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Les rencontres construisent le chemin qui dessine nos vies | Eddy Durteste | TEDxBordeaux

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    Si on m'avait dit qu'un jour je ferai
    partie des couleurs de l'arc-en-ciel.
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    (Rires)
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    Moi.
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    Le fruit d'une relation sans lendemain,
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    né un mercredi matin,
    dans le Nord, à Lille.
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    Parce que, disons-le,
    je suis originaire de Chnord.
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    Là, où le soleil ne brille pas trop,
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    mais là, où le cœur des gens
    véritablement est ouvert.
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    Et ça, du cœur, eh bien,
    ma mère, elle en a.
  • 0:31 - 0:33
    Je m'entends.
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    Concrètement, je suis l'aîné
    d'une famille composée de quatre garçons.
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    J'ai bien dit : quatre garçons.
  • 0:39 - 0:43
    Une maman dévouée à ses enfants
    et pour autant quatre garçons,
  • 0:43 - 0:46
    chacun de père et d'origine différents.
  • 0:47 - 0:49
    Hé oui, à chacun sa manière
    de faire le tour du monde.
  • 0:49 - 0:50
    (Rires)
  • 0:52 - 0:54
    (Applaudissements)
  • 0:56 - 0:57
    Je m'entends.
  • 0:57 - 0:59
    Maman n'a pas eu de chance en amour.
  • 0:59 - 1:02
    Mais ce qui est certain,
    c'est qu'elle n'y a vu aucune fatalité.
  • 1:02 - 1:06
    Pour elle, un principe tout bête :
    la fierté d'être maman.
  • 1:06 - 1:08
    Maman de quatre enfants, quatre garçons,
  • 1:08 - 1:12
    dont elle est certaine que eux,
    demain, seront là pour elle.
  • 1:12 - 1:15
    Petit passage important :
  • 1:15 - 1:18
    Maman, oui je t'aime et on sera là
    pour toi toujours, c'est certain.
  • 1:19 - 1:20
    Alors, pour revenir au TEDx
  • 1:20 - 1:23
    et la raison qui me fait être
    aujourd'hui avec vous,
  • 1:23 - 1:25
    c'est que maman un jour m'a dit une phrase
  • 1:25 - 1:28
    qui véritablement est restée
    ancrée dans mon esprit.
  • 1:28 - 1:30
    Elle m'a regardé et m'a dit :
  • 1:30 - 1:32
    « Tu sais, mon fils,
    ce sont les rencontres
  • 1:32 - 1:36
    qui participent à construire
    le chemin qui dessine nos vies. »
  • 1:36 - 1:38
    Eh oui, philosophe, maman.
  • 1:38 - 1:42
    Vous me direz : « Avec le parcours
    qui est le sien, il le faut. »
  • 1:42 - 1:43
    Je m'entends.
  • 1:44 - 1:48
    Enfant, du moins adolescente,
    elle croise le chemin de Kassem.
  • 1:48 - 1:50
    Ah, Kassem.
  • 1:51 - 1:54
    Accessoirement,
    il allait devenir mon père.
  • 1:54 - 1:56
    Il s'avère qu'elle tombe
    amoureuse, fatalement, de Kassem.
  • 1:56 - 1:58
    Elle voit en lui l'homme de sa vie :
  • 1:58 - 2:02
    « C'est certain, on va se marier,
    avoir des enfants, fonder une famille. »
  • 2:02 - 2:07
    Compliqué pour convaincre ma grand-mère,
    qui ne voyait pas Kassem du bon œil.
  • 2:07 - 2:10
    Cependant, ma mère tombe enceinte.
  • 2:10 - 2:13
    Mon père, lui, décide de tourner
    le dos à ses responsabilités,
  • 2:13 - 2:15
    voilà, j'étais sous X.
  • 2:15 - 2:18
    Difficile pour une maman
    qui est née dans les années 60
  • 2:18 - 2:21
    de devoir expliquer non simplement
    à ses parents et à ses amis
  • 2:21 - 2:25
    qu'elle a 18 ans et qu'elle
    accouche d'un enfant, seule.
  • 2:25 - 2:29
    Alors, à partir de là, s'ensuit
    un chemin plus ou moins sinueux.
  • 2:29 - 2:32
    Vous le comprendrez : nous
    sommes quatre, de pères différents.
  • 2:32 - 2:35
    Ça a été compliqué, mais elle
    n’a jamais, jamais baissé les bras
  • 2:35 - 2:40
    et toujours nous a donné l'envie
    d'apprendre à comprendre
  • 2:40 - 2:42
    ce qui se passe autour de nous.
  • 2:42 - 2:45
    Maintenant, imaginons une chose.
  • 2:46 - 2:48
    Imaginons qu'on se rencontre
    20 ans auparavant.
  • 2:48 - 2:50
    On est en 2016, aujourd'hui,
  • 2:50 - 2:52
    on plonge en 96.
  • 2:53 - 2:55
    J'ai 17 ans.
  • 2:55 - 2:58
    En 96 déjà, je n'ai pas de lunettes.
  • 2:59 - 3:03
    Et puis, je vais vous plonger dans
    un contexte qui était le mien, à l'époque.
  • 3:05 - 3:06
    « Ou bien !
  • 3:06 - 3:07
    Tranquille ou quoi ?
  • 3:07 - 3:09
    C'est comment ? »
  • 3:09 - 3:12
    « Mon frère, t'es cravé là,
    c'est quoi les bails ? »
  • 3:12 - 3:16
    « Oh, toi là, oh, excuse-moi,
  • 3:17 - 3:20
    toi, tu es bizarre
    comme mec, tu viens d'où ?
  • 3:20 - 3:22
    Tu cherches quelque chose ?
  • 3:22 - 3:24
    Non, parce que si tu veux,
    on peut s'entendre.
  • 3:24 - 3:28
    Je peux là descendre, venir te voir et
    expliquer qu'en vérité je suis capable. »
  • 3:28 - 3:29
    « Pardon, attendez. »
  • 3:29 - 3:32
    Je m'emballe, je remets mes lunettes.
  • 3:32 - 3:34
    Non, je ne suis pas là pour vous effrayer.
  • 3:34 - 3:36
    Qu'on s'entende, je reprends le principe.
  • 3:36 - 3:39
    En fait, j'ai 16 ans,
    et je suis en conflit identitaire.
  • 3:39 - 3:42
    Et je suis nourri par un seul mode
    de dialogue : la violence.
  • 3:42 - 3:44
    Effectivement, à ce moment, je me dis :
  • 3:44 - 3:47
    « Mais attendez, j'ai 16 ans,
    j'ai trois frères de pères différents.
  • 3:47 - 3:49
    On nous appelle la famille Benetton,
  • 3:49 - 3:52
    mais moi, dans ma tête, ça
    ne résonne pas comme une blague. »
  • 3:52 - 3:53
    (Rires)
  • 3:53 - 3:55
    Et ouais, United Color.
  • 3:55 - 3:57
    (Rires) (Applaudissements)
  • 3:59 - 4:03
    Non, c'est n'est pas si simple et
    du coup, je suis en colère contre maman.
  • 4:03 - 4:04
    Je lui en veux.
  • 4:04 - 4:07
    Je n'ai pas envie de parler
    à mes frères, on est différents.
  • 4:07 - 4:09
    On est de quatre couleurs différentes.
  • 4:09 - 4:12
    Imaginez dans mon esprit déjà
    comme il est compliqué pour moi,
  • 4:12 - 4:15
    avec le teint qui est le mien,
    entendu que je suis métis,
  • 4:15 - 4:16
    déjà de me positionner.
  • 4:16 - 4:20
    Alors, quand avec mes frères je me
    retrouve à l'école primaire Sacré Cœur -
  • 4:20 - 4:21
    (Rires)
  • 4:21 - 4:23
    Eh oui, j'ai connu
    l'école des bonnes sœurs.
  • 4:23 - 4:25
    Forcément, c'est compliqué :
  • 4:25 - 4:29
    « Ton frère, lui ? Non ! Arrête !
    Il est noir, lui, et t'es blanc ! Hé ! »
  • 4:29 - 4:33
    « Mais oui, c'est mon frère, il s'appelle
    Samuel Durteste et moi Eddy Durteste. »
  • 4:33 - 4:35
    « Quoi ? L'autre aussi,
    le café au lait tout crème ? »
  • 4:35 - 4:37
    « Oui, c'est Romuald Durteste ! »
  • 4:37 - 4:41
    Le dernier arrivé plus tard, William,
    c'était un peu plus facile pour lui.
  • 4:41 - 4:43
    Cependant étant, finalité de tout ça,
  • 4:43 - 4:47
    il s'avère que, quatre mois
    après ma sortie du lycée,
  • 4:47 - 4:49
    je me retrouve en garde à vue.
  • 4:49 - 4:52
    C'est la première fois de ma vie
    que je me fais arrêter,
  • 4:52 - 4:54
    96 heures de garde à vue.
  • 4:54 - 4:57
    Je me retrouve déféré au parquet
  • 4:57 - 4:59
    et je retiens une chose de ce moment :
  • 4:59 - 5:03
    « Article 125 du code pénal :
    capable de nuire à l'ordre public. »
  • 5:04 - 5:08
    Je ne comprends pas ce qui se passe,
    4h du matin, dans un fourgon cellulaire,
  • 5:08 - 5:12
    je me retrouve dans la maison d'arrêt
    de Loos, une des plus vétustes de France.
  • 5:12 - 5:15
    Moi, jeune mineur, je suis
    incarcéré avec les majeurs.
  • 5:15 - 5:18
    Concrètement, deux mois
    plus tard, je vais avoir 18 ans,
  • 5:18 - 5:20
    né en janvier, je me fais
    arrêter le 26 novembre.
  • 5:20 - 5:24
    Je n'ai pas de chance au fond,
    mais en même temps il se passe
  • 5:24 - 5:27
    que je rencontre un grand de
    mon quartier, qui me protège et me dit :
  • 5:27 - 5:29
    « Reste à côté de moi, t'inquiète pas. »
  • 5:29 - 5:32
    Donc, je me retrouve avec lui, on me dit :
  • 5:32 - 5:34
    « Mets-toi tout nu, baisse-toi, tousse. »
  • 5:34 - 5:35
    (Soupir)
  • 5:36 - 5:37
    Ça me choque.
  • 5:38 - 5:41
    Le grand me dit : « T'inquiète,
    c'est ça, la logique des choses. »
  • 5:41 - 5:44
    Je me retrouve en cellule d'arrivant,
    je m'endors dans le lit
  • 5:44 - 5:48
    et le lendemain matin, je me réveille
    persuadé que j'ai fait un cauchemar.
  • 5:48 - 5:51
    Donc du coup, je ne cherche
    pas à comprendre,
  • 5:51 - 5:54
    je sors de mon lit, je suis
    au troisième, troisième étage.
  • 5:54 - 5:57
    Vous imaginez la chute et l'atterrissage.
  • 5:57 - 6:00
    L'atterrissage, pour moi,
    a été de me rendre compte
  • 6:00 - 6:02
    que, effectivement,
    j'étais bien incarcéré.
  • 6:02 - 6:06
    Le problème est que je ne suis pas
    condamné, mais en mandat de dépôt.
  • 6:06 - 6:09
    Je mets deux semaines pour sortir,
    ne serait-ce qu'en promenade.
  • 6:09 - 6:13
    J'ai peur de me faire attaquer,
    de me faire égorger, de me faire violer.
  • 6:13 - 6:18
    C'est l'image qu'on donne des prisons,
    quoi qu'on ne montre pas véritablement.
  • 6:18 - 6:21
    Simplement, le principe c'est
    que dans ma cellule, il y a Mehdi.
  • 6:21 - 6:24
    Et il me dit : « Tu sais,
    Eddy » (Mehdi, Eddy !)
  • 6:24 - 6:25
    « Mais dis-moi donc ! »
  • 6:25 - 6:27
    Elle était facile, celle-là.
  • 6:27 - 6:28
    (Rires)
  • 6:29 - 6:32
    « Tu sais, Eddy, il faut que tu sortes,
    il faut que tu ailles en promenade
  • 6:32 - 6:35
    parce que si tu ne sors pas,
    tu vas t'enfermer. »
  • 6:35 - 6:38
    Je lui dis : « Mais tu est un fou,
    mon frère, je suis enfermé déjà. »
  • 6:38 - 6:42
    Il dit : « Non, mais dehors,
    il y a l'extérieur, va en promenade. »
  • 6:42 - 6:44
    Je me dis : « Ok, je vais
    y aller en promenade. »
  • 6:44 - 6:46
    J'arrive en promenade,
    c'est la première fois.
  • 6:46 - 6:48
    Mehdi me quitte et me dit :
  • 6:48 - 6:51
    « Prends une brosse à dents, ramone-la
    bien, protège-toi et sors avec. »
  • 6:51 - 6:54
    Eh oui, effectivement,
    la violence existe en prison.
  • 6:55 - 6:57
    Du coup, je m'avance
    dans la cour de promenade
  • 6:57 - 7:00
    mais ce qu'il s'y passe,
    c'est simple : on tourne.
  • 7:00 - 7:04
    Ou sinon, on se cache dans
    les toilettes pour faire des trafics.
  • 7:04 - 7:06
    Et sinon quand on a
    la « position à l'aise »,
  • 7:06 - 7:08
    on s'installe au milieu
    de la cour de promenade
  • 7:08 - 7:10
    et on vaque à ses occupations.
  • 7:10 - 7:13
    Alors moi, je vous dirais
    que j'en menais pas large.
  • 7:13 - 7:16
    Je marche tranquillement,
    je fais le tour de la promenade
  • 7:16 - 7:18
    et là, tout d'un coup,
    j'entends : « Mardoche ! »
  • 7:18 - 7:19
    C'était mon surnom.
  • 7:19 - 7:21
    Petite anecdote : on m'appelait ainsi,
  • 7:21 - 7:24
    car mercredi, Robinson Crusoé,
    qui parlait beaucoup,
  • 7:24 - 7:26
    mon pote qui confond mercredi et mardi,
  • 7:26 - 7:29
    parce que je parle beaucoup,
    on finit par m'appeler « mardi ».
  • 7:29 - 7:30
    (Rires)
  • 7:31 - 7:33
    Ouais, je viens du Nord, encore une fois.
  • 7:33 - 7:35
    (Rires)
  • 7:35 - 7:38
    Donc, j'entends Mardoche,
    une fois, deux fois,
  • 7:38 - 7:41
    je ne réponds pas, j'ai peur,
    c'est un règlement de compte, c'est sûr,
  • 7:41 - 7:43
    quelqu'un qui m'en veut
    qui me retrouve là.
  • 7:43 - 7:45
    Tout d'un coup, j'entends :
  • 7:45 - 7:47
    « Oh ! Eddy, le fils à Pierrette ! »
  • 7:49 - 7:50
    Je vous explique :
  • 7:50 - 7:53
    une maman seule avec
    ses enfants, ce n'est pas facile.
  • 7:53 - 7:55
    Moi, j'ai connu une époque,
    sur un caddie, ma mère court
  • 7:55 - 7:58
    et ma tante derrière qui
    empêche le vigile de nous rattraper.
  • 7:58 - 8:00
    Pas pour voler autre chose qu'à manger.
  • 8:01 - 8:04
    Il s'avère que celui qui m'appelle
    c'est quelqu'un qui a connu ma mère
  • 8:04 - 8:07
    et quelqu'un qu'elle a aidé à une époque
  • 8:07 - 8:08
    et qui se demande pourquoi je suis là,
  • 8:08 - 8:12
    parce que j'étais véritablement celui
    qu'on n'attendait pas à cet endroit.
  • 8:12 - 8:16
    Des lunettes, tête posée,
    j'arrivais toujours à me débrouiller.
  • 8:16 - 8:20
    Ma mère elle-même jamais n'aurait
    imaginé me retrouver à un tel endroit.
  • 8:20 - 8:22
    Je m'avance, il me regarde et il me dit :
  • 8:22 - 8:24
    « Alors ! Qu'est-ce que tu fais là ? »
  • 8:24 - 8:26
    Je me saisis du pourquoi du comment,
  • 8:26 - 8:30
    je vais lui dire que je suis là
    pour violence, ça va faire bien.
  • 8:30 - 8:32
    Je me suis pris une sacrée tarte.
  • 8:32 - 8:34
    Eh oui, il me regarde et me dit :
  • 8:34 - 8:36
    « Pourquoi t'es pas venu nous voir ?
  • 8:36 - 8:39
    On t'aurait donné des stupéfiants,
    tu aurais fait de l'argent,
  • 8:39 - 8:41
    la violence, ça ne sert pas à rien. »
  • 8:41 - 8:42
    Moralisateur qui veut.
  • 8:42 - 8:44
    (Rires)
  • 8:44 - 8:47
    Finalité, je prends ma raclée
    et je me vois tendre une bouteille.
  • 8:47 - 8:50
    À l'intérieur, ce que je pense
    être du jus d'orange.
  • 8:50 - 8:51
    (Soupir)
  • 8:51 - 8:54
    Rigolez ! Je me suis mis à rigoler
    après quelques gorgées.
  • 8:54 - 8:58
    La vérité : dans le jus d'orange,
    ce qui se cachait, c'était de la levure.
  • 8:58 - 9:01
    Voilà, la meilleure manière
    en prison de faire de l'alcool.
  • 9:01 - 9:04
    Je me retrouve à boire
    et donc à partir de là,
  • 9:04 - 9:06
    je me retrouve à vivre
    autrement les choses, je me dis :
  • 9:06 - 9:10
    « Je suis chez moi, je suis tranquille,
    tout se passe bien, vive le quartier. »
  • 9:10 - 9:13
    Deux semaines plus tard,
    un maton vient me voir.
  • 9:14 - 9:18
    Et là, il me regarde droit dans les yeux
    et me dit : « Durteste, paquetage. »
  • 9:18 - 9:21
    Oh, je me dis : « Je m'en vais,
    c'est bon, tout est gagné. »
  • 9:21 - 9:25
    Je le suis, je descends et là
    je fais la rencontre improbable,
  • 9:25 - 9:26
    deux gendarmes qui me disent :
  • 9:26 - 9:30
    « Monsieur, transfert, vous
    êtes disciplinaire, suivez-nous. »
  • 9:30 - 9:33
    Étrange, je ne me suis
    pas battu, j'ai rien fait de mal,
  • 9:33 - 9:35
    ça fait deux semaines que je suis là.
  • 9:35 - 9:38
    Le seul vrai moment difficile
    que j'ai vécu est l'échange avec ma mère
  • 9:38 - 9:39
    au premier parloir
  • 9:39 - 9:42
    qui me dit : « Mon fils, qui es-tu ?
  • 9:43 - 9:44
    Je ne te connais pas.
  • 9:44 - 9:48
    Tu n'es pas mon fils, ce n'est pas
    possible, je ne t'ai pas élevé comme ça. »
  • 9:48 - 9:50
    Je suis dans un fourgon,
    je fais 60 kilomètres,
  • 9:50 - 9:54
    je me retrouve à la maison d'arrêt
    d'Arras, je suis transféré disciplinaire
  • 9:54 - 9:56
    car considéré capable
    d'inciter à l'émeute.
  • 9:57 - 10:01
    Je m'étonne de cette logique,
    et avec le recul, je comprends :
  • 10:01 - 10:05
    c'est que, effectivement, étant
    mineur dans une cour de grands,
  • 10:05 - 10:08
    on m'accueille, on me met au milieu ;
    nécessairement, je deviens une mascotte.
  • 10:08 - 10:11
    On sait ce qui peut arriver
    quand on s'en prend à une mascotte.
  • 10:11 - 10:15
    Donc on me met dans une maison d'arrêt
    avec une population qui m'échappe,
  • 10:15 - 10:18
    puisque la maison d'arrêt,
    où j'étais, était plutôt « globaliste » -
  • 10:18 - 10:22
    on retrouve de tout, des grands criminels,
    des violeurs, des vendeurs de drogue,
  • 10:22 - 10:24
    des braqueurs.
  • 10:24 - 10:28
    Là, je me retrouve dans une maison d'arrêt
    entouré de gens qui sont toxicomanes.
  • 10:28 - 10:31
    Pour la plupart, incarcérés
    pour des faits de stupéfiants.
  • 10:31 - 10:33
    Et tout d'un coup,
    on m'enferme pendant un mois.
  • 10:34 - 10:36
    Un mois, je me retrouve en isolement.
  • 10:36 - 10:38
    Dans ce qu'on appelle
    une « promenade camembert ».
  • 10:38 - 10:41
    Alors, on va ensemble
    faire un petit truc sympa :
  • 10:41 - 10:42
    je vais vous apprendre
  • 10:42 - 10:45
    comment on peut d'un coup
    comprendre ce qu'est le mot « liberté ».
  • 10:45 - 10:48
    Je vais rejoindre un de mes protagonistes
  • 10:48 - 10:50
    et on se retrouve lui et moi.
  • 10:50 - 10:52
    Je vais vous inviter
    à fermer les yeux, un instant ;
  • 10:52 - 10:54
    tous, fermez les yeux, véritablement.
  • 10:54 - 10:57
    Jouez le jeu, je joue le jeu avec vous
    et je continue les yeux fermés.
  • 10:57 - 11:00
    Imaginez-vous, maintenant,
    là où vous souhaiteriez être
  • 11:00 - 11:01
    depuis si longtemps
  • 11:01 - 11:04
    et où, malheureusement,
    vous ne pouvez pas aller
  • 11:04 - 11:06
    pour toutes les raisons
    qui vous concernent.
  • 11:06 - 11:08
    Imaginez juste.
  • 11:14 - 11:16
    Ouvrez les yeux.
  • 11:16 - 11:19
    Vous venez de comprendre
    ce qu'est c'est la liberté.
  • 11:19 - 11:22
    Quand j'ai pris conscience
    de ça, au bout d'un mois,
  • 11:22 - 11:25
    j'ai demandé à voir
    le responsable pénitentiaire :
  • 11:25 - 11:26
    « Ècoutez, je suis prêt, réintégrez-moi,
  • 11:26 - 11:30
    mettez-moi en cellule avec quelqu'un,
    j'ai besoin de discuter, d'échanger,
  • 11:30 - 11:32
    je n'ai plus envie d'être enfermé. »
  • 11:32 - 11:34
    On m'a proposé d'intégrer une cellule.
  • 11:34 - 11:36
    Et là, je rencontre Christophe.
  • 11:37 - 11:41
    Christophe est un ancien toxicomane,
    arrêté dans une affaire de stupéfiants
  • 11:41 - 11:42
    et qui a raccroché.
  • 11:42 - 11:45
    Moi, je viens d'un quartier
    où la drogue est arrivée en 78
  • 11:45 - 11:49
    et où la plupart des aînés
    ont sombré véritablement dedans,
  • 11:49 - 11:52
    certains morts d'overdose,
    d'autres sont tombés dans le deal, etc.
  • 11:52 - 11:57
    Et moi, j'avais une véritable, mais
    véritable, haine envers le toxicomane.
  • 11:57 - 12:01
    Pour moi, le toxicomane c'est
    quelqu'un qui ne mérite, en aucun cas,
  • 12:01 - 12:04
    qu'on s’apitoie sur son sort
    ou qu'on s'inquiète pour lui.
  • 12:04 - 12:08
    Mais finalité, avec lui, j'ai appris
    tout autrement les choses
  • 12:08 - 12:11
    et j'ai une première fois pu comprendre
  • 12:11 - 12:14
    qu'il était important d'apprendre
    à connaître les autres.
  • 12:14 - 12:18
    Ce qui est étrange, puisqu'au fond
    ma mère m'avait inculqué cette valeur.
  • 12:18 - 12:22
    Maintenant, ce qui ce passe,
    on est un an plus tard,
  • 12:23 - 12:26
    je recroise le bricard,
    ce responsable pénitentiaire,
  • 12:26 - 12:28
    et du fait de mon parcours,
  • 12:28 - 12:31
    puisqu'il faut le savoir, j'ai passé
    un CAP de tourneur fraiseur,
  • 12:31 - 12:33
    j'ai passé un diplôme de secourisme
  • 12:33 - 12:35
    et j'ai organisé
    des ateliers d'écriture, etc.
  • 12:35 - 12:37
    J'animais la cour de promenade.
  • 12:37 - 12:38
    À partir de là, il me dit :
  • 12:38 - 12:41
    « Écoute. Un jeune comme toi,
    ça n'a pas sa place en prison.
  • 12:41 - 12:44
    Moi, je pense que tu
    es fait pour l'extérieur.
  • 12:44 - 12:46
    Pose une conditionnelle. »
  • 12:46 - 12:47
    Un mot qui m'échappe.
  • 12:48 - 12:50
    La conditionnelle, c'est
    la possibilité donnée à un détenu
  • 12:50 - 12:53
    qui montre un comportement
    sincère, engagé,
  • 12:53 - 12:54
    de sortir plus tôt.
  • 12:54 - 12:56
    Très bien, je sors plus tôt.
  • 12:56 - 12:57
    À partir de là, pour moi,
  • 12:57 - 13:00
    la possibilité m'est donnée
    de me saisir d'une liberté nouvelle :
  • 13:00 - 13:02
    écrire à nouveau une vie.
  • 13:02 - 13:05
    Difficile, on est jugé très vite.
  • 13:05 - 13:07
    Je décide de m'échapper,
    je dis à ma mère :
  • 13:07 - 13:09
    « Maman, donne-moi
    400 francs, je disparais. »
  • 13:09 - 13:11
    Et je suis parti pendant un an.
  • 13:11 - 13:15
    Pendant un an, j'ai vagué,
    été de pays en pays en Europe.
  • 13:15 - 13:17
    Revenu chez moi,
    j'ai compris une chose :
  • 13:17 - 13:20
    ceux avec qui j'avais grandi n'étaient
    plus capables de me comprendre.
  • 13:20 - 13:23
    Et moi, je n'avais plus rien
    à partager avec eux.
  • 13:23 - 13:26
    Du coup, je décide d'accepter au fond
  • 13:26 - 13:28
    d'aller au devant de ce
    qui me faisait le plus peur :
  • 13:28 - 13:30
    l'inconnu.
  • 13:30 - 13:32
    Je décide à partir de là,
  • 13:32 - 13:35
    de suivre le cheminement de ma vie
    au travers des rencontres.
  • 13:35 - 13:39
    J'accepte ce que ma mère m'avait
    présenté comme étant une vérité.
  • 13:39 - 13:41
    Et je me retrouve à Bordeaux,
  • 13:42 - 13:43
    aux Aubiers.
  • 13:44 - 13:47
    Finalité : installé aux Aubiers,
    je rencontre Alfa,
  • 13:47 - 13:49
    Alfa, jeune Sénégalais-Guinéen,
  • 13:49 - 13:52
    et on a pour dénominateur
    commun la musique.
  • 13:52 - 13:56
    Ensemble, on a une envie,
    c'est d'animer notre quartier :
  • 13:56 - 13:57
    les Aubiers.
  • 13:57 - 14:00
    Certains peut-être, levez la main,
    connaissent les Aubiers ?
  • 14:00 - 14:01
    Ouais.
  • 14:02 - 14:04
    Qui a une bonne image des Aubiers ?
  • 14:04 - 14:06
    Soyez sincères, levez la main ?
  • 14:06 - 14:07
    Merci.
  • 14:09 - 14:12
    Je suis là aussi pour vous
    permettre de changer d'idée.
  • 14:12 - 14:13
    Non, sincèrement.
  • 14:13 - 14:16
    Donc, Alfa et moi on décide de s'engager
    sur ce processus d'animation
  • 14:16 - 14:19
    et ensemble on monte un collectif
  • 14:19 - 14:21
    qui s'appelle « Urban Vibration School ».
  • 14:21 - 14:23
    Il y a un petit raccourci facile.
  • 14:23 - 14:27
    Urbain, qu'on s'entende, ce n'est pas
    pour faire du break, de la street, du rap,
  • 14:27 - 14:29
    c'est Urbain au sens
    géographique du terme,
  • 14:29 - 14:32
    parce qu'effectivement,
    il émane du contexte urbain
  • 14:32 - 14:34
    ce que j'appelle moi des vibrations
  • 14:34 - 14:39
    et qu'à partir du moment où
    on sait sentir, ressentir ces vibrations,
  • 14:39 - 14:41
    on se sent tout d'un coup exister.
  • 14:41 - 14:44
    Les Aubiers, c'est 54 nationalités,
  • 14:44 - 14:46
    4 000 habitants
  • 14:46 - 14:47
    et on vit ensemble.
  • 14:47 - 14:50
    Avec Alfa, on est à Barbey,
    on organise des concerts, des soirées,
  • 14:50 - 14:53
    on amène les quartiers,
    tout le monde.
  • 14:53 - 14:56
    Et puis, un jour, LA Crew
    et Chabby décident de me dire :
  • 14:56 - 14:59
    « Les gars, vous savez quoi,
    si vous voulez aller plus loin,
  • 14:59 - 15:01
    demain créez une association. »
  • 15:01 - 15:03
    Pourquoi pas ? Au fond.
  • 15:04 - 15:07
    On décide de la créer, cette association.
  • 15:07 - 15:11
    En 2007, on déclenche les choses,
    on monte les statuts
  • 15:11 - 15:13
    et pendant deux ans,
    je m'investis à plein pot
  • 15:13 - 15:17
    à tel point que je quitte mon boulot :
    à l'époque, j'étais responsable technique
  • 15:17 - 15:18
    dans un centre d'appel.
  • 15:18 - 15:21
    Il m'aura fallu deux ans,
    j'ai commencé conseiller client,
  • 15:21 - 15:24
    j'ai atteint le poste que je souhaitais
    obtenir, mais ça ne me convient plus.
  • 15:24 - 15:28
    Je pars en voyage professionnel au Maroc,
    je découvre la vérité des centres d'appel.
  • 15:28 - 15:32
    Je vois les écarts, ça ne me
    plaît pas, je ne suis pas d'accord.
  • 15:32 - 15:35
    Je n'abandonne pas mon poste,
    mais je pars, pour moi la tête haute,
  • 15:35 - 15:37
    et je décide de m'investir
    dans l'association UVS.
  • 15:37 - 15:40
    À tel point que, en 2009,
  • 15:40 - 15:44
    je croise le chemin de ce qui
    allait devenir ma seconde maman :
  • 15:44 - 15:45
    (Rires)
  • 15:45 - 15:46
    Catherine.
  • 15:46 - 15:47
    Quelqu'un d'exceptionnel,
  • 15:47 - 15:49
    ni plus ni moins
    que la déléguée au préfet.
  • 15:49 - 15:53
    Et là, tout d'un coup, je me dis :
    « Tu es en train d'ouvrir une boucle. »
  • 15:53 - 15:54
    Bah, oui.
  • 15:54 - 15:57
    La dernière fois que j'avais eu
    une relation avec la préfecture,
  • 15:57 - 16:00
    de police ou en général,
    elle n'était pas bonne.
  • 16:00 - 16:02
    Mais là, je découvre
    quelqu'un d'incroyable,
  • 16:02 - 16:05
    quelqu'un d'ouvert, sincère,
    volontaire, dévoué,
  • 16:05 - 16:08
    soucieux du devenir
    d'un quartier, les Aubiers.
  • 16:08 - 16:11
    Je me dis : « Mais en fait,
    je m'étais trompé ! »
  • 16:12 - 16:14
    Donc, avec elle je décide de m'engager
  • 16:14 - 16:17
    puisqu'elle me propose de créer
    mon poste au sein de cette association
  • 16:17 - 16:18
    que j'ai créée.
  • 16:18 - 16:22
    Ironie étant, le poste qu'elle me propose
    de créer est un poste de médiateur.
  • 16:23 - 16:26
    Moi, ce jeune qui au préalable
    m'amusais à emmener les gens
  • 16:26 - 16:27
    dans le pire du pire,
  • 16:27 - 16:30
    je deviens celui qui nécessairement
    capable de fonder un empire
  • 16:30 - 16:32
    entend leur transmettre des valeurs.
  • 16:34 - 16:35
    Très bien.
  • 16:35 - 16:36
    Je joue le jeu.
  • 16:36 - 16:37
    Avec Alfa, on s'engage.
  • 16:37 - 16:40
    Et au bout d'un temps,
    il s'avère qu'effectivement,
  • 16:40 - 16:42
    au sein des Aubiers,
    on parvient à exister.
  • 16:42 - 16:45
    L'association Urbain Vibration School
    parvient à rayonner.
  • 16:46 - 16:49
    Et ce qui est tout autant étrange,
  • 16:49 - 16:52
    c'est qu'il est difficile
    pour beaucoup d'accepter
  • 16:52 - 16:55
    qu'au fond des jeunes puissent réussir,
  • 16:55 - 16:58
    indépendamment d'études
    ou de cursus habituels.
  • 16:58 - 17:01
    Du coup, le défi pour moi
    était de convaincre.
  • 17:01 - 17:04
    Convaincre et, à partir de là,
    de reprendre les racines
  • 17:04 - 17:07
    qui étaient celles que ma mère
    m'avait laissées : aller vers l'autre.
  • 17:07 - 17:10
    Non plus aller vers l'autre
    comme tout à l'heure
  • 17:10 - 17:12
    pour lui paraître méchant,
    vindicatif, dangereux,
  • 17:12 - 17:15
    mais pour lui expliquer
    qu'il est bon d'aimer,
  • 17:15 - 17:18
    qu'il est bon de donner,
    que les rencontres sont essentielles,
  • 17:18 - 17:21
    que nécessairement, ce qui nous constitue,
    ce sont les rencontres, effectivement.
  • 17:21 - 17:25
    Et que la première des rencontres,
    c'est celle avec soi-même.
  • 17:26 - 17:29
    S'en est suivi des rencontres
    et des rencontres
  • 17:29 - 17:33
    qui m'ont amené aujourd'hui
    à être là avec vous, au TEDx.
  • 17:33 - 17:34
    Je suis Eddy Durteste,
  • 17:34 - 17:37
    directeur et fondateur
    de l'association Urban Vibration School
  • 17:37 - 17:40
    et vous êtes ma rencontre du jour,
    on se rencontrera aux Aubiers.
  • 17:40 - 17:42
    J'en suis sûr. Merci.
  • 17:42 - 17:44
    (Applaudissements)
Title:
Les rencontres construisent le chemin qui dessine nos vies | Eddy Durteste | TEDxBordeaux
Description:

Cette présentation a été faite lors d'un événement TEDx local, produit indépendamment des conférences TED.

Écouter, apprendre, changer... « Je suis les rencontres que je fais »

Eddy Durteste, Directeur de l’association Urban Vibrations School. Originaire de Lille, Eddy Durteste est un artiste aujourd’hui engagé dans la vie associative de son quartier, les Aubiers et expert dans les domaines de la jeunesse, des quartiers prioritaires et de la délinquance. En 2007, il décide de créer l’association Urban Vibrations School avec Alpha Diallo et de participer de manière active à la vie de son quartier les Aubiers. Malgré un parcours difficile, il a su faire de ses faiblesses une force, riche d’une vie ponctuée d’expériences et de rencontres incroyables.

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Video Language:
French
Team:
closed TED
Project:
TEDxTalks
Duration:
17:47

French subtitles

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