La Veillée #2 : Florence Porcel

"On ne se sent jamais autant en vie que lorsqu'on fait les choses qu'on a envie de faire..."

Une invité qui nous fait l'honneur d'être
avec nous ce soir mais si ça ne tenait

qu'à elle, elle serait actuellement sur
une autre planète.

Mesdames et Messieurs,
je vous demande d'accueillir Florence Porcel

Bonsoir, alors effectivement j'aimerais bien
aller sur une autre planète.

Moi je voudrais aller m'installer
vivre sur Mars en fait.

Alors, Mars, pour ceux qui situent
pas très bien ça se situe donc entre

60 Millions et 400 Millions de Km de
la Terre, c'est pas tout près.

Il y fait très froid, il y fait -63°C en
moyenne. Il n'y a pas d'eau liquide

à l'état stable. Elle est bombardée
en permanence par des rayons

cosmiques et l'atmosphère
est composée à 95% de CO2.

Donc... C'est pas vraiment une oasis.
Mais moi, ça me fait vraiment très

très envie. Mais c'est pas une envie
comme ça, c'est pas une lubie.

Je veux dire j'ai vraiment envie d'y aller et je fais tout
pour me préparer.

Par exemple, il y a quelques semaines,
je rentrais juste d'une mission de

simulation de séjour sur Mars dans le
désert de l'Utah, aux États Unis, où

il y a un habitat qui sera peut-être le
même que celui qui sera sur Mars

dans plusieurs années. On mangeait
lyophilisé comme les astronautes.

On ne sortait jamais sans combinaison
spatiale. On simulait aussi la distance

entre la Terre et Mars. C'est-à-dire qu'à
chaque fois qu'on envoyait un mail, on

attendait 40 min pour répondre.
Enfin voilà, vraiment de A à Z.

Et en plus de cette simulation, je me suis
portée candidate à un projet qui s'appelle

Mars One. Vous avez peut-être entendu
parler de ça. C'est une entreprise privée

qui souhaite envoyer des hommes et des
des femmes s'installer sur Mars.

Le principe du projet, c'est d'aller s'y
installer vraiment. C'est-à-dire qu'il n'y a pas

de retour de prévu. Voilà, c'est pas une mission scientifique
où on y va, on prend des échantillon, on

revient. C'est vraiment une autre
démarche. On va s'y installer, on fait

sa maison sur un autre monde.
Et j'ai fait partie des rares français

à aller très très loin au bout de la candidature
et du coup, j'ai été très médiatisée.

J'ai rencontré beaucoup de journalistes,
Je suis allée sur beaucoup de plateaux télé.

J'ai rencontré plein de gens, j'ai fait
des conférences, des tables rondes,

des événements en tous genres. Donc j'ai
vraiment rencontré beaucoup de personnes.

À chaque fois que je racontais mon
histoire, il y avait deux types de réactions.

Soit les gens étaient super enthousiastes
genre "Ouah, c'est trop cool !"

Ils me posaient des questions sur la
démarche, sur la faisabilité du projet,

sur comment ça allait se passer et tout.
Soit, complètement l'inverse, les gens se

mettaient en colère et devenaient super
agressifs. Et à chaque fois, cette même

phrase : "Mais enfin, mais t'es complè-
tement folle, tu te rends compte que tu

vas mourir ?"

"Oui... Oui, je vais mourir, mais vous
aussi. Voilà, désolée de rappeler ce petit

détail un petit peu désagréable mais
enfin, on va tous mourir."

Les gens étaient pas comme vous.
Ils riaient pas de trop, en général,

il devenaient livides. C'était très drôle
de voir ces gens me rappeler ma propre

mort alors que eux, dans leur tête,
finalement, je sais pas s'ils savaient

vraiment qu'ils allaient mourir un jour.
Ce qui est ironique dans l'histoire,

c'est que je suis morte noyée quand
j'étais petite. Quand je dis que je suis

morte, c'est que j'ai vécu une expérience
de mort imminente. En plus, plus tard,

quand j'ai eu 16 ans, j'ai eu une tumeur
au cerveau. Et je suis pas passée très

loin non plus. Et puis il y a trois ans j'ai été
intoxiquée au monoxyde de carbone.

Et pour une raison que personne
n'explique, j'ai survécu.

Donc ouais. Je sais que je vais mourir.
Et c'est pour ça que j'ai envie de vivre.

J'ai envie de vivre des choses fortes,
des choses dingues et j'essaie de

ne rien m'interdire. Même le projet fou
d'aller m'installer sur Mars.

Et en fait c'est là l'essentiel, c'est que
on ne se sent jamais autant en vie, et

je vous parle d'expérience, que quand on
fait les choses qu'on a envie de faire.

Quand j'étais ado, comme beaucoup d'ados,
j'écrivais des chansons, des poèmes. Et

quelques années plus tard je cherchais
un job pour financer mes études

et je réponds à l'annonce d'un vieux
monsieur qui cherchait une aide

administrative. Je me présente chez lui,
on discute, et je me rends compte qu'il

est président d'une association de poètes.
Du coup je lui dis que moi aussi j'écris

des poèmes. Il me demande quel genre de
poèmes, et je lui dis que j'aime beaucoup

écrire des alexandrins.

Et là il me regarde avec son air hautain,
il a un petit rire très méprisant

et il me dit: "Mais, ma p'tite, on n'écrit plus
d'alexandrins depuis très longtemps."

Voilà, j'étais jeune et impressionnable,
donc j'ai arrêté d'écrire des alexandrins.

Quelques années plus tard, je me présente
au concours d'entrée de l'école

d'auteur-compositeur d'Alice Dona.

Et donc devant une salle pleine,
je m'installe au piano

et j'interprète de mon mieux évidemment
la chanson que j'avais écrite et composée.

Je joue le dernier accord et là...
Un silence... Un peu trop long à

mon goût s'installe. Et Alice Dona finit
par prendre la parole et me pose

cette simple question :

"Est-ce que vous vous sentez bien
dans votre époque ?"

Alors moi ça m'a pas du tout fait rire sur
le moment, je m'attendais à tout sauf ça.

Et donc je bredouille un truc,
je sais même plus quoi,

et à un moment, agacée, elle m'arrête
et elle me dit :

"Non mais votre texte, là, on dirait que
vous parlez comme dans les

"Liaisons Dangereuses, mais on n'écrit plus
de paroles de chansons comme ça."

Ah.

Donc j'étais jeune et impressionnable et
j'ai arrêté d'écrire des chansons.

Et puis quelques années plus tard,
je vois passer une annonce pour

un concours. C'est PPDA qui organisait
un concours littéraire pour les 20 ans de

son émission littéraire "Vol de Nuit"

et il fallait écrire un texte sur un
personnage de la littérature qui nous avait

marqué, en bien ou en mal. Et du coup je
me souviens du vieux monsieur poète,

je me souviens d'Alice Dona... Et j'avais
très envie de participer alors j'essaie

d'écrire un texte... Et je me rends très vite
compte que ça va pas du tout,

j'arrive pas à aligner trois mots, j'ai pas
d'inspiration, je jette vingt brouillons,

je finis par abandonner. Et puis quelques
heures avant la clôture du concours,

je ressens une envie de participer à ce concours,
et là j'ouvre un document Word, en une

demi-heure j'avais écrit un texte, je le relis
à peine, et je l'envoie. J'ai gagné le concours.

Merci.

J'ai gagné le concours avec un texte sur
le Vicomte de Valmont des Liaisons Dangereuses

que j'ai écrit entièrement en alexandrins.

Comme quoi, hein, Alice Dona et le vieux
poète sont sûrement des sommités dans leur

domaine mais moi j'avais envie de faire des
choses qui me ressemblaient.

Et je sais pas comment vous l'appelez,
vous, mais moi je me dis que l'univers m'a

dit : "C'est ça que tu as envie de faire,
c'est ça qui est toi et je te file un

petit coup de pouce, une petite récompense,
gagner ce concours, pour te dire que t'es

sur la bonne voie, continue à faire ce qui
est vraiment toi, ce que tu as envie de faire."

Et c'est une hypothèse que j'ai vérifiée
à un autre moment, mais à l'inverse,

c'est-à-dire que quand j'étais une petite
fille très timide, très réservée, et

j'étais souvent toute seule, j'avais besoin
d'être seule pour rêver et j'avais trois

rêves : je rêvais, que je serais grande,
d'écrire des livres, de faire du cinéma

ou du théâtre, et de visiter tous les mondes
de l'univers. Alors si devenir écrivain et

comédienne c'est assez socialement accepté,
visiter tous les mondes de l'univers c'était

moins sûr, du coup j'ai gardé ça pour moi
et c'est resté un secret jusqu'à ce que je

m'inscrive au projet Mars One, il y a
deux ans. Et donc j'ai gardé en tête l'idée

de devenir comédienne, et j'ai fait une
école de comédie musicale, qui était chère

et que mes parents ont accepté de payer si
je retournais à la fac après pour avoir un

"vrai diplôme". Donc j'ai accepté le
deal, et j'ai fait ma formation de trois

ans en chant, en danse et en théâtre, et
ensuite je suis retournée à la fac et au

bout de cinq ans, j'ai fait un master 2
professionnel de journalisme culturel.

Et comme c'était un master professionnel,
il fallait trouver un contrat

d'apprentissage en alternance pour valider
le diplôme, et pour ceux qui ont déjà

essayé de trouver un contrat d'apprentissage
en alternance dans le journalisme, je vous

assure que c'est coton. C'est compliqué,
et au bout de cinq mois de recherche j'avais

toujours rien. Et je commençais à flipper,
je savais plus quoi faire, j'étais un peu

déprimée, et puis il s'est passé exactement
la même chose que quand j'ai eu envie de

participer au concours malgré tout, j'ai
ouvert un document Word, et une demi-heure

plus tard j'avais écrit et mis en forme un
CV-court-métrage façon Amélie Poulain.

Il est toujours en ligne, si ça vous amuse
d'aller le voir. Une semaine après il était

tourné, interprété, monté, composé, tout
ce que vous voulais, et ça a été un succès

médiatique fou. C'est-à-dire qu'il a tourné
partout : je suis passée chez Pernaut,

j'ai eu mon portrait dans Le Monde, enfin
bon, la folie furieuse, mais je suis pas

en train de vous raconter un exploit
incroyable, parce qu'en fait j'ai jamais

trouvé mon contrat d'apprentissage. Jamais.
Et je comprenais pas pourquoi. Pourquoi ce

succès pour, finalement, cette défaite ?
Et cette question m'a obsédée pendant des

années, mais vraiment des années, je me suis
demandée : "Mais qu'est-ce qu'il s'est

passé, pourquoi ?" Et je l'ai revu, il y a
pas longtemps, et on me voit, interpréter

mon propre rôle, avec beaucoup d'auto-dérision
et de caricature, on m'entend faire la

voix off à la manière d'André Dussollier,
on y voit des extraits de spectacles

auxquels j'ai participé, mon CV quoi.
Et... à aucun moment je ne parle de journalisme.

Je m'en étais pas rendue compte. Mais les
employeurs, si, visiblement. Donc, c'est là

qu'on se dit aussi "Ben ouais, je pouvais
pas devenir journaliste parce que je pouvais

pas devenir ce que je ne suis pas", tout
simplement. J'avais pas envie d'être

journaliste. En revanche, j'avais envie
de jouer la comédie, d'écrire des trucs,

et il se trouve que ce CV-vidéo m'a permis
d'être recrutée plus tard, sur France 5,

où j'ai fait de la télévision, et non
seulement j'ai fait de la télévision, mais

j'ai aussi joué la comédie. Donc... voilà :
faites ce que vous avez envie de faire,

je pense que c'est le meilleur message que
je peux passer ce soir, et ce qu'il y a,

c'est que cette médiatisation grâce à
Mars One m'a amenée à avoir des contacts

d'auteurs et de boîtes de prod, et en ce
moment, je suis en train de réaliser les

deux rêves de petite fille que j'avais côté
artistique, écrire des livres et jouer la

comédie, tout ça en passant par le rêve fou
de visiter un des autres des mondes de

l'univers. Et... Bon bah ok, pourquoi pas
passer par Mars pour écrire des livres et

être comédienne, pourquoi pas, c'est là
qu'on se dit "Mais l'expression 'Tous les

chemins mènent à Rome', quand on fait
vraiment ce qu'on a envie, c'est... fou"

Et c'est marrant parce que l'autre jour je
me suis amusée à chercher des anagrammes

de l'expression "Exploration martienne",
j'ai pris "Exploration martienne", j'ai

mélangé les lettres, et je les ai organisées
autrement, et j'ai trouvé "En expatriant

loin Rome". Voilà, je vous laisse avec ça,
et je vous remercie.