Est-ce que la couleur existe ? | Andrew Parker | TEDxSydney

Andrew Parker a étudié la biologie et la physique marines au Musée australien et à l'Université Macquarie, puis a déménagé à l'Université d'Oxford. Après avoir fondé « l'hypothèse de l'interrupteur » - que le Big Bang de l'évolution a été déclenché par l'évolution de l'œil - il travaille maintenant sur le biomimétisme, copiant le design trouvé dans la nature. Cela comprend les couleurs de colibris pour les peintures, les surfaces non réfléchissantes sur les yeux des insectes pour les panneaux solaires et les dispositifs de capture d'eau chez les coléoptères namibiens pour collecter de l'eau potable en Afrique.

Il a été sélectionné comme « Scientifique du Nouveau Siècle » par la Royal Institution à Londres et a écrit les livres de vulgarisation scientifique « In The Blink Of An Eye » et « Seven Deadly Colors ». Aujourd'hui, il est chargé de recherche au Natural History Museum de Londres et au Green Templeton College de l'Université d'Oxford.

Cette présentation a été donnée lors d'un événement TEDx local utilisant le format des conférences TED mais organisé indépendamment. En savoir plus : http://ted.com/tedx

Tout d'abord, la couleur n'existe pas
dans le monde extérieur :

elle n'existe que dans l'esprit
des animaux qui ont des yeux.

Nous ne comprenons toujours pas tout à
fait comment nous assemblons les images.

Mais la nature s'en moque,

elle n'a pas besoin de comprendre ;

elle se contente d'inventer
des choses par essais et erreurs,

par des mutations aléatoires.

Je vais vous parler de la façon
dont j'ai découvert ces deux faits

et comment ils m'ont conduit
à un sujet appelé biomimétisme,

qui consiste à apprendre de la nature,

à s'en inspirer pour
réaliser des produits.

Tout cela a commencé
il y a environ 20 ans,

en travaillant sur les benthiques à coque,

aussi appelés ostracodes.

Ils sont assez mystérieux,
de la taille d'une graine de tomate,

peu connus, mais très, très communs
dans les eaux australiennes.

Ils sont bien connus pour produire
de la bioluminescence.

Ils brillent dans le noir alors
qu'il n'y a pas de lumière à réfléchir,

et vous les trouvez sur les plages
autour de Sydney la nuit,

comme vous pouvez le voir
sur cette image ici.

C'était bien connu,

mais j'ai souvent dit que
mes recherches ont commencé

par un éclair de lumière verte,

verte ou bleue, et c'est vrai.

Lorsque je regardais des ostracodes
au microscope,

en les agitant, j'ai remarqué
des éclairs de lumière bleue et verte.

Ce fait n'était pas connu pour les
ostracodes, cela m'a donc intrigué.

De plus, lorsque j'ai filmé des animaux
vivants pendant la parade nuptiale,

ils utilisaient ces flashs
de lumière iridescents

pour s'attirer les uns les autres.

J'ai donc décidé d'en mettre
sous un microscope électronique

pour voir ce qu'il se passait.

Ici, vous voyez les images d'un réseau
de diffraction à la surface des poils

qui séparent la lumière blanche
en ses couleurs constitutives.

Les réseaux de diffraction sont bien
connus en physique et dans le commerce.

Ils ont de nombreuses utilisations
en technologie.

Mais ils n'étaient pas connus chez les
ostracodes ou les animaux en général.

Ce qui est intéressant ici, c'est que,

comme ils servaient à faire la cour,
ils avaient une fonction.

Ils avaient donc évolué
pour devenir très, très efficaces.

La nature y travaillait
depuis des millions d'années,

les perfectionnant pour qu'ils fassent
leur travail de manière optimale.

Comme je savais ce que je cherchais,

je me suis demandé
où il y en avait d'autres.

J'ai regardé toutes sortes d'animaux,

et j'en ai trouvé plein.

Des vers, comme vous pouvez le voir ici,

et aussi sur les pinces,
dans ce cas, d'un homard galathéide.

Vous voyez comment la couleur change
avec le changement de direction :

des couleurs très vives,
d'aspect métallique,

que l'on trouve aussi chez les colibris
et les coléoptères, par exemple.

Ce sont des structures physiques,
tout comme les os.

Je me suis alors demandé si cela
se produisait aussi dans les fossiles.

Et c'est le cas.

Nous les avons étudiés.

J'en ai trouvé dans des coléoptères
vieux de 45 millions d'années -

ils avaient l'air vivants, étincelants

avec leurs couleurs métalliques ;

dans des ammonites vieilles de 85 millions
d'années comme vous pouvez le voir ici.

Vous voyez comment
la lumière est réfléchie

par les couches de ce réflecteur.

Les couches, qui font environ un
centième de la largeur d'un cheveu,

sont de véritables nanostructures.

Les plus anciennes sont les fossiles
du Shale de Burgess,

vieux de 508 millions d'années,
datant de la période cambrienne.

Je me suis dit :

« On peut tracer la couleur
aussi loin dans le temps,

mais jusqu'où peut-on aller ?

Quand la couleur est-elle
apparue sur Terre ? »

Cela m'a amené à chercher
le tout premier œil.

Il s'est avéré que c'était
un trilobite qui l'avait,

ce que vous pouvez voir ici.

Vous voyez l'une des crêtes
sur l'un des yeux, par exemple.

De très, très bons yeux en fait,

qui produisaient des images
aussi bien que nous.

Mais cet animal a vécu
il y a 521 millions d'années.

Mais avant cela, la vision n'existait pas,
la couleur n'avait donc pas d'utilité.

Il n'y avait pas vraiment de couleur,
seulement des longueurs d'onde.

J'ai regardé les animaux
qui existaient à cette époque.

Le trilobite avait des membres durs

et avait un style de vie très moderne.

Il se déplaçait très vite,
il pouvait déchiqueter les animaux.

C'était un prédateur.

Il pouvait voir les animaux autour de lui.

Avant lui, tous les animaux
avaient un corps mou,

même le prédécesseur du trilobite,

ils se déplaçaient lentement sur le fond
marin en se cognant de ci de là.

Ils n'interagissaient pas
vraiment bien entre eux.

Ils avaient un capteur de lumière.

Le capteur le plus sophistiqué de l'époque
aurait produit cette image du monde.

Voici l'image que les animaux auraient eue
de leur environnement avec un tel capteur.

Vous pouviez voir la direction
d'où vient la lumière,

vous saviez où se trouve le haut
et le bas dans la colonne d'eau.

Mais vous ne pouviez pas trouver
un ami ou un ennemi autour de vous,

ni reconnaître d'autres animaux,
ni savoir s'ils sont là.

Alors s'est produit l'événement

peut-être le plus spectaculaire
de l'histoire de la vie.

L'un de ces capteurs de lumière
a développé des lentilles.

Soudain, une image a été
projetée à l'arrière d'un œil,

la toute première image sur Terre,

qui aurait pu ressembler à ça.

Vous voyez tous les animaux
qui vous entourent.

Vous pouvez identifier
les proies possibles.

Par conséquent,
la pression évolutionnaire

commence à agir sur cet animal
pour faire apparaître des nageoires,

un membre dur pour déchirer

et se nourrir de tous ces animaux
au corps mou,

qui sont essentiellement des morceaux
de protéines attendant d'être mangés.

Cela a déclenché l'explosion cambrienne,

le Big Bang de l'évolution,

où tous les animaux sont
passés d'un corps mou,

comme les vers et les méduses,

à toute la gamme de corps
que vous voyez aujourd'hui,

toute la gamme de comportements.

La vie est soudainement devenue complexe.

La vision a été introduite dans
le monde, et elle allait y rester.

Aujourd'hui, plus de 95%
des animaux ont des yeux,

et la vision est le stimulus
le plus puissant.

Partout vous laissez
une image sur une rétine,

et, à partir de là,
les animaux ont dû s'adapter

et peuvent à tout moment être
attrapés par un prédateur.

L'évolution a conduit
à un processus de conception

où des milliards et des milliards
de brins d'ADN mutent,

produisant des modèles innombrables
de nouveaux types de couleurs.

Ils y travaillent depuis
des millions d'années,

des centaines de millions d'années,
pour produire des couleurs optimales.

Un designer serait heureux
de disposer d'un an

pour créer une nouvelle couleur.

Allons simplement dans la nature
voir ce qu'elle a à offrir,

voir si nous pouvons la copier ?

Même si nous ne comprenons pas
comment les couleurs sont produites,

aucune importance,

il suffit de copier ces nanostructures
qui existent dans la nature,

et vous aurez les mêmes couleurs.

Après tout, nous travaillons
dans le même but :

l'effet sur l'œil.

Allons donc demander à l'industrie :
quel type de couleurs souhaitez-vous ?

Souhaitez-vous une couleur très
vive qui s'illumine dans l'obscurité,

afin que, même en l'absence de soleil,
vous puissiez produire de la lumière ?

Par exemple, des bâtons lumineux,

ou certaines applications
pour les agriculteurs,

où, si une culture est
attaquée par un virus,

elle s'illumine la nuit pour indiquer
où se trouve l'attaque.

C'est exactement ce qu'on fait avec
les produits chimiques bioluminescents.

La bioluminescence est l'interaction de 2
produits chimiques en présence d'oxygène,

la lumière en étant un sous-produit.

C'est très efficace.

La quasi-totalité de l'énergie
est convertie en lumière,

très peu de chaleur, contrairement
aux ampoules électriques, par exemple.

La bioluminescence est à l'origine de la
lumière des lucioles ou des vers luisants.

C'est courant sous la mer,

où plus de 9 % des animaux
produisent de la lumière bioluminescente.

L'industrie a besoin de pigments ?

Ils sont très courants dans la nature, par
exemple, chez cette couleuvre tachetée.

Elle a un pigment
qui produit un effet orange.

Ici, la molécule est frappée
par une lumière blanche

avec toutes ses longueurs d'onde.

La plupart sont absorbées
et transformées en chaleur,

mais l'énergie restant dans
celles qui ne sont pas absorbées

est réfléchie ou dispersée
dans l'environnement,

donc vous voyez ces couleurs.

Il existe une autre façon
de produire des pigments.

Il s'agit des chromatophores, ou
cellules de changement de couleur.

Elles peuvent se dilater ou se contracter

et sont remplies de pigments.

Lorsqu'elles se dilatent, elles sont assez
grandes pour être vues comme un pixel,

et lorsqu'elles se contractent,
elles sont invisibles.

C'est ainsi que les caméléons, les seiches
ou les calmars changent de couleur.

Imaginez rassembler
des chromatophores rouges, bleus et verts,

les dilater et les contracter pour
produire la couleur que vous voulez.

Je travaille maintenant avec Georgia Tech

pour produire des surfaces
et des matériaux changeant de couleur,

très utiles pour le camouflage,
par exemple.

Nous pourrions aussi produire des couleurs
fluorescentes pour l'industrie,

il en existe beaucoup, en particulier
chez les perroquets australiens.

Ce sont les plumes de la tête
du cacatoès à huppe jaune

qui sont fluorescentes.

Vous voyez ici une photo
montrant le pigment jaune

et dessous uniquement la fluorescence.

La fluorescence est également jaune

et renforce l'effet du pigment jaune.

J'ai découvert que certaines plumes
jaunes produisent de la fluorescence

et d'autres pas.

Celles utilisées pour faire la cour -

des zones du plumage
servent à attirer la femelle -

ont le pigment fluorescent.

Ce n'est pas qu'un hasard.

L'évolution a agi

pour être très, très efficace dans
la production de la lumière jaune.

La fluorescence résulte
d'un effet au niveau atomique,

où la lumière blanche entre en jeu,
y compris la lumière ultraviolette.

L'ultraviolet, que nous ne voyons pas,

est absorbé et rejeté à nouveau
dans une longueur d'onde plus grande.

Ainsi, une partie de la haute énergie
contenue dans la lumière ultraviolette

est utilisée lorsqu'un électron saute
dans une enveloppe extérieure.

Lorsque l'électron revient
dans son enveloppe d'origine,

une partie est perdue en chaleur.

Il y a moins d'énergie, donc une longueur
d'onde plus longue : la lumière jaune.

On passe donc de l'ultraviolet,
qu'on ne voit pas, au jaune, qu'on voit.

C'est mon sujet préféré,
la couleur structurelle.

La nanotechnologie de la nature
en quelque sorte.

Ce sont des structures physiques faites
de matériaux totalement transparents.

C'est l'architecture
à l'échelle nanométrique

qui est importante pour déterminer
quelle couleur est réfléchie

ou quel type d'effet de
lumière vous pouvez voir.

Ici, nous avons les épines d'une
annélide marine appelée Aphrodite

que l'on trouve sur des plages de Sydney.

C'est un animal à l'aspect étrange ;
il ressemble à une petite souris irisée.

Mais c'est un animal marin ; il est
couvert d'épines iridescentes.

Si vous en coupez une,

vous pouvez voir de minuscules nanotubes

qui forment ce qu'on appelle
une fibre de cristal photonique.

Les cristaux photoniques ont été
découverts en physique dans les années 80,

et ont été depuis utilisés
dans toutes sortes d'applications.

Ils révolutionneront
les ordinateurs du futur

avec des puces optiques
au lieu de puces électroniques.

Ces types de fibres
de cristaux photoniques

sont déjà utilisés dans
l'industrie des télécommunications.

Il y a dans la nature des designs
inconnus en physique,

dont nous ne comprenons
pas le fonctionnement.

Alors copions ce que la nature
nous offre pour l'instant.

Celui-ci, je ne l'ai pas trouvé.

C'est le premier cristal photonique
trouvé dans la nature,

que j'ai trouvé en l'an 2000.

Mais nous aurions gagné beaucoup de temps
si nous avions regardé la nature plus tôt.

Les papillons sont de très bons
exemples de cristaux photoniques.

L'aile d'un papillon contient
une centaine de milliers d'écailles

qui se chevauchent
comme les tuiles d'un toit.

Chaque écaille est
remplie de nanostructures

qui interagissent avec les ondes
lumineuses de différentes manières.

Vous verrez sur les diapositives -

nous avons des micrographies électroniques
montrant les détails de ces écailles,

dont la taille est
un 100e de la largeur d'un cheveu -

vous verrez comment
ces structures changent

presque comme la forme
d'un bâtiment peut changer,

mais à une échelle nanométrique,

elles changent la longueur
d'onde de la lumière,

et donc, l'effet de couleur.

Vous voyez ces architectures
produire des couleurs différentes,

et elles peuvent aussi changer
la façon dont la couleur varie.

Lorsqu'on observe ces écailles,

on obtient une couleur changeante
ou constante,

des écailles très lumineuses,
ou des plus ternes.

Un bon exemple de cristal
photonique est l'opale,

la pierre précieuse, comme vous pouvez
le voir sur cette image en haut à gauche.

L'opale est remplie de
minuscules nanosphères,

très proches les unes des autres.

Les rayons lumineux rebondissent
à l'intérieur et interagissent entre eux

pour produire ces couleurs iridescentes.

En 2005, j'ai trouvé de l'opale
dans un charançon,

Un animal, donc un être vivant,
qui produit de l'opale.

L'opale a de nombreuses
applications technologiques

dont les puces informatiques.

L'industrie la produit à
des coûts énergétiques élevés

liés aux fortes températures et pressions.

Mais la nature, les animaux, le font
à température et à pression ambiantes.

Ils mélangent comme par magie des produits
chimiques pour produire cette opale,

utilisant très peu d'énergie.

C'est ce qu'on essaye de faire.

Nous essayons d'observer ces écailles
dans des charançons vivants

pour comprendre comment
ils fabriquent ces opales,

et voir si nous pouvons le copier et
apporter ce processus à l'industrie.

Certains objets dans la nature
ne produisent aucune couleur.

Au contraire,

ils empêchent toute sorte de réflexion,

toute la lumière passe
à travers une surface,

comme celle trouvée sur l'œil
de cette mouche de 45 millions d'années

conservée dans l'ambre.

Cette structure très fine
que vous pouvez voir

dans ce micrographe électronique,
ces très fines stries.

Quand j'ai fait cela sur une surface
en perspex, ici en bas à droite,

au centre, vous avez cette structure,

et vous pouvez voir comment
les réflexions sont réduites.

Cela permet à la lumière de passer
à travers au lieu d'être réfléchie.

Si vous mettiez cela sur une vitre,

vous ne verriez plus votre propre reflet.

Mais sur des panneaux solaires,

on obtient une augmentation
de 10 % de l'énergie captée.

Il y a des années,

j'ai étendu mon intérêt pour
le biomimétisme, l'optique ou la couleur,

à d'autres sujets,

comme l'étude des matériaux résistants

chez les scarabées
ou les squilles multicolores,

l'étude des colles qui
fonctionnent sous l'eau,

la conception de bâtiments basée
sur des animaux et des plantes,

et les systèmes de climatisation,
comme dans les termitières,

à mettre dans les bâtiments,
qui nécessitent très peu d'énergie.

L'une des choses qui m'a
vraiment interpellé, c'est l'eau.

Rapidement, voici l'exemple
d'un scarabée namibien,

où j'ai trouvé une structure
qui collecte l'eau du brouillard

de manière très efficace.

Cela sert dans
des systèmes de climatisation

pour extraire l'eau et la recycler.

La nature nous dit qu'il y a une source
en suspension dans l'air à exploiter,

ce que font les animaux
et les plantes dans les déserts.

C'est ce à quoi je travaille
actuellement en collaboration avec le MIT,

et nous espérons faire bientôt parvenir
en Afrique les premiers appareils

permettant de collecter de l'eau
pour la boisson et les médicaments.

Je ne peux malheureusement pas vous
révéler les projets que j'ai en tête.

Nous en avons de très intéressants
l'année prochaine,

mais au moins, j'ai pu
vous présenter le sujet

et vous dire où tout a commencé,

il y a 52 millions d'années.

Merci beaucoup.

(Applaudissements)