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L'ombre d'un doute - Et si Molière n'était pas l'auteur de ses pièces

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    C'est une des révélations
    les plus saisissantes de notre Histoire
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    Molière, l'idole de tous les comédiens,
    Molière, l'incarnation de l'âme française,
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    Molière, l'auteur
    le plus étudié à l'école,
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    Molière ne serait pas l'auteur
    de toutes ces pièces,
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    en tout cas ce ne serait pas lui
    qui les aurait toutes rédigées.
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    Cette découverte incroyable a été faite
    il y a environ cent ans
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    par le très sérieux Pierre Louis,
    très grand connaisseur
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    de la littérature du XVIIème siècle
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    et depuis tout ce temps, on peut dire
    qu'elle n'a fait que ce préciser
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    à mesure qu'apparaissaient
    de nouveaux arguments.
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    Alors, regardez ce que nous avons
    à vous montrer
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    écoutez ce que nous avons à vous dire,
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    à la lueur de cette enquête.
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    Ce n'est pas seulement Molière
    que vous allez redécouvrir
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    c'est aussi son grand complice de l'ombre,
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    Corneille.
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    Officiellement, cet homme est le plus
    grand auteur de comédies de tous les temps.
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    Notre langue est appelée
    la langue de Molière.
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    La Comédie Française est surnommée
    la maison de Molière,
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    Ses pièces les plus célèbres,
    "L´École des femmes", "L'Avare",
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    "Le Bourgeois gentilhomme"
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    sont connues de tous les écoliers.
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    Et pourtant, sur Molière on sait
    bien peu de choses.
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    Finalement, on ne sait rien sur Molière.
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    On n'a aucun écrit de Molière,
    on n'a aucune trace écrite,
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    tout a disparu, sa maison natale a disparu,
    là où il est mort a disparu,
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    donc il faut être très prudent sur Molière.
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    Le Molière de la Comédie Française,
    de la Sorbonne,
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    le Molière connu est un mythe.
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    Or voici le plus étonnant :
    on ne possède aucun manuscrit,
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    aucune lettre, aucun billet
    de la main de Molière.
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    Il est évident qu'à partir du moment
    où Molière,
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    qui était au centre de la vie culturelle
    et théâtrale française
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    il aurait été normal qu'il écrive
    des lettres, qu'il en reçoive
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    qui ait des ébauches de manuscrits,
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    quelque chose.
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    Bien, rien.
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    Si vous retrouvez aujourd'hui, quelque part
    une lettre que Molière aurait écrite,
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    votre fortune est assurée.
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    Comment expliquer qu'un écrivain
    n'a pas laissé d'écrits ?
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    La question vaut d'être posée.
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    La réponse apportée en 1919,
    plus de deux siècles et demi après sa mort,
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    par le grand écrivain Pierre Louÿs,
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    a fait trembler l'idole sur ses bases.
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    Dans une série d'articles fouillés
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    Pierre Louÿs a osé affirmer
    que Molière n'aurait pas écrit
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    les chefs-d’œuvre qui lui sont attribués.
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    En tout cas, pas entièrement.
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    Les plus grandes pièces, notamment
    "Tartuffe" et "Le Misanthrope"
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    seraient nés de la plume
    de Pierre Corneille.
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    Énorme scandale !
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    Au point que la Comédie Française,
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    se considérant comme
    l'héritière spirituelle de Molière,
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    a menacé de faire un procès en diffamation
    contre Pierre Louÿs pour sa thèse.
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    Bon, je suppose qu'un avocat un peu avisé
    a dit au responsable de la Comédie Française
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    que leurs chances de gagner
    étaient assez basses.
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    Mais, enfin, l'idée est quand même venue,
    c'est assez révélateur.
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    Peut-on toucher à la Molière ?
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    Les conclusions de Pierre Louÿs
    n'ont pas été rejetés par tout le monde.
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    Depuis quelques décennies, plusieurs
    historiens ont repris le flambeau
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    et confirmé, précisé
    les intuitions du maître.
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    Selon eux, les pièces les plus célèbres
    du répertoire français
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    seraient le fruit de l'association
    de deux génies,
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    Molière, pour son sens du théâtre
    et des situations,
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    Corneille, pour la perfection de ses vers.
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    Pour comprendre, nous sommes retournés
    sur les traces de Molière
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    à la recherche d'éléments
    concrets sur sa vie.
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    Puis nous avons soumis
    les conclusions de Pierre Louÿs,
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    au meilleur spécialiste de l'époque
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    mais aussi à quelques
    grands noms du théâtre.
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    Enfin, nous avons rencontré des chercheurs
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    qui pensent avoir,
    à l'aide de l'informatique,
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    résolu l'énigme Molière.
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    "Je suis le plus grand auteur !"
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    "Voyez,
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    "Un jour viendra, mon œuvre
    sera devenue si légendaire
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    "qu'on ne dira plus, 'Parlez-moi français',
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    "mais plutôt, 'Parlez-moi
    dans la langue de Molière' ".
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    Sa carrière, Molière l'a commencée
    au sein d'une troupe de comédiens ambulants
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    baptisée L'Illustre Théâtre.
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    Personne ne conteste cela.
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    Et pour peu que l'on creuse la question,
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    on apprend que Molière
    n'est pas né saltimbanque,
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    il est issue d'une bonne famille,
    les Poquelin,
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    titulaires de la charge cossue
    de tapissier du roi.
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    Quand Molière part avec sa troupe,
    quand les Béjart partent,
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    ils ont toujours des goûts de bourgeois.
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    Ils font des appels d'offres
    pour des transporteurs
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    par voie d'eau, pour les décors et costumes
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    et eux, ils tirent pas du tout une charrette
    comme l'on voit dans le film de Munschkin.
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    Ils sont en voiture.
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    Ils voyagent bien.
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    Il n'y a pas d'inconfort dans ces voyages.
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    À cette époque, les pièces jouées
    par l'Illustre Théâtre
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    sont assez grossières.
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    Molière n'est pas encore chef de troupe.
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    Ce rôle appartient à Madeleine Béjart.
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    Lui est comédien,trousseur de farce
    et accessoirement homme d'affaires.
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    Molière va, avec la troupe Béjart, à Lyon.
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    Ils vont à Grenoble.
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    Moi je me pose la question
    qu'est-ce qu'ils vont faire à Lyon
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    qu'est-ce qu'ils vont faire à Grenoble.
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    Lyon, c'est la soie
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    et Grenoble c'est le lin.
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    On est sur les réseaux commerciaux
    des tapissiers.
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    Alors, les biographes ont bien noté
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    que Molière revient fréquemment à Paris.
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    Alors, "Qu'est-ce qu'il va faire
    à Paris, tout seul ?"
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    Il était sur les réseaux commerciaux
    de son père.
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    Donc il travaillait aussi pour son père.
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    Et certainement ils ont dû avoir
    de l'argent, par Poquelin,
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    contre des services rendus.
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    Ainsi, Molière bénéficie de subsides
    de son père, tapissier du roi,
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    autant dire, décorateur attitré
    des résidences royales.
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    Sa présence dans la troupe aide donc
    ses camarades à survivre
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    dans un temps les plus rudes.
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    Ce qui est important de comprendre
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    c'est que, ce siècle-là,
    on vit dans la merde.
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    Paris, on marche dans la merde,
    quand on se promène.
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    Il faut des choses spéciales
    pour les dames.
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    C'est un monde dans lequel
    seul compte l'élite.
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    On brûle les gens Place de Grève.
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    On brûle souvent pour des raisons morales,
    religieuses, politiques,
  • 6:55 - 6:57
    ou tout simplement mondaines.
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    Et c'est dans ce monde-là
    que Molière va pouvoir évoluer
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    grâce à un seul appui,
    mais total et définitif,
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    celui du roi.
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    Eté 1658, Louis XIV a 20 ans,
    ne règne pas en personne.
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    L'heure est encore pour lui
    aux amusements de la jeunesse.
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    Il aime la musique, la danse
    et, bien sûr, le théâtre.
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    Les fêtes qu'il ordonne
    ont la joie de la cour
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    et l'éblouissement de L'Europe.
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    C'est dans ce climat
    propice à la réjouissance
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    que Molière va bientôt s'imposer,
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    car avant la fin de l'année
    les comédiens inconnus
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    crottés de l'Illustre Théâtre
    vont constituer la troupe attitrée
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    de Sa Majesté.
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    Comment expliquer
    cette fulgurante ascension ?
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    La réponse à cette question,
    il faut aller la chercher
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    quelque part dans les rues de Rouen.
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    Molière remonte du sud-ouest
    avec sa troupe,
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    il remonte vers le nord
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    mais au lieu d'aller à Paris,
    il va à Rouen.
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    Et à Rouen, il n'y avait pas de raison
    d'y rester longtemps,
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    ils vont rester six mois.
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    Et quand on regarde
    les biographes de Molière,
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    on dit, "Mais qu'est-ce
    qu'il a été faire à Rouen ?"
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    Bon, disent la plupart,
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    "pour être plus près de Paris".
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    Ce qui s'appelle un peu tirer le piano
    plutôt que d'avancer le tabouret,
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    parce qu'on voit, le moyen d'être
    plus près de Paris c'est être à Paris.
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    Donc, manifestement, s'il va à Rouen
    c'est pour quelque chose.
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    tant plus qu'ils y jouent quasiment pas.
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    Ces 200 jours passés à Rouen
    vont tout changer pour Molière.
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    Curieuse coïncidence, c'est à Rouen
    que réside alors le plus grand,
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    le plus illustre auteur de théâtre,
    Pierre Corneille.
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    Or, Molière et ses amis s'installent
    justement Rue du Vieux Palais,
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    à quelques pas de la Rue de la Pie,
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    où réside celui que tout le monde
    appelle le Grand Corneille.
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    Molière voue une admiration sans bornes
    à Corneille,
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    véritable réformateur du théâtre.
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    Il faut dire qu'avant les années 1630,
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    la scène française avait été
    sans prétentions ni relief.
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    C'est Pierre Corneille qui à travers
    huit comédies brillantes
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    lui a donné le premier
    ses lettres de noblesse.
  • 9:20 - 9:25
    Il a amorcé une révolution du théâtre
  • 9:25 - 9:28
    Il a rendu the théâtre fréquentable.
  • 9:28 - 9:32
    On est sorti des viols sur la scène,
    des crimes,
  • 9:32 - 9:35
    des coupages d'individus au couteau.
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    On est rentré dans une zone où, enfin
    un certain nombre de dames
  • 9:41 - 9:44
    ont pu s'aventurer dans le théâtre.
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    En 1636, Corneille amorce un tournant
    vers le drame
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    avec la tragi-comédie du Cid
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    son héros Rodrigue et déchiré
    entre l'amour qu'il porte à Chimène
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    et le devoir qui l'amène à tuer
    le père de celle-ci.
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    "Le Cid" est un triomphe sans précédent
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    On joue "Le Cid", de Corneille
    et ça a énormément de succès.
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    Le théâtre est plein
    et, au Théâtre du Marais,
  • 10:08 - 10:10
    — comme dans les autres théâtres —
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    une chose que les directeurs
    de théâtre détestent
  • 10:12 - 10:14
    c'est qu'il y a du monde dehors
  • 10:14 - 10:16
    et qu'on puisse pas
    faire payer pour entrer.
  • 10:16 - 10:20
    Donc, on décide de mettre des chaises
    directement sur le plateau
  • 10:21 - 10:24
    en faisant payer très cher les gens
    et puis, peu à peu,
  • 10:24 - 10:25
    on va mettre des bancs,
  • 10:25 - 10:28
    puis, devant les bancs,
    on va mettre des barrières de fer forgé
  • 10:28 - 10:31
    pour que le public n'aille pas
    trop dans l'aire des comédiens.
  • 10:31 - 10:34
    Les gens viennent sur le plateau
    et paient très cher
  • 10:34 - 10:36
    pour pouvoir être vus
    en train de regarder.
  • 10:38 - 10:41
    Après "Le Cid", le théâtre
    ne sera plus jamais le même.
  • 10:41 - 10:44
    Pierre Corneille est anobli
    et il entre à l'Académie.
  • 10:45 - 10:47
    Il devient le Grand Corneille.
  • 10:47 - 10:51
    Corneille, pour moi, est un génie absolu.
  • 10:53 - 10:57
    C'est vrai qu'il n'était pas très sexy.
  • 10:57 - 11:02
    C'est un personnage très intériorisé,
  • 11:03 - 11:05
    très replié sur lui-même.
  • 11:06 - 11:08
    L'homme faisait très vite barbon,
  • 11:09 - 11:13
    il bégayait d'ailleurs, ce qui fait
    qu'il n'a pas, comment dire,
  • 11:13 - 11:19
    je crois beaucoup de succès
    et il se vengeait un peu sur ses créatures,
  • 11:19 - 11:22
    probablement, de ses
    mésaventures personnelles.
  • 11:22 - 11:25
    Mais c'était un homme
    qui avait un esprit très fort
  • 11:26 - 11:29
    et un humour absolument ravageur.
  • 11:30 - 11:33
    Redisons-le, cet homme à image austère
  • 11:33 - 11:36
    a bel et bien commencé
    par écrire des comédies.
  • 11:36 - 11:38
    Il ne s'est hissé
    au registre de la tragédie
  • 11:38 - 11:41
    que, malgré lui et à cause du Cid.
  • 11:41 - 11:45
    Il est arrivé à Corneille la pire chose
    qui puisse arriver à un auteur de comédie,
  • 11:45 - 11:46
    voulant plaire au peuple,
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    c'est d'écrire une pièce qui a tel succès
  • 11:49 - 11:53
    qu'il sera condamné dorénavant
    à jouer que dans cette catégorie-là.
  • 11:53 - 11:56
    Et cette pièce est "Le Cid", en 1637
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    le succès est tel que Pierre Corneille
    devienne auteur pour la noblesse,
  • 12:00 - 12:02
    condamné à écrire des tragédies,
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    et ça, ça ne le ressemble pas.
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    Voilà donc Corneille enfermé
    dans le genre tragique.
  • 12:09 - 12:11
    Étrange coïncidence,
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    Molière à l'issue de son séjour à Rouen,
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    alors qu'il n'avait jusque là
    rien produit de notable,
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    se met à présenter des comédies raffinées.
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    C'est à ce moment-là que tous
    ces chefs-d'œuvre vont se suivre
  • 12:26 - 12:31
    et se ressembler dans un style
    qui n'a pas rien à voir
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    avec celui qui est le sien avant.
  • 12:33 - 12:35
    Alors qu'est-ce qui s'est passé à Rouen ?
  • 12:35 - 12:37
    C'est là le mystère.
  • 12:38 - 12:42
    Que s'est-il passé à Rouen
    entre Corneille et Molière ?
  • 12:44 - 12:49
    Le premier effet du fameux séjour est
    de transformer le répertoire de la troupe.
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    Du jour au lendemain, Molière et ses amis
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    se mettent à jouer
    des tragédies de Corneille.
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    Mais, très vite, Molière va prendre
    l'habitude d'ajouter au programme
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    des comédies d'un esprit
    et d'un style nouveau.
  • 13:03 - 13:07
    C'est la première fois qu'on voit alors
    le Molière nouveau qui est arrivé.
  • 13:08 - 13:12
    Comme un simple beaujolais
    il est là, transformé,
  • 13:12 - 13:15
    ça n'a pas rien à voir
    avec ses pièces précédentes.
  • 13:15 - 13:19
    Et comme par hasard,
    en revenant de Rouen.
  • 13:21 - 13:24
    Pour désigner la transformation
    subite et tardive
  • 13:24 - 13:28
    d'un simple trousseur de farces
    en auteur supposé de comédies subtiles
  • 13:28 - 13:33
    les biographes de Jean-Baptiste Poquelin
    parleront du "miracle Molière".
  • 13:37 - 13:39
    Plus miraculeux encore, après Rouen,
  • 13:39 - 13:42
    ce n'es pas seulement le répertoire
    de la troupe qui change,
  • 13:42 - 13:43
    c'est son statut.
  • 13:43 - 13:48
    Molière et ses amis jouent
    pour le frère du roi, devant la cour.
  • 13:48 - 13:52
    Comment ces comédiens de province
    ont-ils bénéficiés d'une telle ascension ?
  • 13:52 - 13:53
    Mystère.
  • 13:53 - 13:57
    En tout cas, leur première représentation
    devant le roi, fait basculer son destin.
  • 13:58 - 14:01
    À cette fameuse représentation,
    il va se passer un drame.
  • 14:03 - 14:05
    Le roi baille.
  • 14:06 - 14:08
    Si le roi baille, c'est que
    les comédiens sont mauvais.
  • 14:11 - 14:15
    "Je ne comprends pas !"
  • 14:15 - 14:17
    "Mais non, Molière".
  • 14:19 - 14:22
    En fait, le roi baille,
    parce que il connaît la pièce
  • 14:22 - 14:27
    et cette pièce est moralisatrice
    comme c'est pas possible.
  • 14:27 - 14:29
    Donc, qu'est-ce qu'il fait ?
  • 14:29 - 14:31
    Il ne reste qu'une chance,
    c'est de jouer son atout,
  • 14:31 - 14:33
    la comédie gauloise.
  • 14:33 - 14:37
    "Tu annonces 'Le Docteur Amoureux'
    et tu vas le faire rire !"
  • 14:37 - 14:40
    Et quand Molière se donne à fond
    dans la farce gauloise,
  • 14:40 - 14:43
    évidemment le roi rit aux éclats
    et c'est gagné pour lui.
  • 14:43 - 14:45
    "Euh... tu... "
  • 14:46 - 14:47
    (Rires)
  • 14:47 - 14:50
    "Oh...
  • 14:52 - 14:53
    (Rires)
  • 14:54 - 14:57
    Il fait l'improvisateur,
    il fait l'imitateur,
  • 14:58 - 15:01
    et là, à ce moment-là
    ça devient une fête, tout le monde rit.
  • 15:02 - 15:07
    Personne ne s'imaginait pouvoir faire
    autant le pitre devant le roi.
  • 15:08 - 15:09
    "Monsieur Molière.
  • 15:10 - 15:12
    "Vous avez beaucoup diverti, monsieur".
  • 15:37 - 15:39
    Pour Molière,
    cette représentation inespérée
  • 15:39 - 15:42
    marque le début d'une nouvelle carrière.
  • 15:42 - 15:45
    Il va désormais bénéficier
    du soutien de la cour
  • 15:45 - 15:47
    et le roi Louis XIV lui-même
  • 15:47 - 15:50
    octroie à la troupe
    une nouvelle salle au palais royal.
  • 15:50 - 15:53
    Ce document magnifique, conservé ici
    aux Archives Nationales,
  • 15:53 - 15:57
    fait état des travaux engagés
    pour messieurs les comédiens
  • 15:57 - 16:01
    de la troupe royal de Monseigneur
    le duc d'Anjou, frère unique du roi,
  • 16:01 - 16:04
    en la grande salle des comédies
    du palais royal.
  • 16:05 - 16:08
    C'est donc un Molière
    soudain plein d'avenir
  • 16:08 - 16:10
    qui prend la direction de la troupe.
  • 16:12 - 16:15
    Devant Molière s'ouvre
    un boulevard inespéré.
  • 16:15 - 16:19
    Hier encore, comédien inconnu,
    errant dans le sud de la France,
  • 16:19 - 16:23
    il est devenu l'amuseur attitré
    de sa Majesté.
  • 16:23 - 16:26
    Molière, il est censé être
    le patron des comédiens,
  • 16:26 - 16:30
    alors, ça parce qu'il était comédien,
    ça on en est sûr,
  • 16:30 - 16:34
    et d'après tous les écrits que l'on a,
    toutes les preuves qu'on en a,
  • 16:34 - 16:37
    c'était un merveilleux comédien.
  • 16:38 - 16:40
    Il a un génie de directeur de troupe,
  • 16:40 - 16:43
    un génie de directeur d'acteurs aussi.
  • 16:43 - 16:47
    C'est l'image, Molière, de l'artiste idéal.
  • 16:47 - 16:50
    Avec l'amour des camarades,
  • 16:50 - 16:52
    écrivant pour les siens
  • 16:53 - 16:57
    et l'acteur au charme incontournable
  • 16:57 - 17:02
    qu'a réussi à se faire tellement aimé
    de la cour de Louis XIV.
  • 17:03 - 17:06
    que Louis XIV a créé La Comédie Française
  • 17:06 - 17:08
    après la mort de Molière
  • 17:08 - 17:11
    et elle dure toujours aujourd'hui.
  • 17:13 - 17:16
    Corneille avait révolutionné
    la scène par les textes,
  • 17:17 - 17:19
    avec Molière c'est l'interprétation
    qui change.
  • 17:20 - 17:23
    Le nouveau chef de troupe impose
    aux comédiens un jeu plus naturel
  • 17:23 - 17:26
    et c'est tout le théâtre
    qui s'en trouve sublimé.
  • 17:29 - 17:31
    La façon de dire les vers
  • 17:31 - 17:36
    c'était de dire doucement,
    roulant les erres,
  • 17:36 - 17:40
    tout en faisant bien attention
    aux manières
  • 17:40 - 17:42
    et on insistait sur la rime.
  • 17:47 - 17:50
    Molière dit, "Il faut dire
    les choses naturellement".
  • 17:51 - 17:55
    Mais la grande force de Molière
    c'est surtout d'avoir impliqué
  • 17:55 - 17:57
    le roi lui-même dans ses spectacles.
  • 17:57 - 17:59
    La protection dont il bénéficie dès lors
  • 17:59 - 18:02
    est de celles qui autorisent
    toutes les audaces.
  • 18:04 - 18:06
    Il fait participer le roi à ses spectacles.
  • 18:07 - 18:09
    il fait danser le roi dans ses spectacles.
  • 18:09 - 18:11
    Il est au lever du roi,
  • 18:11 - 18:15
    et donc il a des conversations,
    forcément assez intimes avec le roi.
  • 18:15 - 18:18
    Et pourquoi le roi va s'intéresser
    — le roi qui est jeune —
  • 18:18 - 18:21
    pourquoi le roi va-t-il
    s'intéresser à Molière ?
  • 18:21 - 18:24
    Parce que il retrouve des choses en lui.
  • 18:24 - 18:28
    "Non, non, non, je ne veux
    que ce que je vous ai dit.
  • 18:28 - 18:31
    "Belle marquise, vos beaux yeux
    me font mourir d'amour".
  • 18:31 - 18:32
    (Rires)
  • 18:33 - 18:36
    "D'amour mourir me font,
    belle marquise, vos yeux
  • 18:36 - 18:39
    "ou bien, vos yeux beaux d'amour
    me font, belle marquise, mourir
  • 18:39 - 18:42
    "ou bien, mourir, belle marquise,
    de vos beaux yeux, d'amour me font
  • 18:42 - 18:45
    "ou bien, me font mourir..."
  • 18:45 - 18:47
    "De toutes ces façons-là,
    laquelle est la meilleure ?
  • 18:48 - 18:52
    "Oui, monsieur, et de plus,
    il m'a donné pour cela que deux heures.
  • 18:52 - 18:56
    "Allez à l'enfer
  • 19:12 - 19:15
    Reste la troublante question
    des thèmes abordés,
  • 19:16 - 19:19
    des thèmes a priori moins familiers
    à Molière lui-même
  • 19:20 - 19:22
    qu'à un certain Corneille.
  • 19:22 - 19:23
    Un exemple.
  • 19:23 - 19:27
    Molière présente en 1659 sa comédie
    "Les Précieuses Ridicules".
  • 19:27 - 19:30
    Les précieuses c'étaient ces femmes snobes
    qui des années plus tôt
  • 19:30 - 19:33
    avaient donné le ton à la bonne société.
  • 19:33 - 19:36
    Comment expliquer que Molière
    qui ne les avait jamais rencontrées
  • 19:36 - 19:39
    se soit intéressé à elles ?
  • 19:42 - 19:45
    "Parlez-nous, ma chère,
    du conte de Boisrobert.
  • 19:46 - 19:49
    "Boisrobert c'était de la tête aux pieds
    un homme tout mystère
  • 19:49 - 19:52
    "qui vous jette en passant
    des coups d'œil égarés
  • 19:52 - 19:54
    "et sans aucune affaire
    est toujours affairé.
  • 19:55 - 19:57
    "Sans cesse, il a tout bas
    un secret à vous dire
  • 19:57 - 19:59
    "et ce secret n'est rien.
  • 19:59 - 20:01
    "De la moindre bêtise
    il fait une merveille.
  • 20:02 - 20:04
    "et même ses bonjours
    il les dit à l'oreille".
  • 20:05 - 20:07
    "Et Madame de Sablé
    dont on dit tant de bien
  • 20:07 - 20:09
    "que pensez-vous d'elle ?"
  • 20:09 - 20:12
    "Que son cuisinier est habile et que
    c'est à sa table que l'on rend visite".
  • 20:13 - 20:15
    "Ne préféreriez-vous Madame Dubreil ?"
  • 20:15 - 20:18
    "Pauvre esprit de femme
    et le sec entretien".
  • 20:18 - 20:21
    "Certains hommes pourtant
    lui trouvent de la treille".
  • 20:21 - 20:24
    "C'est vrai, mas dans ses filets,
    aucun ne tombe jamais".
  • 20:24 - 20:28
    "Car la beauté sans esprit, hélas,
    est comme un homme sans ses appâts".
  • 20:28 - 20:30
    "Oh !
  • 20:30 - 20:33
    Précieuses ridicules, mais ça c'est
    un problème que Molière n'a jamais connu.
  • 20:33 - 20:36
    Alors que Corneille, lui,
    en a souffert, à l'époque.
  • 20:36 - 20:39
    Et s'il y a un règlement de comptes
    avant tout,
  • 20:40 - 20:43
    pourquoi Molière, qui venait de sa province
  • 20:43 - 20:45
    qui ne connaissait pas du tout
    ces dames-là
  • 20:45 - 20:47
    qui n'étaient plus sur l'actualité
  • 20:47 - 20:49
    aurait-il écrit ces deux pièces ?
  • 20:50 - 20:52
    Les précieuses n'avaient
    plus vraiment d'influence
  • 20:52 - 20:54
    au moment de l'apparition de la pièce
  • 20:54 - 20:58
    Dès lors, s'attaquer à leurs outrances
    n'était plus de l'actualité.
  • 20:58 - 21:01
    En revanche, une décennie plus tôt
  • 21:01 - 21:04
    Corneille avait durement
    subi leurs critiques.
  • 21:04 - 21:09
    Elles avaient même largement contribué
    à son retrait du théâtre en 1652.
  • 21:12 - 21:15
    Il ne gagne plus sa vie depuis 1652
    il n'est plus du tout avocat
  • 21:15 - 21:17
    in n'a plus d'appointements
  • 21:17 - 21:18
    sept tragédies ne marchent plus
  • 21:18 - 21:21
    donc il est en perte de vitesse,
    sa carrière est donc finie.
  • 21:22 - 21:24
    Il est ce qu'on appelle
    aujourd'hui un "has been"
  • 21:24 - 21:27
    Au moment du séjour de Molière
    et de ses amis à Rouen,
  • 21:27 - 21:31
    cela fait six ans que le Grand Corneille
    s'est retiré du théâtre.
  • 21:31 - 21:35
    Il a besoin d'argent, ne serait-ce
    que pour établir ses enfants.
  • 21:36 - 21:39
    Il vivait pas richement,
  • 21:39 - 21:43
    mais enfin,
    il ne vivait pas dans l'opulence.
  • 21:44 - 21:47
    Il avait d'ailleurs femme et six enfants.
  • 21:47 - 21:49
    En plus, il a deux fils officiers à l'armée
  • 21:49 - 21:52
    qu'il faut entretenir,
    il faut acheter le brevet,
  • 21:52 - 21:56
    le brevet de capitaine, ça un régiment,
    c'est encore plusieurs milliers de livres.
  • 21:56 - 21:58
    Or, ils n'ont pas les recettes nécessaires.
  • 21:59 - 22:03
    On sait que Corneille a eu des problèmes
    pour obtenir ses pensions.
  • 22:04 - 22:06
    car certainement il les a supprimées
  • 22:07 - 22:11
    que les droits d'auteur
    étaient mal payés. etc.
  • 22:12 - 22:14
    Or, quand on fait l'histoire
    économique de Corneille
  • 22:15 - 22:17
    on se rend compte
    qu'avec le peu qu'il a gagné
  • 22:18 - 22:20
    et le beaucoup qu'il a dépensé
  • 22:20 - 22:22
    il y a a un trou
  • 22:22 - 22:25
    Figurez que, quand il est mort,
    il n´était pas du tout dans la misère,
  • 22:26 - 22:30
    Donc, de quelque part il y a eu
    une rentrée, au moins, je peux dire,
  • 22:31 - 22:33
    peut-être en faisant nègre.
  • 22:34 - 22:37
    Corneille rédige avec une telle aisance
  • 22:37 - 22:41
    qu'il a souvent eu dans le passé
    de prêter sa plume à d'autres.
  • 22:41 - 22:44
    Ainsi a-t-il fait partie d'un groupe
    de cinq auteurs
  • 22:44 - 22:46
    au service du Cardinal de Richelieu.
  • 22:46 - 22:49
    Les cinq auteurs étaient
    des auteurs dramatiques
  • 22:50 - 22:54
    que Richelieu avait recruté
    pour son compte.
  • 22:54 - 22:58
    Il fabriquait des scénarios,
    un canevas, des étangs,
  • 22:59 - 23:02
    et à partir de là, il distribuait
    entre cinq auteurs
  • 23:02 - 23:05
    les cinq actes de son ouvrage.
  • 23:05 - 23:08
    On considérait à 'époque
    que l'œuvre créatrice pour l'auteur
  • 23:08 - 23:11
    c'était la conception de l'histoire
  • 23:11 - 23:15
    et que la versification tout un travail
    qu'on distribuait comme ça.
  • 23:15 - 23:18
    Celui qui avait fait le canevas de la pièce
  • 23:19 - 23:22
    pouvait être considéré comme l'auteur.
  • 23:22 - 23:25
    Et celui qui écrivait les vers,
    il fait du remplissage.
  • 23:25 - 23:30
    Alors, ça pourrait être expliqué pourquoi
    on a attribué cette pièce à Molière
  • 23:30 - 23:32
    plutôt qu'à Corneille.
  • 23:32 - 23:35
    Au XVIIème siècle, dans les genres mineurs,
    comme la comédie,
  • 23:35 - 23:38
    il est courant qu'un auteur
    loue ses talents.
  • 23:38 - 23:40
    Dans ce cas, il reste dans l'ombre
  • 23:40 - 23:42
    et perd tous ses droits
    sur les fruits de l'œuvre.
  • 23:44 - 23:46
    Il n'y avait pas de droits d'auteur.
  • 23:46 - 23:48
    Il n'y avait pas
    de propriété intellectuelle.
  • 23:48 - 23:50
    et il n'y avait pas le droit de société.
  • 23:50 - 23:55
    Donc, la pièce appartenait à celui
    qui en détient le manuscrit
  • 23:55 - 23:59
    et qui la faisait enregistrer
    auprès des services du roi
  • 23:59 - 24:02
    on pourra la publier.
  • 24:03 - 24:07
    Pierre Corneille aurait fort bien pu
    être un auteur fantôme
  • 24:07 - 24:09
    au service de Molière.
  • 24:09 - 24:10
    Force est de reconnaître, cependant,
  • 24:10 - 24:13
    qu'il n'existe aucune preuve
    de cette collaboration,
  • 24:13 - 24:17
    aucun reçu, par exemple, d'une somme
    versée par Molière à Corneille,
  • 24:18 - 24:20
    par Molière ou Poquelin,
  • 24:20 - 24:23
    puisque, en vérité,
    c'est ainsi qu'il signait
  • 24:23 - 24:25
    la plupart des actes officiels.
  • 24:32 - 24:34
    Alors, effectivement,
    il signe bien de son nom
  • 24:34 - 24:36
    d'état civil, dirait-on aujourd'hui,
  • 24:36 - 24:40
    qui est son prénom
    de Jean-Baptiste Poquelin,
  • 24:40 - 24:46
    à la différence de sa famille,
    il écrit toujours Poq... et pas Pocq...
  • 24:46 - 24:48
    comme le font d'autres membres
    de la famille Poquelin.
  • 24:49 - 24:55
    Plus tard, il accolera,
    soit ces initiales, J.B.P. Molière
  • 24:55 - 24:57
    ou alors Jean-Baptiste Poquelin Molière.
  • 24:58 - 25:01
    Le seul indice vraiment utile,
    il faut aller le chercher
  • 25:02 - 25:03
    à la Comédie Française,
  • 25:03 - 25:07
    dans un cahier qui tient le compte
    de recettes de la troupe de Molière.
  • 25:08 - 25:11
    Ce document célèbre est connu
    sous le nom de Registre de La Grange.
  • 25:12 - 25:16
    La Grange était le compagnon de Molière,
    un comédien de sa troupe,
  • 25:16 - 25:19
    et il était son homme de confiance.
  • 25:19 - 25:22
    Il a tenu un journal de la troupe
    ce qui est un petit peu atypique
  • 25:22 - 25:24
    puisque habituellement
    on tenait un registre
  • 25:24 - 25:27
    mais qui était essentiellement
    un registre comptable
  • 25:27 - 25:30
    avec le détail de places
    qui étaient vendues
  • 25:30 - 25:32
    et la recette qui était récoltée
  • 25:32 - 25:35
    tandis que là, il ajoute
    des informations de son cru
  • 25:35 - 25:37
    et notamment sur l'histoire
    de cette troupe.
  • 25:38 - 25:40
    Dans le registre de La Grange
  • 25:40 - 25:42
    se trouve peut-être l'indication
    que nous cherchions
  • 25:42 - 25:44
    mais elle est bien cachée.
  • 25:45 - 25:47
    Le registre de La Grange
  • 25:48 - 25:53
    démontre que dans les pièces que j'attribue,
    moi personnellement à Corneille,
  • 25:54 - 25:57
    Molière, au lieu de toucher
    une part d'auteur
  • 25:57 - 25:59
    touchait deux parts d'auteur.
  • 25:59 - 26:02
    On ne dit pas que c'est pour Corneille
  • 26:02 - 26:03
    mais quand même je me demande
  • 26:03 - 26:06
    comment il pouvait
    justifier cette autre part
  • 26:06 - 26:10
    s'il n'était pas justifié
    par quelque chose.
  • 26:11 - 26:14
    Pour moi, justement, cette deuxième part
    c'était la part de Corneille.
  • 26:18 - 26:23
    Question: quel intérêt le Grand Corneille
    aurait-il eu a écrire en sous-main
  • 26:23 - 26:25
    de simples comédies ?
  • 26:25 - 26:28
    Et dans ce cas, pourquoi
    ne les aurait-il pas revendiquées ?
  • 26:30 - 26:31
    Le public demande des comédies légères.
  • 26:32 - 26:34
    C'est ce qui plaît plus, c'est ce
    qui rapporte beaucoup d'argent
  • 26:34 - 26:36
    qui est facile à monter.
  • 26:36 - 26:40
    Mais c'est condamné par l'Eglise,
    par une partie de la cour
  • 26:40 - 26:44
    par une partie de l'Académie
  • 26:44 - 26:47
    et par conséquent, les gens
    qui écrivent ces comédies
  • 26:47 - 26:48
    préfèrent rester dans l'ombre.
  • 26:53 - 26:56
    Une comédie est un texte
    obscène à l'époque.
  • 26:56 - 26:59
    C'est comme si aujourd'hui
    un auteur sérieux, reconnu de tous,
  • 26:59 - 27:01
    voulait écrire des romains pornographiques.
  • 27:01 - 27:03
    Il ??? par un pseudonyme.
  • 27:03 - 27:08
    Après "Le Cid", à deux exceptions près,
    Corneille n'a plus signé que des tragédies.
  • 27:08 - 27:11
    Mais il a pu, dans l'ombre, écrire
    des comédies et les confier
  • 27:11 - 27:14
    à un chef de troupe qui bénéficiait
    pour leur approbation
  • 27:14 - 27:16
    du soutien personnel du roi.
  • 27:16 - 27:19
    À l'époque de Molière,
    neuf comédies sur dix,
  • 27:19 - 27:22
    ne sont pas présentées
    par les gens qui les écrivent
  • 27:22 - 27:27
    mais par des intermédiaires,
    la plupart du temps, des comédiens,
  • 27:27 - 27:30
    de riches comédiens qui font
    les avances nécessaires
  • 27:30 - 27:33
    pour acheter le texte,
    pour acheter les costumes,
  • 27:33 - 27:36
    les décors, répéter la pièce...
  • 27:36 - 27:38
    Les comédies n'étaient pas signées.
  • 27:38 - 27:41
    Comme, par des raisons de facilité
    il fallait leur donner un nom,
  • 27:41 - 27:43
    le chef de troupe assumait donc,
  • 27:43 - 27:47
    on se trouva avec une pièce de Montfleury
    alors que c'était son fils qui écrivait
  • 27:47 - 27:50
    comme on se retrouvera
    avec une pièce de Molière
  • 27:50 - 27:53
    alors que c'était d'autres personnes
    qui ont écrit, notamment Corneille.
  • 27:56 - 28:02
    La biographie de Corneille comporte
    en 1662, un événement très souvent négligé.
  • 28:03 - 28:08
    Alors qu'il a toujours vécu à Rouen,
    le vieux dramaturge — il a 56 ans —
  • 28:08 - 28:13
    vient soudain s'installer à Paris,
    à deux pas du Théâtre du Marais.
  • 28:13 - 28:15
    autant dire, tout près de chez Molière.
  • 28:16 - 28:21
    Coïncidence de plus que ce déménagement
    tardif, au moment du triomphe de Molière,
  • 28:21 - 28:24
    appelle sans cesse de nouvelles créations.
  • 28:25 - 28:29
    Il n'y a aucune justification
    à ce déménagement.
  • 28:30 - 28:35
    Corneille vient s'installer à Paris
    à deux, trois cent mètres de chez Molière.
  • 28:35 - 28:38
    Pourquoi ? À mons sens, encore une fois,
  • 28:38 - 28:42
    c'est parce que une collaboration,
    qui nécessairement est occulte,
  • 28:43 - 28:45
    et parfois rapide,
  • 28:45 - 28:47
    ne pouvait pas se faire
    entre Paris et Rouen,
  • 28:47 - 28:51
    qui se trouvait à deux jours
    de route à l'époque.
  • 28:51 - 28:53
    C'était très dangereux, en plus de ça
  • 28:53 - 28:55
    il y avait les indiscrétions
    postales possibles.
  • 28:55 - 28:58
    Au moment où il quittait Rouen
    pour s'installer à Paris,
  • 28:58 - 29:02
    Pierre Corneille aurait déclaré
    à ses familiers :
  • 29:02 - 29:06
    "Je suis dégouté de la gloire,
    et affamé d'argent".
  • 29:08 - 29:10
    Effectivement, on comprend tout.
  • 29:11 - 29:15
    La juxtaposition des biographies
    de Molière et de Corneille,
  • 29:15 - 29:18
    est pour le moins riche de coïncidences.
  • 29:19 - 29:22
    Elle plaide en faveur d'une collaboration
    discrète mais efficace
  • 29:22 - 29:25
    entre le génie de la scène
    et celui de l'écriture.
  • 29:26 - 29:29
    Ceux qui défendent la thèse
    d'une collaboration entre ces deux hommes,
  • 29:29 - 29:32
    rappellent par ailleurs qu'un Molière,
    surchargé d'occupations
  • 29:32 - 29:35
    n'aurait pas eu le temps nécessaire
    pour écrire.
  • 29:35 - 29:39
    La direction du palais royal, il est aussi
    le directeur de sa troupe,
  • 29:39 - 29:42
    c'est-à-dire qu'il doit régler
    une cinquantaine de problèmes
  • 29:42 - 29:44
    d'une cinquantaine de personnes
    autour de lui,
  • 29:44 - 29:45
    À plus de ça, il est une star,
  • 29:45 - 29:48
    il est le comédien
    qui jour le plus long rôle
  • 29:48 - 29:49
    de ses pièces de théâtre.
  • 29:49 - 29:51
    Il jouera près de 1300 pièces de théâtre.
  • 29:52 - 29:55
    Comment voulez-vous que cet homme-là
    surboké, surchargé,
  • 29:55 - 29:59
    puisse en plus écrire des pièces
    qui nécessitent des milliers d'heures
  • 29:59 - 30:02
    de réflexion, de travail, de lecture ?
  • 30:02 - 30:06
    Car, écrire des pièces
    — Molière reste de qualité —
  • 30:06 - 30:08
    Tartuffe, Le Misanthrope,
  • 30:08 - 30:11
    nécessite un travail colossal
    d'au moins huit heures par jour.
  • 30:11 - 30:13
    Où voulez-vous qu'il les trouve ?
  • 30:26 - 30:29
    Molière est littéralement
    accablé de travail.
  • 30:29 - 30:32
    Dites-vous qu'entre 1660 et 1670,
  • 30:32 - 30:35
    il va présenter pas moins de 23 pièces
  • 30:35 - 30:39
    des comédies, pour ne rien dire
    de toutes les tragédies, signées Corneille.
  • 30:39 - 30:42
    Par exemple, rien que
    pour le Carnaval de 1670,
  • 30:42 - 30:46
    la troupe de Molière présente
    deux pièces dans la cour,
  • 30:46 - 30:48
    une comédie, "Monsieur de Pourceaugnac"
  • 30:48 - 30:50
    et une comédie-ballet,
    "Les Amants magnifiques",
  • 30:50 - 30:52
    qui a été créé spécialement
    pour l'occasion.
  • 30:52 - 30:54
    Ce beau document des Archives Nationales
  • 30:54 - 30:58
    nous donne une idée de l'ampleur
    des dépenses que tout cela entraîne.
  • 30:58 - 31:01
    Il faut imaginer les frais des costumes,
    les frais de table,
  • 31:01 - 31:05
    les frais de logement pour les comédiens,
    les musiciens, les danseurs,
  • 31:05 - 31:09
    au total, on arrive à une somme
    de 16 800 livres
  • 31:09 - 31:12
    l'équivalent de bien plus
    de 300 000 de nos euros.
  • 31:12 - 31:15
    Et bien, cela ne décourage pas le roi
    qui, dès la saison suivante,
  • 31:15 - 31:17
    se montre encore plus exigeant.
  • 31:19 - 31:21
    Pour la préparation du Carnaval de 1671,
  • 31:21 - 31:24
    les plus grands noms
    sont sur le pied de guerre.
  • 31:24 - 31:27
    La Fontaine, Boileau,
    Molière, Quinot, Corneille.
  • 31:27 - 31:30
    Le roi désire une comédie-ballet
    pour sa grande fête du Louvre,
  • 31:30 - 31:34
    Molière, bien que pressé par le temps,
    propose le thème de Psyché,
  • 31:34 - 31:36
    inspiré de la mythologie grecque
    alors en vogue.
  • 31:38 - 31:40
    Alors, Molière et ??? ont fait Psyché
  • 31:41 - 31:43
    et Louis XIV dit
    que c'est une excellente idée.
  • 31:44 - 31:46
    "Alors, allons-y pour Psyché.
  • 31:46 - 31:50
    "Messieurs, monsieur de Molière
    n'aura pas le temps de tout faire.
  • 31:50 - 31:52
    "Je vous demande de l'aider".
  • 31:55 - 31:58
    Psyché, conçue en un temps record,
  • 31:58 - 32:01
    sera l'un des plus grands succès
    de la troupe de Molière.
  • 32:02 - 32:06
    Question: qui en a donc rédigé les vers ?
  • 32:06 - 32:10
    Il est possible que Molière
    qui était alors un homme de théâtre avisé,
  • 32:10 - 32:13
    ait présenté à la limite,
    un scénario à Corneille, en disant :
  • 32:13 - 32:15
    "Faites-moi une pièce".
  • 32:16 - 32:18
    Et que Corneille a fait la pièce,
    mais que Molière,
  • 32:18 - 32:21
    en tant qu'homme de théâtre
    et en tant que metteur en scène,
  • 32:21 - 32:23
    ait raccordé certaines scènes entre elles
  • 32:23 - 32:27
    et ajouté quelques vers de son cru,
  • 32:28 - 32:30
    mais ça se sent tout de suite.
  • 32:30 - 32:32
    On comprend bien que,
    pour écrire une telle pièce à 15 jours,
  • 32:32 - 32:35
    il faut avoir affaire
    à un vétéran de la plume
  • 32:35 - 32:38
    à quelqu'un qui s'est essayé
    par avance déjà ce style-là.
  • 32:38 - 32:42
    Or, curieusement, Corneille
    s'est essayé à des vers
  • 32:42 - 32:45
    qui ressemblent à Psyché,
    dans ses anciennes pièces.
  • 32:45 - 32:48
    Donc, il était à même de pouvoir
    donner un coup de fouet
  • 32:48 - 32:51
    et réussir en 15 jours ce qu'un autre
    aurait mis peut-être deux mois
  • 32:51 - 32:53
    ou carrément n'aurait jamais réussi
    même en deux mois.
  • 32:54 - 32:58
    Un béni pour les historiens, cette fois
    une préface ajouté à la première édition,
  • 32:58 - 33:01
    confirme la collaboration
    Molière-Corneille,
  • 33:01 - 33:03
    On publie la pièce.
  • 33:04 - 33:06
    Et dans la préface, il est dit
  • 33:06 - 33:11
    "Monsieur Molière, étant fort occupé
    par la mise-en-scène, etc.
  • 33:12 - 33:14
    "n'a pas eu le temps de la faire
    tout entière,
  • 33:14 - 33:18
    "et monsieur Corneille a mis
    une quinzaine au reste".
  • 33:19 - 33:20
    Le reste c'est trois quarts.
  • 33:22 - 33:24
    Pour certains, ce demi-aveu
  • 33:24 - 33:29
    reconnaissant la paternité de Corneille
    sur une partie seulement de la pièce,
  • 33:29 - 33:31
    ne serait qu'un mensonge de plus.
  • 33:32 - 33:35
    Qu'est-ce qui se cache
    derrière cette Psyché ?
  • 33:36 - 33:38
    À mon avis il révèle beaucoup de choses.
  • 33:39 - 33:43
    Tout d'abord, on dit qu'une partie
    est de Molière et l'autre de Corneille.
  • 33:43 - 33:46
    Pour moi, il est tout de Corneille.
  • 33:46 - 33:50
    Nouvelle coïncidence,
    désormais le roi n'assistera plus
  • 33:50 - 33:53
    à un seul spectacle de Molière.
  • 33:54 - 33:56
    Singulière disgrâce,
  • 33:57 - 34:00
    Après Psyché, qui est le plus grand
    succès de Molière,
  • 34:01 - 34:03
    qui avait ébloui la cour,
  • 34:04 - 34:06
    Molière n'a plus jamais
    été reçu chez le roi.
  • 34:06 - 34:10
    Il a fait des mains et des pieds
    pour pouvoir jouer "Le Malade imaginaire",
  • 34:10 - 34:14
    jamais le roi n'a accepté
    qu'on le joue devant lui.
  • 34:15 - 34:18
    Pourquoi, après son plus grand succès,
    cette disgrâce ?
  • 34:18 - 34:21
    Est-ce parce qu'il a appris justement
  • 34:21 - 34:25
    que Corneille avait peut-être
    prêté main forte à d'autres pièces aussi ?
  • 34:25 - 34:28
    Que Molière avait revendiqué
    à son entièreté ?
  • 34:28 - 34:30
    Je n'en sais rien, je pose la question.
  • 34:30 - 34:32
    Mais elle mérite de l'être.
  • 34:33 - 34:37
    Décidément, les biographies comparées
    de Molière et de Corneille
  • 34:37 - 34:40
    semblent avoir encore
    beaucoup à nous apprendre.
  • 34:44 - 34:48
    Mais en 1919, l'érudit Pierre Louÿs
  • 34:48 - 34:50
    pour jeter son pavé
    dans la mare littéraire,
  • 34:50 - 34:53
    va s'appuyer sur de toutes autres éléments.
  • 34:54 - 34:58
    À ses yeux, une collaboration
    entre Molière et Corneille
  • 34:58 - 35:00
    s'imposait comme une évidence
  • 35:00 - 35:03
    à la seule lecture des pièces
    dites de Molière.
  • 35:03 - 35:05
    Simple question de style.
  • 35:07 - 35:10
    C'est dans le prestigieux quotidien
    Le Temps,
  • 35:10 - 35:12
    que Louÿs fait paraître
    ses premières conclusions.
  • 35:14 - 35:17
    Selon lui, l'auteur de Tartuffe
    et du Misanthrope
  • 35:17 - 35:20
    ne peut pas être Molière.
  • 35:20 - 35:22
    Il s'agît indubitablement
    de Pierre Corneille.
  • 35:24 - 35:27
    Au départ, comme tout le monde,
    il avait ces deux œuvres
  • 35:27 - 35:29
    qu'il croyait bien distinctes.
  • 35:29 - 35:31
    Et c'est en lisant Molière,
    après avoir lu Corneille
  • 35:32 - 35:35
    — il devait avoir une excellente
    connaissance de Corneille —
  • 35:35 - 35:39
    que dans cette pièce de Molière
    il a reconnu une voix seulement,
  • 35:40 - 35:42
    un peu comme les comédiens
    aujourd'hui nous disent,
  • 35:42 - 35:44
    quand ils jouent Corneille ou Molière,
  • 35:44 - 35:48
    certains ont l'impression
    qu'il y a une voix commune qui parle,
  • 35:48 - 35:49
    une étoffe, un ton particulier.
  • 35:49 - 35:52
    Lui, il a eu cette impression-là
    à la lecture.
  • 35:52 - 35:56
    Et là, le caractère de Louÿs était tel
    que on ne s'arrête pas à une intuition,
  • 35:56 - 35:58
    on travaille, on y passe des années.
  • 35:59 - 36:02
    Les recherches de Pierre Louÿs
    partent d'un constat
  • 36:02 - 36:06
    les vers de Molière et ceux de Corneille
    produisent la même musique.
  • 36:06 - 36:09
    Louÿs étudie les scènes,
    classe les répliques,
  • 36:09 - 36:11
    répertorie les vers selon leur structure,
  • 36:11 - 36:14
    un travail fastidieux qui l'occupe 14 ans.
  • 36:17 - 36:21
    On a le sentiment que Louÿs
    gardait tous ces papiers
  • 36:21 - 36:24
    ces billets de train, ces notes, etc.,
  • 36:24 - 36:27
    et c'est assez fascinant, parce que
    c'est un témoignage,
  • 36:27 - 36:29
    l'impression qu'on assiste
    à son travail,
  • 36:29 - 36:31
    quand on compulse ces papiers
    encore une fois.
  • 36:31 - 36:34
    Il y a des milliers de pages
    dans une collection.
  • 36:34 - 36:36
    On voit quelle a été sa méthode.
  • 36:36 - 36:40
    Sa méthode, besogneuse finalement
    mais d'une très grande minutie.
  • 36:45 - 36:49
    C'est très surprenant parce que
    il devait connaître par cœur
  • 36:49 - 36:51
    des milliers de vers,
  • 36:51 - 36:54
    parce que être capable
    de faire le lien, de dire,
  • 36:54 - 36:57
    "Mais j'ai déjà vu ça dans telle pièce,
    dans telle œuvre,
  • 36:57 - 36:59
    "j'ai vu un vers construit
    de la même manière,
  • 37:00 - 37:02
    "j'ai vu une même interversion de mots",
  • 37:02 - 37:05
    il faut une mémoire absolument colossale.
  • 37:06 - 37:09
    Quand Pierre Louÿs s'estime prêt
    il publie ses recherches
  • 37:09 - 37:11
    sans crainte du scandale.
  • 37:12 - 37:15
    Il expliquait que pour telles et telles
    raisons stylistiques
  • 37:15 - 37:17
    telle tirade de l' "Amphitryon"
  • 37:18 - 37:20
    ne pouvait être que du Corneille.
  • 37:22 - 37:25
    Sous la pression des institutions
  • 37:25 - 37:28
    Louÿs se retrouve au ban de la littérature.
  • 37:28 - 37:32
    Cela ne l'empêche pas de poursuivre
    ses recherches pour lui-même.
  • 37:33 - 37:35
    Un jour, il déclare à des proches
    qu'il serait sur le point
  • 37:36 - 37:38
    de porter la preuve matériel et irréfutable
  • 37:38 - 37:40
    preuve qu'il apportera dans sa tombe.
  • 37:41 - 37:44
    Il y a une lettre qu'on a retrouvée
    où il dit:
  • 37:44 - 37:47
    "J'ai la preuve. C'est un document
    d'archive, j'ai la preuve
  • 37:47 - 37:50
    "mais je ne veux pas la donner,
    ça ne sert à rien
  • 37:50 - 37:53
    "On ne me croira pas, de toute façon,
    mais j'ai la preuve".
  • 37:53 - 37:55
    Et on n'avait jamais su ce que c'était.
  • 37:55 - 37:57
    Il est mort peu de temps après.
  • 37:57 - 37:58
    A-t-il retrouvé un document d'archive,
  • 37:58 - 38:01
    qu'est-ce que ça veut dire,
    un document d'archive ?
  • 38:01 - 38:05
    Est-ce qu'il a retrouvé un reçu,
    d'une somme versée par un tel ?
  • 38:05 - 38:06
    On ne sait pas.
  • 38:06 - 38:08
    Mais il a eu le sentiment
    et puis il a déclaré
  • 38:08 - 38:11
    qu'il avait trouvé quelque chose
    d'objectif là-dessus.
  • 38:11 - 38:16
    Connaissant la personnalité de Louÿs,
    c'est pas le genre de choses d'invention
  • 38:16 - 38:19
    qu'il a pu forger
    pour essayer de convaincre.
  • 38:20 - 38:22
    Après la mort de Pierre Louÿs
  • 38:22 - 38:24
    il va falloir attendre
    plus de six décennies
  • 38:24 - 38:27
    pour que des chercheurs risquent
    à nouveau leurs carrières.
  • 38:27 - 38:30
    Mais leurs premières conclusions
    vont encore plus loin.
  • 38:32 - 38:35
    Vous avez des passages qui sont
    extraordinairement bien écrits
  • 38:35 - 38:37
    avec une très grande force comique
  • 38:37 - 38:40
    et puis d'autres passages qui sont lourds
  • 38:40 - 38:42
    qui sont un comique
    extraordinairement balourd.
  • 38:42 - 38:46
    Il est bien évident que ce n'est pas
    la même plume qui a fait les deux.
  • 38:47 - 38:49
    Nous chercherons partout
    à trouver, à redire,
  • 38:49 - 38:52
    et il n'y a que nous qui sache bien écrire.
  • 38:55 - 38:58
    C'est pour être faute de barbarisme
  • 38:59 - 39:05
    c'est totalement indigne des vers
    auxquels ils succèdent ou qu'ils précèdent.
  • 39:05 - 39:10
    Mais des vers comme ça, dans Molière,
    vous en avez des centaines.
  • 39:11 - 39:14
    Il faut vraiment être complètement bouché
    pour que, dans Tartuffe,
  • 39:14 - 39:18
    on ne se rend pas compte
    d'un vers admirable
  • 39:18 - 39:21
    qui ressemble à un vers de tragédie
    de Corneille
  • 39:21 - 39:23
    suivi par un vers d'une pauvreté
    lamentable
  • 39:23 - 39:26
    parce que c'est Molière qui donne
    l'indication de scène.
  • 39:26 - 39:29
    "Je suis fort redevable à ce
  • 39:30 - 39:31
    Quelle beauté !
  • 39:31 - 39:34
    "Mais pendant une ???
  • 39:34 - 39:35
    Ah, non !
  • 39:35 - 39:37
    Eh bien, voilà. Corneille, Molière.
  • 39:37 - 39:41
    Comment est-il possible que un même auteur
    dans une même pièce,
  • 39:41 - 39:44
    écrive aussi bien et écrive aussi mal.
  • 39:44 - 39:50
    C'est l'alternance, disons,
    du parfait et du néant.
  • 39:52 - 39:56
    Au delà du style de Corneille,
    on retrouve chez Molière
  • 39:56 - 39:59
    des termes, des expressions,
    des tournures de phrases
  • 39:59 - 40:01
    propres au grand tragédien.
  • 40:03 - 40:06
    "??? comme vous
    que partout on nomme,
  • 40:06 - 40:09
    "Pour être des vous
    je n'en suis pas moins homme".
  • 40:12 - 40:14
    "De tels désirs trop bas
    pour les grandeurs de Rome".
  • 40:14 - 40:17
    "Ah, pour être romain,
    je n'en suis pas moins homme".
  • 40:20 - 40:21
    "Mais quoi, voulez-vous ?"
  • 40:21 - 40:25
    "C'est assez ! je suis maître, je parle.
    Allez, obéissez".
  • 40:27 - 40:29
    "Mais cependant leur haine".
  • 40:29 - 40:32
    "C'est assez ! je suis maître, je parle.
    Allez, obéissez".
  • 40:36 - 40:40
    Donc, finalement,
    les bons biographes de Molière
  • 40:40 - 40:44
    disent que Corneille a imité Molière
    imitant Corneille
  • 40:44 - 40:47
    donc Corneille s'imitant lui-même
    par Molière interposé.
  • 40:50 - 40:53
    Pour expliquer cette troublante similitude
  • 40:53 - 40:56
    les biographes de Molière opposés à l'idée
  • 40:56 - 40:59
    de toute collaboration
    entre les deux hommes
  • 40:59 - 41:01
    ont une explication bien à eux.
  • 41:02 - 41:06
    Effectivement, il y a des rimes
    que l'on retrouve
  • 41:06 - 41:08
    chez l'un comme chez l'autre.
  • 41:08 - 41:10
    Amour, ça rime avec toujours,
  • 41:11 - 41:14
    funèbres, ça rime avec ténèbres.
  • 41:14 - 41:16
    On ne va pas le faire rimer
    avec vertèbres.
  • 41:16 - 41:19
    Donc on retrouve ces mêmes rimes
    mais que l'on va trouver aussi
  • 41:19 - 41:21
    chez les autres.
  • 41:21 - 41:24
    Molière joue pratiquement
    à chaque représentation
  • 41:24 - 41:26
    presque tous les jours,
    il joue du Corneille.
  • 41:27 - 41:29
    Il le joue, donc il le connaît par cœur.
  • 41:31 - 41:35
    Dans l'écriture il peut y avoir
    des réminiscences qui reviennent
  • 41:36 - 41:37
    au détour stylistique
  • 41:37 - 41:40
    qui reviennent comme quand on
    connaît un texte par cœur.
  • 41:40 - 41:41
    Vous imaginez ?
  • 41:41 - 41:44
    Il ne connaît pas qu'une seule pièce
    de Corneille par cœur.
  • 41:44 - 41:46
    Il connaît toutes.
  • 41:47 - 41:51
    Les deux écoles campent
    sur leurs positions.
  • 41:51 - 41:54
    Pour tenter les départager,
    les chercheurs de Grenoble
  • 41:54 - 41:56
    ont eu l'idée de recourir à un moyen
  • 41:56 - 41:58
    dont Pierre Louÿs ne pouvait pas disposer.
  • 41:58 - 42:00
    L'informatique.
  • 42:01 - 42:04
    Nous sommes allés à la rencontre
    de Dominique Labbé
  • 42:04 - 42:06
    créateur d'un logiciel puissant.
  • 42:08 - 42:11
    Notre spécialité c'est la statistique
    appliquée au langage
  • 42:11 - 42:14
    au français moderne,
    de ces quatre derniers siècles.
  • 42:14 - 42:17
    Nous n'avons pas travaillé
    que sur la littérature
  • 42:17 - 42:20
    nous avons également travaillé
    sur la presse, sur le discours politique,
  • 42:20 - 42:23
    sur le discours scientifique, etc.
  • 42:23 - 42:26
    Et, en mettant au point
    les techniques de classification
  • 42:26 - 42:29
    de ces grands matchs de texte,
  • 42:29 - 42:33
    nous avons trouvé une anomalie
    tout à fait extraordinaire,
  • 42:33 - 42:37
    deux pièces de Corneille
    beaucoup trop proches
  • 42:37 - 42:41
    des grandes pièces en vers de Molière.
  • 42:41 - 42:46
    Et la seule explication plausible
    de cette proximité exceptionnelle
  • 42:46 - 42:50
    c'est qu'il y a qu'un seul auteur
    pour toutes ces pièces en vers.
  • 42:50 - 42:52
    C'est Pierre Corneille.
  • 42:55 - 42:59
    Les résultats de cet étude intertextuel
    sont formels.
  • 42:59 - 43:02
    Corneille serait bel et bien l'auteur
    de longs passages
  • 43:02 - 43:04
    de certaines pièces de Molière
  • 43:04 - 43:07
    parfois il aurait même
    rédigé tout le texte.
  • 43:09 - 43:10
    La technique est relativement simple.
  • 43:10 - 43:13
    Il s'agît de superposer les pièces,
    deux à deux,
  • 43:13 - 43:16
    et de compter les différences.
  • 43:16 - 43:20
    En dessous de 25% de différences
    on a quasiment à coup sûr
  • 43:20 - 43:22
    c'est le même auteur.
  • 43:22 - 43:26
    Plus ce pourcentage de différence
    est faible, plus c'est une certitude
  • 43:26 - 43:29
    Mais on ne s'arrête pas là,
    on a aussi toute une série
  • 43:29 - 43:32
    d'autres indices qui sont,
    pour Corneille et Molière,
  • 43:32 - 43:34
    parfaitement convergeants,
  • 43:34 - 43:37
    les combinaisons de verbes
    les plus fréquents,
  • 43:37 - 43:40
    le sens des mots les plus usuels
  • 43:40 - 43:42
    et la longueur des phrases.
  • 43:42 - 43:45
    Parmi des milliers de textes
    soumis au même logiciel,
  • 43:46 - 43:48
    les chercheurs n'ont jamais
    trouvé deux auteurs,
  • 43:48 - 43:50
    en dehors de Corneille et Molière,
  • 43:50 - 43:53
    dont les écritures présentent
    de telles similitudes.
  • 43:53 - 43:57
    Or, parmi les pièces réattribuées
    à Corneille par l'ordinateur,
  • 43:57 - 43:59
    figurent quelques uns
    des plus grands chefs-d'œuvre
  • 43:59 - 44:01
    dits de Molière.
  • 44:01 - 44:04
    Il s'agît de, en tout, 19 pièces
  • 44:05 - 44:08
    présentées sous le nom
    de Molière, à l'époque
  • 44:08 - 44:10
    15 en vers et 4 en prose,
  • 44:10 - 44:12
    parmi les plus célèbres,
  • 44:12 - 44:17
    l'Ecole des femmes, le Misanthrope,
    le Tartuffe, Les Femmes savantes,
  • 44:17 - 44:22
    et puis 4 en prose, Dom Juan,
    L'Avare, Le Bourgeois gentilhomme
  • 44:23 - 44:25
    et Le Malade imaginaire.
  • 44:25 - 44:26
    On a traité des milliers d'auteurs,
  • 44:26 - 44:29
    on ne trouve jamais
    des caractéristiques semblables
  • 44:29 - 44:31
    pour deux auteurs réellement différents.
  • 44:31 - 44:35
    C'est une convergence d'indices,
    ce n'est pas un simple calcul.
  • 44:35 - 44:40
    On est là devant une attribution d'auteur
    extrêmement solide et certaine.
  • 44:42 - 44:46
    Molière n'aurait donc pas rédigé lui-même
    les répliques du Malade imaginaire
  • 44:46 - 44:49
    ni celles du Tartuffe
    ni celles de l'Ecole des femmes.
  • 44:49 - 44:52
    De quoi bousculer nos références,
    ébranler nos certitudes
  • 44:52 - 44:54
    et jusqu'à nos rêves.
  • 44:54 - 44:58
    Quand nous avons découvert
    que Corneille avait très probablement
  • 44:58 - 44:59
    écrit les grandes pièces de Molière
  • 44:59 - 45:03
    nous avons fait
    les vérifications historiques
  • 45:03 - 45:05
    ce qui nous a permis de constater
  • 45:05 - 45:09
    que, au cours de sa vie, Molière
    ne s'est pas comporté en écrivain,
  • 45:09 - 45:11
    il ne s'est jamais présenté comme tel
  • 45:11 - 45:14
    et qu'aucun de ses contemporains
    ne l'a traité comme tel.
  • 45:15 - 45:17
    C'est en fait indéniable.
  • 45:17 - 45:22
    Du vivant de Molière, personne
    ne l'a considéré comme un écrivain.
  • 45:22 - 45:25
    Lui-même se définissait comme
    comédien, chef de troupe,
  • 45:25 - 45:26
    ou tapissier du roi.
  • 45:27 - 45:30
    Les mots poète ou auteur
    pourtant si répandus à l'époque,
  • 45:30 - 45:32
    ne sont jamais employés.
  • 45:33 - 45:37
    Mais surtout, nous avons constaté
    que plusieurs contemporains
  • 45:37 - 45:39
    ont dit: "C'est Corneille".
  • 45:39 - 45:43
    C'est le cas pour l'une des premières
    pièces présentées par Molière,
  • 45:43 - 45:44
    Le Dépit amoureux.
  • 45:44 - 45:47
    Le premier éditeur dit :
    "C'est Corneille qui l'a écrit".
  • 45:47 - 45:51
    Et puis, Robiné, le principal critique
    littéraire du temps,
  • 45:52 - 45:54
    très au courant des coulisses du théâtre,
  • 45:54 - 45:56
    à la création du Bourgeois gentilhomme,
  • 45:56 - 45:59
    dit: "Cette pièce
    est de Pierre Corneille".
  • 45:59 - 46:02
    Mais si Molière, en son temps,
    n'a pas été regardé comme un écrivain,
  • 46:03 - 46:07
    il faut se demander quand et comment
    il l'est devenu aux yeux du public.
  • 46:08 - 46:11
    Qui a construit ce mythe
    d'un Molière littérateur ?
  • 46:11 - 46:14
    Au moment où la Révolution Française
    s'installe,
  • 46:15 - 46:18
    on a besoin d'un auteur consacré,
  • 46:18 - 46:20
    on a besoin de l' écrivain du peuple
  • 46:20 - 46:22
    et on se pose la question, lequel ?
  • 46:22 - 46:23
    Lequel va-t-on choisir ?
  • 46:23 - 46:26
    Ni La Fontaine ne présente
    des aspects favorables,
  • 46:26 - 46:29
    Corneille a trop écrit
    des histoires de rois,
  • 46:29 - 46:31
    Racine est un peu oublié
  • 46:31 - 46:32
    et reste l'auteur du Tartuffe.
  • 46:32 - 46:36
    Si l'on considère que l'auteur du Tartuffe
    a attaqué la religion, c'est parfait.
  • 46:36 - 46:38
    Nous sommes en pleine Révolution Française
  • 46:38 - 46:39
    à bas les dévots,
  • 46:39 - 46:43
    et c'est ainsi que Molière,
    qui n'a jamais écrit contre la religion
  • 46:43 - 46:46
    est devenu un auteur athée
    parfait pour être ??? république,
  • 46:47 - 46:50
    Le prestige de Molière ne cesse
    de croître avec le temps
  • 46:50 - 46:53
    jusqu'à atteindre des sommets
    au XIXème siècle.
  • 46:53 - 46:58
    Ce document de 1844 est le discours
    prononcé au nom de l'Académie Française
  • 46:58 - 47:00
    pour l'inauguration
    de la fontaine de Molière,
  • 47:00 - 47:02
    pas très loin de la Comédie Française
  • 47:02 - 47:05
    et à quelques pas seulement
    de la maison où Molière est mort.
  • 47:05 - 47:07
    Dans cet éloge sans nuances,
    on peut dire que le mythe
  • 47:07 - 47:09
    prend le pas sur la réalité.
  • 47:09 - 47:10
    Je cite son auteur :
  • 47:10 - 47:13
    "Voilà cet homme qui, sorti
    des rangs du peuple,
  • 47:13 - 47:16
    "s'est placé dans son art
    à une telle hauteur,
  • 47:16 - 47:19
    "qu'il surpasse tout ce que l'antiquité
    a fait de plus grand
  • 47:19 - 47:22
    "et que, dans l'avenir,
    il condamne ses successeurs
  • 47:22 - 47:24
    "à l'impuissance de l'atteindre".
  • 47:25 - 47:27
    Ce qui est en train de se construire,
    année après année,
  • 47:27 - 47:29
    c'est la légende Molière.
  • 47:32 - 47:37
    Peu à peu, la conscience collective
    a donc hissé Molière au pinacle.
  • 47:38 - 47:40
    Cela reste-t-il vrai de nos jours.
  • 47:40 - 47:43
    Il est trois fois intouchable,
    Molière, il faut le dire.
  • 47:43 - 47:45
    Il est intouchable parce c'était un paria
  • 47:45 - 47:47
    dans la mesure où les acteurs,
    à l'époque
  • 47:47 - 47:50
    étaient ce qu'on appelle
    des intouchables, des parias.
  • 47:50 - 47:53
    Deux, il était intouchable parce que
    comme il était comédien du roi
  • 47:55 - 47:57
    personne ne pouvait l'atteindre,
  • 47:57 - 47:59
    et alors il est devenu intouchable
    une troisième fois,
  • 47:59 - 48:05
    dans la mesure où sa légende
    a prévalu, à mon sens, sur l'Histoire.
  • 48:06 - 48:10
    Donc, l'Histoire a peu de poids
    devant certaines légendes.
  • 48:10 - 48:12
    Mais faut-il accepter qu'au nom
    de la légende
  • 48:12 - 48:15
    une vérité historique soit niée ?
  • 48:15 - 48:18
    On ne peut que s'interroger
    sur les motivations
  • 48:18 - 48:22
    de ceux qui refusent tout argument
    en faveur d'une collaboration
  • 48:22 - 48:23
    Molière Corneille.
  • 48:23 - 48:26
    Tous les moliéristes ont investi
  • 48:26 - 48:29
    20 ans, 30 ans, 40 ans, 50 ans,
    leur vie là-dedans.
  • 48:30 - 48:33
    Reconnaître qu'on s'est trompé
    c'est psychologiquement impossible.
  • 48:36 - 48:38
    Ce qu'on atteint chez eux
    ce n'est pas Molière,
  • 48:38 - 48:40
    c'est le temps qui lui ont consacré.
  • 48:41 - 48:46
    Pour ma part, tant qu'on
    ne m'apportera pas la signature
  • 48:46 - 48:50
    de Corneille dans l'une ou l'autre
    des œuvres de Molière
  • 48:50 - 48:53
    on me permettrait de m'en tenir
    à la tradition,
  • 48:53 - 48:55
    c'est-à-dire, à attribuer à Corneille
  • 48:55 - 48:57
    les œuvres qui ont été
    publiées sous son nom,
  • 48:57 - 49:00
    et à laisser à Molière celles
    qui ont été publiées sous son nom.
  • 49:01 - 49:05
    Je n'imagine pas Corneille,
    splendidement chrétien,
  • 49:07 - 49:09
    frère d'un prêtre,
  • 49:09 - 49:12
    récrivant L'Imitation de Jésus Christ,
  • 49:12 - 49:14
    je ne l'imagine pas écrivant Tartuffe.
  • 49:15 - 49:19
    Je ne l'imagine pas blasphémer
    comme Dom Juan blasphème
  • 49:19 - 49:21
    devant le pauvre.
  • 49:21 - 49:24
    Mais je trouve toujours très sain
    qu'il y ait des débats
  • 49:24 - 49:25
    je trouve ça formidable,
  • 49:25 - 49:27
    et on est très puritain en France
  • 49:27 - 49:33
    on est très inquiet à l'idée
    de ne pas trop avoir des batailles
  • 49:34 - 49:38
    qui mettraient en cause les piliers
    de notre répertoire.
  • 49:38 - 49:41
    Je pense qu'au contraire,
    de toute façon,
  • 49:41 - 49:46
    mettre en scène c'est rebraser,
    c'est redébattre sur les écritures.
  • 49:46 - 49:49
    Après, fondamentalement,
    et je le dis pour l'avoir éprouvé,
  • 49:49 - 49:52
    dans mon corps, comme comédienne,
  • 49:52 - 49:55
    il y a une différence énorme
    entre l'écriture de Corneille
  • 49:55 - 49:56
    et l'écriture de Molière.
  • 49:56 - 49:58
    C'est incontestable.
  • 50:02 - 50:06
    Le 17 février 1673, à Paris,
  • 50:06 - 50:09
    Molière s'effondre et meurt
    au sortir d'une représentation
  • 50:09 - 50:11
    du Maladie imaginaire.
  • 50:11 - 50:14
    À l'époque c'est un homme de théâtre,
    comédien et chef de troupe
  • 50:14 - 50:16
    que l'on enterre.
  • 50:30 - 50:33
    Trois siècles et demi plus tard
    c'est un écrivain que l'on célèbre
  • 50:33 - 50:36
    et même, l'emblème
    de la littérature française.
  • 50:38 - 50:42
    Si Molière a su créer des pièces
    écrire des canevas,
  • 50:42 - 50:46
    les conforter en ses dons
    de quelques personnes
  • 50:46 - 50:51
    qui l'ont aidé pour un bout de scénario,
    une trame, quelques rimes et tout,
  • 50:51 - 50:54
    mais c'est du génie à l'état pur aussi
    de faire ça.
  • 50:54 - 50:57
    Seulement, pourquoi le génie serait-il
    individuel dans un cas
  • 50:57 - 51:00
    et qu'on refuserait
    la notion de génie collectif ?
  • 51:06 - 51:11
    Et ce duo, ce ménage de deux génies
  • 51:11 - 51:13
    c'est ça la chose extraordinaire.
  • 51:14 - 51:17
    On continuera à en débattre
    et c'est ce qui est amusant
  • 51:17 - 51:20
    puisqu'on a affaire
    à deux hommes fabuleux.
  • 51:21 - 51:24
    Mais il ne faut pas que l'un prenne
    complètement la place de l'autre.
  • 51:24 - 51:26
    C'est aberrant.
  • 51:27 - 51:32
    Pour moi, encore une fois, je dis
    avec toutes les réserves qui s'imposent
  • 51:33 - 51:37
    en fait, Molière, en tant
    que comédien protégé du roi
  • 51:38 - 51:40
    était le seul qui pouvait dire
  • 51:41 - 51:45
    ce que Corneille était le seul
    à savoir dire.
  • 51:50 - 51:54
    L'enjeu de ce débat n'est pas
    de déterminer l'étendue véritable
  • 51:54 - 51:57
    du génie de Jean-Baptiste Poquelin,
    dit Molière.
  • 51:57 - 52:00
    C'est d'entrouvrir le voile
    sur l'étendue insoupçonnée
  • 52:00 - 52:04
    d'un autre génie, celui
    de Pierre Corneille.
  • 52:11 - 52:14
    Si nous nous posons ce soir
    cette grande question
  • 52:14 - 52:16
    Molière a-t-il écrit ses pièces ?
  • 52:16 - 52:19
    c'est qu'un érudit l'a posée
    bien avant nous,
  • 52:19 - 52:22
    au début du XXème siècle,
    on était en 1919,
  • 52:22 - 52:24
    et cet érudit c'était Pierre Louÿs.
  • 52:24 - 52:26
    Nous allons tenter de savoir
  • 52:26 - 52:28
    quelles questions il avait posé à l'époque
  • 52:28 - 52:30
    et quelles réponses il avait apporté.
  • 52:30 - 52:33
    Nous allons le faire en compagnie
    de nos habituels chroniqueurs.
  • 52:33 - 52:35
    - Bonsoir, Christophe Bourseiller.
    - Bonsoir, Frank.
  • 52:35 - 52:37
    - Bonsoir, Stéphanie Coudurier.
    - Bonsoir.
  • 52:37 - 52:40
    - Et bonsoir, Clémentine Portier-Kaltenbach.
    - Bonsoir.
  • 52:40 - 52:42
    Je tiens tout de suite à prévenir
    nos téléspectateurs
  • 52:42 - 52:45
    vous êtes un peu réticent
    à parler du sujet,
  • 52:45 - 52:48
    on a l'impression que, dès que les questions
    de cette affaire Corneille Molière
  • 52:48 - 52:50
    tout le monde prend des précautions.
  • 52:50 - 52:54
    Vous avez pourtant entre les mains,
    Clémentine, un ouvrage
  • 52:54 - 52:58
    qui fait le point sur la question
    en mettant l'accent sur Pierre Louÿs.
  • 52:58 - 53:02
    C'est un ouvrage de Jean-Paul Goujon
    et Jean-Jacques Lefrère.
  • 53:02 - 53:07
    Jean-Jacques Lefrère c'est une sorte
    d'enquêteur littéraire...
  • 53:07 - 53:09
    Un érudit.
  • 53:09 - 53:14
    Et Jean-Paul Goujon, il a écrit
    des livres sur la littérature érotique,
  • 53:14 - 53:18
    la poésie érotique, les mystifications
    littéraires au XIXème.
  • 53:18 - 53:23
    Alors, "Ôte-moi d'un doute...", un livre
    qui est illustré par une toile du XIXème
  • 53:23 - 53:28
    représentant précisément Molière
    qui est à côté de son ami Corneille
  • 53:28 - 53:30
    et qui semble l'écouter religieusement
  • 53:30 - 53:33
    comme si Corneille
    est en train de l'expliquer
  • 53:33 - 53:35
    "Je vais écrire votre prochaine pièce".
  • 53:35 - 53:38
    Il faut dire que ces deux auteurs,
    Goujon et Lefevre ont eu accès
  • 53:38 - 53:40
    à un fond documentaire incroyable,
  • 53:40 - 53:43
    ce sont les papiers de Pierre Louÿs.
  • 53:43 - 53:47
    Tout part de là mais, contrairement
    à certains livres qui font l'appât
  • 53:47 - 53:50
    exclusives aux moliéristes
    ou aux louÿsistes
  • 53:51 - 53:53
    alors, tout est de lui,
    rien est de lui,
  • 53:53 - 53:57
    ces deux auteurs ils mènent une enquête
    extrêmement scrupuleuse,
  • 53:57 - 54:01
    extrêmement honnête, en ne tirant pas
    de conclusions hâtives
  • 54:01 - 54:04
    mais ils posent une question
    qu'on est en droit de se poser.
  • 54:04 - 54:08
    Après tout, si une partie de ce qu'a dit
    Pierre Louÿs était exact ?
  • 54:08 - 54:11
    Et notamment, vous le disiez,
    faire état dans ce livre
  • 54:11 - 54:15
    des fameux sept articles
    qui ont été publiés en 1919.
  • 54:15 - 54:18
    Ces articles-là, ça lui a value
    des lettres anonymes,
  • 54:18 - 54:21
    il a été complètement, le pauvre,
    épouvanté
  • 54:22 - 54:27
    coupé en plein vol dans son envie
    de publier la somme de ses recherches
  • 54:27 - 54:31
    parce que c'était des milliers de pages,
    des milliers de recherches
  • 54:31 - 54:32
    sur Corneille et Molière,
  • 54:33 - 54:35
    mais qui devait s'insérer
    dans une œuvre plus grande.
  • 54:35 - 54:38
    Il faut dire, Clémentine, que Pierre Louÿs
    est un très grand érudit
  • 54:38 - 54:40
    et qui connaît la littérature
    du XVIIème siècle
  • 54:40 - 54:43
    probablement comme personne
    ne l'avait connue avant lui,
  • 54:43 - 54:45
    et comme personne ne l'a connue depuis.
  • 54:45 - 54:48
    Il avait une connaissance intime même
    des auteurs même moins connus
  • 54:48 - 54:51
    et lui apparaissait, à lui
    comme une évidence
  • 54:51 - 54:56
    que le style des pièces dites de Molière
    et le style de Corneille ne faisaient qu'un.
  • 54:56 - 55:00
    Il ne faut surtout pas faire croire
    que Louÿs c'était un rigolo
  • 55:00 - 55:02
    donc c'était la marotte, cette histoire.
  • 55:02 - 55:04
    Pas du tout.
  • 55:04 - 55:07
    C'était un immense bibliophile,
    il possédait plus de 20 000 livres chez lui.
  • 55:07 - 55:10
    Ses détracteurs ont voulu à la fois
    le ridiculiser,
  • 55:10 - 55:14
    dire que, s'il était devenu obsessionnel
    de cette histoire de Corneille Molière,
  • 55:14 - 55:16
    il se serait crispé sur ces questions-là
  • 55:16 - 55:19
    d'ailleurs il a attribué à Corneille
    bien d'autres œuvres...
  • 55:19 - 55:25
    Ce que n'avait pas fait Pierre Louÿs
    c'est s'interroger sur les vies respectives
  • 55:25 - 55:27
    de Molière et de Corneille,
  • 55:27 - 55:29
    de comparer leurs biographies.
  • 55:29 - 55:32
    Et là, c'est ce que vont faire
    les auteurs plus récents.
  • 55:32 - 55:36
    Hippolyte Wouters il y a longtemps
    maintenant, c'est en 1990,
  • 55:36 - 55:39
    avait écrit son fameux
    "Molière ou l'auteur imaginaire ?"
  • 55:40 - 55:42
    qui est l'ouvrage dont tout est parti
  • 55:42 - 55:44
    car si nous parlons ce soir
    de cette affaire,
  • 55:44 - 55:47
    c'est évidemment parce que
    Pierre Louÿs en avait parlé en 1919
  • 55:47 - 55:50
    mais c'est aussi et surtout
    parce que Hippolyte Wouters
  • 55:50 - 55:55
    en 1990, a ressorti cette vieille affaire
    et l'a apportée sur la place publique.
  • 55:55 - 55:59
    Il faut citer aussi celui qui s'est fait
    maintenant une spécialité de cette question,
  • 55:59 - 56:04
    qui a publié sur son site internet
    on peut dire des milliers de pages,
  • 56:04 - 56:05
    des milliers de pages sur ce sujet.
  • 56:05 - 56:07
    C'est Denis Boissier.
  • 56:07 - 56:10
    Il faut dire c'est que Denis Boissier
    a commencé dans cette affaire
  • 56:10 - 56:11
    par un brûlot,
  • 56:11 - 56:13
    il a sorti un livre
    que vous avez entre les mains...
  • 56:13 - 56:17
    ... qui s'appelle "L'affaire Molière :
    la grande supercherie littéraire.
  • 56:17 - 56:18
    Vous avez raison, Frank.
  • 56:18 - 56:23
    C'est un brûlot, c'est plus qu'un brûlot
    c'est un pamphlet d'une violence extrême
  • 56:25 - 56:26
    contre Molière.
  • 56:27 - 56:30
    Pour résumer les choses,
    je vous cite Denis Boissier
  • 56:30 - 56:33
    "Molière lui-même n'a jamais rien écrit"
  • 56:33 - 56:34
    et encore un peu plus loin
  • 56:34 - 56:37
    "un soleil nous attend
    qui a pour nom Pierre Corneille".
  • 56:37 - 56:40
    Alors tout est dit, Denis Boissier
    pense, il est persuadé
  • 56:40 - 56:43
    que Molière n'a pas écrit une ligne
  • 56:43 - 56:45
    que Molière est un usurpateur
  • 56:45 - 56:47
    il dit que Molière était fils de tapissier
  • 56:47 - 56:49
    et "qui s'est comporté toute sa vie
    en commerçant
  • 56:49 - 56:51
    "désireux de plaire à la clientèle"
  • 56:51 - 56:54
    et que Molière, en réalité,
    "se désintéressait complètement
  • 56:54 - 56:57
    "de son œuvre, c'est normal,
    il ne l'a pas écrite",
  • 56:57 - 57:00
    et il définit Molière
    comme un "bouffon du roi"
  • 57:00 - 57:03
    et principalement "l'orateur
    bateleur de sa troupe de théâtre".
  • 57:04 - 57:07
    Ce qu'il faut dire c'est que dit comme ça,
    évidemment, ce genre de phrases
  • 57:07 - 57:09
    ne plaide pas en faveur du pamphlet.
  • 57:09 - 57:12
    Mais il y a quand même derrière
    un travail de recherche colossal,
  • 57:12 - 57:14
    c'est des années de recherches
    dans toutes les archives
  • 57:14 - 57:16
    possibles et imaginables.
  • 57:16 - 57:19
    Vous savez, ce qui est intéressant
    dans le travail de Denis Boissier
  • 57:19 - 57:21
    c'est qu'il démontre une chose
    dont on pouvait se douter,
  • 57:21 - 57:24
    c'est que Molière était effectivement
    un patron de troupe de théâtre,
  • 57:24 - 57:26
    l'animateur d'une troupe de théâtre
  • 57:26 - 57:29
    et c'est quelqu'un qui avait
    une sorte d'atelier d'écriture en réalité
  • 57:29 - 57:33
    et Molière c'est quelqu'un
    qui existait dans l'ancien régime,
  • 57:33 - 57:35
    un système qui a disparu aujourd'hui
    en droits d'auteur
  • 57:35 - 57:37
    ça s'appelle le privilège,
  • 57:37 - 57:38
    c'est-à-dire que, si vous vouliez,
  • 57:38 - 57:41
    vous pouviez demander,
    par exemple, à Corneille
  • 57:41 - 57:42
    il vous écrivait une pièce de théâtre
  • 57:42 - 57:45
    et puis il vous signe un contrat,
    le privilège.
  • 57:45 - 57:49
    À partir de là, la pièce vous appartenait,
    vous pouviez la signer.
  • 57:49 - 57:52
    Le système de droits d'auteur,
    ça n'existait pas.
  • 57:54 - 57:57
    Ce que raconte Denis Boissier
    c'est que Molière
  • 57:57 - 57:59
    qui n'avait, selon lui,
    aucune envie d'écrire,
  • 57:59 - 58:01
    aucun talent pour l'écriture,
  • 58:01 - 58:04
    mais qui, par contre, était un bouffon,
    en tout cas un homme du théâtre,
  • 58:05 - 58:06
    un Jean Villard,
  • 58:07 - 58:08
    un directeur de troupe.
  • 58:10 - 58:12
    On dit qu'il a fait appel à Corneille.
  • 58:12 - 58:15
    Alors là, ce que dit Denis Boissier
    sur Corneille
  • 58:15 - 58:17
    est particulièrement délicat.
  • 58:17 - 58:19
    Il dit, "C'était un amateur de Lolita.
  • 58:19 - 58:23
    Donc, Corneille, tout ce qui l'intéressait
    c'étaient les petites jeunes filles
  • 58:23 - 58:28
    et, semble-t-il, Molière avait compris
    ce trait de Corneille
  • 58:28 - 58:31
    et Corneille avait un besoin éperdu
    d'argent
  • 58:31 - 58:33
    pour entretenir ces petites aventures...
  • 58:33 - 58:36
    Pour ce qui est de Lolitas,
    il suffit de lire
  • 58:36 - 58:37
    ses stances à marquise.
  • 58:37 - 58:40
    Je pense qu'il écrivait, qu'il parlait
    beaucoup plus qu'il ne le faisait.
  • 58:40 - 58:42
    Il dit une chosequi est très intéressant
  • 58:42 - 58:45
    et qui est assez amusante,
    une anecdote assez curieuse.
  • 58:45 - 58:47
    Il dit, "Savez-vous d'où vient
    le nom de Molière ?
  • 58:49 - 58:52
    Ça vient d'un verbe, moliérer.
  • 58:52 - 58:55
    Moliérer ça veut dire légitimer.
  • 58:55 - 58:58
    Et en fait, Jean-Baptiste Poquelin,
    il ne s'appelait Molière.
  • 58:59 - 59:02
    C'était le désir qu'il avait
    d'être légitimé
  • 59:03 - 59:07
    et Corneille, par son talent,
    a légitimé Molière.
  • 59:07 - 59:10
    Il faut dire ce qui est passionnant
    dans cette affaire,
  • 59:10 - 59:15
    c'est qu'on est toujours étonné
    de l'inventivité des comédies de Molière.
  • 59:15 - 59:18
    Et ça, ça n'est pas Corneille,
    objectivement.
  • 59:18 - 59:21
    Ce qui est cornélien c'est le style,
    c'est le vers.
  • 59:21 - 59:24
    Mais la situation, le scénario,
  • 59:24 - 59:26
    on dirait qu'il vient d'ailleurs.
  • 59:26 - 59:29
    et s'il avait eu collaboration...
  • 59:29 - 59:32
    C'est la raison pour laquelle
    — je suis tout à fait d'accord avec vous —
  • 59:32 - 59:34
    je pense que le livre de Denis Boissier
    est très drôle
  • 59:34 - 59:37
    on peut le recommander à ceux
    qui veulent une prise d'opposition
  • 59:37 - 59:40
    néanmoins que beaucoup d'artistes
    de cette époque-là
  • 59:40 - 59:42
    travaillaient sous la forme d'ateliers
    d'écriture
  • 59:42 - 59:44
    tout comme les peintres
    avaient des ateliers de peinture,
  • 59:44 - 59:47
    tout comme des musiciens
    avaient des ateliers
  • 59:47 - 59:49
    où d'autres compositeurs intervenaient
  • 59:49 - 59:51
    et c'était de la collaboration collective.
  • 59:51 - 59:55
    C'est Pierre Louÿs lui-même
    qui s'amusait dans les comédies de Molière
  • 59:55 - 59:57
    dans les premiers articles,
    lorsqu'il n'était pas encore
  • 59:57 - 60:00
    victime d'attaques si durs
    qu'il a été obligé de se défendre
  • 60:00 - 60:03
    et s'amusait à distinguer
    les parties de pièces
  • 60:03 - 60:05
    qui étaient directement de Corneille
  • 60:05 - 60:08
    et celles qui avaient été
    en quelque sorte incluses.
  • 60:08 - 60:12
    Alors on dispose de moyens
    pour ses études stylistiques
  • 60:12 - 60:15
    que ne connaissait évidemment pas
    Pierre Louÿs,
  • 60:15 - 60:18
    ce sont aujourd'hui
    les instruments informatiques
  • 60:18 - 60:23
    on possède ce qu'on appelle des logiciels
    de comparaison intertextuels.
  • 60:23 - 60:25
    Alors, ça a l'air très compliquée,
    Stéphanie,
  • 60:25 - 60:27
    vous allez dire que c'est très facile.
  • 60:27 - 60:29
    Je vais dire comme Michel Chevalet,
  • 60:29 - 60:30
    comment ça marche ?
  • 60:30 - 60:33
    Alors, ce qu'on peut découvrir
    dans le documentaire,
  • 60:33 - 60:35
    puisque cette technique est abordée,
  • 60:35 - 60:38
    c'est que deux ouvrages
    de Dominique Labbé
  • 60:38 - 60:42
    "Corneille dans l'ombre de Molière"
    aux Impressions Nouvelles
  • 60:42 - 60:45
    et ainsi qu'un ouvrage
    qui vient de sortir...
  • 60:46 - 60:48
    "Si deux et deux sont quatre"
    comme dans Dom Juan...
  • 60:48 - 60:51
    "Molière n'a pas écrit Dom Juan",
  • 60:51 - 60:53
    également un livre de Dominique Labbé.
  • 60:53 - 60:56
    Quelle est la technique
    de Dominique Labbé ?
  • 60:56 - 61:02
    C'est de faire appel à des statistiques
    et à des logiciels informatiques
  • 61:02 - 61:03
    pour comparer des textes.
  • 61:04 - 61:08
    Et ressort de ces comparaisons
    une distance intertextuelle...
  • 61:10 - 61:13
    L'éloignement possible entre deux textes.
  • 61:13 - 61:16
    C'est-à-dire, leur ressemblance
    ou leurs différences
  • 61:16 - 61:19
    et il y a un indice
    qui ressort de ce résultat
  • 61:19 - 61:21
    qui est compris entre 0 et 1,
  • 61:21 - 61:25
    et plus l'on s'approche de 0
    plus on est sûr qu'il s'agît
  • 61:25 - 61:27
    du même auteur, de la même main,
  • 61:27 - 61:30
    plus l'on s'approche de 1, évidemment,
    ça ce n'est pas le cas.
  • 61:30 - 61:32
    Est-ce que ça s'est fait
    en double aveugle ?
  • 61:32 - 61:34
    On l'a fait sur des textes anonymes.
  • 61:34 - 61:38
    Oui, Dominique Labbé qui est spécialiste
    de l'analyse du discours,
  • 61:39 - 61:42
    il a commencé à travailler
    sur des discours politiques
  • 61:43 - 61:45
    notamment ceux de François Miterrand.
  • 61:45 - 61:47
    Et puis c'est après qu'il s'est intéressé
  • 61:47 - 61:50
    à un certain moment,
    à Corneille et à Molière.
  • 61:50 - 61:54
    Et il a donc comparé des textes
    de Corneille et de Molière,
  • 61:54 - 61:58
    34 pièces de Corneille
    et 32 pièces de Molière,
  • 61:58 - 62:01
    donc de manière complètement
    dépassionnée
  • 62:01 - 62:03
    puisqu'il s'agit de méthodes informatiques
  • 62:03 - 62:08
    et il ressortirait le fait que ces textes
    ont une ressemblance si forte
  • 62:08 - 62:13
    qu'on est autour d'un indice très proche
    de la certitude de la même main.
  • 62:13 - 62:17
    Quand vous dites très proche,
    je crois que, d'après l'étude informatique,
  • 62:17 - 62:20
    on est à 99,97 %.
  • 62:20 - 62:21
    C'est très, très proche.
  • 62:22 - 62:25
    Ça dépend des textes, mais on est
    soit dans la certitude total
  • 62:25 - 62:29
    soit dans la quasi-certitude,
    selon les calculs de Dominique Labbé
  • 62:29 - 62:30
    et de son équipe.
  • 62:30 - 62:34
    Et que répond les moliéristes
    à l'argument, à la démonstration... ?
  • 62:34 - 62:37
    En général, la réaction est plutôt
    une hostilité...
  • 62:38 - 62:40
    Dominique Labbé a eu beaucoup de mal...
  • 62:40 - 62:43
    Dominique Labbé a été mis en congé
    du CNR, il faut le dire,
  • 62:43 - 62:45
    il a été réhabilité plus tard
  • 62:45 - 62:47
    et cette réhabilitation
    est une bonne chose
  • 62:47 - 62:51
    mais ça montre à quel degré de violence
    peuvent aller les règlements de comptes
  • 62:51 - 62:53
    dans certains milieux, quand même.
  • 62:53 - 62:55
    C'est très courageux ce qu'il a fait.
  • 62:56 - 62:58
    C'est très courageux, c'est un travail
    de 20 années de travail
  • 62:58 - 63:00
    où il a tout investi,
  • 63:00 - 63:02
    ça y est vraiment une quête
    de cet homme pour essayer
  • 63:02 - 63:05
    de résoudre ce fameux mystère
    entre Corneille et Molière.
  • 63:05 - 63:07
    Il faut dire deux choses
    à propos de Dominique Labbé.
  • 63:07 - 63:10
    D'une part c'est que ses travaux
    se sont trouvé consolidés
  • 63:10 - 63:14
    par les résultats d'une toute autre étude
    menée au département de linguistique
  • 63:14 - 63:18
    de l'Université de Saint-Pétersbourg
    qui a aboutit à la même conclusion
  • 63:18 - 63:20
    c'est-à-dire que 16 des pièces
    de Molière seraient de Corneille
  • 63:20 - 63:22
    nous disent les russes,
  • 63:22 - 63:24
    et puis il vient de publier là
    très récemment
  • 63:24 - 63:26
    dans ce nouveau livre
    que vous avez cité tout à l'heure,
  • 63:26 - 63:28
    qui est une synthèse générale
    de la question
  • 63:28 - 63:31
    où il ne s'intéresse plus seulement
    question...
  • 63:31 - 63:32
    mais revient à la biographie.
  • 63:32 - 63:35
    D'autres documents qui tentent
    à prouver
  • 63:36 - 63:40
    que les charges qui sont occupés
    par Molière
  • 63:40 - 63:42
    dans les documents que l'on retrouve
  • 63:43 - 63:44
    ne sont jamais celles d'auteur
  • 63:44 - 63:47
    c'est-à-dire que Molière apparaît
    tantôt comme metteur-en-scène
  • 63:48 - 63:49
    tantôt comme un comédien
  • 63:49 - 63:51
    tantôt même comme un tapissier,
  • 63:51 - 63:54
    puisque c'était la charge
    que son père le fait hériter
  • 63:55 - 63:56
    mais jamais comme auteur.
  • 63:57 - 64:01
    Il n'a jamais été candidat
    à l'Académie Française, etc.
  • 64:01 - 64:03
    Donc, dans cet ouvrage
    il y a des documents supplémentaires
  • 64:04 - 64:05
    pour revenir sur cette question
  • 64:05 - 64:09
    et c'est le résultat final
    et quasiment identique
  • 64:09 - 64:10
    à cette nouvelle étude
  • 64:10 - 64:14
    puisque Dominique Labbé nous dit
    que, selon ses calculs,
  • 64:14 - 64:19
    entre 15 et 18 pièces de Molière,
    sur une durée à peu près de 15 ans,
  • 64:19 - 64:21
    auraient été écrites par Corneille.
  • 64:21 - 64:24
    Alors, Clémentine, la question
    que se posent
  • 64:24 - 64:26
    Jean-Jacques Lefevre
    et Jean-Paul Goujon
  • 64:26 - 64:31
    c'est si Corneille a écrit
    tous ces chefs-d’œuvre de comédie
  • 64:31 - 64:32
    sous le nom de Molière,
  • 64:32 - 64:34
    pourquoi ne les a-t-il pas signé,
  • 64:34 - 64:36
    ils apportent une réponse,
    ils nous disent
  • 64:36 - 64:38
    que, à l'époque, on signe les tragédies,
    pas les comédies.
  • 64:39 - 64:41
    Oui, c'est une pratique assez courante
  • 64:41 - 64:45
    Moi je trouve que, finalement,
    à la lumière de ce film
  • 64:45 - 64:47
    et de ces lectures, on se dit après tout
  • 64:47 - 64:50
    ce sont quand même deux très grands.
  • 64:50 - 64:54
    L'un à tout le moins très grand comédien,
    très grand chef de troupe,
  • 64:54 - 64:57
    et l'autre très grand auteur
  • 64:57 - 65:00
    et, après tout l'idée qu'ils ont pu
    collaborer...
  • 65:01 - 65:04
    Bien sûr, ils ont été géniaux,
    chacun dans un domaine différent
  • 65:04 - 65:09
    et leur collaboration a créé
    cette étincelle de génie
  • 65:09 - 65:10
    d'un homme du théâtre,
    d'un homme d'écriture.
  • 65:10 - 65:12
    Ils se sont peut-être complétés.
  • 65:12 - 65:15
    N'oublions pas d'ailleurs que Corneille
    dans son Ode à la Comédie
  • 65:16 - 65:19
    va dire qu'il a toujours préféré
    écrire des comédies
  • 65:19 - 65:23
    et qu'il est contraint d'écrire
    des tragédies depuis le succès du Cid.
  • 65:23 - 65:25
    Parce que le Cid ayant été
    cet espèce de succès
  • 65:25 - 65:28
    sans équivalent dans l'histoire
    du théâtre français
  • 65:28 - 65:32
    évidemment il est désormais condamné,
    il est prisonnier du genre majeur.
  • 65:33 - 65:35
    et il aime bien le genre mineur
  • 65:35 - 65:37
    ce que dit d'ailleurs remarquablement
    André Le Gall
  • 65:37 - 65:39
    dans sa biographie de Corneille.
  • 65:39 - 65:41
    Il y a bien d'autres biographies
    de Corneille
  • 65:41 - 65:43
    mais celle-là est particulièrement
    juste, je crois,
  • 65:43 - 65:45
    c'est dans Les Grands Biographies
    Flammarion
  • 65:45 - 65:48
    alors évidemment André Le Gall
    ne va pas jusqu'à se prononcer
  • 65:48 - 65:51
    sur la question de l'appartenance
    à Corneille
  • 65:51 - 65:53
    d'un certain nombre de textes
    signés Molière.
  • 65:53 - 65:55
    Il y a un qui ne veux même pas
    en entendre parler,
  • 65:55 - 66:00
    c'est mon ami Christophe Maury
    qui, dans sa dernière biographie,
  • 66:00 - 66:02
    "Marquise ou la vie sensuelle
    d'une comédienne
  • 66:02 - 66:05
    "de Molière à Racine, itinéraire
    d'une séductrice "
  • 66:05 - 66:08
    nous montre très bien cette vie
    du théâtre de l'époque,
  • 66:08 - 66:14
    mais conclut d'une façon
    que je trouve peut-être un peu ironique
  • 66:14 - 66:19
    conclut que Corneille n'a pas pu
    écrire les pièces de Molière.
  • 66:19 - 66:22
    Rappelez vos ouvrages respectifs,
    s'il vous plaît.
  • 66:22 - 66:24
    Jean-Paul Goujon, Jean-Jacques Lefrère,
  • 66:24 - 66:28
    "Ôte-moi d'un doute..."
    L'énigme Corneille-Molière
  • 66:28 - 66:30
    chez Fayard.
  • 66:30 - 66:34
    Denis Boissier, "L'affaire Molière,
    la grand supercherie littéraire",
  • 66:34 - 66:37
    c'est sorti chez Jean-Cyrille Godefroy,
    en 2004.
  • 66:37 - 66:40
    Deux ouvrages de Dominique Labbé
  • 66:40 - 66:44
    "Corneille dans l'ombre de Molière"
    qui retrace les calculs informatiques
  • 66:44 - 66:46
    qui ont été utilisés par
    Dominique Labbé
  • 66:46 - 66:48
    et l'ouvrage le plus récent
  • 66:48 - 66:51
    "Si deux et deux sont quatre,
    Molière n'a pas écrit Dom Juan"
  • 66:51 - 66:55
    Et puis, encore une fois, l'ouvrage
    par lequel tout est revenu
  • 66:55 - 66:57
    et grâce auquel nous parlons
    du sujet ce soir,
  • 66:57 - 67:00
    d'Hippolyte Wouters,
    avec Christine de Ville de Goyet
  • 67:00 - 67:03
    "Molière ou l'auteur imaginaire ?"
    avec un point d'interrogation,
  • 67:03 - 67:05
    aux Éditions Complexe,
  • 67:05 - 67:07
    un ouvrage qui, à l'époque,
    valut à son auteur
  • 67:07 - 67:10
    qui est belge — et ce n'est pas
    un hasard s'il est belge,
  • 67:10 - 67:12
    car je crois que pour un français
    serait plus difficile —
  • 67:12 - 67:15
    un ouvrage qui lui a valu
    énormément de difficultés,
  • 67:15 - 67:18
    de critiques et de levée de boucliers.
  • 67:18 - 67:21
    J'espère que, à défaut
    de tous vous convaincre
  • 67:21 - 67:23
    nous vous avons intéressé ce soir
  • 67:23 - 67:26
    cette émission a été comme d'habitude
    préparée avec Europa.
  • 67:27 - 67:30
    Je vous donne rendez-vous très bientôt
    pour ouvrir un nouveau dossier
  • 67:30 - 67:31
    une nouvelle énigme.
Title:
L'ombre d'un doute - Et si Molière n'était pas l'auteur de ses pièces
Description:

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Video Language:
French
Duration:
01:07:33

French subtitles

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