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[générique]
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La Nouvelle-Orléans,
Baton Rouge, Lafayette,
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des villes américaines
aux noms bien français,
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les principales villes de la Louisiane.
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C'est un certain René Robert Cavelier
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de La Salle qui, en 1682,
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a exploré le bassin du Mississippi,
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a pris possession
du territoire au nom du roi
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Louis XIV et l'a baptisé en son honneur.
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La Louisiane française au début
du XVIIIᵉ siècle est gigantesque,
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elle s'étend des Grands Lacs
jusqu'au Golfe du Mexique,
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mais les guerres vont peu
à peu réduire ce territoire.
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La France doit céder
l'ouest de la Louisiane
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à l'Espagne et le Canada
à la Grande-Bretagne.
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Une partie des habitants
francophones de ces territoires du Nord,
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appelé Acadie, vont d'ailleurs
immigrer vers la Louisiane actuelle,
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où on les appellera les Cadiens ou Cajuns.
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Ce démantèlement progressif
va s'achever en 1803.
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Le Premier Consul, Napoléon Bonaparte,
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vend la Louisiane au tout jeune
États-Unis pour 5 millions de dollars,
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plus 10 millions pour la Nouvelle-Orléans.
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Pour autant, l'immigration
francophone va se poursuivre,
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venus notamment
des Antilles et de la Caraïbe,
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des planteurs accompagnés
de leurs esclaves
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et le français se mâtine de créole.
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Malgré l'importance de la communauté
francophone dans l'État,
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à partir de 1916, il est interdit
d'utiliser le français dans les écoles.
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En 1921,
la constitution de Louisiane n'autorise
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plus l'usage que de la seule
langue anglaise,
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les Cajuns sont de plus en plus isolés.
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Un siècle plus tard,
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ils représentent encore presque
10 % de la population de la Louisiane.
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Même si l'usage du français
se perd peu à peu,
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de génération en génération,
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certains se battent encore
pour préserver la langue et la tradition.
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Billet Retour en pays cajun.
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C'est un reportage de Fanny Allard.
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[musique]
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La Louisiane, terre d'aventure.
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Ici, les influences sont créoles,
françaises, indiennes et acadiennes,
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mais la francophonie est aujourd'hui,
ce qui unit les louisianais.
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Près de Lafayette, dans le sud de l'État,
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on parle français avec
un accent d'ailleurs.
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Le français cajun du nom donné à ce peuple
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des Amériques qui vit
ici depuis trois siècles.
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[siffle]
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J'ai trouvé une ruche avec
des abeilles dans l'arbre, c'est cool.
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Jourdan Thibodeaux
est un enfant de la Louisiane.
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Il a construit cette ferme,
il y a plus de 10 ans dans les marais
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et vit ici avec sa
femme et ses deux filles
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à quelques kilomètres
seulement de ses parents.
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Il y a une chanson, La valse d'héritage,
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qui dit : « J'étais cajun quand je suis
né, je serai cajun quand je vais mourir. »
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Quand j'étais petit, : « Un jour,
quand je serai grand,
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j'aurai une ferme et j'aurai
des vaches et des moutons.»
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Ce rêve,
Jourdan l'a réalisé en travaillant dur.
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Élevé par une grand-mère
qui lui a transmis le français.
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Quand il parle de ses concitoyens,
il les appelle les américains.
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Plein de jeunes veulent être
de plus en plus comme les Américains
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parce que c'est plus cool et plus accepté.
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Je préfère être ce que je suis
que quelque chose d'autre.
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Pour la génération de nos parents,
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ce n'était pas une bonne
chose d'être cajun.
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Tu n'étais pas intelligent.
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La manière dont sont traités
les Mexicains aujourd'hui,
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c'était comme ça pour nos parents.
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C'est pour ça que la tradition
et la langue se sont perdues.
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Jourdan est un cowboy des marécages.
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Quand il ne chasse pas le crocodile,
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il élève du bétail et monte
à cheval loin des villes.
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C'est sa manière de défendre son héritage,
perpétuer les traditions.
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Pour moi, c'était juste d'être
comme mon grand-père était,
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comme ma grand-mère était.
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C'est juste vivre la vie,
vivre la culture.
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Je vais continuer de la même
manière avec ma petite femme,
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je vais parler ma langue avec mes enfants,
on va prier tous les soirs.
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Je ne vais pas aller à 10 000 miles d'ici
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pour manger des Burger
King ou des McDonald's.
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Ça, ce n'est rien pour moi. [glousse]
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Autrefois, le sud de la Louisiane
était majoritairement francophone
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car les cajuns sont
des descendants des acadiens.
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Ces Français du Canada chassés par
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la Couronne britannique
au milieu du XVIIIᵉ siècle
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et qui migrèrent vers la Louisiane
et ses milliers d'hectares de bayous,
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des bras d'eau du Mississippi qui scindent
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la terre partout dans le sud de l'État.
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Norbert Leblanc vient de cette lignée.
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Ça, c'est le plus gros chêne du bayou.
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Il n'y en a pas de plus gros.
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D'après moi,
il a peut-être 500 ou 600 ans.
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Comme ses ancêtres, il y a 300 ans,
Norbert n'a jamais quitté le bayou.
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Mon papa est né ici, ma maman est née ici.
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J'ai fait toute ma vie sur le bayou.
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J'ai coupé et chargé des bûches
avec mon grand-papa, il y a longtemps.
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Ça ne date pas d'hier.
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[rit]
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Pas un recoin de la rivière
n'a de secret pour Norbert.
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À 85 ans,
ce vieux cajun pêche toutes les semaines
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et chassait encore l'alligator,
il y a quelques années.
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Dans le bayou, les crocodiles
sont plus nombreux que les hommes,
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ils peuvent mesurer jusqu'à
4 mètres et vivre 30 ans.
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J'en ai tué un tas.
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Le prix était bon : 80
$ pour 1/3 de mètre.
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Aujourd'hui, c'est 5 $.
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Ça ne paye pas assez.
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Norbert parle le français
car c'est sa langue maternelle,
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mais il le pratique peu.
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Quand il était enfant,
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ses professeurs lui ont
interdit de le parler à l'école.
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Quand j'ai commencé l'école,
tout était en français.
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À partir du CP,
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le gouvernement nous a dit :
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« No French.
», plus de français. C'était dur
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parce que l'anglais
n'était pas répandu ici.
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À partir de 1921,
la Louisiane a mené une vaste campagne
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d'assimilation
dans le but d'américaniser l'État.
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La Constitution a interdit
le français dans l'enseignement.
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Les cajuns ont été stigmatisés.
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Le jeune monde aujourd'hui,
c'est juste l'anglais.
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Je fais partie du vieux monde. [rit]
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[musique]
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Comme beaucoup de cajuns de sa génération,
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Norbert n'a pas transmis
le français à ses enfants.
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En Louisiane, les boomers,
ces enfants de l'après-guerre,
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sont appelés la génération perdue.
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Celle qui n'a pas
appris à parler français.
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C'est le cas de Francis Pavy.
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Ce peintre né à Lafayette de parents
francophones ne parle qu'anglais.
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The french culture
is very important to South Louisiana
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and New Orleans here
because the acadian culture.
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My mother was a Wagespack,
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people that came
from Alsace-Lorraine in the 1720s.
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When she was about 6 or 7,
she had to go to school, of course,
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they prevented her from speaking French.
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They got extra work
or had to stay after school,
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writes lines or things like that.
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Souvent punis sévèrement
par leurs professeurs,
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les cajuns abandonnent
alors le français et avec lui,
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une partie fondamentale de leur identité.
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À travers ses tableaux,
Francis célèbre la culture louisianaise,
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une culture qu'il exprime avec le langage
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de la peinture à défaut
de parler français.
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We grew up primarly speaking English.
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They thought us English
at school and most of the television
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and media that we listen
to the radio was English.
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I really do regret the fact
that I didn't take advantage
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of learning French as a child
but I didn't know any better.
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All my friends spoke English.
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Dans les cimetières du sud de l'État,
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les noms sont des témoins de l'histoire.
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[son de cloche]
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Champagne, Broussard ou Thibodeaux,
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ces familles catholiques
n'ont jamais quitté la Louisiane,
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leur terre d'exil.
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L'Ile Cyprès, c'est chez moi.
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C'est un petit marais des bas-fonds
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de l'est de Lafayette.
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J'aime mon petit voisinage.
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Jourdan Thibodeaux
travaille dans l'industrie
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de la viande depuis qu'il a 14 ans.
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Il gère aujourd'hui sa société
de production de boudins et de tasseaux.
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Des spécialités locales.
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You got something in the mixer right now?
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Ici, on cuisine du porc,
des écrevisses ou du crocodile.
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En pays cajun,
la nourriture est sacrée et métissée.
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C'est la meilleure parce qu'elle
est issue de plein de cultures.
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Les gens pensent qu'il n'y
a eu qu'une seule influence,
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mais ce n'est pas vrai.
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Le boudin vient des Français,
mais la cuisson a changé avec les Indiens.
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Puis, les Africains sont venus
avec d'autres ingrédients.
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Voilà pourquoi c'est
si bon : ça ne peut pas
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être la meilleure
si elle n'a qu'une source.
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Tu as besoin de différences ensemble.
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À 35 ans, Jourdan est un fervent
défenseur de la culture
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cajun qu'il revendique
jusque dans la cuisine.
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Les recettes sont anciennes,
on n'a jamais rien changé.
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Ce sont les mêmes recettes
que celles de nos grands-parents.
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Si je vais commencer
quelque chose de nouveau,
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ce ne sera pas la même culture.
C'est quelque chose de nouveau.
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C'est une nouvelle culture.
C'était bon déjà,
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tu n'as pas besoin de changer
quelque chose qui est bon.
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Alors que le français risquait
de s'éteindre en Louisiane,
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un mouvement de réhabilitation
de la langue né dans les années 60.
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[musique]
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Des programmes d'immersion franco-anglais
se développent dans les écoles
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et permettent à une jeune génération
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de Louisianais d'apprendre le français.
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Will et Drake font partie de ces jeunes.
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Il y a deux ans,
ils ont lancé Télé Louisiane,
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premier média audiovisuel
francophone de la région.
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En Louisiane, on est très
déconnecté avec notre histoire,
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notre littérature, notre héritage
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qui est beaucoup plus riche
que ce qu'on pense.
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On essaye de montrer aux Louisianais,
ici en Louisiane,
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mais aussi dans la diaspora,
partout aux États-Unis et dans le monde,
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qu'il faut être fier de la Louisiane,
de notre musique,
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de notre culture, de nos langues.
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Le jeune média compte 18 employés qui,
chaque semaine,
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construisent une émission
autour d'un thème différent.
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Ce jour-là,
le tournage a lieu à la Nouvelle-Orléans,
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dans le quartier français du Vieux Carré.
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Au programme, les créoles de couleur.
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Qu'est-ce que ça veut
dire créole en Louisiane ?
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Créole, c'est compliqué.
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Ça veut dire beaucoup
de choses pour beaucoup de gens.
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Le terme, c'est d'origine
portugais et ça voulait dire :
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autrefois né au nouveau monde.
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Avec plus de 260 000 vues cette année,
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le jeune média espère être
bientôt diffusé à la télévision.
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Pour Will et Drake,
l'avenir de la francophonie, c'est eux,
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la jeunesse louisianaise.
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On n'a pas une histoire.
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Le français,
c'est quelque chose de folklorique,
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c'est quelque chose de très négatif.
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Ça, c'était le récit,
c'était le stéréotype.
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À cette heure,
on n'a pas une mémoire pour ça.
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Pour nous autre, le français, c'est ça,
le français, c'est notre culture.
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Si on veut que ça
continue d'être la Louisiane,
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il faut vraiment investir dans la musique,
la culture,
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la langue et toutes les autres choses
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qui nous font différent et spécial,
je crois.
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Noirs, blancs, natives,
n'importe quoi, je suis Louisianais.
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Je suis Louisianais, oui.
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On doit apporter ça avec cette
perspective chaque jour qu'on vit.
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Manger, prier, travailler.
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Être cajun, c'est un mode de vie
que cette communauté transmet
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de génération en génération à travers
la tradition orale et la musique.
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Jourdan a appris à jouer
du violon tout seul, sans partitions,
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mais en écoutant les anciens.
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Petit,
il suivait sa mère dans les concerts.
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Aujourd'hui, il chante avec sa fille.
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[musique]
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Mon papa a toujours dit
-
que nous sommes les dernières personnes
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à parler français dans la Louisiane.
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C'est vraiment une langue
importante pour nous.
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[chants]
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Charmant, Jo.
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La musique a aidé beaucoup
de jeunes à parler français.
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Ils ont appris grâce à la musique,
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parce que ça te prend aux tripes.
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C'est là, c'est dans ton cœur.
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J'ai fait mon idée
que je vais chanter en français
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parce qu'il y a assez
de monde qui chante en anglais.
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Les vieilles chansons que j'aime,
c'est tout en français et ça sonne mieux.
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Jourdan élève ses
filles en français malgré
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l'omniprésence de la culture américaine.
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Un combat de tous les jours
qu'il ne compte pas abandonner.
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Je suis fier d'être d'ici.
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Si la prochaine génération
ne prend pas le relais,
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ça ne sera pas de ma faute.
Moi, j'ai fait mon job,
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j'ai continué avec mes enfants.
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Même s'ils doivent être les derniers,
je ne serai pas le dernier.
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C'est ma responsabilité.
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Ça ne va pas mourir avec moi.
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Chaque fois que j'entends mes
filles parler français, ça me rend fier.
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Je crois que le plus important,
c'est la langue,
-
parce que sans ça, on n'a rien.
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[musique]
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Il y a 40 ans, on comptait à peine
100 000 francophones en Louisiane.
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Il y en aurait
plus de 250 000 aujourd'hui.
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Les Louisianais se voient comme
un peuple citoyen des États-Unis,
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mais dépositaires d'une identité
qu'ils promettent de défendre à tout prix.
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La Louisiane,
un peu de vieille France au Nouveau Monde.
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Voilà donc pour ce reportage en Louisiane,
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un reportage que vous pourrez
retrouver bien sûr sur France24.com.
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Je vous dis à très vite
pour un nouveau numéro de Billet Retour.
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[musique]