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Le pouvoir guérisseur de la lecture

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    Je veux parler aujourd'hui de la façon
    dont la lecture peut changer nos vies,
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    et des limites de ce changement.
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    Je veux vous raconter comment la lecture
    peut nous donner un monde en partage
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    fait de connexions humaines puissantes.
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    Mais aussi, comment ces connexions
    restent toujours partielles.
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    Et pourquoi la lecture est finalement
    une aventure idiosyncratique et solitaire.
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    L'écrivain qui a changé ma vie
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    fut le grand romancier
    afro-américain James Baldwin.
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    Quand j'étais enfant dans les années 80
    dans l'ouest du Michigan,
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    peu d'écrivains américains
    d'origine asiatique
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    s'intéressaient au thème
    de la transformation sociale.
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    Aussi, je pense m'être tournée
    vers James Baldwin
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    comme pour essayer de combler ce vide,
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    pour éprouver ma conscience raciale.
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    Mais peut-être parce que je savais
    que je n'étais pas afro-américaine,
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    je me suis aussi sentie bousculée
    et accusée par ses textes.
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    Particulièrement par ces mots :
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    « Certains libéraux adoptent
    tous les bons comportements,
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    mais sans avoir de vraies convictions.
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    Quand la situation se corse
    et qu'on veut s'appuyer sur eux,
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    ils sont pour ainsi dire absents. »
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    Ils sont pour ainsi dire absents.
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    J'ai pris ces mots très littéralement.
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    Où devais-je me faire présente ?
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    Je suis allée
    dans le delta du Mississippi,
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    une des régions des États-Unis
    les plus pauvres.
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    L'endroit a été façonné
    par une histoire forte.
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    Dans les années 60,
    les Afro-Américains y ont risqué leur vie
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    en luttant pour leur droit à l'éducation,
    pour leur droit de vote.
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    Je voulais faire partie de ce changement,
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    aider les jeunes adolescents à obtenir
    leur bac et aller à l'université.
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    Quand je suis arrivée là-bas,
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    c'était un endroit encore pauvre,
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    encore ségrégué,
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    encore dans l'attente désespérée
    d'un changement.
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    Mon école, celle où j'ai été affectée,
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    n'avait pas de bibliothèque,
    pas de conseiller d'orientation,
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    mais elle avait un officier de police.
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    La moitié des professeurs
    étaient des remplaçants,
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    et, quand les élèves se bagarraient,
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    l'école avait pour habitude de les envoyer
    à la prison du comté.
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    C'est l'école où j'ai rencontré Patrick.
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    Âgé de 15 ans, ayant redoublé deux fois,
    il était en classe de 4e.
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    Il était silencieux, introspectif,
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    comme s'il était toujours plongé
    dans ses pensées.
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    Et il détestait voir les autres se battre.
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    Je l'ai vu une fois s'interposer
    entre deux filles qui se battaient,
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    et il s'est fait mettre à terre
    à coups de poing.
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    Patrick n'avait qu'un seul problème :
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    il ne venait pas souvent en cours.
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    Il disait que l'école
    était parfois trop déprimante
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    parce qu'il y avait toujours des bagarres
    et que les enseignants démissionnaient.
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    De plus, sa mère cumulait deux emplois
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    et était bien trop fatiguée
    pour le forcer à venir.
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    Alors, j'en ai fait mon boulot
    de le faire venir à l'école.
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    Parce que j'étais folle, âgée de 22 ans
    et d'un optimisme forcené,
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    j'avais pour stratégie
    simplement d'aller chez lui
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    en disant : « Hé, pourquoi
    tu ne viens pas en cours ? »
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    Et ma stratégie a plutôt marché,
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    il s'est mis à venir
    tous les jours à l'école.
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    Et il a commencé à s'épanouir
    dans ma classe.
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    Il écrivait de la poésie,
    il lisait des livres.
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    Il venait à l'école tous les jours.
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    C'est à peu près dans cette période
  • 3:33 - 3:35
    alors que j'avais trouvé
    comment me connecter à Patrick,
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    que je suis entrée
    en fac de droit à Harvard.
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    Et la question a refait surface :
    où devais-je me faire présente,
  • 3:43 - 3:45
    où devais-je poser mon corps ?
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    Et je me suis dit
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    que le delta du Mississippi était un
    endroit où les gens qui ont de l'argent,
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    les gens qui en ont l'occasion,
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    ces gens-là partent.
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    Et les gens qui restent,
  • 3:57 - 4:00
    ce sont les gens à qui
    il a été impossible de partir.
  • 4:01 - 4:03
    Je ne voulais pas être
    de ceux qui s'en vont.
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    Je voulais être de ceux qui restent.
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    Mais d'un autre côté,
    j'étais seule et fatiguée.
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    C'est ainsi que j'en vins à me persuader
    que je changerais davantage les choses,
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    à plus grande échelle,
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    si j'étais diplômée
    d'une fac de droit prestigieuse.
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    Et donc, je suis partie.
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    Trois ans plus tard,
  • 4:24 - 4:27
    alors que j'allais être diplômée,
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    une amie m'a appelée
  • 4:29 - 4:34
    et m'a dit que Patrick s'était battu
    et avait tué quelqu'un.
  • 4:35 - 4:37
    J'étais effondrée.
  • 4:37 - 4:40
    Une partie de moi refusait de le croire,
  • 4:40 - 4:43
    mais une partie de moi aussi
    savait que c'était vrai.
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    J'ai pris l'avion pour aller le voir.
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    Je lui ai rendu visite en prison.
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    Et il m'a dit que c'était vrai,
  • 4:54 - 4:57
    qu'il avait tué quelqu'un
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    et qu'il ne voulait plus en parler.
  • 5:00 - 5:02
    Je l'ai interrogé sur sa scolarité
  • 5:02 - 5:06
    et il a dit qu'il avait abandonné
    l'année qui avait suivi mon départ.
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    Et puis il a voulu me dire autre chose.
  • 5:09 - 5:12
    Il a baissé les yeux et a dit
    qu'il avait eu une petite fille
  • 5:12 - 5:14
    qui venait à peine de naître.
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    Et il avait l'impression
    de l'avoir laissée tomber.
  • 5:19 - 5:22
    C'était tout, une conversation précipitée,
    maladroite, entre nous.
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    Quand je suis sortie de la prison,
    une voix en moi a murmuré :
  • 5:28 - 5:30
    « Reviens.
  • 5:30 - 5:33
    Si tu ne reviens pas maintenant,
    tu ne reviendras jamais. »
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    J'ai donc obtenu mon diplôme de droit
    et je suis rentrée.
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    Je suis rentrée pour voir Patrick,
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    je suis rentrée pour voir
    si je pouvais l'aider juridiquement.
  • 5:47 - 5:50
    Et cette fois, quand je l'ai vu
    pour la seconde fois,
  • 5:50 - 5:53
    je pensais avoir
    une bonne idée, et j'ai dit :
  • 5:53 - 5:56
    « Dis, Patrick, pourquoi ne pas
    écrire une lettre à ta fille,
  • 5:56 - 6:00
    afin que tu puisses
    la garder à l'esprit ? »
  • 6:00 - 6:03
    Et je lui ai tendu un stylo
    et un morceau de papier,
  • 6:04 - 6:05
    et il a commencé à écrire.
  • 6:07 - 6:09
    Mais quand j'ai vu le papier
    qu'il m'a rendu,
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    j'étais choquée.
  • 6:13 - 6:15
    Je n'ai pas reconnu son écriture,
  • 6:15 - 6:18
    il avait fait des fautes
    d'orthographe basiques.
  • 6:19 - 6:22
    Et je me suis dit
    qu'en tant qu'enseignante,
  • 6:22 - 6:25
    je savais qu'un étudiant pouvait
    s'améliorer de façon spectaculaire
  • 6:25 - 6:28
    très rapidement,
  • 6:28 - 6:32
    mais je n'avais jamais imaginé
    qu'un étudiant pût fortement régresser.
  • 6:34 - 6:36
    Ce qui m'a fait encore plus de peine,
  • 6:36 - 6:39
    a été de découvrir
    ce qu'il avait écrit à sa fille.
  • 6:40 - 6:41
    Il avait écrit :
  • 6:41 - 6:45
    « Je te demande pardon pour mes erreurs,
    et pardon de ne pas être là pour toi. »
  • 6:46 - 6:49
    Et c’est tout ce qu’il pensait
    devoir lui dire.
  • 6:50 - 6:54
    Et je me suis demandé comment
    le convaincre qu'il avait plus à dire,
  • 6:55 - 6:58
    des bouts de lui-même pour lesquels
    il n'avait pas à s'excuser.
  • 6:59 - 7:00
    Je voulais qu'il sente
  • 7:00 - 7:04
    qu'il avait quelque chose de valable
    à partager avec sa fille.
  • 7:06 - 7:09
    Chaque jour des sept mois suivants,
  • 7:09 - 7:12
    je lui ai rendu visite
    et lui ai apporté des livres.
  • 7:12 - 7:15
    Mon sac est devenu
    une petite bibliothèque.
  • 7:16 - 7:18
    J'ai apporté James Baldwin,
  • 7:18 - 7:22
    j'ai apporté Walt Whitman, C.S. Lewis.
  • 7:23 - 7:27
    J'ai apporté des guides
    sur les arbres, sur les oiseaux,
  • 7:28 - 7:31
    et ce qui allait devenir
    son livre préféré, le dictionnaire.
  • 7:32 - 7:33
    Certains jours,
  • 7:33 - 7:38
    nous restions assis pendant des heures
    en silence à lire tous deux.
  • 7:38 - 7:40
    Et les autres jours,
  • 7:40 - 7:43
    nous lisions ensemble,
    nous lisions de la poésie.
  • 7:43 - 7:47
    Nous avons commencé par lire des haïkus,
    des centaines de haïkus,
  • 7:47 - 7:50
    un chef-d'œuvre trompeusement simple.
  • 7:50 - 7:53
    Et je lui demandais :
    « Dis-moi tes haïkus préférés. »
  • 7:53 - 7:56
    Et certains d'entre eux sont assez drôles.
  • 7:56 - 7:58
    Par exemple celui-ci, d'Issa :
  • 7:58 - 8:02
    « Pas de panique, les araignées,
    je fais le ménage en dilettante. »
  • 8:03 - 8:07
    Et ceci : « Demi-journée passée en sieste,
    personne ne m'a puni ! »
  • 8:09 - 8:13
    Et celui-là, magnifique,
    sur le premier jour de neige :
  • 8:13 - 8:18
    « Cerfs se léchant l'un l'autre la livrée
    recouverte de premier givre. »
  • 8:19 - 8:22
    Il y a quelque chose
    de mystérieux et magnifique
  • 8:22 - 8:25
    rien que dans l'apparence d'un poème.
  • 8:25 - 8:30
    L'espace vide importe autant
    que les mots eux-mêmes.
  • 8:31 - 8:34
    Nous avons lu ce poème de W.S. Merwin,
  • 8:34 - 8:38
    qu'il a écrit après avoir vu
    sa femme travailler dans le jardin
  • 8:38 - 8:42
    et réalisé qu'ils passeraient
    le reste de leur vie ensemble.
  • 8:43 - 8:45
    « Laisse-moi imaginer que nous reviendrons
  • 8:45 - 8:49
    quand nous voudrons
    et ce sera le printemps.
  • 8:49 - 8:52
    Nous ne serons pas plus vieux
    que nous ne l'avons jamais été.
  • 8:52 - 8:56
    Les chagrins anciens se dissiperont
    comme la brume aurorale
  • 8:56 - 9:00
    à travers laquelle le matin
    émerge à lui-même. »
  • 9:00 - 9:03
    J'ai demandé à Patrick
    son vers préféré, il a répondu :
  • 9:03 - 9:07
    « Nous ne serons pas plus vieux
    que nous ne l'avons jamais été. »
  • 9:08 - 9:13
    Il a dit que ça lui évoquait
    un endroit où le temps s'arrêtait,
  • 9:13 - 9:16
    où il n'avait plus d'importance.
  • 9:16 - 9:18
    Et je lui ai demandé
    s'il avait un tel lieu,
  • 9:18 - 9:20
    où le temps dure pour toujours.
  • 9:20 - 9:22
    Et il a dit : « Ma mère. »
  • 9:24 - 9:28
    Lorsque vous lisez un poème
    à côté de quelqu'un d'autre,
  • 9:28 - 9:30
    le poème change de sens.
  • 9:31 - 9:36
    Parce que ça devient personnel pour elle,
    ça devient personnel pour soi.
  • 9:38 - 9:40
    Nous avons ensuite lu des livres,
    nous en avons lu tant !
  • 9:40 - 9:43
    Nous avons lu les mémoires
    de Frederick Douglass,
  • 9:43 - 9:47
    un esclave américain ayant appris
    à lire et à écrire par lui-même
  • 9:47 - 9:51
    et qui avait gagné sa liberté
    grâce à son alphabétisation.
  • 9:52 - 9:54
    J'avais grandi en voyant
    en Frederick Douglass un héros
  • 9:54 - 9:58
    et je voyais dans ce récit
    une histoire d'élévation et d'espoir.
  • 9:59 - 10:02
    Mais ce livre a mis Patrick
    dans une sorte d'état panique.
  • 10:03 - 10:06
    Il s'est arrêté sur une histoire
    racontée par Douglass :
  • 10:06 - 10:11
    comment, à Noël, les maîtres
    donnaient du gin aux esclaves
  • 10:11 - 10:14
    comme un moyen de leur prouver
    qu'ils ne savaient pas gérer la liberté.
  • 10:15 - 10:18
    Parce que les esclaves
    titubaient ensuite dans les champs.
  • 10:20 - 10:22
    Patrick a dit que ça lui parlait.
  • 10:22 - 10:26
    Il a dit qu'il y avait des gens en prison
    qui, comme les esclaves,
  • 10:26 - 10:28
    ne voulaient pas penser à leur état,
  • 10:28 - 10:30
    parce que c'était trop douloureux,
  • 10:30 - 10:32
    trop douloureux de penser au passé,
  • 10:32 - 10:36
    trop douloureux de penser
    à tout le chemin encore à parcourir.
  • 10:37 - 10:39
    Sa citation préférée était celle-ci :
  • 10:40 - 10:43
    « N'importe quoi, qu'importe,
    pourvu que j'arrête de penser !
  • 10:43 - 10:49
    C’est cette réflexion sempiternelle
    sur ma condition qui était mon tourment. »
  • 10:50 - 10:54
    Patrick a dit que Douglass était courageux
    d'écrire et de poursuivre ses réflexions.
  • 10:55 - 11:00
    Mais Patrick ne savait pas à quel point
    il ressemblait pour moi à Douglass,
  • 11:01 - 11:05
    par cette façon de continuer à lire,
    même si ça le mettait en panique.
  • 11:05 - 11:08
    Il a fini le livre avant moi,
  • 11:08 - 11:12
    le lisant dans un escalier de béton
    dépourvu de lumière.
  • 11:14 - 11:16
    Et puis nous avons lu
    un de mes livres préférés,
  • 11:16 - 11:18
    « Gilead » de Marilynne Robinson,
  • 11:18 - 11:22
    qui est une longue lettre
    d'un père à son fils.
  • 11:23 - 11:25
    Il en a aimé cette ligne :
  • 11:25 - 11:27
    « J'écris ceci en partie pour te dire
  • 11:27 - 11:30
    que si tu te demandes
    ce que tu as accompli dans ta vie...
  • 11:31 - 11:33
    tu as été la grâce que Dieu m'a accordée,
  • 11:33 - 11:36
    un miracle,
    et plus encore qu'un miracle. »
  • 11:37 - 11:43
    Quelque chose dans cette langue,
    cet amour, cette langueur, cette voix,
  • 11:43 - 11:46
    a réanimé en Patrick le désir d'écrire.
  • 11:46 - 11:49
    Et il se mit à remplir cahier sur cahier
  • 11:49 - 11:52
    avec des lettres à sa fille.
  • 11:53 - 11:55
    Dans ces lettres belles, complexes,
  • 11:56 - 12:01
    il s'imaginait avec sa fille en train
    de faire du canoë sur le Mississippi.
  • 12:02 - 12:04
    Il les imaginait trouver
    un ruisseau de montagne
  • 12:05 - 12:07
    avec une eau parfaitement claire.
  • 12:08 - 12:10
    En regardant Patrick écrire,
  • 12:11 - 12:13
    je me suis dit,
  • 12:13 - 12:15
    et je vous le demande maintenant à tous,
  • 12:16 - 12:18
    combien d'entre vous
    ont déjà écrit une lettre
  • 12:18 - 12:22
    à quelqu'un que vous pensez
    avoir laissé tomber ?
  • 12:22 - 12:27
    Il est tellement plus facile de sortir
    ces personnes de son esprit.
  • 12:28 - 12:32
    Mais Patrick est revenu
    chaque jour, face à sa fille,
  • 12:33 - 12:35
    soucieux de lui rendre des comptes,
  • 12:36 - 12:40
    un mot après un l'autre,
    avec une concentration intense.
  • 12:42 - 12:45
    Je voulais, dans ma propre vie,
  • 12:46 - 12:49
    me mettre en danger de cette façon.
  • 12:49 - 12:53
    Parce que le danger révèle
    la force des cœurs.
  • 12:57 - 13:00
    Permettez-moi de prendre du recul
    et de poser une question inconfortable.
  • 13:01 - 13:05
    Qui suis-je pour raconter cette histoire,
    comme dans cette histoire de Patrick ?
  • 13:06 - 13:09
    Patrick est celui qui a vécu
    avec cette douleur
  • 13:09 - 13:14
    et je n'ai jamais eu faim
    un seul jour de ma vie.
  • 13:15 - 13:17
    J'y ai beaucoup réfléchi,
  • 13:17 - 13:21
    mais mon message, c'est que cette histoire
    ne parle pas que de Patrick.
  • 13:21 - 13:22
    Elle parle de nous,
  • 13:22 - 13:25
    de l'inégalité entre nous.
  • 13:26 - 13:27
    Le monde de l'abondance
  • 13:28 - 13:32
    dont Patrick, ses parents
    et ses grands-parents
  • 13:32 - 13:34
    ont été exclus.
  • 13:34 - 13:37
    Dans cette histoire, je représente
    ce monde d'abondance.
  • 13:38 - 13:41
    Et en racontant cette histoire,
    je ne voulais pas me cacher.
  • 13:42 - 13:44
    Cacher le pouvoir que j'ai.
  • 13:45 - 13:49
    En racontant cette histoire,
    je voulais dévoiler ce pouvoir
  • 13:49 - 13:51
    pour ensuite demander :
  • 13:51 - 13:54
    comment réduire la distance entre nous ?
  • 13:56 - 14:00
    La lecture est un moyen
    de réduire cette distance.
  • 14:00 - 14:04
    Elle nous offre un univers tranquille
    que nous pouvons partager ensemble,
  • 14:04 - 14:07
    que nous pouvons partager
    de manière égale.
  • 14:08 - 14:12
    Vous vous demandez sans doute
    à présent ce qu'est devenu Patrick.
  • 14:12 - 14:14
    La lecture lui a-t-elle sauvé la vie ?
  • 14:15 - 14:17
    Oui et non.
  • 14:18 - 14:20
    Quand Patrick est sorti de prison,
  • 14:21 - 14:23
    son parcours a été atroce.
  • 14:24 - 14:27
    Les employeurs l'ont refoulé
    à cause de son casier judiciaire.
  • 14:28 - 14:31
    Sa meilleure amie, sa mère,
    est décédée à 43 ans
  • 14:31 - 14:33
    de maladie cardiaque et de diabète.
  • 14:33 - 14:36
    Il est devenu sans-abri, a connu la faim.
  • 14:38 - 14:43
    Bref, les gens disent bien des choses
    sur la lecture qui me semblent exagérées.
  • 14:44 - 14:48
    Savoir lire et écrire ne l'a pas empêché
    d'être victime de discrimination.
  • 14:48 - 14:50
    Cela n'a pas empêché sa mère de mourir.
  • 14:52 - 14:54
    Alors, que peut faire la lecture ?
  • 14:55 - 14:59
    J'aimerais finir aujourd'hui
    avec quelques réponses.
  • 15:01 - 15:03
    La lecture a rempli sa vie intérieure
  • 15:05 - 15:08
    de mystère, d'imagination,
  • 15:08 - 15:09
    de beauté.
  • 15:10 - 15:15
    La lecture lui a donné des images
    qui lui ont donné de la joie :
  • 15:15 - 15:21
    montagne, océan, cerf, givre.
  • 15:21 - 15:25
    Des mots qui ont un goût
    de monde libre et naturel.
  • 15:28 - 15:31
    La lecture lui a donné une langue
    pour ce qu'il avait perdu.
  • 15:31 - 15:36
    Combien sont précieux
    ces vers du poète Derek Walcott,
  • 15:36 - 15:38
    Patrick a mémorisé ce poème :
  • 15:38 - 15:40
    « Les jours que j'ai tenus,
  • 15:40 - 15:42
    les jours que j'ai perdus,
  • 15:42 - 15:45
    les jours qui croissent, tels mes filles,
  • 15:46 - 15:48
    depuis le havre de mes bras. »
  • 15:49 - 15:51
    La lecture lui a appris
    son propre courage.
  • 15:52 - 15:55
    Rappelez-vous qu'il a continué
    à lire Frederick Douglass,
  • 15:55 - 15:57
    alors même que c'était douloureux.
  • 15:57 - 16:01
    Il continuait à être conscient,
    alors même qu'être conscient faisait mal.
  • 16:02 - 16:05
    La lecture est une forme de pensée,
  • 16:05 - 16:08
    c'est pourquoi lire est difficile
    car il faut réfléchir.
  • 16:09 - 16:14
    Et Patrick a choisi de penser
    plutôt que de ne pas penser.
  • 16:16 - 16:20
    Enfin, la lecture lui a donné une langue
    pour parler à sa fille.
  • 16:21 - 16:24
    La lecture lui a donné l'envie d'écrire.
  • 16:25 - 16:28
    Le lien entre lire et écrire
    est si puissant !
  • 16:29 - 16:31
    Quand on commence à lire,
  • 16:31 - 16:33
    on commence à trouver les mots.
  • 16:34 - 16:38
    Et il a trouvé les mots
    pour leur inventer une vie à deux.
  • 16:39 - 16:40
    Il a trouvé les mots
  • 16:42 - 16:44
    pour lui dire combien il l'aimait.
  • 16:46 - 16:49
    La lecture a également changé
    la relation entre nous.
  • 16:50 - 16:52
    Elle nous a permis un peu d'intimité,
  • 16:52 - 16:54
    et d'élargir nos points de vue.
  • 16:55 - 16:58
    Et la lecture a transformé
    une relation inégale
  • 16:58 - 17:01
    en une égalité momentanée.
  • 17:02 - 17:05
    Quand vous rencontrez quelqu'un
    en tant que lecteur,
  • 17:05 - 17:07
    vous le rencontrez pour la première fois,
  • 17:07 - 17:09
    de manière fraîche, de manière neuve.
  • 17:10 - 17:13
    Vous ne pouvez pas savoir
    quelle sera son vers préféré,
  • 17:14 - 17:18
    quels sont ses souvenirs
    et ses chagrins personnels.
  • 17:19 - 17:23
    Vous voici devant l'enclos secret ultime
    de sa vie intérieure.
  • 17:24 - 17:27
    Et alors vous vous demandez :
    « Ma vie intérieure est faite comment ?
  • 17:27 - 17:31
    Qu'ai-je qui vaille d'être partagé
    avec quelqu'un d'autre ? »
  • 17:33 - 17:34
    Je veux conclure
  • 17:36 - 17:40
    sur quelques-uns de mes passages préférés
    dans les lettres de Patrick à sa fille.
  • 17:41 - 17:44
    « La rivière est ombreuse
    en certains endroits
  • 17:44 - 17:47
    mais la lumière transperce
    à travers les branchages...
  • 17:47 - 17:51
    Certaines branches sont lourdes de mûres.
  • 17:51 - 17:54
    Tends simplement le bras
    et tu pourras en cueillir. »
  • 17:56 - 17:58
    Et cette belle lettre,
    dans laquelle il écrit :
  • 17:58 - 18:02
    « Ferme les yeux
    et écoute les sons des mots.
  • 18:03 - 18:05
    Je connais ce poème par cœur
  • 18:05 - 18:08
    et je voudrais que toi aussi,
    tu le connaisses. »
  • 18:09 - 18:11
    Un grand merci à vous tous.
  • 18:11 - 18:15
    (Applaudissements)
Title:
Le pouvoir guérisseur de la lecture
Speaker:
Michelle Kuo
Description:

Lire et écrire peuvent constituer des actes de bravoure qui nous rapprochent des autres et de nous-mêmes. L'auteure Michelle Kuo raconte comment, en inculquant à ses élèves de la région du delta du Mississippi la compétence de la lecture, elle a dévoilé le pouvoir de l'écriture à créer des passerelles, - mais aussi les limites de ce pouvoir.

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English
Team:
closed TED
Project:
TEDTalks
Duration:
18:27
eric vautier approved French subtitles for The healing power of reading
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eric vautier edited French subtitles for The healing power of reading
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Karine Gantin edited French subtitles for The healing power of reading
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