Trois idées. Trois contradictions. Ou pas.
-
0:01 - 0:03Je m'appelle Hannah.
-
0:03 - 0:05C'est un palindrome.
-
0:05 - 0:11C'est-à-dire un mot que l'on peut épeler
indifféremment dans les deux sens, -
0:12 - 0:13pour ceux qui savent épeler.
-
0:13 - 0:15Mais en fait,
-
0:15 - 0:16(Rires)
-
0:17 - 0:20Dans ma famille, on a tous
des surnoms palindromiques. -
0:20 - 0:21C'est une tradition.
-
0:21 - 0:24Il y a Mum, Dad,
-
0:24 - 0:26(Rires)
-
0:26 - 0:29Nan, Pop,
-
0:29 - 0:31(Rires)
-
0:31 - 0:34et mon frère, Kayak.
-
0:34 - 0:35(Rires)
-
0:35 - 0:37Et voilà !
-
0:37 - 0:39C'est une plaisanterie, certes,
-
0:39 - 0:40(Rires)
-
0:40 - 0:43car j'aime bien démarrer ainsi
car je suis humoriste. -
0:43 - 0:46Vous savez déjà deux choses sur moi :
-
0:46 - 0:48je m'appelle Hannah et je suis humoriste.
-
0:48 - 0:49Je ne perds pas de temps.
-
0:49 - 0:51Voici la troisième chose
que vous devez savoir : -
0:51 - 0:55je crains ne pas être qualifiée
pour exprimer mes opinions. -
0:55 - 0:58C'est un début d'intervention audacieux,
-
0:58 - 1:00mais c'est la vérité.
-
1:00 - 1:02J'ai toujours éprouvé des difficultés
-
1:02 - 1:04à transformer ma pensée en paroles.
-
1:06 - 1:08Cela peut donc paraître une contradiction
-
1:08 - 1:11qu'une personne comme moi,
si peu versée dans la conversation, -
1:11 - 1:13puisse devenir humoriste.
-
1:13 - 1:15Mais voilà. Mais voilà.
-
1:15 - 1:17C'est ainsi.
-
1:17 - 1:21Je me suis lancée dans le spec-,
spectacle, vous voyez ? -
1:21 - 1:22Vous voyez ?
-
1:22 - 1:25(Rires)
-
1:25 - 1:28Je me suis lancée dans le spectacle
-
1:28 - 1:29à la fin de la vingtaine.
-
1:29 - 1:32En dépit de ma timidité pathologique,
-
1:32 - 1:35de ne jamais parler,
de mon manque d'estime de moi -
1:35 - 1:37et de n'avoir jamais
tenu un micro en main, -
1:37 - 1:42face au public, j'ai immédiatement su,
-
1:42 - 1:44avant même de lâcher
ma première plaisanterie, -
1:45 - 1:48j'ai su que j'adorais ça
-
1:48 - 1:50et que la scène m'adorait.
-
1:50 - 1:54Toutefois, je ne comprenais pas pourquoi.
-
1:54 - 1:59Comment pouvais-je être si bonne à
une chose à laquelle je n'étais pas douée. -
1:59 - 2:00(Rires)
-
2:00 - 2:03Cette question me taraudait
sans que je puisse comprendre. -
2:03 - 2:05Jusqu'à ce que je comprenne.
-
2:05 - 2:08Avant de dissiper ce mystère
-
2:08 - 2:11d'être si douée pour une chose
pour laquelle je suis si peu douée, -
2:11 - 2:14je vais vous balancer
une autre de mes contradictions : -
2:14 - 2:18peu après avoir compris tout ça,
-
2:18 - 2:21j'ai décidé d'abandonner la comédie.
-
2:21 - 2:24C'est donc un nouveau pavé dans la mare,
-
2:24 - 2:26une contradiction que
je dois vous expliquer, -
2:26 - 2:29mais avant ça,
-
2:29 - 2:32j'ajouterai que renoncer
à ma carrière d'humoriste l'a lancée. -
2:32 - 2:34(Rires)
-
2:34 - 2:38Un succès fulgurant à un point tel
qu'après avoir quitté la comédie, -
2:38 - 2:41je suis devenue l'humoriste
dont on parlait le plus. -
2:41 - 2:45Car, apparemment, je suis encore
plus mauvaise à planifier ma retraite -
2:45 - 2:47qu'à exprimer mes opinions.
-
2:49 - 2:52Jusqu'à présent,
-
2:52 - 2:56hormis étaler quelques détails
biographiques, -
2:56 - 2:59j'ai uniquement fait allusion
au fait que j'ai trois idées -
2:59 - 3:00à partager avec vous,
-
3:00 - 3:04sous la forme de trois contradictions.
-
3:04 - 3:07Un : je ne parle pas bien
mais je parle bien. -
3:07 - 3:10J'ai abandonné mais pas abandonné.
-
3:10 - 3:12Trois idées, trois contradictions.
-
3:12 - 3:14Vous devez avoir remarqué
qu'il n'y a que deux points -
3:14 - 3:16dans ma liste de trois points.
-
3:16 - 3:17(Rires)
-
3:17 - 3:20Mais rappelez-vous qu'il s'agit
d'une liste de contradictions. -
3:20 - 3:21Accrochez-vous.
-
3:21 - 3:23(Rires)
-
3:23 - 3:27Les organisateurs de TED m'ont proposé
dans le cadre d'une intervention si longue -
3:27 - 3:30de me concentrer sur une seule idée.
-
3:31 - 3:32J'ai refusé.
-
3:32 - 3:34(Rires)
-
3:36 - 3:37Que savent-ils de moi ?
-
3:38 - 3:40Pour expliquer pourquoi
j'ai choisi d'ignorer -
3:40 - 3:43ce qui est clairement un bon conseil,
-
3:43 - 3:45je dois vous ramener
au début de mon intervention, -
3:45 - 3:47à ma plaisanterie sur le palindrome.
-
3:47 - 3:51Cette plaisanterie est fondée sur
mon astuce préférée d'humoriste, -
3:51 - 3:52la règle de trois :
-
3:52 - 3:54on affirme une chose,
-
3:54 - 3:55et on va la contredire
-
3:55 - 3:57avec une liste.
-
3:57 - 3:59Tous les membres de ma famille
ont un surnom en palindrome. -
3:59 - 4:02Mum, Dad, Nan, Pop.
-
4:02 - 4:06L'idée fondamentale est
de créer une récurrence, -
4:06 - 4:08et cette récurrence génère une attente.
-
4:08 - 4:11Ensuite vient le troisième élément,
Boum ! Kayak. Quoi ? -
4:11 - 4:13C'est la règle de trois.
-
4:13 - 4:15Un, deux, surprise ! Ha ha.
-
4:15 - 4:17(Rires)
-
4:21 - 4:26Le principe de la règle de trois
ne se limite pas à mon métier, -
4:26 - 4:28il est aussi fondamental
dans ma manière de communiquer. -
4:28 - 4:31Je ne vais donc pas changer ça,
-
4:31 - 4:32même pour TED,
-
4:32 - 4:35qui, permettez-moi de le faire remarquer,
représente trois idées : -
4:36 - 4:37Technologie, Excitation,
-
4:37 - 4:39et Deb.
-
4:39 - 4:40(Rires)
-
4:42 - 4:44Ça marche à chaque coup, non ?
-
4:46 - 4:48Mais avec seulement des blagues,
-
4:48 - 4:50on ne va pas très loin
comme humoriste professionnel. -
4:50 - 4:54Il faut pouvoir rester en équilibre
sur le fil entre être envoûtant -
4:54 - 4:56et être désarmant.
-
4:56 - 5:01J'ai découvert que le moyen le plus sûr
de séduire suffisamment -
5:01 - 5:06pour compenser les effets
de ma personnalité désarmante -
5:06 - 5:08était de raconter des histoires
et pas des blagues. -
5:08 - 5:10Dans mes shows, je raconte donc
beaucoup d'histoires -
5:10 - 5:12des histoires sur ma vie,
sur mon coming-out, -
5:12 - 5:16des histoires sur les insultes que j'ai
subies pour ne pas être qu'une femme -
5:16 - 5:19mais être aussi une femme grande,
et assez masculine. -
5:19 - 5:23Une simple lecture
des commentaires en ligne -
5:23 - 5:25explicitera le concept d'insulte.
-
5:25 - 5:27(Rires)
-
5:27 - 5:30Le moment est venu
de passer la deuxième vitesse -
5:30 - 5:35et de vous raconter une histoire
sur tout ce que je viens de vous dire. -
5:35 - 5:37Dans les derniers jours de sa vie,
-
5:37 - 5:40ma grand-mère était entourée
de nombreuses personnes, -
5:40 - 5:42vraiment beaucoup,
-
5:42 - 5:44car elle était la matriarche aimante
-
5:44 - 5:47d'une grande famille unie.
-
5:47 - 5:49Au cas où vous n'avez pas fait le lien,
-
5:49 - 5:51je fais partie de cette famille.
-
5:52 - 5:55J'ai eu la chance, si on peut dire,
de pouvoir lui dire adieu -
5:55 - 5:57le jour de sa mort.
-
5:57 - 6:00Mais sa conscience s'était enfuie
dans un confort ouaté, -
6:00 - 6:03et donc, ce fut un adieu unilatéral.
-
6:04 - 6:07Ça m'a fait penser à des tas de choses,
-
6:07 - 6:10des choses auxquelles je n'avais plus
songé depuis longtemps, -
6:10 - 6:12comme les lettres que je lui envoyais
-
6:12 - 6:14au début de l'université,
-
6:14 - 6:17des lettres remplies d'histoires
et d'anecdotes amusantes -
6:17 - 6:19que j'enjolivais pour son plaisir.
-
6:19 - 6:22Je me suis souvenue
combien il m'était difficile d'articuler -
6:22 - 6:27l'anxiété et la peur qui m'étreignaient
au moment de démarrer ma petite vie -
6:27 - 6:31dans un monde
qui me paraissait trop immense. -
6:31 - 6:34Je me suis souvenue toutefois,
trouver du réconfort dans ces lettres -
6:34 - 6:37car je les écrivais
avec ma grand-mère à l'esprit. -
6:38 - 6:41Mais au fur et à mesure que
ce monde me submergeait -
6:41 - 6:45et que mes capacités à y naviguer
se détérioraient, -
6:45 - 6:47j'ai cessé d'écrire ces lettres.
-
6:48 - 6:53Je pensais que ma grand-mère ne voudrait
pas savoir le genre de vie que j'avais. -
6:54 - 6:57Ma grand-mère ne savait pas
que j’étais homosexuelle, -
6:57 - 6:58et six mois avant sa mort,
-
6:59 - 7:01comme ça, elle m'a demandé
si j'avais un copain. -
7:02 - 7:06Je me souviens ce jour-là, avoir pris
très soigneusement la décision -
7:06 - 7:08de ne rien dire à ma grand-mère
-
7:09 - 7:12car je savais que sa vie
arrivait à sa fin, -
7:12 - 7:14nos moments ensemble étaient comptés.
-
7:14 - 7:17Je ne voulais pas parler des choses
qui nous rendaient différentes. -
7:17 - 7:20Je voulais parler des choses
qui nous reliaient. -
7:21 - 7:22Alors, j'ai éludé le sujet.
-
7:23 - 7:26À ce moment-là, j'ai cru
que c'était la bonne décision. -
7:26 - 7:29Mais au chevet de ma grand-mère,
-
7:29 - 7:32qui approchait inexorablement de sa mort,
-
7:32 - 7:34je n'ai pu m'empêcher d'éprouver
du remords -
7:34 - 7:37de ne pas lui avoir confié un élément
si important de ma vie. -
7:39 - 7:43J'ai aussi compris que
j'avais raté ma chance -
7:43 - 7:45et comme ma grand-mère aimait le répéter :
-
7:45 - 7:48« La soupe est prête maintenant.
-
7:48 - 7:50C'est trop tard
pour retirer les oignons. » -
7:50 - 7:52(Rires)
-
7:52 - 7:54Ça m'a fait réfléchir
-
7:54 - 7:58et j'ai pensé que j'avais eu
trop d'oignons à gérer -
7:58 - 8:00dans mon enfance,
-
8:00 - 8:04grandissant dans un État
où l'homosexualité est un crime. -
8:04 - 8:07Cette pensée m'a conduite à réaliser
combien j'étais étranglée -
8:07 - 8:11par le carcan de ma propre honte.
-
8:11 - 8:14Je me suis alors souvenue
de tous mes traumatismes : -
8:14 - 8:17la violence, le harcèlement, mon viol.
-
8:20 - 8:22Et dans ce nœud de pensées,
-
8:22 - 8:25une question revenait
sans cesse à la surface. -
8:26 - 8:28Mais je n'avais pas de réponse :
-
8:28 - 8:30pourquoi suis-je là ?
-
8:32 - 8:36Je me sentais plus proche de ma grand-mère
que des autres membres de la famille. -
8:36 - 8:39Nous avions tant de traits en commun.
-
8:39 - 8:41Pas autant maintenant.
-
8:41 - 8:43Car la mort transforme les gens.
-
8:43 - 8:44Mais ça--
-
8:44 - 8:45(Rires)
-
8:45 - 8:47C'est le sens de l'humour
de ma grand-mère. -
8:47 - 8:51Cette personne dont je me sentais
si proche était une mère, une grand-mère, -
8:51 - 8:54une arrière-grand-mère,
une arrière-arrière-grand-mère. -
8:54 - 8:58Moi ? J'étais la dernière représentante
de ma branche de l’arbre familial -
8:58 - 9:02et je n'étais pas trop sûre
d'être encore reliée au tronc. -
9:02 - 9:04Pourquoi étais-je là ?
-
9:06 - 9:12L'année de la mort de ma grand-mère
fut la plus créative de ma vie. -
9:12 - 9:15Je suppose que c'est dû au fait
que mes pensées s'agrégèrent -
9:15 - 9:17au lieu de se dissiper.
-
9:17 - 9:20Je n'ai pas un processus mental linéaire.
-
9:20 - 9:22Je suis très visuelle,
je vois mes pensées. -
9:22 - 9:24Je n'ai pas de mémoire photographique
-
9:24 - 9:30et mon esprit n'est pas une galerie
statique d'images mentales. -
9:30 - 9:35C'est une sorte de langage hiéroglyphe
qui évolue dans mon esprit -
9:35 - 9:36que j'ai développé,
-
9:36 - 9:40que je comprends couramment,
et avec lequel je pense. -
9:40 - 9:42Mais la traduction est difficile.
-
9:42 - 9:46Je ne sais ni peindre, ni dessiner,
ni sculpter, ni faire du patchwork. -
9:46 - 9:48Quant à l'écriture,
-
9:48 - 9:54ça va encore mais ça reste
un processus de traduction tortueux -
9:54 - 9:56qui ne me satisfait guère.
-
9:56 - 10:01Quand il s'agit d'exprimer
à haute voix mes idées, c'est terrible. -
10:01 - 10:04Le discours m'a toujours paru
être un cadre exigu et inapte -
10:04 - 10:06à traduire ma vie intérieure.
-
10:07 - 10:08Et donc,
-
10:08 - 10:13j'ai toujours compris davantage que
ce que je suis capable de communiquer. -
10:14 - 10:16Un an avant la mort de ma grand-mère,
-
10:16 - 10:19on a officiellement diagnostiqué
l'autisme chez moi. -
10:19 - 10:21Ce fut une sorte de soulagement pour moi.
-
10:22 - 10:27J'ai toujours pensé que je ne pouvais pas
gérer ma vie comme une personne normale -
10:27 - 10:30car j'étais dépressive et anxieuse.
-
10:30 - 10:31Mais en fait,
-
10:31 - 10:33j'étais dépressive et anxieuse
-
10:33 - 10:36parce que je n'arrivais pas à gérer
ma vie comme une personne normale, -
10:36 - 10:38parce que je n'étais pas
une personne normale -
10:38 - 10:40mais je l'ignorais.
-
10:40 - 10:42Je ne dis pas
que c'est facile aujourd'hui. -
10:42 - 10:45Chaque jour apporte ses difficultés,
pour être sincère. -
10:45 - 10:48Mais au moins, maintenant,
je peux donner un nom à mes difficultés -
10:48 - 10:52et assumer qu'être normale
n'en fait pas partie. -
10:52 - 10:55Je ne cherche pas
à me protéger de l'orage. -
10:55 - 11:00Je lutte pour trouver l'œil du cyclone
le mieux que je peux. -
11:00 - 11:04Au-delà des méthodes usuelles
que nous avons pour trouver notre calme, -
11:04 - 11:08les comportements répétitifs,
les routines et les obsessions, -
11:08 - 11:14j'ai découvert une manière inattendue
d'entrer dans l'œil du cyclone : -
11:15 - 11:16le one-woman show.
-
11:16 - 11:20Si vous avez besoin de davantage
de preuves sur ma neurodivergence, -
11:20 - 11:25je suis calme quand je fais des choses
qui terrorisent les gens en général. -
11:25 - 11:27Je suis presque morte à l'intérieur.
-
11:27 - 11:29(Rires)
-
11:31 - 11:35Ce diagnostic m'a offert un cadre
auquel rattacher des parties de moi -
11:35 - 11:37qui me restent incompréhensibles.
-
11:37 - 11:39Ma marginalité avait trouvé une cohérence,
-
11:39 - 11:41et pendant un certain temps,
j'ai retrouvé confiance -
11:41 - 11:43en ma pensée.
-
11:43 - 11:47Mais après la mort de ma grand-mère,
cette confiance s'est effondrée -
11:48 - 11:51car je fais mon deuil en pensant.
-
11:51 - 11:53Et dans ce deuil mental,
-
11:53 - 11:56je me suis aperçu avec lucidité
-
11:56 - 12:01de l'ampleur de l'isolement
dans lequel je vivais depuis toujours. -
12:02 - 12:06Pourquoi suis-je là ?
-
12:07 - 12:10J'ai commencé à faire des recoupements
entre l'autisme -
12:10 - 12:13et les troubles
de stress post-traumatique. -
12:13 - 12:14Ça m'a inquiétée
-
12:14 - 12:16car je souffrais des deux.
-
12:16 - 12:19Comment pourrais-je les démêler ?
-
12:20 - 12:23On m'a toujours expliqué
que pour se libérer d'un traumatisme, -
12:23 - 12:26il faut créer une narration cohérente.
-
12:26 - 12:28J'avais cette narration cohérente,
-
12:28 - 12:31mais je restais soumise
à mes traumatismes. -
12:31 - 12:35Ils faisaient partie de ma soupe
et les oignons continuaient de piquer. -
12:35 - 12:38Alors, j'ai compris,
-
12:38 - 12:40que jusqu'ici, je racontais
mon histoire pour amuser. -
12:40 - 12:43J'avais épuré mon obscurité,
gommé la peine -
12:43 - 12:47de traumatismes auxquels je m'accrochais
pour réconforter mon public. -
12:48 - 12:51Il y avait bien une connexion
avec lui à travers le rire, -
12:51 - 12:54mais je restais profondément isolée.
-
12:54 - 12:57Pourquoi suis-je là ?
-
12:57 - 12:59Je n'avais pas de réponse,
-
12:59 - 13:01mais j'avais une petite idée.
-
13:01 - 13:03J'avais l'intention de dire la vérité,
-
13:04 - 13:06toute la vérité,
-
13:06 - 13:11pas pour faire rire, mais pour partager
ma douleur littérale et viscérale. -
13:11 - 13:14J'ai pensé que le meilleur moyen
était d'en faire une comédie. -
13:14 - 13:16C'est donc ce que j'ai fait.
-
13:16 - 13:20J'ai écrit une comédie
qui ne respecte pas la chute, -
13:20 - 13:24la chute inévitable attendue
de tous les humoristes, -
13:24 - 13:25j'en ai fait une démangeaison.
-
13:25 - 13:26Ce n'était que le début.
-
13:26 - 13:28J'ai enfoncé le clou du spectacle
-
13:28 - 13:32dans les tripes métaphoriques
de mon public. -
13:32 - 13:34Je ne souhaitais pas les voir rire.
-
13:35 - 13:37Je voulais leur couper le souffle,
-
13:37 - 13:38les bouleverser,
-
13:38 - 13:42afin qu'ils puissent écouter mon histoire
et porter ma douleur -
13:42 - 13:47en tant qu'êtres humains, pas comme
une foule indifférente et hilare. -
13:47 - 13:50C'est donc ce que j'ai fait,
j'ai intitulé mon show : « Nanette ». -
13:50 - 13:52De nombreuses personnes,
-
13:52 - 13:54(Applaudissements)
-
13:58 - 14:00De nombreuses personnes ont affirmé
-
14:00 - 14:02que « Nanette » n'est pas une comédie.
-
14:02 - 14:07Je suis d'accord que « Nanette »
n'est vraiment pas une comédie, -
14:07 - 14:09mais ils se trompent quand même.
-
14:09 - 14:10(Rires)
-
14:10 - 14:12Car ils ont mal posé leur cadre
-
14:12 - 14:16en disant que j'avais échoué
dans mon projet de créer une comédie. -
14:17 - 14:20Ce n'est pas le cas.
-
14:20 - 14:24J'ai repris tout mon savoir-faire
sur la comédie, -
14:24 - 14:27toutes les astuces, les outils,
l'art de la comédie -
14:27 - 14:30et j'ai utilisé tout cela
pour tordre le cou à la comédie. -
14:30 - 14:33C'est impossible de le faire
à l'aide de la comédie -
14:33 - 14:35si on échoue à la comédie.
-
14:35 - 14:37Débandade d'instruments mous !
-
14:37 - 14:40(Rires) (Applaudissements)
-
14:44 - 14:45Ce n'était pas mon but.
-
14:45 - 14:49Je n'ai jamais eu l'intention
de trahir la comédie. -
14:50 - 14:54Mon intention était de lui tordre le cou
pour la reconstruire et la remodeler, -
14:54 - 14:57la façonner en un outil
capable de contenir -
14:57 - 15:00tout ce que je souhaite partager.
-
15:00 - 15:03C'est ce que je veux dire quand je dis
que j'ai abandonné la comédie. -
15:05 - 15:08Je vous entends penser : « Ouais, cool.
-
15:08 - 15:10Mais c'est quoi au juste,
ses trois idées ? -
15:10 - 15:12C'est un peu vague. »
-
15:12 - 15:15Je suis ravie que vous ayez
posé la question silencieusement. -
15:15 - 15:17(Rires)
-
15:19 - 15:24J'imagine aisément que certains parmi vous
ont déjà mis le doigt sur ces trois idées. -
15:24 - 15:27Un public cultivé,
sans l'ombre d'un doute, -
15:27 - 15:29cela ne me surprendrait pas.
-
15:29 - 15:33Mais vous allez découvrir avec
consternation que je n'ai pas trois idées. -
15:33 - 15:37C'est ce que je vous ai affirmé
mais c'était un mensonge. -
15:37 - 15:40Une intox,
je sais, je suis vraiment drôle. -
15:40 - 15:47Ce que j'ai fait en fait, c'est prendre
une poignée d'idées comme des graines -
15:47 - 15:49et les semer tout au long
de mon intervention. -
15:50 - 15:52Pourquoi agir ainsi ?
-
15:52 - 15:54En dehors des conneries
et des gloussements, -
15:55 - 15:58tout ça se résume à une chose
que ma grand-mère disait souvent : -
15:59 - 16:04« Ce n'est pas le jardin
qui est important, mais le jardinage. » -
16:04 - 16:08« Nanette » m'a enseigné
la vérité de cette évidence. -
16:08 - 16:11J'espérais, en trahissant
les codes de la comédie -
16:11 - 16:16pour relater mon histoire
dans toute sa vérité et sa douleur, -
16:16 - 16:21me pousser plus loin
dans les marges de la vie et de l'art. -
16:22 - 16:28Je m'y attendais et j'étais prête
à en payer le prix pour relater ma vérité. -
16:28 - 16:31Mais ça n'est pas arrivé.
-
16:31 - 16:34Le monde ne m'a pas repoussée ;
il m'a au contraire attirée vers lui. -
16:35 - 16:39À travers un acte de déconnexion,
j'ai trouvé une connexion. -
16:40 - 16:42J'ai mis du temps à comprendre
-
16:42 - 16:44que l'élément au cœur
de cette contradiction -
16:44 - 16:47est aussi le cœur de la contradiction
-
16:47 - 16:52qui fait que je peux être si douée à
une chose pour laquelle je n'ai aucun don. -
16:53 - 16:55Voyez-vous, dans le vrai monde,
-
16:55 - 16:57je dois lutter pour parler
-
16:57 - 17:03car ma neurodiversité m'empêche
de penser facilement, -
17:04 - 17:07d'écouter et de traiter
des nouvelles informations -
17:07 - 17:08simultanément.
-
17:09 - 17:11Mais sur scène,
je n'ai pas besoin de penser. -
17:11 - 17:13Je prépare mes idées à l'avance.
-
17:14 - 17:16Je n'ai pas besoin d'écouter ;
c'est votre boulot. -
17:16 - 17:18(Rires)
-
17:18 - 17:20Je n'ai pas besoin de
vraiment parler non plus, -
17:20 - 17:23car, strictement parlant, je récite.
-
17:24 - 17:26Il ne me reste donc plus qu'une chose :
-
17:27 - 17:29faire tout mon possible
-
17:30 - 17:34pour créer cette connexion
authentique avec mon public. -
17:36 - 17:39Si « Nanette » m'a enseigné une chose,
-
17:39 - 17:43c'est que la connexion
ne dépend pas uniquement de moi. -
17:44 - 17:46Vous devez y contribuer.
-
17:47 - 17:50« Nanette » émane de moi,
-
17:50 - 17:54mais elle vit et grandit
dans l'univers d'autres esprits, -
17:54 - 17:57qui ne sont pas le mien.
-
17:57 - 17:59Mais je sais que je suis reliée à eux.
-
18:01 - 18:04C'est pour cela qu'elle me dépasse,
-
18:04 - 18:09tout comme le sens de notre vie
nous dépasse tous. -
18:09 - 18:10Je vous confie ce message.
-
18:11 - 18:12Merci et bonne journée.
-
18:13 - 18:15(Applaudissements)
- Title:
- Trois idées. Trois contradictions. Ou pas.
- Speaker:
- Hannah Gadsby
- Description:
-
« Nanette » de Hannah Gadsby transcende la comédie. Dans une intervention sur la vérité et le sens de la vie, elle partage avec nous trois idées et trois contradictions. Ou pas.
- Video Language:
- English
- Team:
- closed TED
- Project:
- TEDTalks
- Duration:
- 18:33
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