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Des rues de Kinshasa au tapis rouge des Oscars | Rachel Mwanza | TEDxParis

  • 0:11 - 0:17
    Bonjour. Je vais vous raconter
    une histoire de sorcière.
  • 0:17 - 0:18
    Pas la sorcière que vous connaissez
  • 0:18 - 0:23
    avec son nez crochu,
    son balai et ses verrues,
  • 0:23 - 0:26
    mais une sorcière du Congo.
  • 0:26 - 0:29
    Cette sorcière, c'est moi,
  • 0:29 - 0:34
    et mon histoire, c'est une histoire
    de courage, de force et de foi.
  • 0:35 - 0:38
    Je suis née en République
    Démocratique du Congo,
  • 0:38 - 0:41
    dans une bonne famille. Oui.
  • 0:41 - 0:43
    Quand j'étais petite,
  • 0:43 - 0:46
    mon père était agent dans
    une société de mine de diamants.
  • 0:46 - 0:49
    On vivait dans une grande maison
  • 0:49 - 0:52
    à Mbuji-Mayi dans la province du Kasaï.
  • 0:52 - 0:55
    J'allais à l'école et j'étais heureuse.
  • 0:55 - 0:57
    Ma mère vient d'une famille pauvre,
  • 0:57 - 1:02
    à cause de cela, la famille de mon père
    n'aimait pas ma mère.
  • 1:03 - 1:07
    Puis un jour, mon père
    a perdu son travail.
  • 1:07 - 1:08
    J'avais six ans.
  • 1:08 - 1:11
    Il a dit à ma mère d'aller avec moi,
  • 1:11 - 1:15
    à Kinshasa avec ma sœur
    et mes quatre frères.
  • 1:15 - 1:19
    Il a dit qu'il viendrait nous rejoindre
    pour trouver du travail.
  • 1:19 - 1:24
    En réalité, sa famille lui avait
    demandé de se débarrasser de nous.
  • 1:24 - 1:27
    Quand ma mère a compris,
    il était trop tard,
  • 1:27 - 1:29
    elle s'est retrouvée toute seule,
    loin de sa famille.
  • 1:29 - 1:33
    Elle a dû vendre tout ce qu'elle avait
    pour nous faire manger.
  • 1:33 - 1:35
    Elle avait changé.
  • 1:35 - 1:37
    Elle avait tellement maigri.
  • 1:37 - 1:40
    Ma mère a même fait venir
    notre grand-mère pour nous aider,
  • 1:40 - 1:43
    mais nous avions toujours faim.
  • 1:44 - 1:47
    Alors ma mère a commencé
    à nous envoyer chez des amis.
  • 1:47 - 1:52
    On faisait des kilomètres à pied
    pour aller chercher de la nourriture.
  • 1:52 - 1:55
    C'est comme ça qu'un soir,
    je me suis retrouvée chez une dame,
  • 1:55 - 1:58
    qui m'avait donné
    à manger pour la famille.
  • 1:58 - 2:00
    Mais il était trop tard pour retourner.
  • 2:00 - 2:02
    Elle m'a proposé de dormir chez elle
  • 2:02 - 2:05
    et de ne repartir que le lendemain matin.
  • 2:06 - 2:08
    Durant la nuit, je parlais
    dans mon sommeil.
  • 2:08 - 2:13
    Ça ne vous paraît pas
    très grave, n'est-ce pas ?
  • 2:13 - 2:17
    Mais cette amie a dit à ma mère
    que je parlais aux démons.
  • 2:17 - 2:19
    Et en même temps,
    ma mère et ma grand-mère
  • 2:19 - 2:22
    sont allées demander
    des conseils chez des prophètes,
  • 2:22 - 2:23
    ceux qui représentent dieu.
  • 2:23 - 2:27
    Elles cherchaient la cause
    de tout le malheur de notre famille.
  • 2:27 - 2:32
    Le problème est qu'elles m'avaient
    amenée chez un faux prophète,
  • 2:32 - 2:35
    et il a été décidé
    que c'était moi la cause,
  • 2:35 - 2:36
    et que j'étais une sorcière.
  • 2:36 - 2:39
    Les charlatans m'ont parlé
    pendant plus d'une heure
  • 2:39 - 2:42
    pour que j'accepte
    que je sois une sorcière.
  • 2:42 - 2:45
    Il a crié sur moi sans arrêt.
  • 2:45 - 2:50
    Ils m'ont fait boire cinq litres d'eau
    avec des herbes dégueulasses.
  • 2:50 - 2:53
    Ils m'ont dit de vomir la viande des gens
  • 2:53 - 2:56
    que j'aurais mangés
    dans le monde des ténèbres.
  • 2:56 - 2:58
    Imaginez-vous la scène ?
  • 2:58 - 3:01
    Une enfant de sept ans
    face à plusieurs adultes
  • 3:01 - 3:02
    qui crient sans arrêt.
  • 3:02 - 3:07
    On me tapait même dans le dos
    pour faire sortir cette viande.
  • 3:07 - 3:09
    À un moment donné,
  • 3:09 - 3:11
    j'avais peur,
    et j'étais tellement fatiguée,
  • 3:11 - 3:14
    [que] j'ai fini par dire oui,
  • 3:14 - 3:16
    je suis une sorcière.
  • 3:16 - 3:19
    Je croyais qu'en disant oui,
    le mal allait s'arrêter,
  • 3:19 - 3:24
    mais j'étais devenue
    une sorcière malgré moi.
  • 3:25 - 3:27
    Une fois qu'on m'a nommée sorcière,
  • 3:27 - 3:30
    c'était impossible
    de retourner en arrière.
  • 3:30 - 3:33
    Ma mère a accepté la situation,
  • 3:33 - 3:36
    mais ça ne veut pas dire
    que ma mère ne m'aimait pas,
  • 3:36 - 3:38
    et en même temps,
  • 3:38 - 3:40
    comme la situation
    ne changeait pas dans la maison,
  • 3:40 - 3:43
    sans argent, sans nourriture,
  • 3:43 - 3:47
    ma mère a décidé de partir
    avec sa sœur en Angola
  • 3:47 - 3:49
    pour aller trouver du travail.
  • 3:49 - 3:53
    Leur plan n'a pas marché,
  • 3:53 - 3:55
    et ma mère s'est retrouvée
    toute seule coincée en Angola,
  • 3:55 - 3:58
    sans argent, sans nourriture.
  • 3:58 - 4:01
    Et finalement, elle n'est pas revenue,
  • 4:01 - 4:03
    contre sa volonté,
  • 4:03 - 4:08
    et elle a été forcée
    de nous abandonner elle aussi.
  • 4:08 - 4:11
    On a perdu toute
    communication avec elle.
  • 4:11 - 4:15
    Et on est resté avec grand-mère.
  • 4:15 - 4:18
    Pendant deux ans, j'ai été
    traitée comme une sorcière.
  • 4:18 - 4:19
    Les accusations,
  • 4:19 - 4:21
    les cris,
  • 4:21 - 4:22
    le jeûne forcé,
  • 4:22 - 4:25
    le piment dans les yeux.
  • 4:25 - 4:29
    Elle disait que c'était moi la cause
    si ma mère n'appelait plus.
  • 4:29 - 4:33
    Elle pensait qu'elle était morte
    et que je l'avais sacrifiée.
  • 4:33 - 4:36
    Elle a dit à tout le monde
    de ne pas m'aider.
  • 4:36 - 4:38
    De ne pas me parler.
  • 4:38 - 4:40
    De ne pas jouer avec moi.
  • 4:40 - 4:42
    Dans mon quartier,
  • 4:42 - 4:45
    on ne me laissait pas
    m'approcher des autres enfants.
  • 4:45 - 4:47
    J'étais toute seule, j'étais pauvre,
  • 4:47 - 4:53
    j'avais faim, mais j'étais
    surtout pauvre d'amour.
  • 4:53 - 4:58
    Et finalement, ma grand-mère,
    elle m'a chassée de la maison.
  • 4:58 - 5:00
    Je suis devenue une Shegué,
  • 5:00 - 5:02
    une enfant de la rue.
  • 5:02 - 5:04
    Dans la rue,
  • 5:04 - 5:06
    on est comme des papillons.
  • 5:06 - 5:09
    Là où le sommeil nous trouve,
    c'est là où on dort.
  • 5:09 - 5:10
    Dans la rue,
  • 5:10 - 5:13
    on devient des soldats pour survivre.
  • 5:13 - 5:18
    On oublie la lecture et l'écriture
    pour apprendre à se battre.
  • 5:18 - 5:22
    Dans la rue, j'ai vendu
    de l'eau, des arachides,
  • 5:22 - 5:24
    j'ai fait du ménage,
  • 5:24 - 5:28
    mais à chaque fois que je voyais
    les autres enfants aller à l'école,
  • 5:28 - 5:31
    je me rappelais des jours
    où j'étais heureuse.
  • 5:31 - 5:32
    Je pleurais.
  • 5:32 - 5:38
    Je me demandais si un jour
    je pourrais sortir de la rue.
  • 5:39 - 5:41
    Puis un jour,
  • 5:41 - 5:42
    ma chance a tourné.
  • 5:42 - 5:46
    J'ai participé dans un documentaire
    Kinshasa Kids.
  • 5:46 - 5:51
    On m'a payée, et j'ai tout de suite
    voulu donner cet argent à ma famille.
  • 5:52 - 5:53
    Car même dans la rue,
  • 5:53 - 5:55
    dès que j'avais quelque chose,
  • 5:55 - 5:59
    je passais voir ma famille
    pour le leur donner.
  • 5:59 - 6:02
    Ma grand-mère a pris de l'argent,
  • 6:02 - 6:04
    elle m'a encore remise dans la rue.
  • 6:07 - 6:08
    Plus tard,
  • 6:08 - 6:13
    j'ai entendu parler d'un film canadien
    qui se tournait à Kinshasa.
  • 6:13 - 6:17
    La même personne qui s'occupait
    du casting me connaissait,
  • 6:17 - 6:20
    et j'ai été invitée au casting.
  • 6:20 - 6:23
    Je me suis retrouvée face
    aux regards des enfants riches
  • 6:23 - 6:25
    qui étaient là en audition,
  • 6:25 - 6:29
    même si j'avais envie
    de me sauver à cause de leur regard,
  • 6:29 - 6:33
    je suis restée et j'ai tout
    donné pour avoir le rôle.
  • 6:33 - 6:38
    Pour moi, c'était une façon
    de changer ma situation.
  • 6:38 - 6:41
    J'ai eu le rôle principal dans le film.
  • 6:41 - 6:43
    C'était bien cool.
  • 6:44 - 6:47
    La production m'a mise
    dans une grande maison
  • 6:47 - 6:49
    où je pouvais manger tous les jours,
  • 6:49 - 6:51
    et avoir tout ce que je voulais.
  • 6:52 - 6:55
    Mais malgré tout ce qui
    se passait, j'étais triste.
  • 6:55 - 6:58
    J'en ai parlé à Kim, le réalisateur.
  • 6:58 - 7:00
    Ma vie était belle,
  • 7:00 - 7:04
    mais mes frères et sœurs
    étaient toujours dans la misère.
  • 7:04 - 7:06
    Je ne me sentais pas
    bien quand je mangeais
  • 7:06 - 7:08
    en sachant qu'ils avaient faim.
  • 7:08 - 7:13
    Alors l'équipe et Kim ont donné
    de l'argent à ma famille,
  • 7:13 - 7:16
    et quand [les gens de] l'équipe
    sont rentrés chez eux,
  • 7:16 - 7:17
    ils ne m'ont pas laissée comme ça,
  • 7:17 - 7:19
    ils ont trouvé une maison d'accueil,
  • 7:19 - 7:23
    ils ont fait en sorte que
    je puisse retourner à l'école,
  • 7:23 - 7:27
    moi qui en rêvais depuis si longtemps.
  • 7:27 - 7:31
    C'est là où cette histoire
    de sorcière devient un conte de fées.
  • 7:32 - 7:34
    Le film a eu beaucoup de succès,
  • 7:34 - 7:38
    et je suis passée des rues de Kinshasa
    au tapis rouge des festivals.
  • 7:38 - 7:42
    J'ai même reçu l'Ours d'argent
    en 2012 à Berlin.
  • 7:42 - 7:46
    Le film a été même nominé aux Oscars,
  • 7:46 - 7:52
    et aujourd'hui j'ai 18 ans,
    et j'ai reçu 18 prix dans le monde.
  • 7:53 - 7:56
    Les oscars, c'était cool...
  • 7:56 - 8:01
    mais pour moi,
    le plus beau jour de ma vie,
  • 8:01 - 8:05
    c'est celui pour la première fois,
    après des années dans la rue,
  • 8:05 - 8:09
    je suis retournée à l'école.
  • 8:10 - 8:13
    S'il y a des enfants dans la rue,
  • 8:13 - 8:16
    partout dans le monde,
  • 8:16 - 8:19
    c'est souvent parce que les parents
    n'ont pas eu le droit d'éducation.
  • 8:19 - 8:23
    Comprenez-moi bien,
    le problème est profond,
  • 8:23 - 8:27
    la pauvreté, c'est ce qui amène
    le manque d'éducation.
  • 8:27 - 8:31
    Chez moi, envoyer les enfants à l'école,
    c'est un luxe,
  • 8:31 - 8:33
    mais sans éducation,
  • 8:33 - 8:37
    on risque de se faire raconter
    n'importe quoi par les autres
  • 8:37 - 8:40
    qui vous disent quoi faire et quoi penser.
  • 8:41 - 8:43
    Ma mère n'était pas bête,
  • 8:43 - 8:48
    c'est elle qui m'a appris à pardonner
    et comment avoir confiance en soi-même,
  • 8:48 - 8:52
    mais elle s'est fait
    prendre dans un piège.
  • 8:54 - 8:57
    Vous savez tous que
    l'éducation est importante,
  • 8:57 - 9:02
    mais comment se fait-il
    que l'éducation reste ici,
  • 9:02 - 9:05
    et que l'éducation n'est pas
    arrivée dans le village de ma mère
  • 9:05 - 9:06
    avant ma naissance.
  • 9:08 - 9:10
    Ce n'est pas cool qu'aujourd'hui,
  • 9:10 - 9:13
    avec tout ce qui existe
    [comme] technologie et d'idées,
  • 9:13 - 9:15
    ça ne puisse pas se faire.
  • 9:16 - 9:19
    L'ignorance produit des sorcières.
  • 9:19 - 9:22
    L'ignorance peut tuer.
  • 9:22 - 9:26
    Alors, pour chasser des sorcières,
  • 9:26 - 9:29
    construisons des écoles.
  • 9:29 - 9:31
    Moi [si] je m'en suis sortie,
  • 9:31 - 9:35
    c'est parce que j'ai eu
    beaucoup de chance et de courage.
  • 9:35 - 9:39
    Ce n'est pas le cas pour beaucoup
    d'enfants qui sont encore dans la rue.
  • 9:39 - 9:43
    Ils attendent aussi
    que leurs rêves se réalisent.
  • 9:43 - 9:47
    Alors, [c'est] pour cela
    qu'il ne faut pas les oublier.
  • 9:47 - 9:52
    J'ai eu aussi le courage
    de quitter Kinshasa à 17 ans,
  • 9:52 - 9:57
    et aujourd'hui je vis au Québec
    dans une famille d'accueil.
  • 9:57 - 9:59
    Je poursuis mes rêves, mes études,
  • 9:59 - 10:03
    et je reprends le temps
    qu'on m'avait volé.
  • 10:03 - 10:09
    Je vous parle d'espoir,
    de courage et de force.
  • 10:10 - 10:13
    Je ne veux pas qu'on pleure sur moi.
  • 10:13 - 10:15
    Je ne veux pas qu'on pleure sur moi.
  • 10:15 - 10:17
    Je ne veux pas.
  • 10:17 - 10:21
    Retenez cette phrase si simple :
  • 10:21 - 10:24
    « Aussi longtemps que le cœur bat,
  • 10:24 - 10:26
    tout est possible. »
  • 10:26 - 10:27
    Merci.
  • 10:27 - 10:29
    (Applaudissements)
Title:
Des rues de Kinshasa au tapis rouge des Oscars | Rachel Mwanza | TEDxParis
Description:

Accusée de sorcellerie à 8 ans, Rachel est chassée de chez elle et apprend à survivre dans les rues de Kinshasa jusqu'à ce que sa chance et son courage l'amènent jusqu'au tapis rouge des plus grands festivals de cinéma.

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Video Language:
French
Team:
closed TED
Project:
TEDxTalks
Duration:
10:36

French subtitles

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