Comment la poésie esquisse les réponses à nos interrogations | Kateri Lanthier | TEDxAshburyCollege

La poète canadienne Kateri Lanthier explore la pertinence de l'art millénaire de la poésie dans notre vie moderne.

Ses poésies ont été publiées dans de nombreuses revues au Canada, aux États-Unis et au Royaume-Uni. Son poème « The Coin Under the Leftmost Sliding Cup » (« La pièce sous le gobelet de gauche ») a remporté le prix de poésie Walrus 2013 et a été publié dans la compilation de poèmes « Best Canadian Poetry 2014 » (éd. Tightrope Books). Kateri Lanthier est membre de la League of Canadian Poets et a enseigné l'écriture créative à l'université de Toronto Mississauga. Elle a écrit deux recueils : « Reporting from Night » (Iguana Books, 2011) et « Siren » (Signal Editions, Véhicule Press, 2017).

Cette conférence a été donnée lors d'un événement TEDx utilisant le format de conférence TED mais organisé indépendamment par une communauté locale. Pour en savoir plus : https://www.ted.com/tedx.

Qui lit encore de la poésie aujourd'hui ?

Tout comme la mort du roman,
sujet de prédilection de ces papiers

qui eux-mêmes ont du mal à survivre,

le manque de pertinence de la poésie
au 21ème siècle

semble être devenu une idée reçue,
un lieu commun.

Mais c'est une idée qui mérite
d'être examinée.

A notre époque de connexions
virtuelles, la poésie se porte très bien :

elle habite les pixels et les flashes,

dans les chansons, sur les imprimés,
les affiches de métro et les T-shirts.

Alors qu'elle semble dormir
dans les bibliothèques,

la poésie est prête à renaître

dès qu'on ouvre un livre pour lire
une poésie en silence ou à voix haute.

La poésie aborde les grandes questions
en répondant à un besoin chez l'homme

qui a toujours existé,

bien avant l'invention de l'écriture

ou, bien après, de l'imprimerie.

Elle fait le tour du monde en
un instant, et peut changer la vie.

On continue de rechercher des vers

à citer lors des événements
majeurs de la vie :

en tout cas aux moments solennels,

lorsqu'on est triste ou humble,
ou simplement par devoir,

lors de funérailles ou de commémorations.

On se tourne vers les poètes pour
des mots qui traduisent notre chagrin,

pour donner une lueur d'espoir
même si nous la distinguons à peine.

En temps de crise ou lors
d'un tournant majeur de l'histoire,

les poésies deviennent virales
sur les réseaux.

Je l'ai constaté de nombreuses fois
sur Facebook, Twitter, Instagram.

Et puis il y a aussi la joie.

Nous lisons ou récitons des vers lors
d'occasions joyeuses, de célébrations :

les mariages, les baptêmes
religieux ou civils.

Euphoriques, nous faisons appel aux
poètes pour trouver les mots justes.

La poésie est également politique.

Les poètes-performeurs en sont un exemple.

George Elliott Clarke, notre poète
officiel du Parlement du Canada,

était le poète officiel de Toronto
jusqu'à récemment ;

Anna Yin est la poètesse officielle
de Mississauga, à côté de Toronto ;

Micheline Maylor est la poètesse
officielle de Calgary.

Nous désignons des poètes

pour promouvoir la lecture et l'écriture
de la poésie au sein des communautés,

pour représenter des villes
et des pays entiers.

Je vous recommande
leurs œuvres, d'ailleurs.

La poésie adopte une vision à long terme.

C'est un art qui date d'avant
les archives historiques,

tout en étant absolument contemporain.

Si on considère que les paroles
de chansons sont de la poésie,

alors on est encore presque tous
des passionnés de cet art ancien.

Le comité du prix Nobel de littérature
le croit, en tout cas,

puisqu'ils ont décerné le prix Nobel
de littérature à Bob Dylan cette année.

Ça a suscité un grand débat
parmi les écrivains.

Dylan méritait-il le prix ?

Oui, il a pris le nom du
célèbre poète Dylan Thomas…

Je ne statuerai pas,

mais je remarquerai que ce prix

aurait pu aussi être décerné aux
chanteurs-compositeurs canadiens

Joni Mitchell et Leonard Cohen.

Notons que l'une des chansons
les plus célèbres de Dylan,

« Blowin’ in the Wind »,

pose une série de questions
dont la réponse énigmatique

est apportée dans le titre.

La chanson s'inspire
de la poésie populaire

comme « Scarborough Fair »
de Simon & Garfunkel.

C'était une tendance
dans le vent à l'époque.

Ce qui explique pourquoi
les comptines et chansons folk,

les ballades, poèmes épiques,
psalmodies et ghazals

ont traversé l'histoire :

ils répondent à un besoin chez l'homme
de rythmes, de rimes et de silences,

de vérités qui résonnent
comme des cloches,

d'aphorismes,

un besoin d'exprimer
les désirs romantiques,

de transmettre des histoires
et les croyances religieuses,

un besoin de mystère, d'absurde
et d'émerveillement.

La poésie la plus puissante ose
poser les questions essentielles

et apporte au moins
des tentatives de réponse.

Comment puis-je gagner l'amour d'untel ?

Pourquoi sommes-nous là ?

Où ou quoi ou qui ?
Existe-t-il un Dieu ou une Déesse ?

C'est comment la guerre ?
Comment définir la paix ?

Les poésies peuvent être aussi sublimes :

« Dois-je te comparer à un jour d'été ? »

Oui, s'il vous plaît !
C'est tellement flatteur.

La réponse est inattendue :

« Tu es plus belle et plus tempérée. »

Attends, que dis-tu ?
Ouh là là, c'est encore mieux !

« Ceci vivra longtemps et
te donnera la vie. »

Ah, tu vas m'immortaliser avec ce poème !

Les bons vers sont souvent inattendus.

La question d'intemporalité
peut être épineuse.

Cela dépend tellement
des croyances et préjugés culturels.

Mais même si un poème n'est pas
toujours d'actualité ou pertinent

sorti de son époque ou sa culture,

les poésies apportent quelque chose
que nous ignorons à nos risques et périls.

Le poète américain
William Carlos Williams a écrit :

« C'est difficile de suivre
l'actualité en lisant des poésies,

mais chaque jour des hommes meurent
de n'avoir pas su ce qui s'y trouve. »

La poétesse américaine
Emily Dickinson a écrit :

« Dites toute la vérité,
mais dites-la de biais. »

Les réponses apportées par la poésie
peuvent être indirectes ou intuitives,

mais elles tirent leur force
de leur subtilité

et leur façon de rester
ouvertes à l'interprétation.

Je vais vous raconter mon histoire.

J'ai commencé à écrire
de la poésie à huit ans.

Je tenais un journal dans lequel
je gribouillais des lignes.

Deux ans plus tard

– ça date de ma classe de CM2 –

j'ai écrit un poème qui
se termine sur le vers

« Je sens que mon œuvre,
comme le monde, est recyclée. »

Profond pour une fille de 10 ans

et assez drôle.

Ce regret de sentir
qu'on ne fait que répéter

ce que d'autres et soi-même ont déjà pensé

remonte à loin dans la poésie anglaise.

Au moins jusqu'à : « Étudier de belles
inventions pour amuser son esprit,

Tournant souvent les feuilles d'autres
poètes en espérant qu'il en coulera

une ondée fraîche et féconde
sur mon cerveau brûlé par le soleil. »

Du poète Sir Philip Sidney – le premier
sonnet d'« Astophil et Stella » –

dans les années 1580.

J'ai arrêté d'écrire
de la poésie à la trentaine,

pressée de gagner ma vie et de
me comporter comme une vraie adulte.

J'ai donc mis de côté la poésie jusqu'à
l'arrivée de mon troisième enfant.

Ce garçon, Will, semblait réveiller
ma créativité poétique endormie.

Je l'écoutais apprendre le langage,

et télescoper les images en essayant
de comprendre le monde,

je me suis dit que je devrais le suivre
partout avec un carnet de notes,

ce que j'ai fait.

Et certaines de ses phrases, comme

« Lune, Lune, au secours,
je suis coincé ! »

et « Est-ce que je pense
ce que je pense ? »

se sont retrouvées dans mon premier livre.

J'ai réalisé que les gens
naissent à la poésie,

qu'enfant, on invente des mots,
comme Shakespeare.

Nous voulons exprimer,

comprendre le monde extérieur
et ce qu'il se passe en nous.

Les mots nous régalent ; on en joue.

On les chuchote, les crie, les chante,

On veut à tout prix arrêter
un adulte pour les lui dire.

C'est inné chez l'homme.

La poésie peut apporter consolation
ou opérer une catharsis thérapeutique.

Elle peut amener nos esprits surexcités

à se focaliser sur
les questions essentielles,

à réexaminer nos valeurs et la façon
dont on passe notre temps,

et nous aider à apprécier
les beautés de la Nature.

On trouve des composantes philosophiques
et historiques dans des poèmes,

qu'ils soient contemporains ou classiques,

et j'ai une suggestion à vous faire :

lisez de la poésie.

Je vous recommande de lire
les poètes autochtones :

Marilyn Dumont ;

Liz Howard, qui a reçu le prix Griffin ;

Gregory Scofield…

Et lisez les grands poèmes anglais,

lisez la poésie traduite,

et les vers résonneront dans votre tête.

S'il reste encore une question capitale,

– Quel est le rôle ou
l'utilité de la poésie ? –

je dirais que le poète anglais
William Blake a donné la réponse

dans ses « Augures d’innocence » :

« Voir le monde en un grain de sable,
Un ciel en une fleur des champs,

Retenir l’infini dans la paume des mains
Et l’éternité dans une heure. »