La cadence des voix queers | Maura Lee Bee | TEDxCUNY

Les voix queers sont une nouveauté dans les œuvres littéraires, mais on les rencontre souvent. L'écrivaine Maura Lee Bee explique comment, si on porte attention à ces voix, nous pouvons rejoindre les personnages et nous connecter entre nous à un niveau plus profond.

Maura Lee Bee est une étudiante de l'Anglais et des Médias au Queens College. Elle est une écrivaine de la ville de New York et se concentre sur les récits queers. Son travail a été publié dans la série de livres « How We See It... » (Comment nous voyons les choses), une collection de livres de publiés indépendamment dont les recettes sont remises à des organismes caritatifs. De par sa formation en théâtre, elle écrit pour stimuler les sens, manipulant le langage et les formes afin d'y arriver. Elle travaille actuellement à la publication d'un recueil de poésie adoptant la perspective LBTGQIA. Elle travaille aussi à la promotion de la communauté LGBTQIA en montrant aux gens comment leur créer des espaces sûrs, tout en développant le groupe de théâtre à but non-lucratif qu'elle a co-fondé, NPTC.

Cette présentation a été donnée lors d'un événement TEDx local utilisant le format des conférences TED mais organisé indépendamment. En savoir plus : http://ted.com/tedx

« Trouver refuge »

Il construisit une maison faite
de bâtons, de bois,

d'une couverture du placard de l'entrée,
sa mère ne voulait pas.

Il alla en chercher une dans le séchoir,

et son frère dit : « Maman va te tuer »
et Peter dit : « Bon, laisse-la faire ».

Parce que Peter était ainsi,
il n'avait jamais peur.

Il construisit une maison,

s'entourant de carton
et de bois du garage.

Et son père ne l'a jamais détruite,

même si elle branlait
alors que Peter en sortait en disant :

« Regarde Papa,
regarde ce que j'ai fait ».

Et son père s'est agenouillé
devant lui disant :

« Mon gars, tu ne peux mettre ta vie
dans des petites boîtes ».

Un souvenir qui m'interpelle souvent

est celui qui s'est produit à six ans,

il y avait un autre garçon
dans ma classe de première année

qui allait faire des claquettes en solo.

Il était très excité de le dire
à tous ses camarades de classe.

Et les autres enfants de ma classe,
malheureusement, se sont moqués de lui.

Donc la fillette de six ans que j'étais
a rassemblé la voix la plus forte possible

a frappé du pied et a dit: « Hé,
les danseurs de claquettes sont cool. »

(Rires)

Ce qui ressort de ce souvenir

ce n'est pas que je trouvais

que les danseurs
de claquettes étaient cool,

mais le fait que j'étais
une enfant très timide,

je ne pouvais même pas
me défendre par moi-même,

cependant me voilà, en train de défendre
un autre gars de ma classe.

Le contexte : je n'ai pas grandi
dans une maisonnée traditionnelle.

Ma mère était la seule mère
chez les scouts avec une crête iroquoise.

(Rires)

Mes deux parents étaient artistes

et vous pourriez affirmer
que je n'étais pas celle qui répondait

ni de près, ni de loin
à ce qu'on appelle la norme.

Pas besoin de le dire,
on se moquait beaucoup de moi.

Et je n'avais pas beaucoup d'amis.

Mais pour gérer ce fait,
je lisais beaucoup.

Je suis devenue l'amie
des personnages dans les livres.

Je suis devenue amie avec Hermione Granger
et Martine et beaucoup d'autres.

Et toute cette lecture m'a inspirée

à devenir écrivaine
depuis mon tout jeune âge.

En tant qu'écrivaine, je me concentrais
sur les récits des jeunes queers.

Je vous explique :

queer signifie des gens,
des personnages ou des voix

qui ne s'identifient pas
comme hétérosexuels ou cisgenres,

c'est-à-dire ne s’identifiant pas au genre
qu'on nous a donné à la naissance.

Et dans ce que j'écris,

je m'adresse aux jeunes
de 10 et 11 ans, aussi jeunes que ça,

ou aussi vieux que 25 ou 26 ans.

Nous savons tous que la lecture
est souvent associée à ce genre de fuite.

Nombre d'entre nous ont la lecture
pour s'évader de la réalité.

Je l'ai fait et je suis sûre
que nombre d'entre vous aussi.

Il y a une autre sorte d'évasion
à l'époque où l'on vit,

c'est la culture de la célébrité.

Vous savez, nous vivons à l'époque
où on peut se connecter

et apprendre tout ce qu'on veut au sujet
d'un chanteur, acteur, animateur

en quelques secondes.

C'est merveilleux de voir
nos célébrités queers

si actives dans la communauté.

Il y a Neil Patrick Harris,
il y a Ellen DeGeneres,

par chance, nous vivons aussi à une époque

où on voit des personnages
queers à la télévision.

Tel Mitch et Cam de Modern Family,
Callie et Arizona de Grey's Anatomy

et chaque liste s'allonge chaque jour.

Mais la différence

entre les histoires des jeunes queers
et la culture de la célébrité,

elle est assez grande.

Dans la culture de la célébrité, vous avez
ces histoires de ces stars plus vieilles,

dont la sortie du placard
s'est faite il y a 20 ans --

donc elles ne le vivent pas maintenant --

et leur expérience peut être différente
vu l'époque où elles vivaient.

Alors que dans la littérature queer
pour jeunes, le personnage reste le même.

Harry Potter avait toujours 14 ans
dans le livre La Coupe de feu

et il aura encore 14 ans
pour les 20 prochaines années.

Il ne vieillit pas dans ce livre.

Aussi ce dont on ne parle pas souvent :

les jeunes qui s'affirment en public.

Vous ne voyez pas
les jeunes célébrités sortir du placard.

Il y a des raisons qui l'expliquent.

Souvent ils sont passés sous silence

et ne font pas leur coming out
avant un certain âge

ou ils s'affirment publiquement

et les figures d'autorité
ne respectent pas leur identité.

On doute et on questionne
souvent leur authenticité.

Et lorsqu'une jeune personne voit
cette réponse par une figure d'autorité,

un parent, membre de la famille
ou même un étranger dans la rue,

ils se disent :

« Bien s'ils ne respectent pas
l'identité de cette personne célèbre,

comment respecteront-ils la mienne ? »

Ensuite il y a l'âge et l'expérience

et le fait de faire coïncider les deux,

d'avoir quelqu'un de votre entourage
qui vit les mêmes choses que vous ;

vous pouvez créer un lien.

Ils peuvent s'inspirer des histoires
de Neil Patrick Harris et Ellen DeGeneres,

mais ils ne peuvent pas
établir de relation.

Et c'est nécessaire
de pouvoir établir une relation

afin d'avancer dans leur vie

et de sentir qu'il y a quelqu'un
qui traverse les mêmes épreuves qu'eux.

J'ai décidé de devenir écrivaine
dès mon plus jeune âge.

J'avais environ 13 ans
et, à l'époque, je lisais beaucoup.

Je lisais un mélange de voix :
queers, pas queers,

et j'ai eu la chance de pouvoir lire
toutes ces sortes de voix.

En décidant de devenir écrivaine
étant encore très jeune,

je traversais une période difficile.

Et ces livres m'aidaient

à percer le questionnement de mon identité

et à découvrir qui j'étais
en tant que jeune personne

à une période très formatrice.

Et j'ai pris cette décision
car je sentais cette obligation,

cette obligation
envers mes futurs lecteurs,

qu'il me fallait leur redonner cet espoir,
cette envie que la lecture me donnait.

C'est pourquoi j'ai écrit
« Peter and the Concrete Jungle ».

« Peter and the Concrete Jungle »

est un projet sur lequel
j'ai travaillé pendant six mois

et c'est un recueil de poèmes
divisé en deux parties.

La première : des poèmes
à la troisième personne

sur Peter, un homme trans,

et son expérience durant son enfance,
sa transition et sa vie adulte.

La deuxième partie parle de Wendy,
une jeune femme queer,

de son enfance et de son vécu
lorsqu'elle a fait son coming out

et de leur relation.

La raison pour laquelle je l'ai écrit,
c'était pour créer cette compréhension

pour des gens qui ne sont pas familiers
avec les luttes de la communauté LGBT

afin de les comprendre et d'avoir
de l'empathie pour ces personnages.

Donc j'ai beaucoup joué
avec les formes visuelles et le langage.

Tous les poèmes de Peter
sont justifiés à droite,

tous les poèmes de sa partie.

Et plusieurs d'entre vous ne sont pas
habitués à lire vers la droite de la page

et cela vous serait
plutôt inconfortable.

Cet inconfort vient suggérer
le sentiment d'inconfort

qu'il ressent en lui-même
pour une bonne partie de sa vie.

Tous les poèmes de Wendy, même s'ils sont
justifiés à gauche comme c'est habituel,

tous ses poèmes sont
un peu plus chaotiques.

Les poèmes ne suivent aucune forme
et d'autres n'ont pas de ponctuation

parce que son expérience,
contrairement à Peter,

est un peu plus chaotique
et un peu plus désastreuse.

Et en écrivant ce projet,

j'ai apporté certains poèmes
à ma professeure pour les faire réviser

et elle a dit à moi et au groupe :

« Il n'y a pas beaucoup de voix
de cette sorte dans le domaine.

Ceci doit vraiment prendre de l'ampleur. »

Ce fut le cas.

Et pendant que je l'écrivais,
je sentais l'excitation

d'être en train de l'écrire
et de pouvoir le terminer,

mais en même temps
je sentais la frustration et la colère

et j'étais très fâchée,
pas parce qu'il manque de voix queers,

mais parce qu'on n'en parle pas.

Elles ne sont pas accessibles à tous,
elles ne sont pas respectées.

J'ai continué d'écrire,
visant la fin, visant la rencontre

avec la communauté LBGT
et une plus grande communauté de lecteurs.

Et nous avons tous ces liens :

entre nous, avec les personnages,
dans les livres de notre enfance,

aux personnages dans des livres
qu'on a lus la semaine dernière.

Et si on écoute ces personnes,

on est capable de comprendre

la nécessité d'avoir une variété de voix

et que toutes ces variantes
doivent être respectées et entendues

parce que ces voix nous ont donné
ce sentiment de compréhension,

d'envie, d'espoir dont on a besoin
pour continuer en tant qu'humains.

Et si on écoute ces voix,

peut-être qu'on pourra changer,
nous influencer l'un l'autre

et influencer le monde.

Mais il faut prendre le livre
et en écouter la voix assez longtemps.

« Les courses »

Sa main fait rouiller la roue
avec la sueur d'anciens étés.

Je ne peux dire
si les minces traces d'eau

sont nées de ses tempes
ou juste en dessous de ses yeux.

On range les oranges,
les bananes, le pain complet.

Je ne veux pas en parler.

Il tord un linge à vaisselle
entre ses poignets, ses pouces,

pleurant une conversation
juste au coin de sa bouche.

Le fromage va sur l'étagère.

« C'est toujours là qu'on le met,
dit-il, et on le mettra toujours là. »

Il prend deux tranches,

élimine la dernière gorgée
de lait de riz ;

me dit de ne pas jeter le jus.

Pas encore.

Puis il me verse un verre
en examinant la date à nouveau.

Les assiettes d'une vente de garage
cognent sur la table de chez sa mère.

Je ne veux pas en parler.

Et j'aquiesce, et il se frappe la poitrine
deux fois pour bien sentir qu'elle est là.

Merci.

(Applaudissements)