On s'en fiche! Covid-19 dans les EHPAD | Carmel Hughes|TEDxQueensUniversityBelfast

Professeur Carmel Hughes examine l’impact du Covid-19 dans les EHPAD et se penche sur la question d’un éventuel changement de la société envers ces établissements suite à la pandémie.

Professeur Carmel Hughes est une pharmacienne et directrice de l’école de pharmacie de la Queen's University de Belfast. Ses travaux de recherche se focalisent principalement sur l’utilisation de médicaments chez les personnes âgées, et tout particulièrement chez les résidents en EHPAD.
Elle a collaboré au poste de responsable clinique du Réseau de Recherche Clinique d’Irlande du Nord (médecine générale), elle a été la première pharmacienne à recevoir une bourse de recherche Harkness en politique de santé, et a également été la seule pharmacienne à recevoir le National Primary Care Career Scientist Award décerné par le Département de Recherche et Développement du ministère de la Santé du Royaume-Uni.

Cette présentation a été donnée lors d'un événement TEDx local utilisant le format des conférences TED mais organisé indépendamment. En savoir plus : http://ted.com/tedx

Durant ces dernières semaines,

nous avons tous dû nous adapter
et changer nos habitudes :

limiter le contact avec les autres,

se laver les mains scrupuleusement,

faire la queue patiemment
pour entrer au supermarché

et rester à la maison.

Le mot "maison" est devenu lourd de sens.

Pour beaucoup, il est synonyme
de sécurité et de refuge.

Mais ce n'est pas le cas
pour tout le monde.

Au cours des dernières semaines,
nous avons pu constater

que les EHPAD
n'ont pas été un lieu sûr,

pour les employés
comme pour les résidents.

Ils ont été les grands oubliés
du Royaume-Uni.

De nombreux cas et décès dans ces EHPAD
n'ont pas été comptabilisés

au début de la pandémie.

Et ce n'est que maintenant

que nous commençons à réaliser
l'ampleur et l'impact

du coronavirus dans ces établissements.

Beaucoup, qui comme moi

ont mené des études sur les EHPAD
et connaissent ce secteur,

ne sont malheureusement pas étonnés
de ce qui est arrivé.

Alors pourquoi c'est arrivé ?

Et quelles leçons peut-on en tirer ?

Les EHPAD,

parfois appelés
hospices ou maisons de retraite,

fournissent des soins,

géneralement pour les personnes âgées
en perte d'autonomie.

L'âge moyen des résidents
est d'environ 80 ans

Il s'agit majoritairement de femmes -
environ 70 %.

La plupart ont 2 ou 3 pathologies,
dont des troubles mentaux.

Ce qui signifie qu'ils prennent
des médicaments,

parfois plus de 10 médicaments.

Les résidents présentent
un risque plus élevé d'infection.

Et une étude que nous avons réalisée
en Irlande du Nord en 2011

montre une utilisation plus importante
d'antibiotiques

pour traiter les infections
dans les EHPAD d'Irlande du Nord

que dans les EHPAD
des autres pays Européens.

Une autre étude,
que nous avons publiée en 2010,

a trouvé une présence élevée
d'une bactérie appelée SARM

ou Staphylocoque doré
chez les employés et chez les résidents.

D'autres études ont montré

que le personnel a du mal
à limiter les infections

à cause du manque de temps

et du manque de ressources

pour acheter les équipements nécessaires
à la prévention des infections.

Dans un sondage
réalisé par Mather LifeWays,

prestataire de services médicaux
dans les EHPAD aux États-Unis,

le personnel se disait mal préparé
face aux urgences de santé publique.

Au Royaume-Uni,

les EHPAD ne sont pas
pris en charge par le système de santé.

Beaucoup d'EHPAD sont privés,

avec parfois un accès limité aux EPI,
équipements de protection individuelle.

Mais surtout, les EHPAD sont avant tout
des établissements d'hébergement.

Ce sont la maison des résidents,

bien que sur une base communautaire.

et le personel va essayer de créer
une atmosphère chaleureuse

au lieu de l'atmosphère impersonnelle

caractéristique des hôpitaux.

Tous ces éléments réunis

ont eu un effet dévastateur dans les EHPAD

pendant cette pandémie :

une population vulnérable,

un environnement à haut risque,

et un manque de ressources.

Mais peut-être qu'un autre facteur
est aussi entré en jeu,

un facteur que notre société
n'est peut-être pas prête à admettre:

se soucie-t-on vraiment
de ce qu'il se passe dans les EHPAD ?

Les résidents sont vieux
et vont de toute façon mourir bientôt.

Donc pourquoi faire des tests ?

Et pourquoi devrait-on compter
le nombre de cas et de décès ?

Le premier ministre Boris Johnson
a déclaré au Parlement

le mercredi 06 mai :

« Il y a une épidémie en cours
dans les EHPAD

et je le regrette amèrement. »

On a progressivement admis

que les EHPAD ont été négligés
et oubliés aux tout débuts.

Et on essaye maintenant de se rattraper
au niveau des tests,

de la fourniture d'EPI

et de l'aide
du système de santé publique.

avec des infirmières hospitalières
envoyées en EHPAD

et du personnel spécialisé
dans la prévention des infections.

Les employés des EHPAD ont travaillé
dans des conditions extrêmes

pour s'occuper au mieux
des résidents,

à tel point que beaucoup d'entre eux
vivent sur place

afin de respecter le confinement
et de minimiser le risque de transmission.

Alors que nous nous approchons

d'un éventuel déconfinement progressif,

ce qu’il s’est passé dans les EHPAD

changera-t-il définitivement

le regard de la société
sur les personnes âgées

et plus particulièrement
celles qui vivent en EHPAD ?

Les EHPAD seront-ils vus

comme partie intégrante
des services de santé,

et non en marge
du système de santé publique

et souvent considéré

comme des établissements
de dernier recours ?

En 2007,

la journaliste anglaise Polly Toynbee

écrivait dans une tribune libre
pour The Guardian

« Les écoles sont un sujet brûlant,

pas les maisons de retraite. »

13 ans plus tard, en 2020,

les EHPAD sont devenus le sujet brûlant
mais pas pour les bonnes raisons,

et la société a été choquée
par ce qu'il s'est passé.

Mais peut-être que cette tragédie
changera les choses dans les EHPAD.

Un jeudi soir,

nous sommes devant nos portes
à applaudir le personnel soignant

et autres métiers essentiels.

Pensons aux EHPAD -

aux employés et résidents,

et à ce qu'ils ont vécu
pendant cette pandémie.

Il est temps de penser
à l'importance que nous accordons

à la santé et à la protection
des plus vulnérables dans notre société.

Et nous devrions réfléchir
à ce que nous souhaiterions

si un jour nous devenons nous-mêmes
résidents en EHPAD.

Alan Bennett, l'écrivain et dramaturge,

a milité pour l'amélioration des soins
pour les personnes âgées.

Il a écrit de façon émouvante
au sujet de sa mère en EHPAD,

où elle est décédée.

Dans son livre "Telling Tales",

il nous rappelle que nous sommes tous
amenés à vieillir.

Il écrit alors :

« C'est notamment par leur nom
que les jeunes se croient

à l'abri du destin et du futur
de leurs grands-parents.

Les Sharon ne souffrent pas de démence,
ou les Damien d'incontinence. »

Alan Bennett continue en nous avertissant
que nos noms ne nous sauvererons pas.

Je cite :

« Mais arrivent ensuite les Dane
et les Darren et les Wayne,

et eux aussi échoueront.

Et bientôt,
même Tiffany sera grand-mère,

son petit lit prêt dans un coin.

Ses enfants, d'âge moyen et un peu aigris,

viendront la voir
les dimanches après-midis,

alors qu'elle essayera de se rappeler
qui ils sont et qui elle est.

« Tu es Tiffany, maman,

et elle, c'est ta petite-fille. »

Et quel sera son nom ?