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Une ode à la jalousie

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    Quand j'avais huit ans,
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    une nouvelle fille a rejoint la classe,
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    et elle était très impressionnante,
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    comme le sont toujours les nouvelles filles.
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    Elle avait une épaisse chevelure
    très brillante,
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    une mignonne petite trousse,
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    elle était incollable sur les capitales,
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    et super forte en dictée.
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    Je me suis décomposée de jalousie
    durant toute cette année là,
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    jusqu'à ce que j'élabore
    mon plan sournois.
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    Un jour, je suis restée un peu tard
    après l'école,
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    un peu trop tard,
    et je me suis tapie dans les toilettes des filles.
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    Quand la voie a été libre,
    je suis sortie,
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    je me suis introduite dans la classe,
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    et j'ai pris le cahier de notes
    sur le bureau de ma maîtresse.
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    Et puis je l'ai fait.
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    J'ai bidouillé les notes de ma rivale,
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    juste un peu,
    seulement rétrogradé quelques uns de ces A.
  • 0:55 - 0:58
    La totalité de ces A.
    (Rires)
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    Et je me préparais à remettre le cahier
    dans son tiroir,
  • 1:02 - 1:05
    quand, attendez un peu,
    certains autres de mes camarades
  • 1:05 - 1:08
    avaient aussi
    de terriblement bonnes notes.
  • 1:08 - 1:11
    Alors, prise de frénésie,
  • 1:11 - 1:13
    j'ai corrigé les notes de tout le monde,
  • 1:13 - 1:14
    sans aucune imagination.
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    J'ai donné à tout le monde
    une rangée de D.
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    Et je me suis attribuée
    une rangée de A.
  • 1:20 - 1:23
    Puisque j'étais là, vous voyez,
    autant en profiter.
  • 1:23 - 1:28
    Je suis encore perplexe aujourd'hui
    devant mon comportement.
  • 1:28 - 1:31
    Je ne comprends pas
    d'où m'est venue l'idée.
  • 1:31 - 1:34
    Je ne comprends pas pourquoi
    je me sentais si bien en le faisant.
  • 1:34 - 1:35
    Je me sentais très bien.
  • 1:35 - 1:38
    Je ne comprends pas pourquoi
    je n'ai jamais été attrapée.
  • 1:38 - 1:40
    Je veux dire, ça aurait pourtant dû être
    tellement évident.
  • 1:40 - 1:41
    Je n'ai jamais été attrapée.
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    Mais plus que tout,
    je me demande pourquoi
  • 1:43 - 1:45
    ça me dérangeait tellement
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    que cette petite fille,
    cette minuscule petite fille,
  • 1:47 - 1:49
    soit si forte en dictée ?
  • 1:49 - 1:51
    La jalousie me rend perplexe !
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    Elle est si mystérieuse,
    et pourtant tellement répandue.
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    On sait que les bébés
    souffrent de jalousie.
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    On sait que les primates en souffrent.
    Les merles bleus y sont très enclins.
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    On sait que la jalousie
    est la première cause
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    de meurtres conjugaux
    aux Etats-Unis.
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    Et pourtant,
    aucune des études que j'ai lues
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    n'a su me décrypter
    le sentiment de solitude qu'elle entraîne,
  • 2:12 - 2:17
    sa durée,
    ou la sombre joie qui l'accompagne.
  • 2:17 - 2:20
    Pour cela,
    on doit se tourner vers la fiction,
  • 2:20 - 2:22
    parce que le roman est le labo
  • 2:22 - 2:24
    qui a étudié la jalousie
  • 2:24 - 2:26
    dans toutes les configurations possibles.
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    En fait, je ne crois pas
    qu'il soit exagéré de dire
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    que sans la jalousie,
  • 2:31 - 2:34
    nous n'aurions même pas de littérature ?
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    Sans l'infidèle Hélène, pas d'Odyssée.
  • 2:37 - 2:40
    Sans roi jaloux, pas de « Mille et une Nuits ».
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    Pas de Shakespeare.
  • 2:43 - 2:46
    Adieu la liste de lecture du lycée,
  • 2:46 - 2:47
    parce qu'on perd
    « Le Bruit et la Fureur »,
  • 2:47 - 2:50
    on perd « Gatsby le Magnifique »,
    « Le Soleil se Lève Aussi »,
  • 2:50 - 2:54
    on perd « Madame Bovary »,
    « Anna Karénine ».
  • 2:54 - 2:56
    Pas de jalousie, pas de Proust.
    Bien sûr, je sais
  • 2:56 - 2:58
    que c'est à la mode de dire que Proust
  • 2:58 - 3:00
    détient la réponse à tout.
  • 3:00 - 3:02
    Mais dans le cas de la jalousie,
  • 3:02 - 3:05
    c'est un peu vrai.
  • 3:05 - 3:09
    Cette année c'est le centenaire de son chef-d'oeuvre,
    « A la Recherche du Temps Perdu »,
  • 3:09 - 3:13
    qui est l'étude la plus complète
    sur la jalousie sexuelle
  • 3:13 - 3:15
    et sur l'esprit de compétition,
    mon registre,
  • 3:15 - 3:18
    que l'on puisse espérer avoir.
    (Rires)
  • 3:18 - 3:20
    Lorsqu'on pense à Proust,
  • 3:20 - 3:22
    on pense aux trucs sentimentaux, non ?
  • 3:22 - 3:24
    On pense au petit garçon
    qui essaie de s'endormir.
  • 3:24 - 3:28
    On pense à une madeleine
    trempée dans un thé à la lavande.
  • 3:28 - 3:30
    On oublie à quel point
    sa vision était sévère.
  • 3:30 - 3:32
    On oublie à quel point
    il est sans pitié.
  • 3:32 - 3:34
    Je veux dire, ce sont des livres
    dont Virginia Woolf a dit
  • 3:34 - 3:36
    qu'ils étaient durs
    comme du catgut.
  • 3:36 - 3:38
    Je ne sais pas ce qu'est du catgut,
  • 3:38 - 3:41
    mais je suppose que c'est redoutable.
  • 3:41 - 3:44
    Pourquoi vont-ils si bien ensemble,
  • 3:44 - 3:48
    le roman et la jalousie,
    la jalousie et Proust ?
  • 3:48 - 3:51
    Est-ce pour la raison évidente
    que la jalousie,
  • 3:51 - 3:55
    qui se résume à
    sujet, désir, obstacle,
  • 3:55 - 3:59
    est un socle narratif tellement solide ?
  • 3:59 - 4:02
    Je ne sais pas. Je pense que
    c'est une explication un peu limitée,
  • 4:02 - 4:04
    si on réfléchit
    à ce qui se passe
  • 4:04 - 4:06
    quand on est jaloux.
  • 4:06 - 4:10
    Quand on est jaloux,
    on se raconte des histoires.
  • 4:10 - 4:14
    On se raconte des histoires
    sur la vie des autres,
  • 4:14 - 4:17
    et ces histoires
    nous font du mal,
  • 4:17 - 4:19
    parce qu'elles sont conçues
    pour nous faire du mal.
  • 4:19 - 4:22
    En tant que conteur et public à la fois,
  • 4:22 - 4:24
    on sait exactement quels détails intégrer
  • 4:24 - 4:27
    pour retourner le couteau dans la plaie, non ?
  • 4:27 - 4:30
    La jalousie fait de nous tous
    des romanciers amateurs,
  • 4:30 - 4:32
    et c'est une chose que Proust avait comprise.
  • 4:32 - 4:36
    Dans le premier tome,
    « Du Côté de Chez Swann »,
  • 4:36 - 4:37
    dans les premiers volumes,
  • 4:37 - 4:39
    Swann, l'un des personnages principaux,
  • 4:39 - 4:42
    pense très tendrement à sa maîtresse,
  • 4:42 - 4:44
    et à ses qualités au lit,
  • 4:44 - 4:47
    et tout à coup,
    en quelques phrases --
  • 4:47 - 4:49
    et ce sont des phrases proustiennes,
  • 4:49 - 4:51
    alors elles sont longues comme des fleuves --
  • 4:51 - 4:53
    mais en quelques phrases,
  • 4:53 - 4:55
    il se reprend soudain,
    et il réalise,
  • 4:55 - 4:59
    « Attends, tout ce que j'aime chez cette femme,
  • 4:59 - 5:02
    n'importe qui d'autre l'aimerait aussi.
  • 5:02 - 5:06
    Tout ce qu'elle fait
    qui me donne du plaisir,
  • 5:06 - 5:07
    pourrait donner du plaisir
    à n'importe qui d'autre,
  • 5:07 - 5:09
    si ça se trouve en ce moment même. »
  • 5:09 - 5:12
    Et voici l'histoire
    qu'il commence à se raconter,
  • 5:12 - 5:14
    et à partir de là,
    Proust écrit
  • 5:14 - 5:17
    que chaque nouveau charme
    que Swann trouve à sa maîtresse,
  • 5:17 - 5:20
    il l'ajoute à sa « collection d'instruments
  • 5:20 - 5:23
    dans sa chambre de torture privée ».
  • 5:23 - 5:26
    Il faut admettre que Swann et Proust
  • 5:26 - 5:27
    étaient notoirement jaloux.
  • 5:27 - 5:29
    Vous savez. Les petits amis de Proust
    devaient quitter le pays
  • 5:29 - 5:32
    s'ils voulaient rompre avec lui.
  • 5:32 - 5:35
    Mais sans être jaloux à ce point,
  • 5:35 - 5:38
    on peut admettre
    que la tâche est rude, non ?
  • 5:38 - 5:39
    La jalousie est épuisante.
  • 5:39 - 5:43
    C'est une émotion exigeante.
    Elle doit être nourrie.
  • 5:43 - 5:45
    Qu'aime donc la jalousie ?
  • 5:45 - 5:48
    La jalousie aime l'information.
  • 5:48 - 5:50
    La jalousie aime les détails.
  • 5:50 - 5:53
    La jalousie aime les épaisses chevelures
    très brillantes,
  • 5:53 - 5:56
    les mignonnes petites trousses.
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    La jalousie aime les photos.
  • 5:57 - 6:01
    C'est ce qui explique le succès d'Instagram.
    (Rires)
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    Proust fait le lien entre
    le langage érudit et la jalousie.
  • 6:05 - 6:07
    Lorsque Swann est
    dans les affres de la jalousie,
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    et que soudain il écoute aux portes,
  • 6:10 - 6:12
    et qu'il soudoie les serviteurs
    de sa maîtresse,
  • 6:12 - 6:13
    il justifie ces comportements.
  • 6:13 - 6:15
    Il dit : « Ecoutez, je sais que vous pensez
    que c'est répugnant,
  • 6:15 - 6:17
    mais ce n'est pas différent
  • 6:17 - 6:20
    de la traduction d'un texte ancien,
  • 6:20 - 6:21
    ou de l'observation d'un monument. »
  • 6:21 - 6:24
    Il dit :
    « Ce sont des investigations scientifiques,
  • 6:24 - 6:27
    avec une réelle valeur intellectuelle. »
  • 6:27 - 6:29
    Proust essaie de nous montrer
    que la jalousie
  • 6:29 - 6:32
    semble impardonnable,
    et donne l'air absurde,
  • 6:32 - 6:36
    mais qu'elle est, fondamentalement,
    une quête de savoir,
  • 6:36 - 6:40
    une quête de vérité,
    de vérité qui fait mal,
  • 6:40 - 6:42
    et en fait,
    en ce qui concerne Proust,
  • 6:42 - 6:45
    plus la vérité fait mal,
    mieux c'est.
  • 6:45 - 6:49
    Le chagrin, l'humiliation, la perte :
  • 6:49 - 6:52
    c'était, pour Proust,
    les chemins de la sagesse.
  • 6:52 - 6:56
    Il dit :
    « Une femme que l'on désire,
  • 6:56 - 6:59
    qui nous fait souffrir,
    suscite en nous
  • 6:59 - 7:03
    une gamme de sentiments
    bien plus profonds et vitaux
  • 7:03 - 7:07
    qu'un homme de génie
    qui nous intéresse. »
  • 7:07 - 7:10
    Est-ce qu'il nous conseille
    d'aller trouver des femmes cruelles ?
  • 7:10 - 7:12
    Non.
    Je pense qu'il essaie de dire
  • 7:12 - 7:15
    que la jalousie
    nous révèle à nous-mêmes.
  • 7:15 - 7:18
    Y-a-t-il une autre émotion
    qui brise notre armure
  • 7:18 - 7:21
    de façon aussi particulière ?
  • 7:21 - 7:23
    Y-a-t-il une autre émotion
    qui nous révèle ainsi
  • 7:23 - 7:26
    notre propre agressivité,
    notre affreuse ambition,
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    et nos droits ?
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    Y-a-t-il une autre émotion
    qui nous apprenne à observer
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    avec une telle étrange intensité ?
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    Freud écrira sur ce sujet plus tard.
  • 7:36 - 7:39
    Un jour, Freud reçut la visite
  • 7:39 - 7:41
    d'un très anxieux jeune homme
    qui était dévoré
  • 7:41 - 7:43
    par l'idée que sa femme le trompait.
  • 7:43 - 7:45
    Et Freud a dit,
    il y a quelque chose de bizarre chez ce type,
  • 7:45 - 7:48
    parce qu'il ne regarde pas
    ce que sa femme fait.
  • 7:48 - 7:50
    Parce qu'elle est innocente ;
    tout le monde le sait.
  • 7:50 - 7:51
    La pauvre femme
  • 7:51 - 7:53
    est soupçonnée sans raison.
  • 7:53 - 7:56
    Mais il remarque
    ce que sa femme fait
  • 7:56 - 7:58
    sans y prendre garde,
    des comportements involontaires.
  • 7:58 - 8:01
    Est-ce qu'elle sourit trop largement ici,
  • 8:01 - 8:04
    ou bien est-ce qu'elle frôle un homme
    par inadvertance, là ?
  • 8:04 - 8:07
    Freud dit que l'homme devient
  • 8:07 - 8:11
    le gardien de l'inconscient de sa femme.
  • 8:11 - 8:13
    Le roman excelle dans ce domaine.
  • 8:13 - 8:16
    Le roman excelle à décrire
    comment la jalousie
  • 8:16 - 8:19
    nous apprend à regarder avec intensité,
    mais sans exactitude.
  • 8:19 - 8:24
    En fait,
    plus nous sommes violemment jaloux,
  • 8:24 - 8:26
    plus nous nourrissons de fantasmes.
  • 8:26 - 8:29
    C'est la raison pour laquelle, je crois,
    la jalousie
  • 8:29 - 8:32
    ne nous pousse pas seulement
    à commettre des actes violents,
  • 8:32 - 8:34
    ou des actes illégaux.
  • 8:34 - 8:36
    La jalousie nous invite
    à adopter des comportements
  • 8:36 - 8:38
    frénétiquement inventifs.
  • 8:38 - 8:41
    Je pense à moi-même à l'âge de huit ans,
    je l'avoue,
  • 8:41 - 8:45
    mais je pense également à cette histoire
    que j'ai entendue aux infos.
  • 8:45 - 8:49
    Une habitante du Michigan, âgée de 52 ans,
    a été prise
  • 8:49 - 8:52
    à créer un faux compte Facebook
  • 8:52 - 8:55
    avec lequel elle s'est envoyé à elle même,
    pendant un an,
  • 8:55 - 9:00
    des messages abominables, horribles.
  • 9:00 - 9:02
    Pendant un an.
    Un an.
  • 9:02 - 9:04
    Elle essayait de faire accuser
  • 9:04 - 9:06
    la nouvelle petite amie
    de son ex,
  • 9:06 - 9:09
    et je dois dire que quand j'ai entendu ça,
  • 9:09 - 9:11
    je n'ai pu éprouver
    que de l'admiration.
  • 9:11 - 9:13
    (Rires)
  • 9:13 - 9:15
    Parce que, je veux dire,
    soyons sérieux.
  • 9:15 - 9:20
    Quelle immense inventivité,
    même mal placée, non ?
  • 9:20 - 9:22
    On se croirait dans un roman.
  • 9:22 - 9:25
    On se croirait dans un roman
    de Patricia Highsmith.
  • 9:25 - 9:28
    J'ai une préférence particulière
    pour Highsmith.
  • 9:28 - 9:32
    C'est une femme de lettres américaine
    tellement brillante et étrange.
  • 9:32 - 9:34
    Elle est l'auteur de
    « L'Inconnu du Nord-Express ».
  • 9:34 - 9:36
    et de « Monsieur Ripley »,
  • 9:36 - 9:39
    des livres qui ne parlent que de jalousie,
  • 9:39 - 9:41
    de la façon dont elle brouille nos esprits,
  • 9:41 - 9:44
    et de comment, une fois sous son influence,
    dans ce royaume de la jalousie,
  • 9:44 - 9:49
    la membrane entre ce qui est
    et ce qui pourrait être
  • 9:49 - 9:52
    peut être transpercée en un instant.
  • 9:52 - 9:54
    Prenez Tom Ripley,
    son plus célèbre personnage.
  • 9:54 - 9:57
    Tom Ripley commence par
    vous désirer,
  • 9:57 - 10:00
    ou désirer ce que vous possédez,
  • 10:00 - 10:03
    puis il prend votre place
    et s'attribue ce qui était à vous,
  • 10:03 - 10:04
    vous finissez entre quatre planches,
  • 10:04 - 10:06
    il répond à votre nom,
  • 10:06 - 10:08
    il porte votre bague,
  • 10:08 - 10:10
    il vide votre compte en banque.
  • 10:10 - 10:11
    C'est une façon de faire.
  • 10:11 - 10:15
    Mais qu'est-ce qu'on peut faire, nous ?
    On ne peut pas suivre le chemin de Tom Ripley.
  • 10:15 - 10:17
    Je ne peux pas donner des D
    au monde entier,
  • 10:17 - 10:20
    même si j'en ai vraiment envie,
    certains jours.
  • 10:20 - 10:24
    Et c'est bien dommage,
    car nous vivons une époque de convoitise.
  • 10:24 - 10:26
    Nous vivons une époque de jalousie.
  • 10:26 - 10:28
    Je veux dire, nous sommes tous
    de bons pratiquants des réseaux sociaux,
  • 10:28 - 10:32
    où la jalousie est monnaie courante
    n'est-ce pas ?
  • 10:32 - 10:36
    Est-ce que les romans nous indiquent une issue
    à ce problème ? Je m'interroge.
  • 10:36 - 10:40
    Faisons donc ce que font tous les personnages
    quand ils s'interrogent,
  • 10:40 - 10:42
    quand ils sont face à un mystère.
  • 10:42 - 10:44
    Allons au numéro 221 B de Baker Street,
  • 10:44 - 10:46
    et demandons Sherlock Holmes.
  • 10:46 - 10:49
    Quand on pense à Holmes,
  • 10:49 - 10:52
    on pense à sa Némésis,
    le Professeur Moriarty,
  • 10:52 - 10:54
    oui, ce génie criminel.
  • 10:54 - 10:56
    Mais j'ai toujours préféré
    l'Inspecteur Lestrade,
  • 10:56 - 10:59
    le patron de Scotland Yard,
    avec sa face de rat,
  • 10:59 - 11:01
    qui a terriblement besoin de Holmes,
  • 11:01 - 11:03
    besoin du génie de Holmes,
    mais qui lui en veut.
  • 11:03 - 11:05
    Comme je comprends ça !
  • 11:05 - 11:09
    Lestrade a besoin de son aide,
    il lui en veut,
  • 11:09 - 11:13
    et ne fait que ressasser son amertume
    tout au long des romans.
  • 11:13 - 11:16
    Mais au fur et à mesure de leur collaboration,
    quelque chose commence à changer,
  • 11:16 - 11:20
    et finalement,
    dans « Les Six Napoléons »,
  • 11:20 - 11:23
    lorsque Holmes arrive
    et éblouit tout le monde avec sa solution,
  • 11:23 - 11:27
    Lestrade se tourne vers lui,
    et lui dit :
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    « Nous ne sommes pas jaloux de vous,
    M. Holmes,
  • 11:31 - 11:35
    Nous sommes très fiers de vous. »
  • 11:35 - 11:37
    Et il ajoute qu'il n'y aurait pas un homme
    à Scotland Yard
  • 11:37 - 11:40
    qui ne serait heureux de serrer la main
    de Sherlock Holmes.
  • 11:40 - 11:42
    C'est l'une des rares fois
    où l'on voit Holmes être touché,
  • 11:42 - 11:44
    dans les romans,
    et je trouve cela très émouvant,
  • 11:44 - 11:47
    cette petite scène,
    mais c'est également mystérieux, non ?
  • 11:47 - 11:49
    On dirait que la jalousie
    y est considérée
  • 11:49 - 11:52
    comme un problème de géométrie,
    pas comme une émotion.
  • 11:52 - 11:55
    Vous voyez, à un moment
    Holmes est à l'opposé de Lestrade.
  • 11:55 - 11:57
    Et l'instant d'après,
    ils sont du même bord.
  • 11:57 - 11:59
    Tout à coup,
    Lestrade se laisse aller
  • 11:59 - 12:02
    à admirer cet homme
    qui lui déplaisait.
  • 12:02 - 12:04
    Serait-ce aussi simple que cela ?
  • 12:04 - 12:06
    Et si la jalousie n'était vraiment
    qu'une question de géométrie,
  • 12:06 - 12:10
    qu'une question d'endroit
    où l'on s'autorise à se tenir
  • 12:10 - 12:12
    dans notre relation à l'autre ?
  • 12:12 - 12:14
    Eh bien, peut-être qu'alors
    nous n'aurions pas besoin de mal prendre
  • 12:14 - 12:16
    l'excellence d'autrui ?
  • 12:16 - 12:20
    On pourrait en prendre modèle.
  • 12:20 - 12:22
    Mais j'aime avoir une solution d'urgence.
  • 12:22 - 12:24
    Donc, en attendant que cela se produise,
  • 12:24 - 12:27
    souvenons-nous que nous pouvons trouver
    une consolation dans la fiction.
  • 12:27 - 12:29
    Seule la fiction démystifie
    la jalousie.
  • 12:29 - 12:31
    Seule la fiction
    la dompte,
  • 12:31 - 12:33
    l'invite à notre table.
  • 12:33 - 12:35
    Et regardez ceux qu'elle rassemble :
  • 12:35 - 12:39
    le gentil Lestrade,
    le terrifiant Tom Ripley,
  • 12:39 - 12:44
    ce fou de Swann,
    Marcel Proust lui-même.
  • 12:44 - 12:46
    Nous sommes en excellente compagnie.
  • 12:46 - 12:47
    Merci.
  • 12:47 - 12:52
    (Applaudissements)
Title:
Une ode à la jalousie
Speaker:
Parul Sehgal
Description:

Qu'est-ce que la jalousie ? Quel est son ressort, et pourquoi aimons-nous secrètement l'éprouver ? Aucune étude n'a jamais pu décrypter « sa solitude, sa longévité, sa sombre joie »... à part la fiction, selon Parul Sehgal. Dans une réflexion pleine d'éloquence, elle passe la littérature au peigne fin pour nous démontrer que la jalousie n'est rien d'autre qu'une quête de la vérité.

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English
Team:
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TEDTalks
Duration:
13:11
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