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Il était normal que ce soit lui qui ouvre le bal.
Donc mesdames et messieurs, je vous prie
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d'accueillir Damien Maric !
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Bonsoir.
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La première fois que j'ai lu un livre de
Stephen King, j'avais 12 ans.
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C'était un recueil de nouvelles qui s'appelle
"Danse Macabre".
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Et à l'intérieur de ce recueil, il y avait une
histoire qui me plaisait particulièrement
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parce que je la trouvais extrêmement touchante.
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Et je me suis promis d'en faire quelque chose,
d'en faire une adaptation.
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Et là le monde des adultes a fait l'inverse de
ce que j'attendais c'est-à-dire qu'ils ont
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tout fait pour me dire "ça va être trop cher".
"C'est un million de dollars."
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"Tu es trop loin." "Tu n'es pas américain."
"Tu n'y arriveras pas."
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Et donc, j'ai cru à moitié ce que disaient les
adultes et j'ai laissé ça dans un coin de ma tête
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mais je voulais avancer sur cette voie et
faire confiance à la vie.
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A ce moment là, le mercredi après-midi,
je jouais au foot avec des camarades et
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j'étais celui qu'on choisit en dernier dans
les équipes. Vous savez, on prend l'un, on prend
-
l'autre.
Moi je suis celui qu'on choisissait en dernier
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parce que je ratais tout le temps la balle.
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Et donc, à force d'être lassé de vivre ça,
j'ai décidé d'échanger ma place avec un
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petit camarade qui, lui, n'avait pas les moyens
d'aller au club de sport.
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Et donc du coup, je lui disais "tu vas t'appeler
Damien Maric et puis moi ce que je vais faire,
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c'est que je vais sortir à la station avant et
je vais aller dans les studios d'AB Productions"
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qui à l'époque produisait le Club Dorothée,
Hélène et les Garçons, etc.
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Et donc je passais le service de sécurité en
acquiesçant quand on me demandait si j'étais
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le fils d'Aude Messéan. Je ne sais pas qui est
cette femme mais en tout cas, je disais "oui oui".
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Et donc je passais le service de sécurité et
en gros, je restais là à découvrir ce monde caché
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de la télévision avec toutes ses coulisses et
ça me faisait extrêmement rêver.
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Et je me suis rapproché d'un régisseur qui,
lui, partait chez Canal + des années plus tard
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puisque je commençais à avoir 16 ans cette fois.
Et je m'entendais bien avec lui donc je me suis dit
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"je vais le suivre".
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Mais là, cette fois, pour passer le service de
sécurité, étant donné que j'étais un peu plus vieux,
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j'ai mis un costume et j'ai dit que j'étais
stagiaire et que je n'avais pas mon badge.
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On m'a donné un badge et j'ai pu passer le
service de sécurité.
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A ce moment là, je me retrouve aux Guignols
de l'Info et je rencontre un réalisateur qui
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s'appelle Éric Lartigau qui a fait La Famille
Bélier récemment.
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Et je lui dis "voilà, j'aimerais bien faire
ce métier, travailler comme ça."
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Et il me dit "tu sais Damien, fais quelque chose.
Crée quelque chose. Fais un court-métrage,
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n'importe quoi."
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Et donc, j'ai fait un court-métrage et une fois fini,
je l'ai envoyé à quarante boîtes de production
-
françaises. Et ces quarante boîtes de production
françaises, après trois mois en les appelant
-
le mercredi et le vendredi à la même heure,
personne n'avait rien regardé.
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Alors j'étais triste parce que je me suis dit
"bon ben voilà, j'ai fait un film et personne
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ne l'a vu."
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Et un jour, je jouai à la Nintendo 64 à un jeu
qui s'appelle GoldenEye.
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Là je sens qu'il y a des mecs qui ont compris.
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Donc j'ai passé des nuits à jouer à ce jeu
avec un copain et mon pote me dit "tu sais Damien,
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tu devrais l'envoyer aux États-Unis."
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Et là, il y avait le Télé 7 Jours en face de moi
et je me dis "bon ben je vais regarder.
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Là, il y a marqué où leur écrire. Brad Pitt.
Johnny Depp." Parce qu'il y a ça dans les
-
Télé 7 Jours. Et c'était le nom des agents.
Donc je me suis dit "je vais faire ça."
-
J'ai envoyé une cassette vidéo. Alors,
ça me coûtait une fortune. En plus, dans
-
un format américain. Et avec une lettre en
disant "s'il vous plaît, montrez ça aux studios
-
et puis on verra ce qu'il se passe."
-
Et quelques mois plus tard, je reçois des
lettres types de Paramount, de Disney
-
qui me disent "on a vu votre film mais on
n'embauche pas."
-
Sauf qu'il y a une lettre qui était différente
des autres, c'est celle de Twentieth Century Fox
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qui, en bas, écrit à la main, disait : "si jamais vous
passez dans le coin, n'hésitez pas à venir nous voir."
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Trois semaines après, toutes mes économies
(je travaillais au Bistro Romain) sont passées
-
dans l'achat d'un billet d'avion aller/retour et
surtout, un petit appartement que j'ai pris à Torrance.
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J'arrive à la Twentieth Century Fox avec la
lettre en main et je dis "j'ai rendez-vous avec
-
madame Becky White."
Je passe le service de sécurité, je me retrouve
-
face à cette femme qui était aux ressources
humaines et je lui dis "bon ben voilà, je suis
-
prêt. Je réalise quoi ?"
-
La nana me regarde en me disant "mais tu es
qui ?"
-
Je lui montre la lettre. Elle me dit "mais tu
es là en vacances ?"
-
Je lui dis "non pas du tout. Je suis là pour
travailler. Je suis prêt à réaliser un Simpsons,
-
ce que vous voulez."
-
Et le problème, c'est que mon discours commençait
à s'étioler car il faut savoir que mon anglais
-
se limitait à game over, player one, player two.
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La chance a fait qu'il y avait un mec qui
travaillait avec elle et apprenait le français
-
dans une association.
Du coup, il a commencé à faire toute la traduction.
-
Et elle disait "même si on voulait te prendre
en stagiaire, il faudrait que tu retournes
-
en France à l'ambassade pour avoir un visa."
Et c'était impossible.
-
"Je ne peux rien pour toi, il faut que tu
partes."
-
Mais je savais que si je quittais ce bureau,
toutes ces coïncidences, tout ce qui avait eu
-
lieu avant allait s'arrêter.
-
Donc je me suis dit "nan nan, il faut que je reste.
Je suis désolé, je ne peux pas partir. J'ai fait
-
9.000 bornes, trouvez moi un job. Je suis prêt."
-
Le téléphone a sonné à ce moment là, elle
décroche. Elle dit "oui oui."
-
Elle me regarde, elle a une idée et raccroche.
Elle m'a dit "va prendre un avion pour Vancouver.
-
Tu vas aller sur X-Files."
-
Je me suis retrouvé sur le plateau de X-Files,
hyper content, en 3e équipe donc les acteurs
-
principaux n'étaient pas forcément là.
On est avec les seconds couteaux.
-
Mais bon, j'étais en troisième équipe,
j'étais content.
-
Sauf que très vite, ils se sont aperçus que
mon anglais n'était pas bon parce que
-
quand le mec me disait "va me chercher le
script", je regardais ce que pointait son doigt.
-
Je ramenais un truc, c'était pas bon. Et là,
il y a une phrase que j'ai retenue, c'est que
-
l'on me montrait une chaise et on me disait
"watch and learn."
-
Ça a duré trois mois.
-
Donc trois mois de watch and learn, ça m'a
un petit peu fatigué parce que j'avais vraiment
-
envie d'aider, j'avais vraiment envie de mettre
ma patte.
-
Et donc je suis retourné, lors d'un vol à Los Angeles
pour ramener des cassettes, voir Becky White et
-
je lui ai dit "donnez moi quelque chose à réaliser."
-
Elle m'a dit "écoute, ce n'est pas possible."
A ce moment là, j'ai dit "voilà ma démission."
-
Un stagiaire qui démissionne, c'était tout
nouveau.
-
Je quitte les studios de la Fox et à ce moment là,
j'entends "Damien ? Mais qu'est-ce que tu fais là ?"
-
Et là, c'était un copain qui était au collège
avec moi, avec qui je passais mon brevet
-
des collèges.
-
Alors je lui explique l'histoire. Je luis dis
"écoute, j'étais à la Fox et je viens de démissionner.
-
Je suis emmerdé."
-
Il me dit "Damien, écoute. J'ai un copain qui
installe des réseaux informatiques chez Warner,
-
Universal. On peut peut-être te trouver un truc."
-
Je rencontre Marc, il me fait rentrer chez Warner.
Et là, on me met dans la mailing room.
-
La mailing room, représentez-vous une pièce
avec plein de petits boîtiers où l'on met
-
le courrier à l'intérieur. Et vous pensez que
ça se termine, mais en fait dès que vous avez
-
terminé, il y a encore une montagne de courrier
qui arrive et toute la journée vous ne faites
-
que ça. Vous ne pensez pas.
-
Ce qui fait que certaines personnes tiennent
à peine deux ou trois jours parce qu'à un moment
-
donné, à force de ne pas penser, de faire
le même mouvement et que ça ne s'arrête jamais,
-
vous devenez fou.
-
Je savais que si j'arrêtais là, ça allait être
l'enfer.
-
Donc du coup, je tenais bon, je tenais bon,
je tenais bon.
-
Au bout de quelques mois, il y a un mec
qui m'a dit "ben viens, tu vas être l'assistant
-
d'une productrice."
J'étais hyper ravi. Sauf que cette productrice
-
était extrêmement dure, folle peut-être.
Et elle m'a fait vivre l'enfer.
-
Je ne sais pas si vous avez vu le film Swimming
with Sharks avec Kevin Spacey, j'ai vécu
-
la même chose. Elle m'appelait à trois heures
du matin pour aller chercher des documents
-
au bureau. Elle me faisait revenir le weekend.
Elle m'humiliait devant tout le monde.
-
C'était extrêmement dur. Mais dans ma tête,
je me disais "tiens bon, tiens bon, tiens bon."
-
Parce que tout ça n'arrive pas pour rien.
Et donc, je tenais bon.
-
Et un jour, elle avait rendez-vous dans une
grande salle de réunion. Il y avait une grande
-
réunion parce qu'il y avait un show qui se pétait
la gueule et donc elle me disait "tu ne me passes
-
aucun appel." Sauf que bien évidemment, le premier
appel est un mec qui me dit "Damien, écoute
-
tu me la passes tout de suite, il faut que je lui
parle."
-
Je savais que si je lui passais, je me faisais
engueuler. Et si je ne lui passais pas. je me
-
faisais engueuler. Donc je me suis dit "bon ben
je vais y aller." Je suis allé en salle de réunion.
-
Et là, j'entrebâille un petit peu la porte et
je vois le directeur de chez Warner qui dit
-
"ce n'est pas possible, le show se casse la gueule.
On a fait de la pub, du télémarketing. Ça ne marche pas."
-
Et là, je ne sais pas ce qu'il me prend. Je rentre
dans le bureau et dis "j'ai une idée. On n'a qu'à mettre
-
sur des morceaux de papier des invitations pour
les touristes qui viennent à Venice Beach.
-
On leur donne et vous allez voir qu'il y aura
plein de monde au show, ça va être génial."
-
Le mec me regarde, je sens les couteaux tirés
de la nana derrière moi.
-
Le mec me regarde et dit "ça va me coûter
combien cette connerie ?"
-
Je lui dis "juste une ramette de papier, je vais
distribuer moi-même."
-
On fait l'opération. Je vais à Venice Beach et
distribue des papiers pour les shows télés.
-
Il se trouve que ça existe encore aujourd'hui.
Quand vous irez à Venice Beach, vous verrez
-
des petits papiers. Ben voilà, c'était ça
l'histoire. Et du coup, le lendemain le show
-
est rempli. Rempli que d'étrangers, que de touristes
qui sont venus voir un show télé et ne savaient
-
même pas comment on faisait.
-
Donc là le mec est ravi et me dit "Damien, super,
génial. Qu'est-ce que tu veux faire ?"
-
Je lui dis "je veux être sur les plateaux télés.
Je veux vraiment travailler."
-
Donc il me dit "ben écoute, le show que tu as
rempli qui s'appelle Les Dessous de Veronica,
-
tu vas pouvoir travailler dessus."
-
Donc j'étais un peu le second second assistant
d'un assistant.
-
Et à ce moment là, je me retrouve sur...
J'adorais le soir rester au coin, voir les faux.
-
Vous savez, ce sont des faux décors. Pas comme
ici, vous avez le son. J'adorais ça. Je me demandais
-
s'il y avait vraiment de l'eau à l'évier. J'adorais
voir les aliments qui étaient en plastoc en fait
-
quand ils faisaient semblant de manger. Et
j'adorais ces faux décors.
-
Et puis, je suis resté un soir plus longtemps
que prévu et j'entends une sorte de fête
-
dans le studio d'à côté, le stage d'à côté.
-
Donc j'ouvre la porte, je rentre et en fait,
je vois un décor de prison. Et je vois que
-
c'est un anniversaire. Il se trouve que c'est
l'anniversaire de Stephen King, qui est sur
-
le plateau.
-
Alors là, je fonce. Je lui dis "bonjour Stephen,
c'est Damien."
-
Je lui dis "voilà, il y a une nouvelle dans
Danse Macabre (Night Shift en anglais).
-
J'aimerais bien l'adapter parce que je trouve
ça fort et poignant.
-
Et là, il me regarde et dit "t'as un drôle
d'accent."
-
Alors je l'ai regardé, il m'a regardé, je l'ai
regardé.
-
"Ben ouais, je suis français."
-
Et là, il me dit "tu sais combien ça coûte
les droits d'une nouvelle ?"
-
Je lui dis "ben... Je sais pas."
Je sors mon portefeuille et il me dit "ça coûte
-
1 dollar. Et tu vois la fille là-bas, Marsha
DeFilippo ? Tu vas la voir et tu lui dis que tu veux
-
adapter cette nouvelle, tu auras les droits."
-
Peu de temps après, j'avais un contrat. J'ai
signé les droits d'une nouvelle de Stephen King.
-
Je prenais un avion deux jours après pour la
France, pour moi inutile de rester ici.
-
Je suis retourné en France et là, peu de temps
après, en mars 2001, je recevais une lettre de
-
Frank Darabont, le réalisateur de La Ligne Verte,
des Évadés, de The Mist, de Walking Dead aussi,
-
qui me donnait les droits de copyright que je
n'avais pas parce que j'avais les droits d'adaptation
-
et de copyright, et j'ai pu faire le film.
-
Pour ceux qui ont un petit sac, vous verrez
à l'intérieur une copie des droits que je vous ai
-
glissée. Une photocopie des droits que j'ai
eus de Frank Darabont.
-
Ce que j'ai retenu de cette histoire, c'est que
malgré le bruit du monde, malgré les gens
-
qui vous disent que ce n'est pas possible,
que c'est possible etc, il y a quelque chose
-
de beaucoup plus fort, de beaucoup plus
puissant : c'est le silence de l'âme et cette
-
petite voix à l'intérieur qui vous susurre
"suis ce chemin et la vie va faire en sorte
-
que ça arrive."
-
Merci infiniment.