
  • Not Synced
    en librairie, colossal.
  • Not Synced
    BC: Oui, mais parce que ce n'est pas
    un travail d'érudits.
  • Not Synced
    C'est réellement un travail politique
    et le globish n'était pas mon seul ennemi.
  • Not Synced
    Mon second ennemi, c'est ce que j'appelle
    le nationalisme ontologique.
  • Not Synced
    C'est une expression
    de Jean-Pierre Lefèvre
  • Not Synced
    qui qualifie comme cela Heidegger,
    et il a complètement raison.
  • Not Synced
    C'est-à-dire que
    le nationalisme ontologique,
  • Not Synced
    c'est une manière de faire une
    hiérarchie des langues
  • Not Synced
    telle qu'il y ait des langues
    plus proches de l'être que d'autres.
  • Not Synced
    Et donc, quand vous êtes philosophe,
    vous parlez grec ou vous parlez allemand.
  • Not Synced
    Et cet enracinement, parce que
    c'est ainsi que le définit Heidegger,
  • Not Synced
    c'est un enracinement de la langue
    dans un peuple et dans une race.
  • Not Synced
    C'est ainsi qu'il parlait en 33.
  • Not Synced
    Donc, si vous voulez, moi,
    j'avais deux ennemis:
  • Not Synced
    vous voulez que je lise la phrase?
  • Not Synced
    EK: Non, on va la lire après, parce que
    c'est le moment, vous savez,
  • Not Synced
    dans cette émission, il y a toujours
    un petit morceau de musique --
  • Not Synced
    BC: D'accord --
    EK: même deux, choisis par l'invité,
  • Not Synced
    en l’occurrence vous,
    et on citera Heidegger aprés.
  • Not Synced
    Mais on va commencer
    par Claude François.
  • Not Synced
    BC: D'accord [RIRE]
    EK: Vous avez choisi Claude François
  • Not Synced
    qui fait son entrée
    dans La Conversation scientifique
  • Not Synced
    avec Comme d'habitude:
  • Not Synced
    ♪J e me lève et je te bouscule
    Tu ne te réveilles pas comme d'habitude ♪
  • Not Synced
    ♪ Sur toi je remonte le drap
    J'ai peur que tu aies froid comme d'habitude ♪
  • Not Synced
    ♪ Ma main caresse tes cheveux
    Presque malgré moi comme d'habitude ♪
  • Not Synced
    ♪ Mais toi tu me tournes le dos
    Comme d'habitude. ♪
  • Not Synced
    ♪ Et puis je m'habille très vite
    Je sors de la chambre comme d'habitude ♪
  • Not Synced
    ♪ Tout seul je bois mon café
    Je suis en retard comme d'habitude ♪
  • Not Synced
    ♪ Sans bruit je quitte la maison
    Tout est gris dehors comme d'habitude ♪
  • Not Synced
    ♪ J'ai froid, je relève mon col
    Comme d'habitude ♪
  • Not Synced
    ♪ Comme d'habitude, toute la journée
    Je vais jouer à faire semblant ♪
  • Not Synced
    ♪ Comme d'habitude je vais sourire
    Oui, comme d'habitude, je vais même rire ♪
  • Not Synced
    ♪ Comme d'habitude, enfin je vais vivre
    Oui, comme d'habitude ♪
  • Not Synced
    ♪ Et puis le jour s'en ira
    Moi je reviendrai comme d'habitude ♪
  • Not Synced
    ♪ Toi, tu seras sortie
    Pas encore rentrée comme d'habitude ♪
  • Not Synced
    ♪ Tout seul j'irai me coucher
    Dans ce grand lit froid comme d'habitude ♪
  • Not Synced
    ♪ Mes larmes, je les cacherai
    Comme d'habitude ♪
  • Not Synced
    ♪ Mais comme d'habitude, même la nuit
    Je vais jouer à faire semblant ♪
  • Not Synced
    ♪ Comme d'habitude tu rentreras ♪
  • Not Synced
    EK: Barbara Cassin, je me suis laissé dire
    par notre réalisatrice d'aujourd'hui,
  • Not Synced
    Letizia Coya, que Deleuze
    aimait Claude François,
  • Not Synced
    ♪ Comme d'habitude ♪
    EK: mais vous, je ne savais pas.
  • Not Synced
    Pourquoi ce choix?
  • Not Synced
    BC; Ah, c'est -- Oui, Deleuze aime
    Claude François, parce que, la ritournelle
  • Not Synced
    et en plus, c'est une ritournelle
    du quotidien, extrêmement bien fichue,
  • Not Synced
    métro-boulot-dodo,
    d'une tristesse absolue.
  • Not Synced
    Oui, j'aime bien Claude François
    et je l'aime bien aussi comme danseur.
  • Not Synced
    Et j'ai choisi cette chanson
  • Not Synced
    parce qu'elle est traduite
    dans toutes les langues
  • Not Synced
    et plutôt que traduite, elle est adaptée,
  • Not Synced
    exactement comme
    Le dictionnaire des intraduisibles
  • Not Synced
    dont on parlait: c'est-à-dire
    qu'il faut la réinventer.
  • Not Synced
    Il faut la réinventer
    et se la réapproprier.
  • Not Synced
    Et je l'ai choisie parce que
    j'en ai choisi une autre,
  • Not Synced
    qu'on entendra sans doute plus tard,
    qui rime avec elle,
  • Not Synced
    qui elle, sans être elle,
  • Not Synced
    ni tout à fait la même
    ni tout à fait une autre,
  • Not Synced
    qui est My Way de Frank Sinatra.
  • Not Synced
    EK On l'écoutera toute à l'heure, mais
    il y a une expérience de pensée
  • Not Synced
    qu'on peut imaginer, qu'on peut
    peut-être aussi réaliser,
  • Not Synced
    si on traduit la chanson
    de Claude François en anglais,
  • Not Synced
    puis on prend la version anglaise
    et on la traduit en allemand,
  • Not Synced
    puis on prend la version allemande
    et on la traduit en italien,
  • Not Synced
    etc: on fait cela N fois,
  • Not Synced
    et on prend la version finale
    et on la traduit en français.
  • Not Synced
    Est-ce que ça donne quelque chose
    de complètement différent
  • Not Synced
    ou est-ce qu'on y retrouve
    le sens initial?
  • Not Synced
    BC: Non, ça va donner
    quelque chose de complètement différent
  • Not Synced
    et dans l'exposition que je fais,
    c'est très visible, ça.
  • Not Synced
    Et puis par exemple, on peut ajouter
  • Not Synced
    qu'on aurait pu le traduire
    par Google Translate
  • Not Synced
    et voir ce qui se passe.
  • Not Synced
    Et ça aussi, c'est une expérience
    que je fais dans l'exposition
  • Not Synced
    à partir du Corbeau d'Edgar Poe.
  • Not Synced
    Le Corbeau d'Edgar Poe. je le --
  • Not Synced
    vous savez qu'il y a une très belle
    traduction, magnifique absolument,
  • Not Synced
    de Baudelaire, une de Mallarmé,
    une de Pessoa.
  • Not Synced
    Donc je fais traduire par Google Translate
    le texte original anglais
  • Not Synced
    et j'obtiens une traduction
    absolument étrange, surréaliste,
  • Not Synced
    qui n'a pas du tout le même sens, mais qui
    conserve quand même l'idée d'un corbeau.
  • Not Synced
    Et puis je fais traduire Pessoa,
    la traduction portugaise de Pessoa,
  • Not Synced
    et j'obtiens quelque chose en anglais,
  • Not Synced
    et j'obtiens quelque chose
    d'infiniment différent. 25:41
Title:
Que veut dire " traduire" ?
Description:

Etienne Klein reçoit la philosophe Barbara Cassin qui signe un Eloge de la traduction chez Fayard.

France Culture, La conversation scientifique, 11 mars 2017

https://www.franceculture.fr/emissions/la-conversation-scientifique/que-veut-dire-traduire

more » « less
Video Language:
French
Team:
Captions Requested
Duration:
59:50

French subtitles

Revisions Compare revisions