Le pouvoir de l'interview | Neenah Ellis | TEDxDayton

Neenah Ellis décrit à quel point interviewer peut approfondir les connexions entre les individus. Grâce à des histoires issues du WYSO et de sa propre vie, elle explique comment les liens - entre des étrangers, des gens ayant des expériences partagées et des proches - peuvent être renforcées par l'interview. Ellis offre les cinq étapes d'une interview efficace, afin de créer les connexions les plus satisfaisantes d'une vie.

Neelah Ellis est la directrice générale de la station publique de radio WYSO 91.3 à Yellow Spring, dans l'Ohio. A WYSO, elle a créé Community Voices, une production radio unique dont les projets ont transformé la station. Dans les années 80 et 90, Neenah était autrice et éditrice pour « Toutes Choses Considéréees » sur NPR et pour d'autres programmes, et a gagné le prix Alfred I. duPont/Université de Colombia et trois prix George Foster Peabody. Elle est l'autrice du best-seller new-yorkais « Si j'avais 100 ans: leçons de centenaires ». Elle vit aujourd'hui à Yellow Spring avec son mari, Noah Adams, un correspondant et auteur pour NPR.

Cette présentation a été donnée lors d'un événement TEDx local utilisant le format des conférences TED mais organisé indépendamment. En savoir plus : http://ted.com/tedx

Je veux vous parler du pouvoir
de créer des connexions avec les autres,

que nous avons et qui change nos vies,

des connexions qui nous apprennent
des choses sur nous et les autres.

Nous avons besoin de connexions,

mais nous sommes si souvent déconnectés
l'un de l'autre.

Nous ne vivons plus toujours
près de nos familles.

Et même si c'est le cas,
nous ne passons plus de temps ensemble.

Nous utilisons des lignes de SMS
pour nous connecter

Ce n'est pas suffisant.

Il y a un meilleur moyen
de créer des connexions avec les autres

qu'en utilisant une application.

On appelle cela interviewer
et ça se passe en tête-à-tête.

Je vais vous apprendre
comment vous y prendre.

Mais en premier, je veux vous dire

ce que vous pouvez apprendre
d'une interview avec un étranger.

J'ai été journaliste radio
presque toute ma vie,

et dans les années 2000,

j'ai décidé d'interviewer
25 personnes de plus de 100 ans.

Je pensais
m'y connaître un peu en interviews.

La vie de ces gens avait traversé
l'intégralité du XXe siècle,

donc pour être prête,

j'avais réalisé
ces énormes et longues listes de questions

qui touchaient à la majeure partie
des événements historiques du XXe siècle.

Mais ces gens m'ont surprise.

Ils étaient bien plus intéressés
par le futur que par le passé.

L'un d'eux enseignait toujours le droit.

Un autre conduisait toujours.

(Rires)

Il y avait un homme
qui voulait désespérément se marier.

(Rires)

Et il y avait cette belle femme
qui avait teint ses cheveux en rouge

et qui, chaque matin,
descendait près du lac derrière sa maison

et ramait sur son bateau.

Elle s'appelait Anna Wilmot.

(Audio) Anna Wilmot :
Je sors et je m'assoie au soleil.

N'est-ce pas charmant ?

Neenah Ellis : Oui.

AW : N'est-ce pas ?

NE : Quelle belle vue.

AW : Et quand vous êtes là-dehors,

pas d'interférence, personne autour.

Vous pouvez sortir et vous baigner nu.

(Rires)

NE : Vous le faites ?

AW : Oui, je le fais.

NE : Je sais.

AW : Seulement s'il y a du brouillard.

(Rires)

Je vous le dis, je suis quelqu'un.

(Rires)

N'est-ce pas ?

(Fin de l'audio)

Peu après que j'ai commencé
à interviewer Anna,

j'ai dû sortir
ma longue liste de questions

car ce que je voulais vraiment savoir
est ce qui donnait tant de sens à sa vie.

Et sa réponse avait à voir
avec son sentiment d'appartenance.

Elle adorait ses voisins,
sa maison, son lac.

Elle adorait être dehors,

où elle pouvait ramer sur son bateau,
nager et s'asseoir sous les arbres.

Et j'ai vite réalisé
que la vérité d'Anna était la mienne.

J'adore les arbres. J'adore les lacs.
J'adore nager dehors.

J'ai même été connue comme
celle qui se baignait nue.

(Rires)

Qu'est-ce que j'ai appris en interviewant
une femme de 100 ans

qui, jusqu'à ce jour,
avait été une totale inconnue pour moi ?

Eh bien, je me suis fait une amie
à qui j'ai rendu visite plusieurs années,

et j'ai eu un aperçu de moi à 100 ans.

Et maintenant j'ai une image de moi
comme une très vieille femme.

Cela m'enchante.

Vous n'avez pas besoin d'être journaliste
pour utiliser des talents d'intervieweur.

Dans notre vie quotidienne,
nous posons tous des questions,

nous faisons des hypothèses,

nous arrivons à des conclusions.

Ce n'est pas vraiment
la même chose qu'interviewer.

Une interview est une conversation
avec de l'intention.

Ce n'est pas un bavardage détendu,
d'accord ?

Dans mon métier,
à la station publique de radio,

je suis très chanceuse d'enseigner
ce que j'aime,

et j'apprends à des gens de la communauté
non-journalistes à interviewer.

Et nous passons ces interviews à la radio.

Parmi les plus intéressants, on trouve
les interviews de « pair-à-pair »,

entre des gens
qui ont une expérience commune,

car ils ont déjà confiance.

Par exemple, nous avons un projet
appelé « Voix d'anciens soldats »

où nous encourageons les vétérans
à s'interviewer mutuellement.

On les passe à la radio.

Je vais vous jouer un petit extrait
d'une interview entre deux vétérans,

et ils parlent de ce que ça leur fait

de voir leurs jeunes enfants
après un long déploiement.

(Audio) Vét 1: C'était presque
comme être un étranger pour tout le monde,

j'ai eu l'impression
quand je suis rentré ici,

qu'avec toutes les personnes
que je connaissais,

particulièrement ma fille,
cela a pris du temps.

Vét 2: Quand j'ai atterri,

ma fille n'a littéralement
pas semblé me reconnaître

ou me voir, et je ne veux pas dire
que je n'étais rien pour elle,

mais, seulement, elle...

On est entrés dans la voiture,
et je me suis retournée,

et j'ai essayé de me connecter avec elle,

et elle me regardait
un peu comme « Qui es-tu ? »

(Fin de l'audio)

Nous avons aussi encouragé un groupe
de femmes incarcérées

au centre correctionnel Dayton

de s'interviewer mutuellement.

Et ces interviews sont très
rapidement devenues profondes

car ces femmes avaient
tellement d'empathie l'une pour l'autre.

(Audio) Détenue 1 :
Tu peux aller à Tombouctou

pour essayer de te libérer de la drogue.

Si tu le veux,
ton corps t'en donnera les moyens,

tu peux le faire.

J'ai déménagé à Colombus, dans l'Ohio,

car j'en avais envie,

j'ai tourné au coin de la rue,

et de là, tu vois,

ma vie est redevenue hors-contrôle.

Détenue 2 : Donc tu es là
dans le centre et en prison.

De mon point de vue -

et c'est un sujet délicat
pour tous ceux qui te connaissent

car tellement de gens t'aiment.

Tu as en prison à perpétuité.

Ai-je raison ?

Détenue : Oui. Oui.
(Fin de l'audio)

Ces femmes se sentaient
en confiance ensemble,

plus en confiance, je pense,

que si elles avaient été interviewées
par un étranger qui les aurait jugées.

Je pense que cela aurait été
absolument génial

si on avait entendu plus de ces interviews
de pair-à-pair à la radio,

et à la télévision.

Nous avons tant à apprendre.

Je pense qu'on se verrait
tellement plus clairement.

On se comprendrait tellement mieux.

Savez-vous déjà qui vous intervieweriez ?

Je recommande de commencer
avec un membre de la famille

car les interviews avec des proches
peuvent être les plus enrichissantes.

Et voilà comment faire.

C'est très simple.

Premièrement,

pensez à ce que vous voulez savoir.

Écrivez quelques questions.

Deuxièmement, demandez à cette personne :

« Tu sais, ce ne sera pas
une interview détendue.

Je veux connaître l'histoire de ta vie. »

Troisièmement, trouvez un endroit calme.

Pas de téléphone, pas de télévision

et pas d'autres gens, bien sûr.

Quatrièmement, commencez doucement
et demandez-lui de raconter des histoires.

Dites quelque chose comme :

« Parle-moi de ton premier jour d'école. »

Cinquièmement,
quand cette personne commence à parler,

restez assis et immobile.

Écoutez uniquement.

Établissez un contact visuel.

Donnez à cette personne le cadeau
de votre attention totale.

Et quand vous le ferez,

très lentement,

quelque chose de profond et de puissant
vous arrivera.

J'ai interviewé mon père
pendant plusieurs années.

Il a 88 ans.

Il a aussi été producteur radio
durant la majeure partie de sa vie,

et c'est un bon raconteur d'histoire.

Un bon raconteur d'histoires.

Donc nous avons parlé de sa vie.

Quand mon père et moi nous asseyions
sur le canapé et commencions à parler,

cette chose profonde et puissante
nous arrivait à chaque fois.

La pièce disparaissait.

Le temps s'arrêtait.

C'était comme si nous étions entrés
dans une autre dimension.

Mon père se souvenait de choses auxquelles
il n'avait pas pensé depuis des années.

Des années.

Je veux vous parler de ce que la science
appelle « résonance limbique »,

et qui explique ce phénomène.

Parce que nous sommes des mammifères,

nous avons une région dans le cerveau
nommé la région limbique,

dans laquelle les émotions résident.

Et avec le temps et la proximité,

on commence à ressentir
les états émotionnels des autres.

C'est une véritable expérience sensorielle
comme voir ou entendre,

sauf que personne n'en parle beaucoup,

et ne sera prêt à vous l'apprendre.

Mais si vous suivez ces cinq étapes,
vous serez sur la bonne voie.

La résonance limbique fait du bien.

C'est peut-être le meilleur sentiment,
la meilleure émotion.

Je pense qu'il n'y a rien
que les personnes ne veulent plus

que de passer du temps
avec les gens dont ils se soucient

et avec qui ils ressentent
cette profonde connexion.

J'ai dit que les connexions
peuvent changer votre vie.

Je veux vous parler

de certains moments de révélation
que j'ai vécus avec mon père.

En 1959, mon père a été licencié.

Et il a mis toute sa colère
et sa frustration

dans la construction d'une cabane
dans les arbres pour ses enfants.

Nous adorions
cette cabane dans les arbres !

Et je me comportais avec ce chêne
comme avec un autre être humain.

Et quand mon père m'a raconté ça,

je me suis dit : « Haha,

c'est de là que je tiens ma passion
pour les arbres. »

Une autre histoire.

Mon père a grandi dans le sud de Chicago

durant la Grande Dépression

dans un quartier d'immigrés.

Quand il faisait très chaud dehors,

ils prenaient le tramway
et allaient tous au Lac Michigan.

Les femmes préparaient la nourriture,

et les hommes racontaient
des histoires sur le pays,

et quand le soleil se couchait,

ils dormaient tous sur la plage
où il faisait bon et frais.

Et mon père adorait
ces soirées à la plage.

Et j'ai pensé : « Haha,

c'est de là que je tiens
mon amour pour les lacs,

de mon père ».

Maintenant, voici une histoire
que j'ai entendue récemment -

je ne l'ai jamais su de toute ma vie -

comment mon père a été
mis en lien avec la radio.

Au lycée,

mon père avait un professeur de chorale
qui l'a interpellé en lui disant :

« Tu as une belle voix !

On dirait Bing Crosby ! »

Et cela a donné sa vocation à mon père.

Cette femme,
dont je ne connais pas le nom,

a changé la vie de mon père et la mienne.

Personne d'autre que mon père,

mon cher père,

n'aurait pu me raconter ces histoires.

Ces histoires m'ont aidée
à trouver qui j'étais.

Interviewer à esprit et cœur ouverts

peut renforcer l'amour que vous avez
pour les gens que vous connaissez déjà

et vous rapprocher de personnes
que vous venez de rencontrer.

Interviewer est une conversation
avec de l'intention.

Et quand vous le faites bien,

vous pouvez mieux vous connaître,

et changer votre vie.

Alors qui allez-vous interviewer ?

Bonne chance.

(Applaudissements)

Merci.

(Applaudissements)