C'est une des révélations
les plus saisissantes de notre Histoire
Molière, l'idole de tous les comédiens,
Molière, l'incarnation de l'âme française,
Molière, l'auteur
le plus étudié à l'école,
Molière ne serait pas l'auteur
de toutes ces pièces,
en tout cas ce ne serait pas lui
qui les aurait toutes rédigées.
Cette découverte incroyable a été faite
il y a environ cent ans
par le très sérieux Pierre Louis,
très grand connaisseur
de la littérature du XVIIème siècle
et depuis tout ce temps, on peut dire
qu'elle n'a fait que ce préciser
à mesure qu'apparaissaient
de nouveaux arguments.
Alors, regardez ce que nous avons
à vous montrer
écoutez ce que nous avons à vous dire,
à la lueur de cette enquête.
Ce n'est pas seulement Molière
que vous allez redécouvrir
c'est aussi son grand complice de l'ombre,
Corneille.
Officiellement, cet homme est le plus
grand auteur de comédies de tous les temps.
Notre langue est appelée
la langue de Molière.
La Comédie Française est surnommée
la maison de Molière,
Ses pièces les plus célèbres,
"L´École des femmes", "L'Avare",
"Le Bourgeois gentilhomme"
sont connues de tous les écoliers.
Et pourtant, sur Molière on sait
bien peu de choses.
Finalement, on ne sait rien sur Molière.
On n'a aucun écrit de Molière,
on n'a aucune trace écrite,
tout a disparu, sa maison natale a disparu,
là où il est mort a disparu,
donc il faut être très prudent sur Molière.
Le Molière de la Comédie Française,
de la Sorbonne,
le Molière connu est un mythe.
Or voici le plus étonnant :
on ne possède aucun manuscrit,
aucune lettre, aucun billet
de la main de Molière.
Il est évident qu'à partir du moment
où Molière,
qui était au centre de la vie culturelle
et théâtrale française
il aurait été normal qu'il écrive
des lettres, qu'il en reçoive
qui ait des ébauches de manuscrits,
quelque chose.
Bien, rien.
Si vous retrouvez aujourd'hui, quelque part
une lettre que Molière aurait écrite,
votre fortune est assurée.
Comment expliquer qu'un écrivain
n'a pas laissé d'écrits ?
La question vaut d'être posée.
La réponse apportée en 1919,
plus de deux siècles et demi après sa mort,
par le grand écrivain Pierre Louÿs,
a fait trembler l'idole sur ses bases.
Dans une série d'articles fouillés
Pierre Louÿs a osé affirmer
que Molière n'aurait pas écrit
les chefs-d’œuvre qui lui sont attribués.
En tout cas, pas entièrement.
Les plus grandes pièces, notamment
"Tartuffe" et "Le Misanthrope"
seraient nés de la plume
de Pierre Corneille.
Énorme scandale !
Au point que la Comédie Française,
se considérant comme
l'héritière spirituelle de Molière,
a menacé de faire un procès en diffamation
contre Pierre Louÿs pour sa thèse.
Bon, je suppose qu'un avocat un peu avisé
a dit au responsable de la Comédie Française
que leurs chances de gagner
étaient assez basses.
Mais, enfin, l'idée est quand même venue,
c'est assez révélateur.
Peut-on toucher à la Molière ?
Les conclusions de Pierre Louÿs
n'ont pas été rejetés par tout le monde.
Depuis quelques décennies, plusieurs
historiens ont repris le flambeau
et confirmé, précisé
les intuitions du maître.
Selon eux, les pièces les plus célèbres
du répertoire français
seraient le fruit de l'association
de deux génies,
Molière, pour son sens du théâtre
et des situations,
Corneille, pour la perfection de ses vers.
Pour comprendre, nous sommes retournés
sur les traces de Molière
à la recherche d'éléments
concrets sur sa vie.
Puis nous avons soumis
les conclusions de Pierre Louÿs,
au meilleur spécialiste de l'époque
mais aussi à quelques
grands noms du théâtre.
Enfin, nous avons rencontré des chercheurs
qui pensent avoir,
à l'aide de l'informatique,
résolu l'énigme Molière.
"Je suis le plus grand auteur !"
"Voyez,
"Un jour viendra, mon œuvre
sera devenue si légendaire
"qu'on ne dira plus, 'Parlez-moi français',
"mais plutôt, 'Parlez-moi
dans la langue de Molière' ".
Sa carrière, Molière l'a commencée
au sein d'une troupe de comédiens ambulants
baptisée L'Illustre Théâtre.
Personne ne conteste cela.
Et pour peu que l'on creuse la question,
on apprend que Molière
n'est pas né saltimbanque,
il est issue d'une bonne famille,
les Poquelin,
titulaires de la charge cossue
de tapissier du roi.
Quand Molière part avec sa troupe,
quand les Béjart partent,
ils ont toujours des goûts de bourgeois.
Ils font des appels d'offres
pour des transporteurs
par voie d'eau, pour les décors et costumes
et eux, ils tirent pas du tout une charrette
comme l'on voit dans le film de Munschkin.
Ils sont en voiture.
Ils voyagent bien.
Il n'y a pas d'inconfort dans ces voyages.
À cette époque, les pièces jouées
par l'Illustre Théâtre
sont assez grossières.
Molière n'est pas encore chef de troupe.
Ce rôle appartient à Madeleine Béjart.
Lui est comédien,trousseur de farce
et accessoirement homme d'affaires.
Molière va, avec la troupe Béjart, à Lyon.
Ils vont à Grenoble.
Moi je me pose la question
qu'est-ce qu'ils vont faire à Lyon
qu'est-ce qu'ils vont faire à Grenoble.
Lyon, c'est la soie
et Grenoble c'est le lin.
On est sur les réseaux commerciaux
des tapissiers.
Alors, les biographes ont bien noté
que Molière revient fréquemment à Paris.
Alors, "Qu'est-ce qu'il va faire
à Paris, tout seul ?"
Il était sur les réseaux commerciaux
de son père.
Donc il travaillait aussi pour son père.
Et certainement ils ont dû avoir
de l'argent, par Poquelin,
contre des services rendus.
Ainsi, Molière bénéficie de subsides
de son père, tapissier du roi,
autant dire, décorateur attitré
des résidences royales.
Sa présence dans la troupe aide donc
ses camarades à survivre
dans un temps les plus rudes.
Ce qui est important de comprendre
c'est que, ce siècle-là,
on vit dans la merde.
Paris, on marche dans la merde,
quand on se promène.
Il faut des choses spéciales
pour les dames.
C'est un monde dans lequel
seul compte l'élite.
On brûle les gens Place de Grève.
On brûle souvent pour des raisons morales,
religieuses, politiques,
ou tout simplement mondaines.
Et c'est dans ce monde-là
que Molière va pouvoir évoluer
grâce à un seul appui,
mais total et définitif,
celui du roi.
Eté 1658, Louis XIV a 20 ans,
ne règne pas en personne.
L'heure est encore pour lui
aux amusements de la jeunesse.
Il aime la musique, la danse
et, bien sûr, le théâtre.
Les fêtes qu'il ordonne
ont la joie de la cour
et l'éblouissement de L'Europe.
C'est dans ce climat
propice à la réjouissance
que Molière va bientôt s'imposer,
car avant la fin de l'année
les comédiens inconnus
crottés de l'Illustre Théâtre
vont constituer la troupe attitrée
de Sa Majesté.
Comment expliquer
cette fulgurante ascension ?
La réponse à cette question,
il faut aller la chercher
quelque part dans les rues de Rouen.
Molière remonte du sud-ouest
avec sa troupe,
il remonte vers le nord
mais au lieu d'aller à Paris,
il va à Rouen.
Et à Rouen, il n'y avait pas de raison
d'y rester longtemps,
ils vont rester six mois.
Et quand on regarde
les biographes de Molière,
on dit, "Mais qu'est-ce
qu'il a été faire à Rouen ?"
Bon, disent la plupart,
"pour être plus près de Paris".
Ce qui s'appelle un peu tirer le piano
plutôt que d'avancer le tabouret,
parce qu'on voit, le moyen d'être
plus près de Paris c'est être à Paris.
Donc, manifestement, s'il va à Rouen
c'est pour quelque chose.
tant plus qu'ils y jouent quasiment pas.
Ces 200 jours passés à Rouen
vont tout changer pour Molière.
Curieuse coïncidence, c'est à Rouen
que réside alors le plus grand,
le plus illustre auteur de théâtre,
Pierre Corneille.
Or, Molière et ses amis s'installent
justement Rue du Vieux Palais,
à quelques pas de la Rue de la Pie,
où réside celui que tout le monde
appelle le Grand Corneille.
Molière voue une admiration sans bornes
à Corneille,
véritable réformateur du théâtre.
Il faut dire qu'avant les années 1630,
la scène française avait été
sans prétentions ni relief.
C'est Pierre Corneille qui à travers
huit comédies brillantes
lui a donné le premier
ses lettres de noblesse.
Il a amorcé une révolution du théâtre
Il a rendu the théâtre fréquentable.
On est sorti des viols sur la scène,
des crimes,
des coupages d'individus au couteau.
On est rentré dans une zone où, enfin
un certain nombre de dames
ont pu s'aventurer dans le théâtre.
En 1636, Corneille amorce un tournant
vers le drame
avec la tragi-comédie du Cid
son héros Rodrigue et déchiré
entre l'amour qu'il porte à Chimène
et le devoir qui l'amène à tuer
le père de celle-ci.
"Le Cid" est un triomphe sans précédent
On joue "Le Cid", de Corneille
et ça a énormément de succès.
Le théâtre est plein
et, au Théâtre du Marais,
— comme dans les autres théâtres —
une chose que les directeurs
de théâtre détestent
c'est qu'il y a du monde dehors
et qu'on puisse pas
faire payer pour entrer.
Donc, on décide de mettre des chaises
directement sur le plateau
en faisant payer très cher les gens
et puis, peu à peu,
on va mettre des bancs,
puis, devant les bancs,
on va mettre des barrières de fer forgé
pour que le public n'aille pas
trop dans l'aire des comédiens.
Les gens viennent sur le plateau
et paient très cher
pour pouvoir être vus
en train de regarder.
Après "Le Cid", le théâtre
ne sera plus jamais le même.
Pierre Corneille est anobli
et il entre à l'Académie.
Il devient le Grand Corneille.
Corneille, pour moi, est un génie absolu.
C'est vrai qu'il n'était pas très sexy.
C'est un personnage très intériorisé,
très replié sur lui-même.
L'homme faisait très vite barbon,
il bégayait d'ailleurs, ce qui fait
qu'il n'a pas, comment dire,
je crois beaucoup de succès
et il se vengeait un peu sur ses créatures,
probablement, de ses
mésaventures personnelles.
Mais c'était un homme
qui avait un esprit très fort
et un humour absolument ravageur.
Redisons-le, cet homme à image austère
a bel et bien commencé
par écrire des comédies.
Il ne s'est hissé
au registre de la tragédie
que, malgré lui et à cause du Cid.
Il est arrivé à Corneille la pire chose
qui puisse arriver à un auteur de comédie,
voulant plaire au peuple,
c'est d'écrire une pièce qui a tel succès
qu'il sera condamné dorénavant
à jouer que dans cette catégorie-là.
Et cette pièce est "Le Cid", en 1637
le succès est tel que Pierre Corneille
devienne auteur pour la noblesse,
condamné à écrire des tragédies,
et ça, ça ne le ressemble pas.
Voilà donc Corneille enfermé
dans le genre tragique.
Étrange coïncidence,
Molière à l'issue de son séjour à Rouen,
alors qu'il n'avait jusque là
rien produit de notable,
se met à présenter des comédies raffinées.
C'est à ce moment-là que tous
ces chefs-d'œuvre vont se suivre
et se ressembler dans un style
qui n'a pas rien à voir
avec celui qui est le sien avant.
Alors qu'est-ce qui s'est passé à Rouen ?
C'est là le mystère.
Que s'est-il passé à Rouen
entre Corneille et Molière ?
Le premier effet du fameux séjour est
de transformer le répertoire de la troupe.
Du jour au lendemain, Molière et ses amis
se mettent à jouer
des tragédies de Corneille.
Mais, très vite, Molière va prendre
l'habitude d'ajouter au programme
des comédies d'un esprit
et d'un style nouveau.
C'est la première fois qu'on voit alors
le Molière nouveau qui est arrivé.
Comme un simple beaujolais
il est là, transformé,
ça n'a pas rien à voir
avec ses pièces précédentes.
Et comme par hasard,
en revenant de Rouen.
Pour désigner la transformation
subite et tardive
d'un simple trousseur de farces
en auteur supposé de comédies subtiles
les biographes de Jean-Baptiste Poquelin
parleront du "miracle Molière".
Plus miraculeux encore, après Rouen,
ce n'es pas seulement le répertoire
de la troupe qui change,
c'est son statut.
Molière et ses amis jouent
pour le frère du roi, devant la cour.
Comment ces comédiens de province
ont-ils bénéficiés d'une telle ascension ?
Mystère.
En tout cas, leur première représentation
devant le roi, fait basculer son destin.
À cette fameuse représentation,
il va se passer un drame.
Le roi baille.
Si le roi baille, c'est que
les comédiens sont mauvais.
"Je ne comprends pas !"
"Mais non, Molière".
En fait, le roi baille,
parce que il connaît la pièce
et cette pièce est moralisatrice
comme c'est pas possible.
Donc, qu'est-ce qu'il fait ?
Il ne reste qu'une chance,
c'est de jouer son atout,
la comédie gauloise.
"Tu annonces 'Le Docteur Amoureux'
et tu vas le faire rire !"
Et quand Molière se donne à fond
dans la farce gauloise,
évidemment le roi rit aux éclats
et c'est gagné pour lui.
"Euh... tu... "
(Rires)
"Oh...
(Rires)
Il fait l'improvisateur,
il fait l'imitateur,
et là, à ce moment-là
ça devient une fête, tout le monde rit.
Personne ne s'imaginait pouvoir faire
autant le pitre devant le roi.
"Monsieur Molière.
"Vous avez beaucoup diverti, monsieur".
Pour Molière,
cette représentation inespérée
marque le début d'une nouvelle carrière.
Il va désormais bénéficier
du soutien de la cour
et le roi Louis XIV lui-même
octroie à la troupe
une nouvelle salle au palais royal.
Ce document magnifique, conservé ici
aux Archives Nationales,
fait état des travaux engagés
pour messieurs les comédiens
de la troupe royal de Monseigneur
le duc d'Anjou, frère unique du roi,
en la grande salle des comédies
du palais royal.
C'est donc un Molière
soudain plein d'avenir
qui prend la direction de la troupe.
Devant Molière s'ouvre
un boulevard inespéré.
Hier encore, comédien inconnu,
errant dans le sud de la France,
il est devenu l'amuseur attitré
de sa Majesté.
Molière, il est censé être
le patron des comédiens,
alors, ça parce qu'il était comédien,
ça on en est sûr,
et d'après tous les écrits que l'on a,
toutes les preuves qu'on en a,
c'était un merveilleux comédien.
Il a un génie de directeur de troupe,
un génie de directeur d'acteurs aussi.
C'est l'image, Molière, de l'artiste idéal.
Avec l'amour des camarades,
écrivant pour les siens
et l'acteur au charme incontournable
qu'a réussi à se faire tellement aimé
de la cour de Louis XIV.
que Louis XIV a créé La Comédie Française
après la mort de Molière
et elle dure toujours aujourd'hui.
Corneille avait révolutionné
la scène par les textes,
avec Molière c'est l'interprétation
qui change.
Le nouveau chef de troupe impose
aux comédiens un jeu plus naturel
et c'est tout le théâtre
qui s'en trouve sublimé.
La façon de dire les vers
c'était de dire doucement,
roulant les erres,
tout en faisant bien attention
aux manières
et on insistait sur la rime.
Molière dit, "Il faut dire
les choses naturellement".
Mais la grande force de Molière
c'est surtout d'avoir impliqué
le roi lui-même dans ses spectacles.
La protection dont il bénéficie dès lors
est de celles qui autorisent
toutes les audaces.
Il fait participer le roi à ses spectacles.
il fait danser le roi dans ses spectacles.
Il est au lever du roi,
et donc il a des conversations,
forcément assez intimes avec le roi.
Et pourquoi le roi va s'intéresser
— le roi qui est jeune —
pourquoi le roi va-t-il
s'intéresser à Molière ?
Parce que il retrouve des choses en lui.
"Non, non, non, je ne veux
que ce que je vous ai dit.
"Belle marquise, vos beaux yeux
me font mourir d'amour".
(Rires)
"D'amour mourir me font,
belle marquise, vos yeux
"ou bien, vos yeux beaux d'amour
me font, belle marquise, mourir
"ou bien, mourir, belle marquise,
de vos beaux yeux, d'amour me font
"ou bien, me font mourir..."
"De toutes ces façons-là,
laquelle est la meilleure ?
"Oui, monsieur, et de plus,
il m'a donné pour cela que deux heures.
"Allez à l'enfer
Reste la troublante question
des thèmes abordés,
des thèmes a priori moins familiers
à Molière lui-même
qu'à un certain Corneille.
Un exemple.
Molière présente en 1659 sa comédie
"Les Précieuses Ridicules".
Les précieuses c'étaient ces femmes snobes
qui des années plus tôt
avaient donné le ton à la bonne société.
Comment expliquer que Molière
qui ne les avait jamais rencontrées
se soit intéressé à elles ?
"Parlez-nous, ma chère,
du conte de Boisrobert.
"Boisrobert c'était de la tête aux pieds
un homme tout mystère
"qui vous jette en passant
des coups d'œil égarés
"et sans aucune affaire
est toujours affairé.
"Sans cesse, il a tout bas
un secret à vous dire
"et ce secret n'est rien.
"De la moindre bêtise
il fait une merveille.
"et même ses bonjours
il les dit à l'oreille".
"Et Madame de Sablé
dont on dit tant de bien
"que pensez-vous d'elle ?"
"Que son cuisinier est habile et que
c'est à sa table que l'on rend visite".
"Ne préféreriez-vous Madame Dubreil ?"
"Pauvre esprit de femme
et le sec entretien".
"Certains hommes pourtant
lui trouvent de la treille".
"C'est vrai, mas dans ses filets,
aucun ne tombe jamais".
"Car la beauté sans esprit, hélas,
est comme un homme sans ses appâts".
"Oh !
Précieuses ridicules, mais ça c'est
un problème que Molière n'a jamais connu.
Alors que Corneille, lui,
en a souffert, à l'époque.
Et s'il y a un règlement de comptes
avant tout,
pourquoi Molière, qui venait de sa province
qui ne connaissait pas du tout
ces dames-là
qui n'étaient plus sur l'actualité
aurait-il écrit ces deux pièces ?
Les précieuses n'avaient
plus vraiment d'influence
au moment de l'apparition de la pièce
Dès lors, s'attaquer à leurs outrances
n'était plus de l'actualité.
En revanche, une décennie plus tôt
Corneille avait durement
subi leurs critiques.
Elles avaient même largement contribué
à son retrait du théâtre en 1652.
Il ne gagne plus sa vie depuis 1652
il n'est plus du tout avocat
in n'a plus d'appointements
sept tragédies ne marchent plus
donc il est en perte de vitesse,
sa carrière est donc finie.
Il est ce qu'on appelle
aujourd'hui un "has been"
Au moment du séjour de Molière
et de ses amis à Rouen,
cela fait six ans que le Grand Corneille
s'est retiré du théâtre.
Il a besoin d'argent, ne serait-ce
que pour établir ses enfants.
Il vivait pas richement,
mais enfin,
il ne vivait pas dans l'opulence.
Il avait d'ailleurs femme et six enfants.
En plus, il a deux fils officiers à l'armée
qu'il faut entretenir,
il faut acheter le brevet,
le brevet de capitaine, ça un régiment,
c'est encore plusieurs milliers de livres.
Or, ils n'ont pas les recettes nécessaires.
On sait que Corneille a eu des problèmes
pour obtenir ses pensions.
car certainement il les a supprimées
que les droits d'auteur
étaient mal payés. etc.
Or, quand on fait l'histoire
économique de Corneille
on se rend compte
qu'avec le peu qu'il a gagné
et le beaucoup qu'il a dépensé
il y a a un trou
Figurez que, quand il est mort,
il n´était pas du tout dans la misère,
Donc, de quelque part il y a eu
une rentrée, au moins, je peux dire,
peut-être en faisant nègre.
Corneille rédige avec une telle aisance
qu'il a souvent eu dans le passé
de prêter sa plume à d'autres.
Ainsi a-t-il fait partie d'un groupe
de cinq auteurs
au service du Cardinal de Richelieu.
Les cinq auteurs étaient
des auteurs dramatiques
que Richelieu avait recruté
pour son compte.
Il fabriquait des scénarios,
un canevas, des étangs,
et à partir de là, il distribuait
entre cinq auteurs
les cinq actes de son ouvrage.
On considérait à 'époque
que l'œuvre créatrice pour l'auteur
c'était la conception de l'histoire
et que la versification tout un travail
qu'on distribuait comme ça.
Celui qui avait fait le canevas de la pièce
pouvait être considéré comme l'auteur.
Et celui qui écrivait les vers,
il fait du remplissage.
Alors, ça pourrait être expliqué pourquoi
on a attribué cette pièce à Molière
plutôt qu'à Corneille.
Au XVIIème siècle, dans les genres mineurs,
comme la comédie,
il est courant qu'un auteur
loue ses talents.
Dans ce cas, il reste dans l'ombre
et perd tous ses droits
sur les fruits de l'œuvre.
Il n'y avait pas de droits d'auteur.
Il n'y avait pas
de propriété intellectuelle.
et il n'y avait pas le droit de société.
Donc, la pièce appartenait à celui
qui en détient le manuscrit
et qui la faisait enregistrer
auprès des services du roi
on pourra la publier.
Pierre Corneille aurait fort bien pu
être un auteur fantôme
au service de Molière.
Force est de reconnaître, cependant,
qu'il n'existe aucune preuve
de cette collaboration,
aucun reçu, par exemple, d'une somme
versée par Molière à Corneille,
par Molière ou Poquelin,
puisque, en vérité,
c'est ainsi qu'il signait
la plupart des actes officiels.
Alors, effectivement,
il signe bien de son nom
d'état civil, dirait-on aujourd'hui,
qui est son prénom
de Jean-Baptiste Poquelin,
à la différence de sa famille,
il écrit toujours Poq... et pas Pocq...
comme le font d'autres membres
de la famille Poquelin.
Plus tard, il accolera,
soit ces initiales, J.B.P. Molière
ou alors Jean-Baptiste Poquelin Molière.
Le seul indice vraiment utile,
il faut aller le chercher
à la Comédie Française,
dans un cahier qui tient le compte
de recettes de la troupe de Molière.
Ce document célèbre est connu
sous le nom de Registre de La Grange.
La Grange était le compagnon de Molière,
un comédien de sa troupe,
et il était son homme de confiance.
Il a tenu un journal de la troupe
ce qui est un petit peu atypique
puisque habituellement
on tenait un registre
mais qui était essentiellement
un registre comptable
avec le détail de places
qui étaient vendues
et la recette qui était récoltée
tandis que là, il ajoute
des informations de son cru
et notamment sur l'histoire
de cette troupe.
Dans le registre de La Grange
se trouve peut-être l'indication
que nous cherchions
mais elle est bien cachée.
Le registre de La Grange
démontre que dans les pièces que j'attribue,
moi personnellement à Corneille,
Molière, au lieu de toucher
une part d'auteur
touchait deux parts d'auteur.
On ne dit pas que c'est pour Corneille
mais quand même je me demande
comment il pouvait
justifier cette autre part
s'il n'était pas justifié
par quelque chose.
Pour moi, justement, cette deuxième part
c'était la part de Corneille.
Question: quel intérêt le Grand Corneille
aurait-il eu a écrire en sous-main
de simples comédies ?
Et dans ce cas, pourquoi
ne les aurait-il pas revendiquées ?
Le public demande des comédies légères.
C'est ce qui plaît plus, c'est ce
qui rapporte beaucoup d'argent
qui est facile à monter.
Mais c'est condamné par l'Eglise,
par une partie de la cour
par une partie de l'Académie
et par conséquent, les gens
qui écrivent ces comédies
préfèrent rester dans l'ombre.
Une comédie est un texte
obscène à l'époque.
C'est comme si aujourd'hui
un auteur sérieux, reconnu de tous,
voulait écrire des romains pornographiques.
Il ??? par un pseudonyme.
Après "Le Cid", à deux exceptions près,
Corneille n'a plus signé que des tragédies.
Mais il a pu, dans l'ombre, écrire
des comédies et les confier
à un chef de troupe qui bénéficiait
pour leur approbation
du soutien personnel du roi.
À l'époque de Molière,
neuf comédies sur dix,
ne sont pas présentées
par les gens qui les écrivent
mais par des intermédiaires,
la plupart du temps, des comédiens,
de riches comédiens qui font
les avances nécessaires
pour acheter le texte,
pour acheter les costumes,
les décors, répéter la pièce...
Les comédies n'étaient pas signées.
Comme, par des raisons de facilité
il fallait leur donner un nom,
le chef de troupe assumait donc,
on se trouva avec une pièce de Montfleury
alors que c'était son fils qui écrivait
comme on se retrouvera
avec une pièce de Molière
alors que c'était d'autres personnes
qui ont écrit, notamment Corneille.
La biographie de Corneille comporte
en 1662, un événement très souvent négligé.
Alors qu'il a toujours vécu à Rouen,
le vieux dramaturge — il a 56 ans —
vient soudain s'installer à Paris,
à deux pas du Théâtre du Marais.
autant dire, tout près de chez Molière.
Coïncidence de plus que ce déménagement
tardif, au moment du triomphe de Molière,
appelle sans cesse de nouvelles créations.
Il n'y a aucune justification
à ce déménagement.
Corneille vient s'installer à Paris
à deux, trois cent mètres de chez Molière.
Pourquoi ? À mons sens, encore une fois,
c'est parce que une collaboration,
qui nécessairement est occulte,
et parfois rapide,
ne pouvait pas se faire
entre Paris et Rouen,
qui se trouvait à deux jours
de route à l'époque.
C'était très dangereux, en plus de ça
il y avait les indiscrétions
postales possibles.
Au moment où il quittait Rouen
pour s'installer à Paris,
Pierre Corneille aurait déclaré
à ses familiers :
"Je suis dégouté de la gloire,
et affamé d'argent".
Effectivement, on comprend tout.
La juxtaposition des biographies
de Molière et de Corneille,
est pour le moins riche de coïncidences.
Elle plaide en faveur d'une collaboration
discrète mais efficace
entre le génie de la scène
et celui de l'écriture.
Ceux qui défendent la thèse
d'une collaboration entre ces deux hommes,
rappellent par ailleurs qu'un Molière,
surchargé d'occupations
n'aurait pas eu le temps nécessaire
pour écrire.
La direction du palais royal, il est aussi
le directeur de sa troupe,
c'est-à-dire qu'il doit régler
une cinquantaine de problèmes
d'une cinquantaine de personnes
autour de lui,
À plus de ça, il est une star,
il est le comédien
qui jour le plus long rôle
de ses pièces de théâtre.
Il jouera près de 1300 pièces de théâtre.
Comment voulez-vous que cet homme-là
surboké, surchargé,
puisse en plus écrire des pièces
qui nécessitent des milliers d'heures
de réflexion, de travail, de lecture ?
Car, écrire des pièces
— Molière reste de qualité —
Tartuffe, Le Misanthrope,
nécessite un travail colossal
d'au moins huit heures par jour.
Où voulez-vous qu'il les trouve ?
Molière est littéralement
accablé de travail.
Dites-vous qu'entre 1660 et 1670,
il va présenter pas moins de 23 pièces
des comédies, pour ne rien dire
de toutes les tragédies, signées Corneille.
Par exemple, rien que
pour le Carnaval de 1670,
la troupe de Molière présente
deux pièces dans la cour,
une comédie, "Monsieur de Pourceaugnac"
et une comédie-ballet,
"Les Amants magnifiques",
qui a été créé spécialement
pour l'occasion.
Ce beau document des Archives Nationales
nous donne une idée de l'ampleur
des dépenses que tout cela entraîne.
Il faut imaginer les frais des costumes,
les frais de table,
les frais de logement pour les comédiens,
les musiciens, les danseurs,
au total, on arrive à une somme
de 16 800 livres
l'équivalent de bien plus
de 300 000 de nos euros.
Et bien, cela ne décourage pas le roi
qui, dès la saison suivante,
se montre encore plus exigeant.
Pour la préparation du Carnaval de 1671,
les plus grands noms
sont sur le pied de guerre.
La Fontaine, Boileau,
Molière, Quinot, Corneille.
Le roi désire une comédie-ballet
pour sa grande fête du Louvre,
Molière, bien que pressé par le temps,
propose le thème de Psyché,
inspiré de la mythologie grecque
alors en vogue.
Alors, Molière et ??? ont fait Psyché
et Louis XIV dit
que c'est une excellente idée.
"Alors, allons-y pour Psyché.
"Messieurs, monsieur de Molière
n'aura pas le temps de tout faire.
"Je vous demande de l'aider".
Psyché, conçue en un temps record,
sera l'un des plus grands succès
de la troupe de Molière.
Question: qui en a donc rédigé les vers ?
Il est possible que Molière
qui était alors un homme de théâtre avisé,
ait présenté à la limite,
un scénario à Corneille, en disant :
"Faites-moi une pièce".
Et que Corneille a fait la pièce,
mais que Molière,
en tant qu'homme de théâtre
et en tant que metteur en scène,
ait raccordé certaines scènes entre elles
et ajouté quelques vers de son cru,
mais ça se sent tout de suite.
On comprend bien que,
pour écrire une telle pièce à 15 jours,
il faut avoir affaire
à un vétéran de la plume
à quelqu'un qui s'est essayé
par avance déjà ce style-là.
Or, curieusement, Corneille
s'est essayé à des vers
qui ressemblent à Psyché,
dans ses anciennes pièces.
Donc, il était à même de pouvoir
donner un coup de fouet
et réussir en 15 jours ce qu'un autre
aurait mis peut-être deux mois
ou carrément n'aurait jamais réussi
même en deux mois.
Un béni pour les historiens, cette fois
une préface ajouté à la première édition,
confirme la collaboration
Molière-Corneille,
On publie la pièce.
Et dans la préface, il est dit
"Monsieur Molière, étant fort occupé
par la mise-en-scène, etc.
"n'a pas eu le temps de la faire
tout entière,
"et monsieur Corneille a mis
une quinzaine au reste".
Le reste c'est trois quarts.
Pour certains, ce demi-aveu
reconnaissant la paternité de Corneille
sur une partie seulement de la pièce,
ne serait qu'un mensonge de plus.
Qu'est-ce qui se cache
derrière cette Psyché ?
À mon avis il révèle beaucoup de choses.
Tout d'abord, on dit qu'une partie
est de Molière et l'autre de Corneille.
Pour moi, il est tout de Corneille.
Nouvelle coïncidence,
désormais le roi n'assistera plus
à un seul spectacle de Molière.
Singulière disgrâce,
Après Psyché, qui est le plus grand
succès de Molière,
qui avait ébloui la cour,
Molière n'a plus jamais
été reçu chez le roi.
Il a fait des mains et des pieds
pour pouvoir jouer "Le Malade imaginaire",
jamais le roi n'a accepté
qu'on le joue devant lui.
Pourquoi, après son plus grand succès,
cette disgrâce ?
Est-ce parce qu'il a appris justement
que Corneille avait peut-être
prêté main forte à d'autres pièces aussi ?
Que Molière avait revendiqué
à son entièreté ?
Je n'en sais rien, je pose la question.
Mais elle mérite de l'être.
Décidément, les biographies comparées
de Molière et de Corneille
semblent avoir encore
beaucoup à nous apprendre.
Mais en 1919, l'érudit Pierre Louÿs
pour jeter son pavé
dans la mare littéraire,
va s'appuyer sur de toutes autres éléments.
À ses yeux, une collaboration
entre Molière et Corneille
s'imposait comme une évidence
à la seule lecture des pièces
dites de Molière.
Simple question de style.
C'est dans le prestigieux quotidien
Le Temps,
que Louÿs fait paraître
ses premières conclusions.
Selon lui, l'auteur de Tartuffe
et du Misanthrope
ne peut pas être Molière.
Il s'agît indubitablement
de Pierre Corneille.
Au départ, comme tout le monde,
il avait ces deux œuvres
qu'il croyait bien distinctes.
Et c'est en lisant Molière,
après avoir lu Corneille
— il devait avoir une excellente
connaissance de Corneille —
que dans cette pièce de Molière
il a reconnu une voix seulement,
un peu comme les comédiens
aujourd'hui nous disent,
quand ils jouent Corneille ou Molière,
certains ont l'impression
qu'il y a une voix commune qui parle,
une étoffe, un ton particulier.
Lui, il a eu cette impression-là
à la lecture.
Et là, le caractère de Louÿs était tel
que on ne s'arrête pas à une intuition,
on travaille, on y passe des années.
Les recherches de Pierre Louÿs
partent d'un constat
les vers de Molière et ceux de Corneille
produisent la même musique.
Louÿs étudie les scènes,
classe les répliques,
répertorie les vers selon leur structure,
un travail fastidieux qui l'occupe 14 ans.
On a le sentiment que Louÿs
gardait tous ces papiers
ces billets de train, ces notes, etc.,
et c'est assez fascinant, parce que
c'est un témoignage,
l'impression qu'on assiste
à son travail,
quand on compulse ces papiers
encore une fois.
Il y a des milliers de pages
dans une collection.
On voit quelle a été sa méthode.
Sa méthode, besogneuse finalement
mais d'une très grande minutie.
C'est très surprenant parce que
il devait connaître par cœur
des milliers de vers,
parce que être capable
de faire le lien, de dire,
"Mais j'ai déjà vu ça dans telle pièce,
dans telle œuvre,
"j'ai vu un vers construit
de la même manière,
"j'ai vu une même interversion de mots",
il faut une mémoire absolument colossale.
Quand Pierre Louÿs s'estime prêt
il publie ses recherches
sans crainte du scandale.
Il expliquait que pour telles et telles
raisons stylistiques
telle tirade de l' "Amphitryon"
ne pouvait être que du Corneille.
Sous la pression des institutions
Louÿs se retrouve au ban de la littérature.
Cela ne l'empêche pas de poursuivre
ses recherches pour lui-même.
Un jour, il déclare à des proches
qu'il serait sur le point
de porter la preuve matériel et irréfutable
preuve qu'il apportera dans sa tombe.
Il y a une lettre qu'on a retrouvée
où il dit:
"J'ai la preuve. C'est un document
d'archive, j'ai la preuve
"mais je ne veux pas la donner,
ça ne sert à rien
"On ne me croira pas, de toute façon,
mais j'ai la preuve".
Et on n'avait jamais su ce que c'était.
Il est mort peu de temps après.
A-t-il retrouvé un document d'archive,
qu'est-ce que ça veut dire,
un document d'archive ?
Est-ce qu'il a retrouvé un reçu,
d'une somme versée par un tel ?
On ne sait pas.
Mais il a eu le sentiment
et puis il a déclaré
qu'il avait trouvé quelque chose
d'objectif là-dessus.
Connaissant la personnalité de Louÿs,
c'est pas le genre de choses d'invention
qu'il a pu forger
pour essayer de convaincre.
Après la mort de Pierre Louÿs
il va falloir attendre
plus de six décennies
pour que des chercheurs risquent
à nouveau leurs carrières.
Mais leurs premières conclusions
vont encore plus loin.
Vous avez des passages qui sont
extraordinairement bien écrits
avec une très grande force comique
et puis d'autres passages qui sont lourds
qui sont un comique
extraordinairement balourd.
Il est bien évident que ce n'est pas
la même plume qui a fait les deux.
Nous chercherons partout
à trouver, à redire,
et il n'y a que nous qui sache bien écrire.
C'est pour être faute de barbarisme
c'est totalement indigne des vers
auxquels ils succèdent ou qu'ils précèdent.
Mais des vers comme ça, dans Molière,
vous en avez des centaines.
Il faut vraiment être complètement bouché
pour que, dans Tartuffe,
on ne se rend pas compte
d'un vers admirable
qui ressemble à un vers de tragédie
de Corneille
suivi par un vers d'une pauvreté
lamentable
parce que c'est Molière qui donne
l'indication de scène.
"Je suis fort redevable à ce
Quelle beauté !
"Mais pendant une ???
Ah, non !
Eh bien, voilà. Corneille, Molière.
Comment est-il possible que un même auteur
dans une même pièce,
écrive aussi bien et écrive aussi mal.
C'est l'alternance, disons,
du parfait et du néant.
Au delà du style de Corneille,
on retrouve chez Molière
des termes, des expressions,
des tournures de phrases
propres au grand tragédien.
"??? comme vous
que partout on nomme,
"Pour être des vous
je n'en suis pas moins homme".
"De tels désirs trop bas
pour les grandeurs de Rome".
"Ah, pour être romain,
je n'en suis pas moins homme".
"Mais quoi, voulez-vous ?"
"C'est assez ! je suis maître, je parle.
Allez, obéissez".
"Mais cependant leur haine".
"C'est assez ! je suis maître, je parle.
Allez, obéissez".
Donc, finalement,
les bons biographes de Molière
disent que Corneille a imité Molière
imitant Corneille
donc Corneille s'imitant lui-même
par Molière interposé.
Pour expliquer cette troublante similitude
les biographes de Molière opposés à l'idée
de toute collaboration
entre les deux hommes
ont une explication bien à eux.
Effectivement, il y a des rimes
que l'on retrouve
chez l'un comme chez l'autre.
Amour, ça rime avec toujours,
funèbres, ça rime avec ténèbres.
On ne va pas le faire rimer
avec vertèbres.
Donc on retrouve ces mêmes rimes
mais que l'on va trouver aussi
chez les autres.
Molière joue pratiquement
à chaque représentation
presque tous les jours,
il joue du Corneille.
Il le joue, donc il le connaît par cœur.
Dans l'écriture il peut y avoir
des réminiscences qui reviennent
au détour stylistique
qui reviennent comme quand on
connaît un texte par cœur.
Vous imaginez ?
Il ne connaît pas qu'une seule pièce
de Corneille par cœur.
Il connaît toutes.
Les deux écoles campent
sur leurs positions.
Pour tenter les départager,
les chercheurs de Grenoble
ont eu l'idée de recourir à un moyen
dont Pierre Louÿs ne pouvait pas disposer.
L'informatique.
Nous sommes allés à la rencontre
de Dominique Labbé
créateur d'un logiciel puissant.
Notre spécialité c'est la statistique
appliquée au langage
au français moderne,
de ces quatre derniers siècles.
Nous n'avons pas travaillé
que sur la littérature
nous avons également travaillé
sur la presse, sur le discours politique,
sur le discours scientifique, etc.
Et, en mettant au point
les techniques de classification
de ces grands matchs de texte,
nous avons trouvé une anomalie
tout à fait extraordinaire,
deux pièces de Corneille
beaucoup trop proches
des grandes pièces en vers de Molière.
Et la seule explication plausible
de cette proximité exceptionnelle
c'est qu'il y a qu'un seul auteur
pour toutes ces pièces en vers.
C'est Pierre Corneille.
Les résultats de cet étude intertextuel
sont formels.
Corneille serait bel et bien l'auteur
de longs passages
de certaines pièces de Molière
parfois il aurait même
rédigé tout le texte.
La technique est relativement simple.
Il s'agît de superposer les pièces,
deux à deux,
et de compter les différences.
En dessous de 25% de différences
on a quasiment à coup sûr
c'est le même auteur.
Plus ce pourcentage de différence
est faible, plus c'est une certitude
Mais on ne s'arrête pas là,
on a aussi toute une série
d'autres indices qui sont,
pour Corneille et Molière,
parfaitement convergeants,
les combinaisons de verbes
les plus fréquents,
le sens des mots les plus usuels
et la longueur des phrases.
Parmi des milliers de textes
soumis au même logiciel,
les chercheurs n'ont jamais
trouvé deux auteurs,
en dehors de Corneille et Molière,
dont les écritures présentent
de telles similitudes.
Or, parmi les pièces réattribuées
à Corneille par l'ordinateur,
figurent quelques uns
des plus grands chefs-d'œuvre
dits de Molière.
Il s'agît de, en tout, 19 pièces
présentées sous le nom
de Molière, à l'époque
15 en vers et 4 en prose,
parmi les plus célèbres,
l'Ecole des femmes, le Misanthrope,
le Tartuffe, Les Femmes savantes,
et puis 4 en prose, Dom Juan,
L'Avare, Le Bourgeois gentilhomme
et Le Malade imaginaire.
On a traité des milliers d'auteurs,
on ne trouve jamais
des caractéristiques semblables
pour deux auteurs réellement différents.
C'est une convergence d'indices,
ce n'est pas un simple calcul.
On est là devant une attribution d'auteur
extrêmement solide et certaine.
Molière n'aurait donc pas rédigé lui-même
les répliques du Malade imaginaire
ni celles du Tartuffe
ni celles de l'Ecole des femmes.
De quoi bousculer nos références,
ébranler nos certitudes
et jusqu'à nos rêves.
Quand nous avons découvert
que Corneille avait très probablement
écrit les grandes pièces de Molière
nous avons fait
les vérifications historiques
ce qui nous a permis de constater
que, au cours de sa vie, Molière
ne s'est pas comporté en écrivain,
il ne s'est jamais présenté comme tel
et qu'aucun de ses contemporains
ne l'a traité comme tel.
C'est en fait indéniable.
Du vivant de Molière, personne
ne l'a considéré comme un écrivain.
Lui-même se définissait comme
comédien, chef de troupe,
ou tapissier du roi.
Les mots poète ou auteur
pourtant si répandus à l'époque,
ne sont jamais employés.
Mais surtout, nous avons constaté
que plusieurs contemporains
ont dit: "C'est Corneille".
C'est le cas pour l'une des premières
pièces présentées par Molière,
Le Dépit amoureux.
Le premier éditeur dit :
"C'est Corneille qui l'a écrit".
Et puis, Robiné, le principal critique
littéraire du temps,
très au courant des coulisses du théâtre,
à la création du Bourgeois gentilhomme,
dit: "Cette pièce
est de Pierre Corneille".
Mais si Molière, en son temps,
n'a pas été regardé comme un écrivain,
il faut se demander quand et comment
il l'est devenu aux yeux du public.
Qui a construit ce mythe
d'un Molière littérateur ?
Au moment où la Révolution Française
s'installe,
on a besoin d'un auteur consacré,
on a besoin de l' écrivain du peuple
et on se pose la question, lequel ?
Lequel va-t-on choisir ?
Ni La Fontaine ne présente
des aspects favorables,
Corneille a trop écrit
des histoires de rois,
Racine est un peu oublié
et reste l'auteur du Tartuffe.
Si l'on considère que l'auteur du Tartuffe
a attaqué la religion, c'est parfait.
Nous sommes en pleine Révolution Française
à bas les dévots,
et c'est ainsi que Molière,
qui n'a jamais écrit contre la religion
est devenu un auteur athée
parfait pour être ??? république,
Le prestige de Molière ne cesse
de croître avec le temps
jusqu'à atteindre des sommets
au XIXème siècle.
Ce document de 1844 est le discours
prononcé au nom de l'Académie Française
pour l'inauguration
de la fontaine de Molière,
pas très loin de la Comédie Française
et à quelques pas seulement
de la maison où Molière est mort.
Dans cet éloge sans nuances,
on peut dire que le mythe
prend le pas sur la réalité.
Je cite son auteur :
"Voilà cet homme qui, sorti
des rangs du peuple,
"s'est placé dans son art
à une telle hauteur,
"qu'il surpasse tout ce que l'antiquité
a fait de plus grand
"et que, dans l'avenir,
il condamne ses successeurs
"à l'impuissance de l'atteindre".
Ce qui est en train de se construire,
année après année,
c'est la légende Molière.
Peu à peu, la conscience collective
a donc hissé Molière au pinacle.
Cela reste-t-il vrai de nos jours.
Il est trois fois intouchable,
Molière, il faut le dire.
Il est intouchable parce c'était un paria
dans la mesure où les acteurs,
à l'époque
étaient ce qu'on appelle
des intouchables, des parias.
Deux, il était intouchable parce que
comme il était comédien du roi
personne ne pouvait l'atteindre,
et alors il est devenu intouchable
une troisième fois,
dans la mesure où sa légende
a prévalu, à mon sens, sur l'Histoire.
Donc, l'Histoire a peu de poids
devant certaines légendes.
Mais faut-il accepter qu'au nom
de la légende
une vérité historique soit niée ?
On ne peut que s'interroger
sur les motivations
de ceux qui refusent tout argument
en faveur d'une collaboration
Molière Corneille.
Tous les moliéristes ont investi
20 ans, 30 ans, 40 ans, 50 ans,
leur vie là-dedans.
Reconnaître qu'on s'est trompé
c'est psychologiquement impossible.
Ce qu'on atteint chez eux
ce n'est pas Molière,
c'est le temps qui lui ont consacré.
Pour ma part, tant qu'on
ne m'apportera pas la signature
de Corneille dans l'une ou l'autre
des œuvres de Molière
on me permettrait de m'en tenir
à la tradition,
c'est-à-dire, à attribuer à Corneille
les œuvres qui ont été
publiées sous son nom,
et à laisser à Molière celles
qui ont été publiées sous son nom.
Je n'imagine pas Corneille,
splendidement chrétien,
frère d'un prêtre,
récrivant L'Imitation de Jésus Christ,
je ne l'imagine pas écrivant Tartuffe.
Je ne l'imagine pas blasphémer
comme Dom Juan blasphème
devant le pauvre.
Mais je trouve toujours très sain
qu'il y ait des débats
je trouve ça formidable,
et on est très puritain en France
on est très inquiet à l'idée
de ne pas trop avoir des batailles
qui mettraient en cause les piliers
de notre répertoire.
Je pense qu'au contraire,
de toute façon,
mettre en scène c'est rebraser,
c'est redébattre sur les écritures.
Après, fondamentalement,
et je le dis pour l'avoir éprouvé,
dans mon corps, comme comédienne,
il y a une différence énorme
entre l'écriture de Corneille
et l'écriture de Molière.
C'est incontestable.
Le 17 février 1673, à Paris,
Molière s'effondre et meurt
au sortir d'une représentation
du Maladie imaginaire.
À l'époque c'est un homme de théâtre,
comédien et chef de troupe
que l'on enterre.
Trois siècles et demi plus tard
c'est un écrivain que l'on célèbre
et même, l'emblème
de la littérature française.
Si Molière a su créer des pièces
écrire des canevas,
les conforter en ses dons
de quelques personnes
qui l'ont aidé pour un bout de scénario,
une trame, quelques rimes et tout,
mais c'est du génie à l'état pur aussi
de faire ça.
Seulement, pourquoi le génie serait-il
individuel dans un cas
et qu'on refuserait
la notion de génie collectif ?
Et ce duo, ce ménage de deux génies
c'est ça la chose extraordinaire.
On continuera à en débattre
et c'est ce qui est amusant
puisqu'on a affaire
à deux hommes fabuleux.
Mais il ne faut pas que l'un prenne
complètement la place de l'autre.
C'est aberrant.
Pour moi, encore une fois, je dis
avec toutes les réserves qui s'imposent
en fait, Molière, en tant
que comédien protégé du roi
était le seul qui pouvait dire
ce que Corneille était le seul
à savoir dire.
L'enjeu de ce débat n'est pas
de déterminer l'étendue véritable
du génie de Jean-Baptiste Poquelin,
dit Molière.
C'est d'entrouvrir le voile
sur l'étendue insoupçonnée
d'un autre génie, celui
de Pierre Corneille.
Si nous nous posons ce soir
cette grande question
Molière a-t-il écrit ses pièces ?
c'est qu'un érudit l'a posée
bien avant nous,
au début du XXème siècle,
on était en 1919,
et cet érudit c'était Pierre Louÿs.
Nous allons tenter de savoir
quelles questions il avait posé à l'époque
et quelles réponses il avait apporté.
Nous allons le faire en compagnie
de nos habituels chroniqueurs.
- Bonsoir, Christophe Bourseiller.
- Bonsoir, Frank.
- Bonsoir, Stéphanie Coudurier.
- Bonsoir.
- Et bonsoir, Clémentine Portier-Kaltenbach.
- Bonsoir.
Je tiens tout de suite à prévenir
nos téléspectateurs
vous êtes un peu réticent
à parler du sujet,
on a l'impression que, dès que les questions
de cette affaire Corneille Molière
tout le monde prend des précautions.
Vous avez pourtant entre les mains,
Clémentine, un ouvrage
qui fait le point sur la question
en mettant l'accent sur Pierre Louÿs.
C'est un ouvrage de Jean-Paul Goujon
et Jean-Jacques Lefrère.
Jean-Jacques Lefrère c'est une sorte
d'enquêteur littéraire...
Un érudit.
Et Jean-Paul Goujon, il a écrit
des livres sur la littérature érotique,
la poésie érotique, les mystifications
littéraires au XIXème.
Alors, "Ôte-moi d'un doute...", un livre
qui est illustré par une toile du XIXème
représentant précisément Molière
qui est à côté de son ami Corneille
et qui semble l'écouter religieusement
comme si Corneille
est en train de l'expliquer
"Je vais écrire votre prochaine pièce".
Il faut dire que ces deux auteurs,
Goujon et Lefevre ont eu accès
à un fond documentaire incroyable,
ce sont les papiers de Pierre Louÿs.
Tout part de là mais, contrairement
à certains livres qui font l'appât
exclusives aux moliéristes
ou aux louÿsistes
alors, tout est de lui,
rien est de lui,
ces deux auteurs ils mènent une enquête
extrêmement scrupuleuse,
extrêmement honnête, en ne tirant pas
de conclusions hâtives
mais ils posent une question
qu'on est en droit de se poser.
Après tout, si une partie de ce qu'a dit
Pierre Louÿs était exact ?
Et notamment, vous le disiez,
faire état dans ce livre
des fameux sept articles
qui ont été publiés en 1919.
Ces articles-là, ça lui a value
des lettres anonymes,
il a été complètement, le pauvre,
épouvanté
coupé en plein vol dans son envie
de publier la somme de ses recherches
parce que c'était des milliers de pages,
des milliers de recherches
sur Corneille et Molière,
mais qui devait s'insérer
dans une œuvre plus grande.
Il faut dire, Clémentine, que Pierre Louÿs
est un très grand érudit
et qui connaît la littérature
du XVIIème siècle
probablement comme personne
ne l'avait connue avant lui,
et comme personne ne l'a connue depuis.
Il avait une connaissance intime même
des auteurs même moins connus
et lui apparaissait, à lui
comme une évidence
que le style des pièces dites de Molière
et le style de Corneille ne faisaient qu'un.
Il ne faut surtout pas faire croire
que Louÿs c'était un rigolo
donc c'était la marotte, cette histoire.
Pas du tout.
C'était un immense bibliophile,
il possédait plus de 20 000 livres chez lui.
Ses détracteurs ont voulu à la fois
le ridiculiser,
dire que, s'il était devenu obsessionnel
de cette histoire de Corneille Molière,
il se serait crispé sur ces questions-là
d'ailleurs il a attribué à Corneille
bien d'autres œuvres...
Ce que n'avait pas fait Pierre Louÿs
c'est s'interroger sur les vies respectives
de Molière et de Corneille,
de comparer leurs biographies.
Et là, c'est ce que vont faire
les auteurs plus récents.
Hippolyte Wouters il y a longtemps
maintenant, c'est en 1990,
avait écrit son fameux
"Molière ou l'auteur imaginaire ?"
qui est l'ouvrage dont tout est parti
car si nous parlons ce soir
de cette affaire,
c'est évidemment parce que
Pierre Louÿs en avait parlé en 1919
mais c'est aussi et surtout
parce que Hippolyte Wouters
en 1990, a ressorti cette vieille affaire
et l'a apportée sur la place publique.
Il faut citer aussi celui qui s'est fait
maintenant une spécialité de cette question,
qui a publié sur son site internet
on peut dire des milliers de pages,
des milliers de pages sur ce sujet.
C'est Denis Boissier.
Il faut dire c'est que Denis Boissier
a commencé dans cette affaire
par un brûlot,
il a sorti un livre
que vous avez entre les mains...
... qui s'appelle "L'affaire Molière :
la grande supercherie littéraire.
Vous avez raison, Frank.
C'est un brûlot, c'est plus qu'un brûlot
c'est un pamphlet d'une violence extrême
contre Molière.
Pour résumer les choses,
je vous cite Denis Boissier
"Molière lui-même n'a jamais rien écrit"
et encore un peu plus loin
"un soleil nous attend
qui a pour nom Pierre Corneille".
Alors tout est dit, Denis Boissier
pense, il est persuadé
que Molière n'a pas écrit une ligne
que Molière est un usurpateur
il dit que Molière était fils de tapissier
et "qui s'est comporté toute sa vie
en commerçant
"désireux de plaire à la clientèle"
et que Molière, en réalité,
"se désintéressait complètement
"de son œuvre, c'est normal,
il ne l'a pas écrite",
et il définit Molière
comme un "bouffon du roi"
et principalement "l'orateur
bateleur de sa troupe de théâtre".
Ce qu'il faut dire c'est que dit comme ça,
évidemment, ce genre de phrases
ne plaide pas en faveur du pamphlet.
Mais il y a quand même derrière
un travail de recherche colossal,
c'est des années de recherches
dans toutes les archives
possibles et imaginables.
Vous savez, ce qui est intéressant
dans le travail de Denis Boissier
c'est qu'il démontre une chose
dont on pouvait se douter,
c'est que Molière était effectivement
un patron de troupe de théâtre,
l'animateur d'une troupe de théâtre
et c'est quelqu'un qui avait
une sorte d'atelier d'écriture en réalité
et Molière c'est quelqu'un
qui existait dans l'ancien régime,
un système qui a disparu aujourd'hui
en droits d'auteur
ça s'appelle le privilège,
c'est-à-dire que, si vous vouliez,
vous pouviez demander,
par exemple, à Corneille
il vous écrivait une pièce de théâtre
et puis il vous signe un contrat,
le privilège.
À partir de là, la pièce vous appartenait,
vous pouviez la signer.
Le système de droits d'auteur,
ça n'existait pas.
Ce que raconte Denis Boissier
c'est que Molière
qui n'avait, selon lui,
aucune envie d'écrire,
aucun talent pour l'écriture,
mais qui, par contre, était un bouffon,
en tout cas un homme du théâtre,
un Jean Villard,
un directeur de troupe.
On dit qu'il a fait appel à Corneille.
Alors là, ce que dit Denis Boissier
sur Corneille
est particulièrement délicat.
Il dit, "C'était un amateur de Lolita.
Donc, Corneille, tout ce qui l'intéressait
c'étaient les petites jeunes filles
et, semble-t-il, Molière avait compris
ce trait de Corneille
et Corneille avait un besoin éperdu
d'argent
pour entretenir ces petites aventures...
Pour ce qui est de Lolitas,
il suffit de lire
ses stances à marquise.
Je pense qu'il écrivait, qu'il parlait
beaucoup plus qu'il ne le faisait.
Il dit une chosequi est très intéressant
et qui est assez amusante,
une anecdote assez curieuse.
Il dit, "Savez-vous d'où vient
le nom de Molière ?
Ça vient d'un verbe, moliérer.
Moliérer ça veut dire légitimer.
Et en fait, Jean-Baptiste Poquelin,
il ne s'appelait Molière.
C'était le désir qu'il avait
d'être légitimé
et Corneille, par son talent,
a légitimé Molière.
Il faut dire ce qui est passionnant
dans cette affaire,
c'est qu'on est toujours étonné
de l'inventivité des comédies de Molière.
Et ça, ça n'est pas Corneille,
objectivement.
Ce qui est cornélien c'est le style,
c'est le vers.
Mais la situation, le scénario,
on dirait qu'il vient d'ailleurs.
et s'il avait eu collaboration...
C'est la raison pour laquelle
— je suis tout à fait d'accord avec vous —
je pense que le livre de Denis Boissier
est très drôle
on peut le recommander à ceux
qui veulent une prise d'opposition
néanmoins que beaucoup d'artistes
de cette époque-là
travaillaient sous la forme d'ateliers
d'écriture
tout comme les peintres
avaient des ateliers de peinture,
tout comme des musiciens
avaient des ateliers
où d'autres compositeurs intervenaient
et c'était de la collaboration collective.
C'est Pierre Louÿs lui-même
qui s'amusait dans les comédies de Molière
dans les premiers articles,
lorsqu'il n'était pas encore
victime d'attaques si durs
qu'il a été obligé de se défendre
et s'amusait à distinguer
les parties de pièces
qui étaient directement de Corneille
et celles qui avaient été
en quelque sorte incluses.
Alors on dispose de moyens
pour ses études stylistiques
que ne connaissait évidemment pas
Pierre Louÿs,
ce sont aujourd'hui
les instruments informatiques
on possède ce qu'on appelle des logiciels
de comparaison intertextuels.
Alors, ça a l'air très compliquée,
Stéphanie,
vous allez dire que c'est très facile.
Je vais dire comme Michel Chevalet,
comment ça marche ?
Alors, ce qu'on peut découvrir
dans le documentaire,
puisque cette technique est abordée,
c'est que deux ouvrages
de Dominique Labbé
"Corneille dans l'ombre de Molière"
aux Impressions Nouvelles
et ainsi qu'un ouvrage
qui vient de sortir...
"Si deux et deux sont quatre"
comme dans Dom Juan...
"Molière n'a pas écrit Dom Juan",
également un livre de Dominique Labbé.
Quelle est la technique
de Dominique Labbé ?
C'est de faire appel à des statistiques
et à des logiciels informatiques
pour comparer des textes.
Et ressort de ces comparaisons
une distance intertextuelle...
L'éloignement possible entre deux textes.
C'est-à-dire, leur ressemblance
ou leurs différences
et il y a un indice
qui ressort de ce résultat
qui est compris entre 0 et 1,
et plus l'on s'approche de 0
plus on est sûr qu'il s'agît
du même auteur, de la même main,
plus l'on s'approche de 1, évidemment,
ça ce n'est pas le cas.
Est-ce que ça s'est fait
en double aveugle ?
On l'a fait sur des textes anonymes.
Oui, Dominique Labbé qui est spécialiste
de l'analyse du discours,
il a commencé à travailler
sur des discours politiques
notamment ceux de François Miterrand.
Et puis c'est après qu'il s'est intéressé
à un certain moment,
à Corneille et à Molière.
Et il a donc comparé des textes
de Corneille et de Molière,
34 pièces de Corneille
et 32 pièces de Molière,
donc de manière complètement
dépassionnée
puisqu'il s'agit de méthodes informatiques
et il ressortirait le fait que ces textes
ont une ressemblance si forte
qu'on est autour d'un indice très proche
de la certitude de la même main.
Quand vous dites très proche,
je crois que, d'après l'étude informatique,
on est à 99,97 %.
C'est très, très proche.
Ça dépend des textes, mais on est
soit dans la certitude total
soit dans la quasi-certitude,
selon les calculs de Dominique Labbé
et de son équipe.
Et que répond les moliéristes
à l'argument, à la démonstration... ?
En général, la réaction est plutôt
une hostilité...
Dominique Labbé a eu beaucoup de mal...
Dominique Labbé a été mis en congé
du CNR, il faut le dire,
il a été réhabilité plus tard
et cette réhabilitation
est une bonne chose
mais ça montre à quel degré de violence
peuvent aller les règlements de comptes
dans certains milieux, quand même.
C'est très courageux ce qu'il a fait.
C'est très courageux, c'est un travail
de 20 années de travail
où il a tout investi,
ça y est vraiment une quête
de cet homme pour essayer
de résoudre ce fameux mystère
entre Corneille et Molière.
Il faut dire deux choses
à propos de Dominique Labbé.
D'une part c'est que ses travaux
se sont trouvé consolidés
par les résultats d'une toute autre étude
menée au département de linguistique
de l'Université de Saint-Pétersbourg
qui a aboutit à la même conclusion
c'est-à-dire que 16 des pièces
de Molière seraient de Corneille
nous disent les russes,
et puis il vient de publier là
très récemment
dans ce nouveau livre
que vous avez cité tout à l'heure,
qui est une synthèse générale
de la question
où il ne s'intéresse plus seulement
question...
mais revient à la biographie.
D'autres documents qui tentent
à prouver
que les charges qui sont occupés
par Molière
dans les documents que l'on retrouve
ne sont jamais celles d'auteur
c'est-à-dire que Molière apparaît
tantôt comme metteur-en-scène
tantôt comme un comédien
tantôt même comme un tapissier,
puisque c'était la charge
que son père le fait hériter
mais jamais comme auteur.
Il n'a jamais été candidat
à l'Académie Française, etc.
Donc, dans cet ouvrage
il y a des documents supplémentaires
pour revenir sur cette question
et c'est le résultat final
et quasiment identique
à cette nouvelle étude
puisque Dominique Labbé nous dit
que, selon ses calculs,
entre 15 et 18 pièces de Molière,
sur une durée à peu près de 15 ans,
auraient été écrites par Corneille.
Alors, Clémentine, la question
que se posent
Jean-Jacques Lefevre
et Jean-Paul Goujon
c'est si Corneille a écrit
tous ces chefs-d’œuvre de comédie
sous le nom de Molière,
pourquoi ne les a-t-il pas signé,
ils apportent une réponse,
ils nous disent
que, à l'époque, on signe les tragédies,
pas les comédies.
Oui, c'est une pratique assez courante
Moi je trouve que, finalement,
à la lumière de ce film
et de ces lectures, on se dit après tout
ce sont quand même deux très grands.
L'un à tout le moins très grand comédien,
très grand chef de troupe,
et l'autre très grand auteur
et, après tout l'idée qu'ils ont pu
collaborer...
Bien sûr, ils ont été géniaux,
chacun dans un domaine différent
et leur collaboration a créé
cette étincelle de génie
d'un homme du théâtre,
d'un homme d'écriture.
Ils se sont peut-être complétés.
N'oublions pas d'ailleurs que Corneille
dans son Ode à la Comédie
va dire qu'il a toujours préféré
écrire des comédies
et qu'il est contraint d'écrire
des tragédies depuis le succès du Cid.
Parce que le Cid ayant été
cet espèce de succès
sans équivalent dans l'histoire
du théâtre français
évidemment il est désormais condamné,
il est prisonnier du genre majeur.
et il aime bien le genre mineur
ce que dit d'ailleurs remarquablement
André Le Gall
dans sa biographie de Corneille.
Il y a bien d'autres biographies
de Corneille
mais celle-là est particulièrement
juste, je crois,
c'est dans Les Grands Biographies
Flammarion
alors évidemment André Le Gall
ne va pas jusqu'à se prononcer
sur la question de l'appartenance
à Corneille
d'un certain nombre de textes
signés Molière.
Il y a un qui ne veux même pas
en entendre parler,
c'est mon ami Christophe Maury
qui, dans sa dernière biographie,
"Marquise ou la vie sensuelle
d'une comédienne
"de Molière à Racine, itinéraire
d'une séductrice "
nous montre très bien cette vie
du théâtre de l'époque,
mais conclut d'une façon
que je trouve peut-être un peu ironique
conclut que Corneille n'a pas pu
écrire les pièces de Molière.
Rappelez vos ouvrages respectifs,
s'il vous plaît.
Jean-Paul Goujon, Jean-Jacques Lefrère,
"Ôte-moi d'un doute..."
L'énigme Corneille-Molière
chez Fayard.
Denis Boissier, "L'affaire Molière,
la grand supercherie littéraire",
c'est sorti chez Jean-Cyrille Godefroy,
en 2004.
Deux ouvrages de Dominique Labbé
"Corneille dans l'ombre de Molière"
qui retrace les calculs informatiques
qui ont été utilisés par
Dominique Labbé
et l'ouvrage le plus récent
"Si deux et deux sont quatre,
Molière n'a pas écrit Dom Juan"
Et puis, encore une fois, l'ouvrage
par lequel tout est revenu
et grâce auquel nous parlons
du sujet ce soir,
d'Hippolyte Wouters,
avec Christine de Ville de Goyet
"Molière ou l'auteur imaginaire ?"
avec un point d'interrogation,
aux Éditions Complexe,
un ouvrage qui, à l'époque,
valut à son auteur
qui est belge — et ce n'est pas
un hasard s'il est belge,
car je crois que pour un français
serait plus difficile —
un ouvrage qui lui a valu
énormément de difficultés,
de critiques et de levée de boucliers.
J'espère que, à défaut
de tous vous convaincre
nous vous avons intéressé ce soir
cette émission a été comme d'habitude
préparée avec Europa.
Je vous donne rendez-vous très bientôt
pour ouvrir un nouveau dossier
une nouvelle énigme.