-
Tu les entends encore?
-
lls sont si loin
que je ne les entends plus.
-
lls sont encore près.
-
Le son arrive distinctement ici.
-
Une crainte inquiète égare ton oreille.
-
Ce qui te trompe, c'est le murmure
frémissant du feuillage
-
que le vent secoue en riant.
-
Ce qui te trompe, c'est le désir que
rien n'arrête d'entendre ce dont tu rêves.
-
J'entends le son des cors.
-
Ce n'est pas le son des cors
qui bruit si gentiment.
-
C'est le ruissellement suave
de la source
-
qui murmure si délicieusement ici.
-
Comment l'entendrais-je
si les cors mugissaient si fort?
-
Dans le silence de la nuit,
la source me rit.
-
Celui qui m'attend
dans la nuit silencieuse,
-
veux-tu le retenir loin de moi
-
comme si les cors résonnaient
vraiment près de toi?
-
Celui qui t'attend...
Ecoute ma supplication!
-
Des espions le guettent dans la nuit.
-
Si tu es aveuglée, penses-tu
qu'ils le soient aussi?
-
Là-bas, à bord du navire,
quand de la main tremblante de Tristan
-
le roi Marke reçut la fiancée blême
à peine maîtresse d'elle-même,
-
lorsque tous, étonnés,
la regardaient chanceler
-
et que le bon roi,
tendrement inquiet,
-
déplorait hautement les fatigues
de la longue traversée:
-
il n'y en eut qu'un seul,
je l'ai bien remarqué,
-
qui ne regardait que Tristan.
-
Avec une ruse mauvaise
dans son ?il soupçonneux,
-
il cherchait à trouver dans sa mine
quelque chose qui le serve.
-
Je l'ai rencontré souvent,
épiant sournoisement.
-
En secret il vous dresse des pièges.
Soyez en garde contre Mélot!
-
Tu parles de sire Mélot?
-
Oh! que tu te trompes! N'est-il pas
de Tristan l'ami le plus fidèle?
-
Lorsque mon bien-aimé doit m'éviter,
c'est chez Mélot seul qu'il attend.
-
Ce qui me le rend suspect
est ce qui te le rend cher!
-
Le chemin de Mélot va de Tristan à Marke;
il y sème de la mauvaise graine.
-
Cette chasse nocturne qu'aujourd'hui
ils ont si hâtivement décidée,
-
leur ruse de chasseur poursuit
un gibier plus noble que tu ne penses.
-
C'est pour l'amour de son ami,
-
par compassion, que l'ami Mélot
imagina cette ruse.
-
Et tu veux maintenant blâmer son amitié?
-
ll s'occupe de moi mieux que toi.
-
ll lui ouvre les voies
que toi, tu me fermes.
-
Ô épargne-moi l'ennui de cette attente!
-
Le signal, Brangaine!
-
Ô donne le signal!
-
Eteins la dernière lueur du flambeau!
-
Fais signe à la nuit
de descendre entièrement.
-
Elle a dejà répandu son silence
sur les bois et la maison.
-
Elle remplit dejà mon c?ur
d'une terreur délicieuse.
-
Oh! éteins maintenant la lumière!
-
Eteins son éclat qui retient!
-
Mon chéri, laisse-le entrer!
-
Ô laisse le feu mettre en garde,
laisse-le montrer le danger!
-
Ô douleur! Malheureuse que je suis!
-
Ce breuvage fatal!
-
Faut-il que, infidèle une seule fois,
j'aie trahi la volonté de ma maîtresse?
-
Si j'avais obéi, sourde et aveugle
la mort eût été ton ouvrage.
-
Mais ta honte, ta détresse
encore plus honteuse,
-
voilà le mien, je dois
m'en reconnaître coupable!
-
Ton ouvrage? Ô fille insensée!
-
Ne connais-tu pas la déesse de l'amour?
-
Ni la puissance de sa magie?
-
Le courage fou dont elle est reine?
-
Le devenir des mondes qu'elle gouverne?
-
La vie et la mort lui sont soumises,
-
elle les tisse de plaisirs et de peines,
-
elle change l'envie en amour.
-
Téméraire, j'avais pris en main
l'?uvre de la mort.
-
La déesse de l'amour l'a soustraite
à mon pouvoir.
-
Elle a pris en garde
celle qui se vouait à la mort.
-
Elle a mis elle-même
la main à l'ouvrage.
-
Quoi qu'elle dirige,
-
quoi qu'elle mène à bien,
-
quoi qu'elle me réserve,
à quoi qu'elle me conduise,
-
je suis devenue sa sujette.
-
Laisse-moi donc me montrer soumise!
-
Si le philtre perfide devait éteindre
-
en toi la lumière de l'esprit,
-
si tu ne peux pas voir
ce dont je t'avertis,
-
écoute seulement aujourd'hui,
écoute ma supplication!
-
La lumière qui éclaire le danger,
-
pour aujourd'hui seulement,
cette lumière-là, ne l'éteins pas!
-
Celle qui dans mon sein
allume cette ardeur,
-
celle qui fait brûler mon c?ur,
-
celle qui me sourit
comme la lumière de mon âme,
-
la déesse de l'amour le veut:
qu'il fasse nuit
-
pour qu'elle resplendisse là-bas,
-
là où ta lumière l'effarouche.
-
Toi, à ton poste: et veille fidèlement!
-
La lumière serait-elle
la lumière de ma vie,
-
j'en ris et ne crains pas de l'éteindre!
-
lsolde!
-
Tristan!
-
- Bien-aimé!
- Bien-aimée!
-
- Es-tu à moi?
- Je te retrouve?
-
- Puis-je te toucher?
- Puis-je me permettre?
-
- Enfin! Enfin!
- Sur ma poitrine!
-
- C'est vraiment toi que je sens?
- C'est bien toi que je vois?
-
- Ce sont tes yeux?
- C'est ta bouche?
-
- C'est bien ta main?
- C'est bien ton c?ur?
-
Est-ce moi? Est-ce toi?
-
- C'est bien toi que je tiens?
- N'est-ce pas un mensonge?
-
N'est-ce pas un rêve?
-
Ô délices de l'âme!
-
Ô la douce, la sublime, la plus hardie,
la plus belle, la plus sainte volupté!
-
- Sans pareille!
- Magnifique!
-
- Plus que délicieuse!
- Eternelle!
-
- lnsoupçonnée, jamais éprouvée!
- Plus qu'enivrante, haute, sublime!
-
- Cris de joie!
- Extase du bonheur!
-
Ravissement du monde
dans les hauteurs du ciel!
-
- Mien!
- Mienne!
-
- Mon Tristan!
- Mon lsolde!
-
- Mien et tienne!
- Mienne et tien!
-
Toujours!
-
- Mon Tristan, toujours ton lsolde!
- Toujours! Mon lsolde!
-
- Tristan!
- lsolde!
-
Toujours, toujours unis!
-
Si longtemps éloignés!
Si loin, si longtemps!
-
Si loin, si près! Si près, si loin!
-
Ô ennemi de l'ami, éloignement méchant!
-
Lenteur hésitante de temps paresseux!
-
Lointain, proximité,
-
durement séparés!
-
Proximité gentille! Eloignement isolé!
-
Toi dans l'obscurité,
et moi dans la lumière!
-
La lumière! La lumière! Ô cette lumière,
-
qu'elle a été longue à s'éteindre!
-
Le soleil s'était couché,
le jour avait passé,
-
mais sa jalousie il ne l'étouffa pas.
-
ll alluma son signal menaçant
-
et le planta sur la porte de l'aimée
pour que je ne vienne pas chez elle.
-
Mais la main de ton aimée
a éteint la lumière.
-
Ce dont la servante se défendait,
moi, je n'en ai pas eu peur.
-
Sous puissance et protection de l'amour,
j'ai porté un défi au jour!
-
Au jour! Au jour!
Au jour perfide,
-
à l'ennemi le plus dur,
haine et malédiction!
-
De même que tu as éteint la lumière,
que ne puis-je éteindre le jour insolent
-
pour venger les souffrances de l'amour?
-
Y a-t-il une douleur, y a-t-il une peine
qu'il ne réveille pas avec son éclat?
-
Même dans la splendeur
crépusculaire de la nuit
-
ma bien-aimée le conserve sur sa maison
à elle et me le tend comme une menace!
-
Si la bien-aimée
le conserve sur sa maison,
-
clair et arrogant dans son c?ur à lui,
mon aimé naguère l'a gardé par orgueil:
-
Tristan, qui m'a trompée!
-
N'était-ce pas le jour qui mentait en lui
-
lorsqu'il vint en lrlande
-
de la part du roi Marke,
me demander en mariage
-
et vouer la fidèle à la mort?
-
Le jour! Le jour qui t'enveloppait,
-
m'enlevait lsolde,
-
là-bas, pareille au soleil vers l'éclat
et la lumière des honneurs suprêmes!
-
Ainsi, ce qui ravissait mon ?il,
rabaissait mon c?ur sur la terre.
-
Dans la lueur éclatante du jour,
comment lsolde était-elle mienne?
-
N'était-elle pas tienne,
celle qui t'a élu?
-
Quel mensonge t'a fait encore
le méchant jour
-
pour que celle qui t'était destinée,
la bien-aimée, tu l'aies trahie?
-
Ce qui t'entourait
d'une splendeur sublime,
-
l'éclat de l'honneur,
la puissance de la gloire,
-
tout ce mirage m'a retenu
d'y attacher mon c?ur.
-
Le soleil brillant des honneurs du monde
qui par l'éclat de son plus clair
-
reflet a illuminé ma tête et mon front,
-
qui a pénétré et ma tête et mon front
-
des délices vaines de ses rayons,
-
il est entré jusqu'au secret
le plus profond de mon c?ur.
-
Ce qui, là-bas, dans la nuit chaste
veillait, obscurément enfermé,
-
ce que sans le savoir, sans y penser,
j'avais obscurément conçu:
-
une image, que mes yeux
n'osaient pas regarder,
-
frappée par la lumière du jour,
s'offrait à moi dans tout son éclat.
-
Devant toute l'armée, je proclamai
ce qui me paraissait glorieux et sublime.
-
Devant le peuple entier,
je célébrai la belle fiancée royale.
-
L'envie qu'autour de moi
réveillait le jour,
-
la jalousie, à qui mon bonheur
faisait horreur,
-
la défaveur qui commença de m'affliger
avec les honneurs et la gloire,
-
tous, je les bravai
et décidai loyalement
-
pour sauver mon honneur et ma gloire
de faire le voyage d'lrlande.
-
Ô vain serviteur du jour!
-
Trompée par lui, qui t'a trompé,
-
combien j'ai dû, dans mon amour,
souffrir pour toi.
-
Pour toi, que dans l'éclat
trompeur du jour,
-
alors que l'amour ardent t'embrasait,
-
je haïssais franchement
du plus profond du c?ur.
-
Ah! comme au fond du c?ur
la blessure me pénétrait de sa douleur!
-
Celui que j'y avais caché en secret,
comme il me parut méchant
-
lorsqu'à l'éclat du jour,
l'unique objet de mon culte fidèle,
-
évitant le regard de l'amour,
se dressa devant moi en ennemi!
-
Cette lumière du jour
qui en toi me montrait un traître,
-
je voulus la fuir,
-
t'enlever avec moi là-bas dans la nuit
-
où mon c?ur me promettait
la fin de l'erreur,
-
où se dissiperait la folie
pressentie du mensonge.
-
Là-bas, boire avec toi l'éternel amour
-
et tous deux ensemble nous vouer,
toi et moi, à la mort.
-
La douce mort, lorsque j'ai reconnu
que de ta main tu me l'offrais,
-
lorsque l'intuition me révéla
quelle promesse contenait l'expiation,
-
alors, dans la douce lueur de sa puissance
sublime, la nuit descendit dans mon c?ur.
-
Mon jour, alors, fut accompli.
-
Mais hélas, il t'a trompé,
le breuvage menteur
-
qu'encore une fois la nuit t'a versé.
-
Celui qui tenait uniquement à la mort,
elle lui a encore redonné le jour!
-
Ô béni soit ce philtre!
-
Bénie soit sa liqueur!
-
Bénie soit la puissance auguste
de sa magie!
-
Sur le seuil de la mort
où il coula pour moi,
-
il m'a ouvert,
à portes toutes grandes,
-
le royaume merveilleux de la nuit,
que je n'avais jamais vu qu'en rêve.
-
Du sanctuaire du c?ur
abritant cette image,
-
il a chassé l'éclat trompeur du jour,
-
afin que mon ?il, pénétrant dans la nuit,
fût capable de la voir réellement.
-
ll s'est pourtant vengé,
le jour intimidé.
-
De tes péchés il sut tirer profit.
-
Ce que t'avait montré
la nuit crépusculaire,
-
il t'a fallu le rendre à la puissance
royale de l'astre du jour
-
pour y vivre de clinquant solitaire
-
dans un morne éclat.
-
Comment l'ai-je pu supporter?
-
Comment le supporté-je encore?
-
Oh! nous étions alors voués à la mort!
-
Le jour perfide, prompt à l'envie,
-
pouvait nous séparer par sa ruse,
-
mais non plus son mensonge nous tromper!
-
Celui à qui la nuit consacre son regard,
-
rit du vain éclat
de sa splendeur vantarde.
-
Les éclairs fugitifs
de sa lumière vacillante
-
n'aveuglent plus notre regard.
-
A qui regarde avec amour
la nuit de la mort,
-
à qui elle confie
ses profonds secrets:
-
les mensonges du jour,
l'honneur et la gloire,
-
la puissance et la richesse,
si magnifique que soit leur éclat,
-
sont dispersés devant lui
comme poussière vaine des soleils!
-
Dans le vain rêve du jour,
il n'a plus qu'un unique désir:
-
le désir de la nuit sacrée
-
où seul vrai de toute éternité
le délice de l'amour lui sourit!
-
Oh! descends vers nous, nuit de l'amour,
-
verse l'oubli sur notre vie!
-
Accueille-nous dans ton sein,
-
détache-nous bien loin du monde!
-
Les dernières lueurs
s'éteignent maintenant.
-
Ce que nous pensions,
ce qui nous semblait,
-
toutes les pensées,
-
tous les avertissements,
-
pressentiment sublime
de crépuscule sacré,
-
tu effaces l'horreur de la folie
en nous délivrant du monde.
-
Dans notre sein le soleil s'est caché,
-
les étoiles du bonheur
brillent en riant.
-
De ton charme doucement entouré,
-
suavement pâmé devant tes yeux,
-
mon c?ur contre ton c?ur,
ma bouche sur ta bouche,
-
union unique d'une seule haleine,
-
mon regard se brise aveuglé de bonheur,
-
le monde pâlit dans son éblouissement.
-
Ce monde que le jour éclaire
d'un mensonge,
-
lui qui s'oppose en illusion menteuse,
-
alors c'est moi-même qui suis le monde:
-
trame sublime de volupté,
-
vie la plus sacrée de l'amour,
-
ne plus jamais se réveiller,
-
ne plus penser, ne plus avoir
que ce doux désir.
-
Que celui à qui rit le rêve de l'amour
-
prenne garde au cri
-
de qui solitaire veille dans la nuit,
-
pressent le danger
pour ceux-là qui dorment
-
et craintive avertit
pour qu'ils se réveillent.
-
Prenez garde!
-
Bientôt la nuit s'enfuit.
-
Ecoute,
-
chéri!
-
Laisse-moi mourir!
-
Garde jalouse!
-
Ne jamais se réveiller!
-
Le jour, pourtant, doit éveiller Tristan?
-
Laisse le jour céder à la mort!
-
Le jour et la mort du même coup
-
devraient-ils frapper notre amour?
-
Notre amour? L'amour de Tristan?
-
Le tien et le mien, l'amour d'lsolde?
-
Aux coups de quelle mort
pourraient-ils succomber?
-
Fût-elle devant moi,
la redoutable mort,
-
menaçant et mon corps et ma vie,
-
afin que pour eux j'abandonne l'amour,
-
comment atteindrait-elle
de ses coups l'amour même?
-
Si je mourais pour lui,
moi qui mourrais si volontiers,
-
comment pourrait l'amour mourir avec moi,
-
finir avec moi, lui, l'immortel?
-
Et alors, si son amour ne mourait jamais,
-
comment Tristan pourrait-il
mourir pour son amour?
-
Mais notre amour
-
ne s'appelle-t-il pas Tristan et lsolde?
-
lui qui nous unit,
lui, le lien d'amour,
-
si Tristan mourait,
la nuit ne le détruirait-il pas?
-
Qui succomberait à la mort
sinon ce qui nous trouble,
-
ce qui empêche Tristan
d'aimer lsolde pour toujours,
-
de ne vivre éternellement que pour elle?
-
Pourtant ce petit mot: et.
-
S'il était détruit, comment Tristan
serait-il livré à la mort autrement
-
qu'avec la vie même d'lsolde?
-
Nous mourrions ainsi
pour ne plus nous séparer,
-
à jamais unis dans l'éternité,
-
sans réveil, sans crainte,
-
sans nom étreints dans l'amour,
-
entièrement adonnés l'un à l'autre,
-
et ne vivant que pour l'amour!
-
Nous mourrions ainsi
pour ne plus nous séparer,
-
à jamais unis dans l'éternité,
-
sans réveil,
-
sans crainte,
-
sans nom étreints dans l'amour,
-
entièrement adonnés l'un à l'autre,
-
- et ne vivant que pour l'amour!
- Prenez garde!
-
Prenez garde!
-
Dejà la nuit s'enfuit devant le jour.
-
Dois-je écouter?
-
Laisse-moi mourir!
-
Dois-je veiller?
-
Ne plus se réveiller!
-
Le jour doit-il encore éveiller Tristan?
-
Laisse le jour céder à la mort!
-
Les menaces du jour,
ainsi, nous les bravons?
-
Fuir pour toujours son mensonge.
-
Son éclat crépusculaire
nous a-t-il jamais intimidés?
-
Que la nuit, pour nous, soit éternelle!
-
Ô nuit éternelle, douce nuit!
-
Sublime, auguste nuit d'amour!
-
- Celui que tu as embrassé...
- Celui à qui tu as ri...
-
... comment pourrait-il sans crainte
te quitter en se réveillant?
-
Chasse donc la crainte, gracieuse mort,
-
mort d'amour ardemment désirée!
-
Consacrés à toi, dans tes bras,
-
réchauffés au feu sacré,
affranchis de la misère du réveil!
-
Comment les saisir, comment les quitter,
-
ces délices, loin du soleil,
-
loin des soupirs des jours de séparation!
-
- Sans illusion...
- ...douce demande.
-
- Sans inquiétude...
- ...douce demande.
-
Sans douleur... disparition sublime.
-
Sans langueur... gracieuses ténèbres.
-
Sans t'éviter, sans nous quitter,
-
nous confiant à toi seul,
-
asile éternel, rêve bienheureux
dans les espaces infinis.
-
- Tu es lsolde,
- Tu es Tristan,
-
- et moi Tristan,
- et moi lsolde,
-
- jamais plus lsolde!
- jamais plus Tristan!
-
- Sans nous nommer, sans nous séparer,
- Eternellement!
-
- nous reconnaître à nouveau.
- lnfinis!
-
Eternellement infinis,
ne nous sentant qu'un seul;
-
c?ur ardemment embrasé,
-
joie suprême de l'amour!
-
Tristan! Sauve-toi!
-
Le jour désolé pour la dernière fois!
-
Vas-tu, seigneur, pouvoir me dire
-
que je l'accuse injustement?
-
Et si je vais sauver ma tête
que je t'ai donnée en caution?
-
Je te le montre en flagrant délit.
-
Ton nom et ton honneur, je les ai
fidèlement sauvés de l'opprobre.
-
As-tu vraiment fait cela?
-
Le crois-tu vraiment?
-
Vois-le donc,
-
le plus fidèle entre les fidèles.
-
Regarde-le,
-
le plus chaud des amis.
-
L'acte le plus franc de sa fidélité
-
a frappé mon c?ur
de la plus noire trahison!
-
Si Tristan m'a trompé,
-
pourrais-je espérer
-
que les coups portés par sa perfidie,
-
le conseil de Mélot m'en sauve vraiment?
-
Fantômes du jour! Rêves du matin!
-
Trompeurs et désolés!
Envolez-vous! Disparaissez!
-
A moi, ceci?
-
Ceci, Tristan, à moi?
-
Où donc est la fidélité,
si Tristan m'a trompé?
-
Où sont alors l'honneur,
la droiture véritable,
-
si l'asile de tous les honneurs,
-
si Tristan les a perdus?
-
Celle qui a choisi Tristan pour bouclier,
-
la vertu, où s'est-elle donc envolée,
-
puisqu'elle a fui mon ami,
-
puisque Tristan m'a trahi?
-
Pourquoi les services sans nombre,
-
la gloire des honneurs,
la puissance de la grandeur,
-
que tu as conquise pour Marke?
-
L'honneur et la gloire,
la puissance et la grandeur,
-
les services sans nombre devaient-ils
t'être payés par l'opprobre de Marke?
-
Lui as-tu trouvé trop peu de gratitude
-
dans le don que je t'ai fait en héritage
de la gloire et du royaume
-
que tu m'as conquis?
-
Lorsque sa femme
jadis mourut sans enfants,
-
il t'aimait tant qu'il voulait
ne jamais contracter un nouveau mariage.
-
Mais le peuple entier,
la cour et la campagne le supplia
-
de se choisir une épouse,
une reine pour le pays.
-
Ce fut toi-même, alors,
qui adjuras ton oncle
-
de vouloir bien se rendre au désir
de la cour, à la volonté du pays.
-
ll se défendit contre la cour
et la campagne, et même contre toi,
-
par la ruse et par la bonté
il se refusa,
-
jusqu'à ce qu'enfin, Tristan,
tu le menaçasses
-
de t'éloigner pour toujours de la cour et
du pays, à moins de n'être toi-même envoyé
-
rechercher une fiancée pour le roi.
-
Alors il voulut bien laisser faire.
-
Cette créature admirable
-
que, pour moi, ta valeur a conquise,
-
qui l'aurait pu voir, qui la connaître,
-
qui avec fierté la nommer sienne
-
sans se croire divinement heureux?
-
Celle dont ma volonté
n'osa jamais approcher,
-
celle à qui mon désir renonçait
par un respect timide,
-
celle qui magnifique,
gracieusement sublime,
-
devait me ranimer le c?ur
-
malgré périls et ennemis,
la fiancée princière,
-
tu me la ramenas.
-
Et maintenant que par un tel présent
tu as rendu mon c?ur plus sensible
-
qu'il ne le fut jamais à la douleur,
et qu'à l'endroit le plus tendre
-
j'ai été frappé, il n'est pas à espérer
que je pourrais jamais guérir:
-
pourquoi si cruellement, malheureux,
m'avoir maintenant blessé là?
-
Là, avec le poison rongeur de l'arme
-
qui me déchire et me brûle
l'esprit et le cerveau,
-
qui m'interdit de témoigner
fidélité à l'ami,
-
qui remplit de soupçons
mon c?ur confiant
-
au point que maintenant,
en secret dans la nuit sombre,
-
je me glisse pour épier mon ami
-
et constater la fin de mon honneur?
-
Pour moi, pourquoi cet enfer
-
dont aucun Ciel ne délivre?
-
Pour moi, pourquoi cette honte
-
qu'aucune misère ne peut expier?
-
Ce motif insondable,
terriblement mystérieux,
-
qui le fera connaître au monde?
-
Ô roi,
-
ceci, je ne puis pas te le dire.
-
Et ce que tu demandes,
-
tu ne pourras jamais le savoir.
-
Là où Tristan se retire,
-
veux-tu, lsolde, le suivre?
-
Dans le pays auquel pense Tristan,
la lumière du soleil ne brille pas:
-
c'est le pays sombre et nocturne
d'où ma mère m'a envoyé,
-
quand, dans la mort, elle m'a conçu,
-
et dans la mort m'a mis au monde.
-
L'endroit où elle m'enfanta
et qui était son asile d'amour,
-
le royaume merveilleux de la nuit,
dont naguère je me suis éveillé:
-
c'est cela que t'offre Tristan,
-
c'est là qu'il part le premier.
-
Qu'lsolde lui dise maintenant
-
si fidèle et sienne elle va le suivre.
-
Quand, pour un pays étranger,
l'ami, jadis, l'a recherchée,
-
fidèle et sienne lsolde dut suivre
celui qui n'était pas à elle.
-
Maintenant tu me conduis sur ton bien
pour me montrer ton héritage.
-
Comment fuirais-je le pays
qui embrasse tout l'univers?
-
Là où sont la maison et la patrie
de Tristan, lsolde y entre:
-
elle le suit fidèle et sienne.
-
Montre donc le chemin...
-
...à lsolde!
-
Traître! Ah! Vengeance, roi!
-
Souffres-tu cet outrage?
-
Qui risque sa vie contre la mienne?
-
Celui-ci était mon ami, il disait
m'aimer très fort et très fidèlement.
-
Personne autant que lui n'avait souci
de ma gloire et de mon honneur.
-
ll poussait mon c?ur à la présomption.
-
ll menait la bande qui me pressait
-
de grandir mon honneur et ma gloire
-
en te faisant épouser le roi!
-
Ta vue, lsolde,
-
l'a aveuglé aussi.
-
C'est par jalousie que lui, l'ami,
-
il m'a trahi au roi que j'ai trahi!
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il m'a trahi au roi quej'ai trahi!