Du roseau et du baobab | Marie-Élise Gbedo | TEDxAkpakpa

Les femmes doivent apprendre à plier comme le roseau mais ne pas rompre. Elles doivent tout faire pour concrétiser leurs rêves et changer les mentalités en Afrique, pour que nous puissions tous participer au développement du continent.

Avocate, elle a très vite été sensible à la cause de la femme dans la société africaine. Sa volonté de faire évoluer les mentalités lui a donné la force de montrer par l’exemple que la femme peut prétendre aux mêmes fonctions politiques que les hommes, et les assumer.

Cette présentation a été donnée lors d'un événement TEDx local utilisant le format des conférences TED mais organisé indépendamment. En savoir plus : http://ted.com/tedx

Bonsoir à l'assistance.

Connaissez-vous la parabole
du chêne et du roseau,

dans la fable de Jean de la Fontaine ?

Le roseau plie, mais ne rompt pas.

Faible et fragile
dans la conscience collective,

le roseau s'adapte
aux intempéries les plus violentes,

aux changements les plus brutaux,

tout en gardant sa flexibilité.

C'est là que réside sa force.

N'est-ce pas aussi cela
le destin des femmes africaines,

créatures de Dieu ?

Cette métaphore, pour moi,
illustre la lutte des femmes,

à travers les âges,

face au chêne –

disons plutôt vu le contexte africain,
face au baobab –

fier de ses racines et de sa supériorité
à l'égard du roseau.

Vous imaginez bien la suite.

Le 14 janvier 2001,

pour la première fois
en République du Bénin,

une femme déclarait sa candidature
à l'élection présidentielle de mars 2001.

Au lendemain de cette déclaration,

un journaliste d'un quotidien béninois,

clashait la candidate
en ces termes, je cite :

« Entre la beauté arrogante
qu'évoquent certains

et son statut de femme émancipée,

préférant vivre seule,

que de se mettre à la disposition
d'une vie de foyer,

elle n'a plus qu'à assumer
et s'expliquer, »

écrivait ce journaliste avant d'ajouter :

« Il est évident que la candidate
n'incarne pas la soumission

que beaucoup d'hommes africains,
beaucoup de Béninois

attendent de leurs épouses.

On en vient à penser qu'elle n'incarne
pas vraiment la femme africaine. »

À l'issue du scrutin présidentiel,

le journaliste, tout en applaudissant
ce qu'il considère comme un échec cuisant

pour cette femme téméraire,

se mit à expliquer
les causes de l'échec évidemment,

en ces termes :

« Impulsive et arrogante dans le verbe,

elle a la gestuelle presque masculine,

ce qui ne rassure pas du tout
venant d'une femme.

La candidate a oublié qu'aux yeux
de la société africaine en général,

et de la société béninoise en particulier,

la femme doit incarner le calme

auquel tout homme aspire
après une dure journée de labeur. »

Fin de citation.

(Rires)

Ce qu'il est important de noter,

dans ce discours aussi
rétrograde que stupide,

mais largement partagé,

c'est que, à aucun moment,

la compétence et le leadership
de la candidate ne sont remis en cause.

Pourquoi les Béninois
sont-ils encore à ce jour

soumis à l'emprise

de ce que j'appelle
le syndrome de la reine oubliée ?

Oui, l'onde de choc

l'onde de choc reçue
par la validation de la candidature

de cette seule femme

aux côtés d'autres hommes candidats –

au nombre de 16 –

a sûrement brisé un barrage
dans les mentalités béninoises,

ce que j'ai appelé
le barrage de l'histoire oubliée.

Alors pourquoi, à ce jour, les Béninois
sont-ils maintenus sous l'emprise

de ce que j'appelle le syndrome
de la reine oubliée et effacée.

Combien de temps faudrait-il encore

pour que les initiés veuillent bien
dévoiler aux profanes que nous sommes,

qu'une femme a été intronisée roi,

pour ne pas dire reine ?

Et qu'elle a effectivement régné
sur le royaume de Danhomè,

pendant 3 ans.

La reine Hangbè n'a-t-elle pas
déjà dit à cette époque-là

que la femme est capable de faire
tout ce qu'un homme peut faire ?

N'a-t-elle pas renvoyé et rejeté le mouton
qu'on lui a attribué

et exigé qu'on lui mette
à disposition le bœuf

auquel elle avait droit

et qu'on a attribué
à ses coreligionnaires hommes ?

Si la vraie histoire
nous avait été contée,

dans tous les cas,

écartelée entre critiques acerbes

et félicitations timides et mitigées,

la candidate n'a jamais abandonné.

Cette candidate, c'est moi.

Je suis Marie-Élise Gbedo.

Ils ont parlé d'échec.

Je retiens que depuis 2001,
en Afrique à tout le moins,

j'ai fait des émules :

au Bénin, Burkina Faso, Cameroun,

Centrafrique, Comores,
Congo Brazza, Congo Démocratique,

Côte d'Ivoire, Éthiopie, Liberia,

Malawi, Mali, Niger, Nigeria.

J'ai oublié le Ghana,
la Guinée Conakry que je rattrape,

le Rwanda, le Sénégal,
le Togo et l'Algérie.

Ils ont parlé d'échec.

Je retiens que des femmes
et des jeunes filles que je rencontre,

que j'ai l'opportunité de rencontrer
à travers le monde, y ont vu de l'audace,

une démarche qui redonne
confiance à soi et la foi en soi.

Ils ont parlé d'échec.

Moi, Marie-Élise Gbedo,
je retiens qu'un jour,

le vent soufflera et va déraciner
ce baobab égoïste et arrogant.

J'ai planté la graine

qui fera germer l'élection
d'une femme présidente de la République

à la tête de mon pays, le Bénin.

Manipuler l'opinion publique
par voie de presse,

en sacrifiant les actions
des femmes engagées

sur l'autel de la soumission

qu'elles sont censées incarner dans
leur vie conjugale et leur vie familiale,

n'a pas empêché une simple couturière

de déclencher une révolution
contre la ségrégation raciale

dans l'Etat de l'Alabama.

Il est vrai que cette couturière,
totalement inconnue et anonyme,

aurait pu renoncer à exercer
son droit tacitement légitime,

mais pas légal en ces temps-là.

Son droit de garder sa place
dans ce fameux bus.

Si Rosa Parks avait choisi de se résigner,

la révolution contre la ségrégation
raciale se serait-elle déclenchée ?

Elle a contribué à changer
le visage des États-Unis d'Amérique.

La France aurait-elle été
libérée des Anglais

si la petite paysanne de Domrémy,
du nom de Jeanne d'Arc,

n'avait pas répondu à l'appel de la voix

qu'elle est sûre d'avoir reçu de Dieu ?

La mère de trois enfants

bafouée, humiliée,
harcelée et mise en prison,

Wangari Muta Maathai,

traitée de sorcière,

Wangari Muta Maathai a fait planter
plus de 30 millions d'arbres –

je dis bien 30 millions d'arbres –

pour lutter contre la déforestation

et faire reculer la sécheresse
dans son pays, le Kenya.

Elle a ainsi contribué à lutter
contre le changement climatique.

Elle fut la première femme africaine
Prix Nobel de la paix en 2004.

La reine Tassin Hangbè,

Hangbè la voix d'or,
la voix de la mélodie,

« Hangbè lomi lomi wémèton »,

sœur jumelle du roi Akaba.

Elle fut intronisée roi,

avec tous les attributs du roi

1708-1711 :

elle a régné sur le royaume du Danhomè.

Guerrière intrépide, elle remporta
la victoire de Lissézoun

et elle a vaincu les dissidents Ouéménou.

Mais totalement effacée, totalement omise

de l'histoire officielle
des rois de Danhomè.

Qui sait, qui connaît Tassin Hangbè ?

C'était le 18e siècle.

Totalement omise de l'histoire officielle
des rois de Danhomè.

C'est elle qui lança les bases
de la création des femmes guerrières,

les Ago Djie.

Ago Djie.

Ago Djie, c'est ça les amazones :
« Je suis le dernier rempart. »

Ces amazones, qui ont mis en déroute
l'armée du général Dodds

en 1887 et 1894.

C'est pour ça que j'ai dit,

si la vraie histoire
nous avait été contée.

Quand est-ce que les initiés
vont dévoiler qu'au 18e siècle,

une femme a été intronisée roi,

pour ne pas dire reine ?

Pour dévoiler aux profanes
qu'une femme a régné.

Si toutes ces femmes
dont je viens de parler

avaient baissé les bras face à la société,
aux traditions et aux coutumes,

face aux intrigues, aux menaces,
face aux pressions et oppressions,

c'est l'humanité toute entière
qui aurait, à chaque fois,

raté sa marche vers l'évolution du monde.

Lorsque je relis
les pages de mon histoire,

ce qui m'impacte le plus,
c'est ce symbole du roseau.

Les femmes, depuis les origines,
ont porté l'humanité.

Mais les violences qu'elles subissent,

qu'elles ont toujours subies
et qu'elles continuent de subir

ont pour nom mariage forcé,
violences conjugales,

mutilations génitales féminines,
harcèlement sexuel, abus sexuels, viols.

Tant de pratiques qui portent atteinte
à leur intégrité physique et morale.

Qu'elles soient connues
ou très peu connues,

les femmes tiennent bon,
elles tiennent comme le roseau.

Et quels que soient
leurs engagements dans la vie publique,

elles assurent avec courage
la survie de leurs enfants,

le respect dû à leurs époux,

l'épanouissement de leur famille
dans la dignité.

Elles contribuent, chacune à sa façon,

à changer un pan de l'histoire du monde.

Être femme en Afrique surtout,
c'est vivre plusieurs vies à la fois.

Elles sont toutes simplement
la force tranquille.

Femmes, roseaux pensants nous sommes,

je vous remercie.

(Applaudissements)