Comment la physique quantique peut renforcer le chiffrement

La montée en puissance de l'informatique quantique va induire une montée en puissance inimaginable des capacités de calcul -- et les systèmes que nous utilisons pour protéger nos données (comme nos processus démocratiques) vont devenir de plus en plus vulnérables.
Mais il est encore temps de se préparer contre l'arrivée de cette apocalypse des données, comme l'assure l'expert en chiffrement Vikram Sharma.

Nous avons récemment été témoins des
effets de cyberattaques sur l'économie.

Les pertes de données de compagnies comme
JP Morgan, Yahoo, Home Depot et Target

ont conduit à des pertes
de centaines de millions,

et dans certains cas
de milliards, de dollars.

Il suffirait de quelques attaques
importantes pour ravager notre économie.

Le secteur public n'a pas été,
lui non plus, à l'abri.

Entre 2012 et 2014,

on a observé d'importants vols de données
au Bureau du Personnel gouvernemental US.

Des habilitations de sécurité et
des empreintes digitales ont été volées,

pour 22 millions d'employés.

On peut aussi évoquer les tentatives,
par des pirates au service d'États,

d'utiliser des données volées pour
influencer les résultats d'élections.

Deux exemples récents sont le vol
d'un grand volume de données

du Bundestag, le Parlement allemand,

et le vol d'emails du Comité National
du Parti Démocrate, aux États-Unis.

La cyber-menace affecte aujourd'hui
notre processus démocratique.

Et cela va probablement empirer.

Les technologies informatiques deviennent
de plus en plus puissantes,

rendant les systèmes qui protègent
nos données plus vulnérables.

Une nouvelle technologie informatique
rend ce problème plus grave,

c'est l'informatique quantique,

qui utilise les propriétés physiques
microscopiques

et procure une croissance inimaginable
de la puissance de calcul.

Elle est si puissante qu'elle permettra de
casser de nombreux systèmes de chiffrement

que nous utilisons aujourd'hui.

La situation est-elle désespérée ?

Devons-nous commencer à préparer
notre kit de survie digital

et nous préparer
à une apocalypse numérique ?

Pas encore...

La technologie est encore
en développement

et cela prendra quelques années
avant qu'elle ne soit mise en pratique.

Plus important,

il y a eu des avancées majeures
dans le domaine du chiffrement.

Pour moi, ce sont des moments
particulièrement excitants

dans l'histoire de la sécurité
des communications.

Il y a une quinzaine d'années,

quand j'ai appris cette nouvelle capacité

à créer des effets quantiques
qui n'existent pas dans la nature,

j'étais vraiment excité.

L'idée d'appliquer les lois
fondamentales de la physique

pour renforcer le chiffrement

m'intriguait vraiment.

Aujourd'hui, des sociétés et laboratoires
autour du globe, y compris le mien,

travaillent sur les applications
concrètes de ces technologies.

Vous avez bien entendu :

nous nous préparons à combattre
le quantique par le quantique.

Comment est-ce que cela fonctionne ?

Commençons par un rapide
tour d'horizon du monde du chiffrement.

Pour cela, vous aurez besoin d'une sacoche

contenant des documents importants
à envoyer à votre ami, James Bond,

et d'un cadenas pour les mettre en sûreté.

Comme ces documents sont top secrets,
nous allons utiliser une sacoche spéciale.

Elle dispose d'un verrou

qui, une fois fermé,

convertit le texte des documents
en chiffres aléatoires.

Vous insérez vos documents,
fermez le verrou --

ce qui convertit les documents
en chiffres aléatoires --

et vous envoyez la sacoche à James.

Pendant le trajet de la sacoche,
vous l'appelez pour lui donner le code.

Quand la sacoche arrive, il entre le code,

le document est déchiffré, et voilà,

vous venez d'envoyer un message
codé à James Bond.

(Rires)

Cet exemple amusant illustre bien trois
choses cruciales pour le chiffrement.

Le code -- que nous appelons
la clef de chiffrement.

C'est un peu semblable à un mot de passe.

L'appel à James pour
lui donner la combinaison :

nous appelons cela l'échange de clef.

Cela permet de s'assurer

que la clef de chiffrement est
bien parvenue au destinataire.

Et le cadenas, qui chiffre
ou déchiffre le document.

Nous appelons cela
un algorithme de chiffrement.

A l'aide de la clef, il code
le texte des documents

en chiffres aléatoires.

Un bon algorithme va coder
le texte de manière à ce que,

sans la clef, il soit
très difficile à décrypter.

Ce qui rend le chiffrement si important,

c'est que si quelqu'un vole
la sacoche et l'ouvre,

sans la clef de chiffrement
et l'algorithme,

il ne serait pas capable
de lire les documents.

Ceux-ci ne seraient qu'un amas
de nombres aléatoires.

Les systèmes de sécurité reposent souvent
sur une méthode sûre d'échange de clefs

pour communiquer la clef
à la bonne personne.

Cependant, la croissance rapide
de la puissance de calcul

fait peser un risque sur nombre de
méthodes d'échange de clef actuelles.

Par exemple, l'une des méthodes les plus
utilisées aujourd'hui est la méthode RSA.

Lorsqu'elle a été inventée, en 1977,

on estimait qu'il faudrait
40 quadrillions d'années

pour décrypter une clef RSA à 426 bits.

En 1994, soit seulement 17 ans plus tard,

ce code a été cassé.

La puissance croissante des ordinateurs

a conduit à des clefs
de plus en plus longues.

Aujourd'hui, nous utilisons
couramment 2 048 ou 4 096 bits.

La course entre les faiseurs de code
et les casseurs de code

se poursuit toujours aujourd'hui.

Et quand les ordinateurs quantiques
seront disponibles, dans 10 ou 15 ans,

ils permettront de casser encore plus
rapidement les algorithmes complexes

qui sont la base de nombre
de nos systèmes de chiffrement actuels.

Ces ordinateurs quantiques vont changer
nos forteresses actuelles de sécurité

en de vulgaires châteaux de cartes.

Nous devons trouver un moyen
de défendre nos forteresses.

Un grand nombre de travaux
de recherche ont récemment cherché

à utiliser les effets quantiques
pour renforcer le chiffrement.

Avec certains résultats
importants et intéressants.

Vous vous souvenez des trois points
importants pour le chiffrement --

des clefs de qualité, des échanges de clef
sécurisés, et des algorithmes forts ?

Eh bien, les avancées en science
et en ingénierie

font peser des risques sur deux
de ces trois éléments.

Tout d'abord, les clefs.

Les nombres aléatoires sont la brique
de base des clefs de chiffrement.

Mais aujourd'hui, ils ne sont pas
vraiment aléatoires.

En fait, nous construisons
nos clefs de chiffrement

à partir de séquences de nombres
aléatoires générés par des logiciels,

que nous appelons des nombres
pseudo-aléatoires.

Les nombres générés par ces programmes

vont comporter une sorte d'empreinte,
même très légère.

Moins ces nombres sont aléatoires,

ou, en termes scientifiques,
moins ils contiennent d'entropie,

plus ils sont faciles à prédire.

Récemment, plusieurs casinos ont été
victimes d'attaques d'un nouveau genre.

Les résultats de machines à sous ont été
enregistrés sur une période de temps,

puis analysés.

Cela a permis à des cyber-criminels

de recréer par rétro-ingénierie le
générateur de nombres pseudo-aléatoires

derrière ces machines à sous.

Et cela leur a permis, avec beaucoup
de précision, de prédire les résultats

et de réaliser ainsi des gains
financiers très importants.

Des risques similaires s'appliquent
aux clefs de chiffrement.

Donc, disposer d'un générateur de nombres
aléatoires est vital pour le chiffrement.

La recherche porte depuis longtemps
sur ces générateurs de nombres aléatoires.

Mais la plupart d'entre eux ne sont
soit pas suffisamment aléatoires,

soit pas assez rapides,
ou pas facilement reproductibles.

Mais le monde quantique
est vraiment aléatoire.

Il est donc naturel d'essayer
de tirer parti de ce caractère aléatoire.

Des systèmes mesurant
les effets quantiques

peuvent produire un flux infini de
nombres aléatoires, à très grande vitesse,

et déjouer tous ces potentiels
cambrioleurs de casino.

Un groupe d'universités
et d'entreprises dans le monde

travaillent à concevoir des générateurs
de nombres aléatoires.

Pour mon entreprise, notre générateur
quantique de nombres aléatoires

a d'abord été de la taille d'une table
optique de deux mètres sur un.

Nous l'avons ensuite
réduit à la taille d'un serveur.

Aujourd'hui, il est miniaturisé au format
d'une carte PCI pour ordinateur de bureau.

Ceci est le générateur de vrais nombres
aléatoires le plus rapide du monde.

Il génère 1 milliard de nombres aléatoires
par seconde grâce à l'effet quantique.

Et on l'utilise aujourd'hui
pour améliorer la sécurité

de fournisseurs de services cloud,
de banques, d'agences gouvernementales

à travers le monde.

(Applaudissements)

Mais même avec un vrai générateur
de nombres aléatoires,

il reste un second problème à résoudre :

le problème de l'échange sécurisé de clef.

Les techniques d'échange actuelles ne
résisteront pas à un ordinateur quantique.

La solution quantique à ce problème

s'appelle Distribution Quantique de Clef,

qui uilise une caractéristique
fondamentale, mais contre-intuitive,

de la mécanique quantique.

Le simple fait d'observer une particule
quantique la modifie.

Permettez-moi de vous donner un exemple.

Prenez à nouveau l'échange de code
du verrou avec James Bond.

Sauf que cette fois-ci, au lieu de donner
le code par téléphone à James,

nous allons utiliser les effets quantiques
sur un laser pour transporter le code

et l'envoyer à James
via une fibre optique classique.

Supposons que le Docteur No
cherche à l'intercepter :

sa tentative d'interception de
la clef quantique pendant son transfert

laissera des empreintes digitales
que James et vous pourrez détecter.

Cela permettra de détruire les clefs
qui ont été interceptées.

Les clefs qui sont restées intègres

pourront être utilisées pour assurer
une très haute protection.

Et comme ces clefs reposent sur une loi
fondamentale de la physique,

aucun ordinateur quantique,
ni aucun futur super ordinateur

ne sera jamais capable de les casser.

Mon équipe et moi-même collaborons
avec plusieurs universités

et le secteur de la Défense

pour mettre au point
cette technologie prometteuse

et l'intégrer dans la prochaine
génération de produits de sécurisation.

L'Internet des Objets annonce
une ère hyperconnectée

avec 25 à 30 milliards d'objets
connectés prévus en 2020.

Pour qu'une telle société, basée sur
un univers d'objets connectés, fonctionne,

la confiance dans les systèmes
qui supportent ces objets est vitale.

Notre pari est que ces technologies seront
essentielles pour assurer cette confiance,

et nous permettre de tirer pleinement
parti de ces fantastiques innovations

qui vont autant enrichir nos vies.

Merci.

(Applaudissements)