Que signifie être belle ? | Esther Honig | TEDxVancouver

« Avant - Après », le projet d'Esther Honig, a initié une discussion mondiale sur les canons de la beauté, avec des résultats positifs et négatifs. « Avant - Après » a sans doute laissé plus de questions qu'apporté de réponses. Au printemps 2016, Esther Honig, qui est journaliste, s'est lancée dans une expérience sociale peu conventionnelle. Elle a envoyé sa photo à 50 inconnus dans le monde en leur demandant de la « photoshopper » pour « la rendre belle ».

Le fruit de cette expérience a initié une conversation mondiale sur les canons de la beauté et leur mondialisation avant de prendre une tournure inattendue. Très vite, son visage est entré dans le domaine public et a été détourné par les professionnels du marketing. Pour se ré-approprier la narration de son projet et de son identité, elle a en dû abandonner la propriété et faire face aux critiques pour permettre à son projet de prendre son envol, librement.

Cette présentation a été donnée lors d'un événement TEDx local utilisant le format des conférences TED mais organisé indépendamment. En savoir plus : http://ted.com/tedx

L'été dernier,

mon travail de bureau m'ennuyait.

Mais je devais payer les factures

et j'avais choisi de m'éloigner
du journalisme

pour accepter un travail
dans le marketing en ligne.

Six mois après un travail
terne et démuni de sens,

on m'a présenté ce site Internet
incroyable appelé Fiber.

Fiber est un site international
pour les indépendants

sur lequel on peut signer des contrats
avec des gens partout dans le monde

pour faire de l'animation, du graphisme,
du design ou de l'édition vidéo.

Un jour, au lieu de faire
ce travail si ennuyeux,

je naviguais sur le site de Fiber

et je suis tombée sur une page
d'éditeurs de photos.

Des gens partout dans le monde,

au Sri Lanka, en Indonésie ou en Grèce.

Ils annonçaient tous pouvoir
rendre notre image parfaite.

Ça m'a donné une idée.

Ma sœur aînée dit toujours que les idées
les plus simples sont les meilleures.

À cet instant, j'ai décidé que
ce que je voulais faire,

était de me photographier,

sans maquillage,
sans éclairage particulier,

et d'envoyer ce portrait
à ces retoucheurs de photos

en leur demandant de me rendre belle.

Je n'avais aucune idée de la tournure
qu'allait prendre cette expérience.

Mais j'ai posé l'hypothèse que
l'interprétation de ma demande varierait

selon les individus et la culture
où ils avaient grandi.

J'ai donc envoyé mon portrait
à plus de 50 éditeurs de photos

dans autant de pays que possible.

Alors que les portraits retouchés
revenaient dans ma boîte mail,

cette idée bizarre est devenue
de plus en plus intrigante.

On avait parfois changé mon teint,
l'éclaircissant ou le fonçant.

On avait parfois effacé mes sourcils pour
les retracer au crayon, fins ou épais.

On m'a mis un hijab,

et parfois même,

on a reconstruit mon visage entièrement.

Ça a duré un mois environ

et j'ai dépensé quelques
centaines de dollars.

Au final, je ne savais toujours pas
ce que ce projet signifiait pour moi.

Je ne détectais aucun point
commun, aucune tendance

quel que soit le lieu où
la photo avait été retouchée.

Un instant, j'ai pensé que
ce bricolage d'expérience sociale

était un échec.

Mais j'ai trouvé que le concept
était intéressant

et qu'il suscitait un dialogue
qui était fondamental.

Alors j'ai pensé

que quelqu'un, quelque part
aurait envie de voir cela.

Alors, je l'ai nommé : « Avant - Après »
et envoyé à Buzzfeed

avec le maigre espoir
qu'ils envisagent de le publier.

À ma grande surprise, ils l'ont fait

et j'ai pensé cocher dans ma liste :
« Publication sur Buzzfeed. »

Mais suite à ça,

une chose totalement
inexplicable et inattendue

s'est mise en mouvement.

Pas moins de 30 minutes
après la mise en ligne de mon article,

j'ai vu arriver un courriel

d'un éditeur du Cosmopolitan
me demandant l'autorisation de le publier.

Chaque matin, au réveil,

ma boite mail est submergée

par un tsunami de mails de fans
et de demandes de médias

de partout dans le monde.

CNN, Al Jazeera, Good Morning America,
et The Today Show m'ont interviewée.

Tous me posent la même question :

« Qu'est-ce que ça veut dire ?
Que signifie ce projet ? »

Je réponds...

que je ne sais pas vraiment.

J'aurais tant voulu avoir ce doctorat
en anthropologie par exemple

qui m'aurait outillée pour
donner une réponse définitive

sur ce que je venais de créer.

Mais en fait, je suis journaliste

et mon travail est de poser des questions.

Je pense personnellement que les résultats
de Avant - Après soulèvent des questions.

Mais ils ne sont pas
nécessairement significatifs.

Ce projet ne définit pas la beauté

ou ce à quoi elle ressemble dans le monde.

L'élément le plus significatif
de ce projet

est l'ouverture d'une discussion

autour d'un sujet auquel nous pensons
et que nous vivons tous les jours

sans toutefois le comprendre :

la beauté.

À l'instant où Avant - Après
est devenu viral,

(Rires)

des inconnus partout dans le monde

ont commencé à m'envoyer mes portraits
après les avoir retouchés.

Ils ajoutaient des commentaires comme :

« J'ai remarqué que vous n'aviez pas
de photo de mon pays »

ou encore : « J'ai voulu essayer ».

Vous savez, tous ces gens,

(Rires)

veulent faire partie de ma collection,
ce qui est au départ plutôt flatteur.

Mais après 500 photos,
cela devient un peu envahissant.

Un peu comme si mon visage était devenu
un projet mondial de peinture par numéros.

On l'utilise même sans mon consentement
pour des insertions publicitaires en ligne

pour vendre des cosmétiques
ou de la crème anti-rides.

Voici ma préférée :
le poncho péruvien en alpaca.

(Rires)

Ce n'est pas rare que des créateurs
perdent le contrôle de leur œuvre

quand elle devient virale,

mais il ne s'agit pas uniquement
de mon travail.

C'est aussi mon visage.

Et il faisait maintenant
partie du domaine public.

Une semaine plus tard, les blogueurs
et les agrégateurs de contenu

ne prenaient même plus la peine
de solliciter mon autorisation

avant de publier Avant - Après.

Mon projet était galvaudé sur l'Internet,

réduit en piège à clics.

Le pire est que son interprétation

est devenue de plus en plus superficielle.

On omet mes idées et mes propos.

Mes portraits apparaissent en ligne
avec des commentaires tels que celui-ci :

« Plutôt une question de
compétences que d'héritage...

la plupart des retouches
sont de qualité médiocre »

et : « Ces quelques photos démontrent

que même Photoshop ne peut pas créer
de la beauté avec un visage quelconque ».

(Rires)

La chose étonnante avec l'Internet
et les réseaux sociaux,

c'est leur capacité à créer des liens,

mais parfois aussi, à être
une source d'isolement profond.

Je n'avais aucun moyen
de contacter ces millions de personnes

pour leur expliquer qu'ils
passaient à côté de mon message.

Je devais juste attendre
patiemment que l'orage passe.

Ça a duré un mois

avant que mon étoile pâlisse
et s'estompe doucement.

Je ne pouvais m'empêcher d'éprouver
le sentiment d'avoir été escroquée.

J'ai donc décidé que la seule manière

de me réapproprier le fil narratif
de ce que j'avais créé

et de prouver que ce projet
était moins superficiel que cela,

était de le répéter.

J'ai donc téléphoné à mon amie
Priscilla Yuki Wilson

qui est journaliste à Los Angeles
et je lui ai dit ceci :

« Priscilla, j'aimerais que
tu prennes ce projet en main.

Mais c'est le tien, pas le mien. »

Priscilla a repris l'idée

et a envoyé son portrait
un peu comme moi auparavant.

Mais c'est une femme métissée

et son projet a initié
un dialogue intéressant

sur les canons de beauté en Occident
et l'appartenance ethnique.

(Rires)

Un mois s'écoule ainsi et ensuite,
un auteur de mode pour les femmes rondes

a décidé de refaire mon projet.

Mais pour parler de beauté
et de l'image du corps.

Je pensais que c'était calmé

mais quelques mois plus tard,

j'ai commencé à recevoir des messages
de jeunes femmes dans le monde

qui consacrent leur travail
de recherche scolaire,

voire leur mémoire, sur la beauté

et souhaitent étudier mon projet.

Elles m'envoient leurs
présentations et leurs vidéos,

il y a même des photos de mon visage
découpé et collé sur des posters.

C'est vraiment super
d'imaginer les conversations

que ces jeunes filles
ont apportées à l'école.

J'ai lancé Avant - Après
il y a un an environ,

et je continue de recevoir des demandes
d'amis, de fans, de ma famille

pour faire de nouvelles éditions
de cette expérience.

Mais en fait, je ne pense pas
que ce soit ma responsabilité

car ce projet ne m'appartient plus.

Avant - Après appartient
à tous ceux qui pensent

qu'explorer leur perspective sur le sujet
apporte quelque chose au débat

et continue de nourrir
la conversation d'origine.

Récemment, une jeune femme
a envoyé un portrait d'elle en pied

à des éditeurs de photos
partout dans le monde.

Cet homme s'est approprié le projet,

et une personne a fait
pareil avec son chat.

(Rires)

Je n'y vois pas du plagiat

car Avant - Après appartient
à tous ceux qui pensent

que ça vaut la peine
d'explorer leur perspective.

Avec le recul sur le point
de départ de ce projet,

et j'aimerais pouvoir apporter
toutes les bonnes réponses,

mais j'ai compris qu'il avait réussi

principalement parce que
j'ai continué de poser des questions.

En tant que journaliste,

ma mission consiste à vous aider à voir
les choses selon un nouvel angle,

à réfléchir à vos croyances profondes

et accepter une perspective neuve,
une nouvelle manière de voir le monde.

C'est ainsi que je me suis
embarquée dans mon projet.

Volontairement simple,

focalisé sur un sujet

que tout le monde,
partout dans le monde, connaît

mais vit d'un million
de manières différentes.

Ce n'est pas une étude scientifique
mais plutôt une enquête culturelle

qui a initié
une conversation passionnante.

Ce sont ces conversations
qui font écho en nous.

Une conversation où il n'y a pas forcément
de bonne ou mauvaise réponse.

Il n'y a peut-être même pas de réponse.

Car au final,

la question la plus importante n'est pas :
« Qu'est-ce que la beauté ? »

mais bien : « Qu'en pensez-vous ? »

Merci.

(Applaudissements)