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Boutures de paroles, une pensée kanak pour le monde | Emmanuel Tjibaou | TEDxNouméa

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    Le 4 mai 1989,
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    mon père, Jean-Marie Tjibaou,
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    et Yeiwéné Yeiwéné
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    étaient abattus.
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    Ils étaient tous les deux
    des leaders politiques nationalistes
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    et avaient conduit les discussions
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    ayant mené à l'accord de paix
    et de rééquilibrage économique
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    ici au pays, en Nouvelle-Calédonie.
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    Ils ont été tués par balle,
    par Djubelly Wéa.
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    Lui-même a été abattu
    car il était opposé à cet accord.
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    Cet assassinat se passe
    durant une cérémonie coutumière,
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    lieu sacré de la parole.
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    Il y a des cris, des bousculades.
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    Les gens s'enfuient.
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    Les familles se divisent.
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    C'est le trou noir.
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    La parole meurt.
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    (Crie)
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    C'est par le souffle
    que je suis venu au monde.
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    Un souffle de vie qui s'est transmis
    de bouche à oreille
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    depuis l'aube des temps.
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    Un souffle qui a émergé
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    du tumulte fracassant de ma naissance
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    lorsque mes ancêtres m'ont libéré
    du ventre de ma mère.
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    Je suis né nu comme vous
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    et comme vous, je repartirai nu
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    dans le silence d'un soupir
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    qui libérera ma carcasse de cette flamme
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    que mes ancêtres ont allumée
    ici il y a 3 500 ans
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    et qui ont accouché de mon identité.
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    Je suis un Kanak
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    parce que « kanak » veut dire « homme ».
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    (Kanak) Vi kaamôô nai
    nyaa pwa motip ne vi vhalik.
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    Littéralement, cela signifie :
    « Le pays vit de la parole. »
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    C'est un dicton que les vieux
    de chez moi disent.
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    Chez moi, c'est Wango,
    la tribu de Tiendanite
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    près de Hienghène,
    au Nord de la Nouvelle-Calédonie.
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    C'est tout petit, Tiendanite.
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    On est à peine 150 personnes.
  • 2:42 - 2:48
    Ça représente 0,055 %
    de la population du pays.
  • 2:49 - 2:50
    C'est infime, minuscule,
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    mais on a un cœur
    aussi grand que le monde.
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    Tiendanite, c'est ma racine.
  • 2:59 - 3:00
    C'est le point de départ
  • 3:00 - 3:05
    du sentier sur lequel je vais
    cheminer à votre rencontre.
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    Une rencontre à travers la parole
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    parce que nous sommes
    un pays de tradition orale
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    et ce que l'on dit « dicton » chez vous,
    se nomme « hwanvhalik » chez nous.
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    Littéralement, « entrée de parole ».
  • 3:23 - 3:27
    C'est une réflexion
    sur l'apport que ma culture,
  • 3:27 - 3:30
    la culture Kanak, apporte au monde.
  • 3:30 - 3:33
    Quand on dit que le pays vit de la parole,
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    on pense le monde de là où nous sommes.
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    Ce dicton, la dernière fois
    qu'il m'est revenu à l'esprit,
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    c'est à l'occasion de la crise
    sanitaire Covid-19, ici au pays,
  • 3:49 - 3:53
    lorsqu'une partie des acteurs
    des chefferies du monde coutumier Kanak
  • 3:53 - 3:58
    s'est exprimée pour demander
    à fermer les aéroports
  • 3:59 - 4:04
    afin de protéger le pays de l'arrivée
    du virus par nos visiteurs.
  • 4:05 - 4:07
    Cette position a fait débat
  • 4:08 - 4:10
    parce que certains ont estimé
  • 4:10 - 4:16
    que les acteurs coutumiers Kanaks
    sortaient de leur champs de compétences.
  • 4:17 - 4:19
    Il fallait qu'ils restent à leur place.
  • 4:21 - 4:24
    Ce syndrome du « reste à ta place »
    adressé au monde Kanak,
  • 4:24 - 4:27
    ça fait un moment qu'on nous l'adresse.
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    Le Covid-19, est-ce
    qu'il est resté à sa place, lui ?
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    La seule règle qui compte pour nos chefs
    coutumiers, c'est de préserver la vie,
  • 4:39 - 4:42
    la vie de leurs familles,
    la vie de leurs sujets,
  • 4:42 - 4:46
    la vie de tous ceux
    qui se tiennent à nos côtés.
  • 4:47 - 4:52
    On ferme la porte vers l'extérieur,
    on se replie vers l'intérieur.
  • 4:53 - 4:57
    Cette stratégie de repli
    envisagée par le monde Kanak
  • 4:58 - 5:04
    l'a été aussi du fait que nous avions
    la ressource suffisante pour nous nourrir.
  • 5:05 - 5:08
    Personnellement, je n'ai pas
    vu les vieux de chez moi
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    courir dans les magasins après
    les rouleaux de papier hygiénique,
  • 5:13 - 5:15
    mais plutôt après
    les barquettes de poulet.
  • 5:15 - 5:17
    (Rires)
  • 5:17 - 5:23
    Donc ce n'est pas forcément mieux,
    mais c'est peut-être plus compréhensible.
  • 5:26 - 5:30
    Ce qui était d'autant plus
    paradoxal dans cette crise
  • 5:30 - 5:34
    où on ne pouvait ni se voir ni se toucher,
  • 5:34 - 5:38
    ça a poussé les gens
    à se reconnecter aux autres,
  • 5:39 - 5:43
    à leur culture, à leurs parents,
    à leurs enfants.
  • 5:45 - 5:46
    Comment ?
  • 5:46 - 5:49
    Simplement par le geste et la parole.
  • 5:50 - 5:52
    Les vieux n'ont pas hésité une seconde
  • 5:52 - 5:57
    à sanctuariser les îles
    et fermer les aéroports.
  • 5:58 - 6:00
    C'est une parole racine,
  • 6:01 - 6:03
    une parole qui vient
    du ventre de la Terre.
  • 6:05 - 6:09
    Cette pensée présentée
    comme futile par ses détracteurs
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    est le fruit de 3 500 ans d'expérience.
  • 6:14 - 6:19
    3 500 années de lutte pour la survie
    sur une île, ce n'est pas rien.
  • 6:20 - 6:25
    Savoir identifier un danger
    et la manière de s'en préserver
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    est la condition même de la survie
    de l'homme dans cette partie du monde.
  • 6:31 - 6:33
    C'est une évidence pour nous,
  • 6:34 - 6:39
    mais cet autre-là,
    Occident aux mille visages,
  • 6:39 - 6:41
    Écossais, Français, Anglais,
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    n'a commencé à nous entrevoir qu'hier
  • 6:45 - 6:47
    mais nous étions déjà des hommes avant,
  • 6:47 - 6:52
    avec nos mythes, nos chants,
    nos danses, nos cultures
  • 6:52 - 6:57
    et cette vision si particulière
    de notre nature.
  • 6:58 - 7:00
    Elle était notre monde
    et nous étions ses enfants,
  • 7:01 - 7:04
    accrochés à ses bras
    qui portaient nos cases,
  • 7:04 - 7:09
    ses lianes sentiers qui couraient
    à la crête des montagnes,
  • 7:09 - 7:14
    ses fruits ignames que nous offrions
    lors des cérémonies,
  • 7:15 - 7:18
    jusqu'à ce que l'on nous renie
    ce droit d'exister.
  • 7:19 - 7:22
    Aujourd'hui, vous êtes dans ma maison
  • 7:23 - 7:28
    et je viens vers vous chargé
    de 3 500 ans d'expérience humaine.
  • 7:29 - 7:36
    Par chez nous, l'essence même
    de notre culture naît de l'hospitalité
  • 7:37 - 7:42
    parce que c'est de la rencontre
    que naît la vie, l'intelligence,
  • 7:42 - 7:48
    la force, la diversité,
    la solidarité et même la joie
  • 7:49 - 7:55
    mais le préalable à cette rencontre,
    c'est la reconnaissance.
  • 7:56 - 8:02
    Il s'agit d'être certain que celui
    à qui je m'adresse est un homme
  • 8:04 - 8:08
    et qu'à ce titre, j'honore
    et je respecte cette condition
  • 8:08 - 8:10
    qui fait de lui un héritier potentiel
  • 8:10 - 8:16
    de ce que ses ancêtres ont transcendé
    à travers lui d'expérience au monde.
  • 8:17 - 8:20
    C'est le point de départ
    du lien qui se tisse
  • 8:20 - 8:26
    par le verbe, le geste, la main
    ou la joue qui se tend.
  • 8:27 - 8:33
    Dans notre histoire, il y a bien des fois
    où lorsque la parole est absente,
  • 8:33 - 8:35
    il a fallu trouver des solutions,
  • 8:37 - 8:44
    comme lors de notre première rencontre
    officielle avec l'Occident en 1774.
  • 8:45 - 8:50
    Les vieux racontent que lorsque James Cook
    est arrivé, ils se sont approchés de lui,
  • 8:50 - 8:52
    l'eau à mi-cuisse.
  • 8:53 - 8:55
    Ils ont vu qu'ils étaient
    bien différents d'eux,
  • 8:57 - 9:01
    avaient plusieurs couches de peau,
    ils ne parlaient pas la même langue.
  • 9:03 - 9:06
    On dit qu'ils n'arrivaient pas
    à se comprendre.
  • 9:06 - 9:11
    Ils ont fait des signes pour
    communiquer, mais sans succès.
  • 9:12 - 9:15
    À un moment donné, a germé chez eux
  • 9:15 - 9:18
    l'idée qu'ils avaient
    peut-être affaire à des esprits.
  • 9:20 - 9:24
    Pour vérifier s'ils s'adressaient
    à des hommes ou à des dieux,
  • 9:25 - 9:30
    ils ont proposé aux navigateurs
    écossais un poisson,
  • 9:31 - 9:34
    un poisson qui rend malade,
    un poisson gratteux.
  • 9:34 - 9:37
    (Rires)
  • 9:37 - 9:42
    Puis plusieurs jours après
    avoir consommé ce mets délicat,
  • 9:43 - 9:46
    quelques marins furent
    atteints par la gratte.
  • 9:48 - 9:53
    On dit que c'est comme ça qu'ils ont
    reconnu que c'étaient des hommes.
  • 9:54 - 9:57
    S'ils avaient été des esprits,
    ils auraient tout de suite vu
  • 9:57 - 10:01
    que le poisson offert était
    empoisonné, gratteux.
  • 10:03 - 10:08
    Voyez comme l'absence
    de parole est dangereuse.
  • 10:09 - 10:11
    Sans parole, on ne se reconnaît pas.
  • 10:11 - 10:14
    L'absence de parole,
    l'absence de reconnaissance
  • 10:16 - 10:18
    nous conduit à la violence,
  • 10:19 - 10:23
    la violence envers les autres,
    la violence envers soi-même.
  • 10:24 - 10:27
    C'est ce qui s'est passé avec James Cook
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    en Nouvelle-Calédonie à ce moment-là
  • 10:29 - 10:31
    et puis avec d'autres par la suite.
  • 10:34 - 10:36
    À ce moment-là de ma présentation,
  • 10:37 - 10:40
    j'avais pensé prouver
    avec vous cette méthode
  • 10:41 - 10:44
    et j'avais amené une petite glacière
    de poissons à vous offrir.
  • 10:44 - 10:47
    (Rires)
  • 10:47 - 10:51
    Puis on m'a dit
    que ce n'était pas possible.
  • 10:51 - 10:52
    (Rires)
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    « Tu ne peux pas faire ça Emmanuel,
    tu sais, les gens ont payé, tout ça. »
  • 10:56 - 10:59
    (Rires)
  • 10:59 - 11:00
    Donc voilà.
  • 11:01 - 11:02
    Il faut se parler,
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    il faut se parler parce que la parole
    des hommes fait vivre notre pays
  • 11:08 - 11:10
    et fait vivre le monde.
  • 11:11 - 11:16
    Partager nos ressources, partager
    nos histoires, nos visions du monde
  • 11:16 - 11:20
    pour pouvoir donner naissance
    à de nouveaux soleils.
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    Pour pouvoir se parler,
    il faut se dépasser soi-même,
  • 11:27 - 11:30
    être capable d'abandonner
    ses propres certitudes,
  • 11:31 - 11:34
    pour pouvoir enrichir
    de nouvelles boutures.
  • 11:35 - 11:39
    Si on ne se parle pas,
    les armes prennent le relais.
  • 11:42 - 11:44
    Le 17 juillet 2004,
  • 11:47 - 11:49
    après des mois de palabres,
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    et 15 ans après la mort de mon père
    et celle de Yeiwéné Yeiwéné,
  • 11:56 - 11:58
    ma tribu, la tribu de Tiendanite,
  • 11:59 - 12:03
    a fait rentrer la tribu de Gossanah
    dans la cour de la chefferie Tjibaou.
  • 12:05 - 12:09
    Gossanah, c'est le nom de la tribu
    d'où est originaire Djubelly Wéa,
  • 12:09 - 12:12
    l'assassin de mon père.
  • 12:15 - 12:19
    Le silence était si pesant à leur arrivée
  • 12:20 - 12:22
    qu'on aurait dit
    que le temps s'était figé.
  • 12:23 - 12:27
    On n'entendait même plus
    les oiseaux chanter.
  • 12:29 - 12:31
    Dans un dernier mouvement,
  • 12:32 - 12:36
    le catéchiste porte-parole
    de la tribu s'avance
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    et avec mes frères, je le suis.
  • 12:41 - 12:46
    Les deux clans vont bientôt se faire face
    dans cette cour devenue immense.
  • 12:48 - 12:49
    Il faut faire un choix.
  • 12:52 - 12:56
    Il se retourne vers moi, s'adresse
    à moi dans la langue et me dit :
  • 12:57 - 12:58
    « Aujourd'hui,
  • 13:01 - 13:04
    l'ensemble des clans de la tribu,
    nous sommes avec vous
  • 13:05 - 13:09
    et vous allez nous dire
    si vous choisissez la vie,
  • 13:10 - 13:12
    nous allons tendre la joue,
  • 13:13 - 13:18
    si vous choisissez la mort,
    nous allons tendre les casse-têtes
  • 13:19 - 13:23
    et nous allons mourir, tous, ce jour. »
  • 13:25 - 13:30
    Des larmes de colère, de tristesse
    ont coulé sur nos joues
  • 13:32 - 13:34
    mais nous avons choisi la vie.
  • 13:36 - 13:42
    Le soir même, nous avons chanté,
    dansé sur les paroles de réconciliation.
  • 13:42 - 13:44
    (Siffle et danse)
  • 13:46 - 13:50
    La parole, si essentielle.
  • 13:51 - 13:56
    Dans ma culture, il y a ce que
    l'on appelle les « kaan vhalik ».
  • 13:56 - 13:58
    Ce sont des boutures de paroles.
  • 13:59 - 14:01
    Elles ont un statut vraiment particulier.
  • 14:03 - 14:06
    Comme pour les plantes,
    elles viennent se greffer,
  • 14:06 - 14:12
    se greffer sur des paroles souches
    qui racontent l'origine des choses.
  • 14:14 - 14:18
    La bouture de parole nourrit
    et mature son processus de vie
  • 14:18 - 14:22
    au contact de cette pensée
    sur laquelle elle vient de se greffer.
  • 14:23 - 14:28
    Cette notion traduit l'imaginaire
    né de la rencontre.
  • 14:29 - 14:31
    Si la greffe est une blessure,
  • 14:32 - 14:35
    c'est l'opportunité aussi
    de générer une nouvelle vie.
  • 14:37 - 14:41
    Cette notion ne renvoie pas simplement
    à la préservation de l'espèce
  • 14:41 - 14:44
    ou au renouvellement des idées.
  • 14:45 - 14:48
    C'est l'idée aussi qu'une pensée,
    si elle s'enracine dans un terroir,
  • 14:49 - 14:50
    y fait souche,
  • 14:51 - 14:55
    elle grandit et mûrit au contact
    d'autres imaginaires.
  • 14:56 - 15:02
    C'est l'idée que la culture,
    l'humanité de chacun d'entre nous,
  • 15:02 - 15:07
    ne se transmet que si
    nous faisons acte d'humilité
  • 15:07 - 15:12
    en s'imprégnant de la culture,
    de la pensée, de l'histoire de l'autre.
  • 15:13 - 15:17
    Mon pays, par ses langues,
    fait l'éloge de la rencontre,
  • 15:17 - 15:22
    des plus anodines, lorsque l'on croise
    des inconnus au bord de la route,
  • 15:23 - 15:27
    un salut, un sourire,
    c'est ce qu'on fait ici,
  • 15:27 - 15:30
    jusqu'aux plus formelles, à l'occasion
    des cérémonies coutumières.
  • 15:32 - 15:38
    C'est ce qui nous accompagne
    depuis l'origine des temps et nous oblige
  • 15:38 - 15:42
    à la reformulation permanente.
  • 15:43 - 15:47
    Cette bouture de parole, je vous l'offre
  • 15:47 - 15:52
    pour que vous puissiez la planter
    dans votre tête ou dans votre cœur,
  • 15:53 - 15:55
    qu'elle puisse germer
    à la lueur de nouveaux soleils.
  • 15:56 - 15:57
    J'espère qu'elle poussera,
  • 15:57 - 16:01
    qu'elle donnera de beaux fruits
    ou de belles fleurs
  • 16:02 - 16:05
    et que vous pourrez l'offrir à votre tour
  • 16:05 - 16:08
    jusqu'à ce que le souffle
    de vie vous abandonne.
  • 16:08 - 16:10
    (Souffle)
  • 16:10 - 16:17
    (Applaudissements)
Title:
Boutures de paroles, une pensée kanak pour le monde | Emmanuel Tjibaou | TEDxNouméa
Description:

Les Kanaks de Nouvelle-Calédonie comme de nombreux peuples autochtones de par le monde sont largement méconnus de l’Occident. Ils ont cependant développé de nombreuses formes de résilience en milieu insulaire pour résoudre les conflits ou encore préserver la sécurité sanitaire des tribus. La méconnaissance de ces formes de résiliences est pour partie héritée de la négation de l’identité kanak promue par la rhétorique coloniale. Aujourd’hui cependant du fait de la crise sanitaire mondiale COVID19, peu à peu ces dispositions de conciliation pensées par la société kanak trouvent un écho de plus en plus favorable auprès de tous. Ainsi dans les traditions orales des peuples autochtones émergent des notions inédites articulant pensée, parole, histoire et nature permettant de repenser le rapport à l’Autre.

#resilience #culture #identity #communication #humanity #social change#

Référence ouvrages :
Nouvelle-Calédonie, archipels de corails, sous la direction de Claude Payrie, E.Tjibaou, collectifs d’auteurs, article « Des récifs, une parole et des hommes » p.129, 2018
Patrimoines de Nouvelle-Calédonie, FONDATION CLEMENT GBH ; E.Tjibaou collectif d’auteurs, article « Centre Culturel Tjibaou et patrimoine calédonien, 2020 (à paraître)
Sebastien Lebègue, 2018. Coutume kanak, Ed. Aux Vents des Iles
Jean-Marie Tjibaou, La présence Kanak, Edition établie et présentée par Alban Bensa et Eric Wittersheim, Paris, Odile Jacob, 1996, 326 pages
Patrice Godin, « Les échanges sont le souffle de la coutume : logiques sociales de la ‘vie’ et de la ‘puissance’ en pays hyeehen (Nouvelle-Calédonie, côté nord-est) » thèse de doctorat, UNC, 2014.
Référence films :

Emmanuel Tjibaou et Yvon Kona, 2017. Aux racines de la coutume, Caledonia conférence (youtube)
Dorothée Tromparent et Emmanuel Desbouiges, 2019. Au nom du père du fils et des esprits, Foulala productions
Dorothée Tromparent et Emmanuel Desbouiges, 2014. Kanak, le souffle des ancêtres, Foulala productions

Originaire de la tribu de Tiendanite (Hienghène, Nouvelle-Calédonie), il est chargé au sein du département Patrimoine et Recherche du Centre Culturel Tjibaou de collecter le patrimoine immatériel kanak sur l’ensemble du pays. A travers l’expérience de son métier de passeur de savoirs, il contribue à alimenter la réflexion autour d’un modèle de société qui puisse prendre en compte l’identité de chacun comme ferment de l’identité de tous. Il participe autant dans son travail que dans son parcours personnel à la redéfinition des contours de la notion patrimoniale en Nouvelle-Calédonie en s’appuyant autant sur la préservation des traditions orales des peuples autochtones que leurs réinterprétations dans les expressions artistiques contemporaines.

Cette présentation a été donnée lors d'un événement TEDx local utilisant le format des conférences TED mais organisé indépendamment. En savoir plus: http: //ted. com/tedx

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Video Language:
French
Team:
closed TED
Project:
TEDxTalks
Duration:
16:19

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