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Le handicap m'a fait vivre des choses extraordinaires | Pascale Casanova | TEDxToulouse

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    Elle, c'est Gini.
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    Elle me suit partout.
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    Enfin, non.
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    C'est plutôt moi qui la suis.
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    Dans la rue, elle est mes yeux.
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    Elle me fait éviter les obstacles
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    mais si je lui demande,
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    elle sait aussi trouver
    un passager clouté,
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    un escalier, voire un escalator,
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    un arrêt de bus, une station de métro.
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    Mais moi ce qui me bluffe le plus,
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    c'est que dans son
    éducation de chien guide,
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    elle a même appris à désobéir.
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    (Rires)
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    Mais que si ça peut être dangereux ;
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    c'est-à-dire si l'ordre que je lui donne
    peut être dangereux pour nous.
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    Dans ce cas-là elle se couche, façon de
    dire : « Non, là, on n'y va pas. »
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    Vous l'avez compris, je suis malvoyante.
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    « Malvoyante » c'est bien beau
    mais ça veut dire quoi ?
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    Je vois quoi ? Comment ?
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    Il y a un truc qui est un peu
    pénible avec les malvoyants,
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    c'est qu'on n'est pas deux à voir pareil.
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    Et comme en plus je ne sais pas
    ce que, vous, vous voyez,
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    pour vous expliquer ce que, moi, je vois,
  • 1:31 - 1:33
    ce n'est pas gagné.
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    Bon allez, on va quand même essayer.
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    Par exemple,
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    vous connaissez tous
    la couleur de vos yeux,
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    enfin je suppose.
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    Moi je la connais, mais en théorie.
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    Parce que même si j'approche un miroir
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    tout contre mon visage,
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    je ne vois pas assez pour voir
    la couleur de mes yeux.
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    Autre chose :
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    au boulot,
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    quand il y a un nouveau collègue
    qui arrive dans le service,
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    je le mets à l'aise
    tout de suite, je lui dis :
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    « Si le matin tu n'as pas envie
    de me dire bonjour,
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    je te donne la recette :
    tu passes à côté dans le couloir,
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    tu fermes la bouche, tu ne dis rien,
    je ne saurai jamais que tu es passé là. »
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    (Rires)
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    Ça peut être pratique.
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    Bon, l'inverse n'est pas vrai.
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    (Rires)
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    Que dire d'autre ?
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    Quand on y voit aussi peu, il faut bien
    trouver des stratagèmes, pour y voir.
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    Moi j'ai choisi d'y voir avec mon cerveau.
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    Je vous rassure, je n'ai pas fumé
    la moquette rouge avant de venir,
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    elle est intacte.
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    Voir avec son cerveau, ça veut dire quoi ?
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    En fait, vous le faites tous
    mais vous ne le savez pas.
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    Vous le faites un petit peu,
    moi, je le fais beaucoup.
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    Ça veut dire que, par exemple,
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    si je vois quelqu'un,
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    je devine que dans sa main il y a
    une forme fine, blanche, un peu allongée,
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    je me dis :
    « Qu'est-ce que ça peut être ? »
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    Il y a deux possibilités, par expérience.
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    Soit c'est un gamin
    qui vient de finir une sucette,
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    mais si c'est un adulte,
    je vais plutôt opter pour l'option
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    cigarette qu'il n'a pas encore allumée.
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    Voilà, c'est ça, voir avec son cerveau.
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    Enfin, pour moi.
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    Je fais ça en permanence, tout le temps.
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    Tout le temps, oui,
    parce que je suis née malvoyante.
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    Avec en plus une malformation cardiaque
    mais bon, on n'est plus à ça près.
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    Je suis née comme ça mais,
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    malgré tout,
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    dès trois, quatre ans,
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    j'avais des rêves plein la tête.
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    Des rêves de gosse,
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    mais pas uniquement.
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    Mon plus gros désir,
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    ce que je voulais par-dessus tout,
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    c'était vivre une vie normale.
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    Comme celle de tous
    les enfants de mon âge.
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    Pour commencer,
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    j'ai dû aller à l'école.
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    Normal, non ?
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    Logiquement, j'aurais dû
    entrer dans une classe
  • 3:58 - 4:00
    avec d'autres enfants déficients visuels,
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    au sein d'un établissement spécialisé.
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    Quand ils m'ont vue débarquer,
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    ils ont dit à mes parents :
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    « Elle a l'air de capter assez vite,
    elle a l'air vive, dynamique.
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    On va vous proposer de
    tenter une expérience :
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    pourquoi ne pas l'inscrire
    dans l'école de votre quartier ? »
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    Nous sommes alors en 1975,
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    et depuis quelques mois,
    une loi offre cette possibilité.
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    Autant vous dire que, à ce moment-là,
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    nous n'étions vraiment pas nombreux,
    en France, à tenter l'expérience.
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    Je dis « expérience » parce que
    c'était même un sacré challenge.
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    Imaginez-vous : arriver à suivre en classe
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    sans jamais voir ce qui
    était écrit au tableau,
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    d'ailleurs des fois je ne voyais
    même pas où il était, le tableau,
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    juste en écoutant ce que
    disait la maîtresse.
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    Heureusement,
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    j'ai été bien aidée.
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    Mes parents, notamment.
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    Ce que faisait la maîtresse,
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    c'est que pour que je puisse lire ce
    qu'elle allait donner à lire en classe,
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    elle donnait quelques jours auparavant
    à ma maman ou à mon père
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    les textes qu'elle allait utiliser, et eux
    recopiaient tout en très grosses lettres.
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    Normalement, derrière apparaît -
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    ma mère n'est pas au courant, désolée -
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    sa jolie écriture.
    (Rit)
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    Elle recopiait tout en très grosses
    lettres pour que j'arrive à lire.
  • 5:36 - 5:37
    L'établissement spécialisé
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    qui ne m'avait quand même pas lâchée
    dans la nature et qui effectuait un suivi
  • 5:41 - 5:45
    et qui donnait à la fois des conseils
    aux instituteurs et à mes parents,
  • 5:45 - 5:50
    me fournissait des cahiers avec
    des très grosses lignes jaunes.
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    Des lignes que je puisse arriver à voir,
    pour que je puisse écrire dessus
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    et apprendre à écrire.
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    Des cahiers aux couvertures marron...
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    Moi je ne les aimais pas trop mais bon.
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    Bref,
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    avec tout cet attirail,
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    autant vous dire que mon rêve de
    normalité en avait pris un sacré coup.
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    Ah, si seulement...
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    Si seulement je pouvais
    utiliser les cahiers normaux.
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    Vous savez, ceux avec
    les toutes petites lignes,
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    et les jolies couvertures colorées.
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    Mais non.
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    Moi j'en avais un marron mochasse
    avec des grosses lignes jaunes.
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    Je n'avais qu'une envie,
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    c'était, un jour, d'arriver
    à utiliser ces beaux cahiers.
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    Et à force de forcer,
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    durant l'année de CE2,
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    j'ai réussi. Enfin !
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    Mon premier rêve s'est accompli.
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    C'était magique.
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    Les années passent et
    je continue ma scolarité.
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    Ce n'était pas simple, parce que pendant
    que les copains pouvaient se contenter
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    de recopier ce que la maîtresse écrivait
    au tableau et papoter de temps en temps,
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    moi, il fallait que je sois concentrée de
    la première à la dernière minute du cours
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    pour tout écouter et tout noter.
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    Pas question de divaguer et de dire :
    « Tiens, au fait, elle a dit quoi ? »
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    Non, ça, ce n'est pas possible.
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    Donc je m'accroche.
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    J'ai bien fait parce que j'ai fait des
    études que j'ai trouvées intéressantes,
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    puisque, après le bac,
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    sur suggestion de mes profs de terminale,
    je me suis retrouvée en prépa lettres.
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    Je ne savais pas trop quoi faire donc
    ça tombe bien, c'était intéressant.
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    Après, je suis allée à Sciences Po.
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    Licence puis maîtrise en droit
    et un DESS en gestion d'entreprise.
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    Ah mais j'ai oublié de vous dire un truc !
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    L'année où j'ai réussi à utiliser les
    cahiers aux couvertures colorées,
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    j'avais 8 ans.
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    Et ça faisait trois ans que j'avais
    ma troisième étoile en ski.
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    Enfin non, pas trois ans, j'exagère.
    Trois mois. Bon, c'est pareil.
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    Mais j'avais ma troisième
    étoile en ski à 8 ans.
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    C'était cool, c'était
    comme tout le monde, ça.
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    Enfin, peut-être pas, mais pour moi oui.
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    Tout ça parce qu'en fait,
    depuis l'âge de 4 ans,
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    je suivais mes parents
    sur les pistes de ski.
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    Enfin, c'est un bien grand mot, parce que
    je suivais surtout leurs silhouettes
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    qui étaient juste devant mes skis.
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    Allez, suivez-moi, fermez les yeux.
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    Je vais vous expliquer comment on skie
    quand on n'y voit pas grand-chose.
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    Vous fermez tous les yeux ?
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    La piste défile sous vos skis.
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    Un dévers à gauche, paf ! On appuie
    sur le ski gauche pour ne pas déraper.
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    Virage à gauche, droite, gauche.
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    Une bosse !
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    La belle affaire ; mes chevilles et
    mes genoux amortissent comme qui rigole.
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    Gauche, droite, gauche.
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    Les carres de mes skis
    s'ancrent dans la neige. J'accélère.
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    Gauche, droite, gauche, droite !
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    Comme ça, au fil des virages,
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    d'une saison, d'un hiver à l'autre,
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    je suis devenue une plutôt bonne skieuse.
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    Et à l'âge de 21 ans,
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    j'ai intégré l'équipe de France
    de ski alpin handisport.
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    Après avoir écumé les pistes pyrénéennes,
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    j'ai découvert
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    les pentes enneigées autrichiennes,
    italiennes, suisses, allemandes,
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    espagnoles,
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    et même japonaises et américaines,
  • 9:29 - 9:33
    au gré des coupes du monde, championnats
    du monde ou jeux paralympiques.
  • 9:35 - 9:36
    Vous allez vous dire :
  • 9:36 - 9:40
    « Mais elle est complètement barge pour
    skier à 100 km/h sans voir plus loin
  • 9:40 - 9:41
    que le bout de ses skis. »
  • 9:42 - 9:45
    Ouais, peut-être,
    mais je n'étais pas seule.
  • 9:45 - 9:46
    On était au moins deux.
  • 9:47 - 9:50
    Parce que quand je skie,
    il y a un autre skieur devant moi,
  • 9:50 - 9:52
    qui me donne toutes
    les indications à la voix.
  • 9:53 - 9:55
    Alors qu'est-ce qu'il me dit ?
  • 9:55 - 9:56
    Il va me donner la direction ;
  • 9:56 - 9:58
    gauche ou droite.
  • 9:58 - 9:59
    Il va me donner les obstacles ;
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    si on arrive sur une bosse,
    une cassure, une compression.
  • 10:03 - 10:06
    En compétition, il me donne
    les figures du tracé aussi.
  • 10:09 - 10:13
    Pour le diamètre des courbes,
    ou le rayon, comme vous voulez,
  • 10:14 - 10:16
    il fait ça à l'intonation.
  • 10:16 - 10:18
    C'est-à-dire par exemple,
    en course de descente,
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    un gauche, de grandes courbes larges,
    ça va faire « gauche, gauche, gauche ».
  • 10:26 - 10:28
    Par contre en slalom spécial,
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    vous savez les piquets entassés
    les uns derrière les autres,
  • 10:32 - 10:33
    c'est un « combat de boxe »,
  • 10:33 - 10:36
    là ça va faire « Droite !
    Gauche ! Droite ! Droite ! »
  • 10:37 - 10:41
    Voilà. Donc autant vous dire
    que pour en arriver là,
  • 10:41 - 10:44
    c'est des années d'entraînement ensemble,
  • 10:45 - 10:47
    c'est une super confiance mutuelle,
  • 10:47 - 10:49
    c'est de la synchronisation
  • 10:49 - 10:52
    et ça se travaille à la fois
    sur les skis et en dehors des skis,
  • 10:52 - 10:54
    dans la vie de tous les jours.
  • 10:55 - 10:58
    En douze ans de carrière,
    j'ai eu deux guides.
  • 10:59 - 11:02
    Le premier, qui est d'ailleurs
    sur la photo que vous voyez,
  • 11:03 - 11:07
    qui m'a guidée de 1994 à 2002
    et qui avait déjà guidé,
  • 11:07 - 11:12
    avec qui j'ai un peu appris
    le guidage et mon « métier »
  • 11:12 - 11:17
    puisque ce n'était pas un métier mais
    j'ai appris mon métier de compétiteur.
  • 11:19 - 11:20
    Il a souhaité arrêter en 2002
  • 11:20 - 11:24
    parce qu'il estimait ne plus avoir
    un niveau suffisant pour me guider.
  • 11:25 - 11:26
    Ça devenait un peu dangereux.
  • 11:27 - 11:31
    Du coup, j'ai trouvé un autre guide,
    enfin une autre guide,
  • 11:31 - 11:33
    qui était une ancienne compétitrice.
  • 11:34 - 11:37
    Elle était au top niveau ski, par contre
    le guidage, elle n'y connaissait rien.
  • 11:38 - 11:41
    Donc on a appris sur le tas.
    J'ai dû lui apprendre.
  • 11:43 - 11:44
    Elle se débrouillait pas mal,
  • 11:44 - 11:47
    mais les premières semaines,
    je trouvais qu'il manquait un truc.
  • 11:49 - 11:53
    Et il fallait bien trouver une solution
    pour qu'elle capte ce dont j'avais besoin.
  • 11:53 - 11:55
    Donc un jour j'ai eu une idée,
  • 11:55 - 11:58
    je lui ai dit : « Tiens, on va
    sur cette piste, je la connais bien,
  • 11:58 - 11:59
    et on va inverser les rôles. »
  • 12:01 - 12:03
    Elle me dit : « Mais tu es tarée, toi.
  • 12:03 - 12:04
    (Rires)
  • 12:04 - 12:07
    - Ben ouais mais on est deux
    parce que tu vas le faire. »
  • 12:08 - 12:12
    Donc elle a mis un bandeau que
    d'habitude on met sur la tête,
  • 12:12 - 12:14
    je lui ai dit : « Baisse-le
    mets-le sur les yeux. »
  • 12:14 - 12:18
    Elle baisse le bandeau et elle me dit :
    « Pascale, tu es où ? »
  • 12:18 - 12:20
    Je dis : « Ah, tu vois, il faut parler.
  • 12:21 - 12:25
    Je te signale que tu n'as pas encore bougé
    alors ne panique pas, on va y aller. »
  • 12:25 - 12:29
    La peur aidant, il a fallu
    trois virages pour tout comprendre.
  • 12:29 - 12:31
    On n'allait pas vite pourtant.
  • 12:34 - 12:36
    Au bout de trois virages,
    elle s'arrête et me fait :
  • 12:36 - 12:38
    « C'est bon, c'est bon, j'ai compris ! »
  • 12:38 - 12:40
    Et c'est vrai, elle a tout compris.
  • 12:41 - 12:45
    À partir de là, on a trusté
    les podiums internationaux.
  • 12:46 - 12:48
    Assez souvent sur la
    première marche, il faut dire.
  • 12:50 - 12:53
    J'étais un peu la bête à abattre
    par les autres équipes
  • 12:53 - 12:55
    mais ce n'est pas grave, on s'en fiche.
  • 12:57 - 12:58
    Mais vous savez,
  • 12:59 - 13:03
    gagner une centaine de titres à peu près
    sur la scène internationale en ski alpin
  • 13:03 - 13:05
    quand on n'y voit pas grand-chose,
  • 13:06 - 13:12
    c'est presque plus facile que de gérer
    toutes les galères de la vie quotidienne.
  • 13:13 - 13:14
    Lesquelles ?
  • 13:15 - 13:19
    Par exemple : trouver une adresse
    quand on ne peut pas lire un plan,
  • 13:19 - 13:23
    ou quand on ne peut pas voir
    les numéros de rue, ni même les noms.
  • 13:24 - 13:27
    Retirer de l'argent à un
    distributeur automatique de billets.
  • 13:28 - 13:32
    Je ne sais pas ce que font les banques,
    elles doivent faire un concours
  • 13:32 - 13:35
    à celui qui aura l'écran le plus original,
    il n'y en a pas deux pareils.
  • 13:35 - 13:40
    Impossible de mémoriser le truc du style
    « Voulez-vous un reçu ? »
  • 13:40 - 13:43
    Un coup, le « oui » est à gauche,
    un coup, il est à droite.
  • 13:43 - 13:46
    Impossible d'apprendre les
    boutons par cœur et de se dire :
  • 13:46 - 13:48
    « D'abord j'appuie là,
    ensuite j'appuie là... »
  • 13:48 - 13:49
    Non, il faut quelqu'un qui voit.
  • 13:49 - 13:51
    Autre exemple ;
  • 13:51 - 13:52
    pour faire ses courses,
  • 13:52 - 13:53
    parce qu'il faut bien manger.
  • 13:55 - 13:57
    J'ai développé ma propre stratégie.
  • 13:58 - 14:01
    Quand j'arrive dans un hypermarché,
    un grand magasin,
  • 14:02 - 14:04
    voire une supérette, ça marche aussi,
  • 14:05 - 14:09
    à force je vais toujours aux mêmes
    endroits, je triche mais c'est pratique,
  • 14:09 - 14:13
    j'apprends l'emplacement des rayons et
    surtout ce qu'on trouve à quel endroit.
  • 14:14 - 14:17
    Par exemple le rayon des légumes,
    il est en entrant à gauche,
  • 14:17 - 14:20
    le rayon céréales, riz, tout ça,
    c'est le deuxième à droite.
  • 14:22 - 14:24
    Mais une fois qu'on a fait ça,
    on n'a pas tout résolu.
  • 14:24 - 14:27
    Après, j'apprends, dans
    l'emplacement des céréales,
  • 14:27 - 14:31
    le riz est au début à droite,
    les pâtes sont un peu plus loin à gauche.
  • 14:31 - 14:32
    Bon, très bien.
  • 14:33 - 14:35
    Mais quand on se trouve
    devant le rayon pâtes ?
  • 14:36 - 14:39
    Rappelez-vous la dernière fois
    que vous avez fait les courses,
  • 14:39 - 14:41
    combien il y a de paquets
    de pâtes différents.
  • 14:41 - 14:42
    Alors soit j'en prends un au hasard,
  • 14:42 - 14:45
    puis je verrai bien une fois
    dans mon assiette ce que c'est,
  • 14:46 - 14:48
    soit, ma technique que
    je préfère personnellement,
  • 14:48 - 14:52
    c'est que je me dis : « Le paquet
    qu'on achète d'habitude, il est bleu -
  • 14:52 - 14:53
    je n'ai pas dit de marque -
  • 14:54 - 14:55
    Le paquet il est bleu,
  • 14:55 - 14:57
    donc je vais chercher
    quelque chose de bleu. »
  • 14:57 - 15:00
    Donc je prends un truc bleu, je regarde,
  • 15:00 - 15:01
    « Ce n'est pas ça. »
    Je repose.
  • 15:01 - 15:04
    Je prends celui d'à côté,
    ou un peu plus loin.
  • 15:05 - 15:07
    Ça prend un peu de temps mais ça marche.
  • 15:07 - 15:12
    Enfin, « ça marche » jusqu'à ce que
    pour des raisons purement marketing
  • 15:12 - 15:16
    le chef du magasin ait la super
    bonne idée de tout chambouler,
  • 15:16 - 15:19
    de remettre le riz
    à la place de la lessive,
  • 15:19 - 15:23
    et moi j'arrive, je cherche mon riz
    et je trouve « Super OMO ». Ah, super.
  • 15:25 - 15:28
    Ça, ça me fait râler, mais bon.
  • 15:31 - 15:34
    Mais il y a un truc qui m'énerve,
    qui m'énerve vraiment.
  • 15:35 - 15:36
    C'est l'injustice.
  • 15:38 - 15:39
    L'injustice
  • 15:40 - 15:42
    est encore pire quand elle devient banale,
  • 15:42 - 15:43
    voire normale.
  • 15:45 - 15:46
    Par exemple,
  • 15:47 - 15:49
    la loi française stipule que,
  • 15:50 - 15:53
    lorsqu'on se déplace avec un chien guide,
    celui-ci ne doit pas payer les transports.
  • 15:54 - 15:55
    Trains, taxis, etc.
  • 15:56 - 15:57
    Eh bien,
  • 15:58 - 16:01
    c'est très très souvent
    que les chauffeurs de taxis
  • 16:01 - 16:05
    essaient de facturer « l'euro
    symbolique », mais l'euro,
  • 16:05 - 16:07
    pour le chien guide.
  • 16:07 - 16:09
    Comme je suis un peu têtue,
  • 16:09 - 16:11
    à chaque fois je leur rappelle
    que non, c'est la loi.
  • 16:11 - 16:15
    Ils font semblant de ne pas savoir
    alors que c'est dans leur formation,
  • 16:15 - 16:17
    ils sont au courant
    mais ce n'est pas grave.
  • 16:17 - 16:19
    L'injustice avec une bonne dose
    de mauvaise foi par-dessus,
  • 16:19 - 16:22
    ça m'énerve mais bon,
    qu'est-ce que vous voulez ?
  • 16:22 - 16:24
    C'est à force de le répéter
    qu'on y arrivera.
  • 16:25 - 16:26
    Il n'y a pas que les taxis,
  • 16:26 - 16:29
    leur challenger direct,
    c'est les chambres d'hôtes.
  • 16:30 - 16:32
    Ah ça, c'est assez fort.
  • 16:32 - 16:36
    Au début j'annonçais,
    quand je passais une réservation :
  • 16:36 - 16:39
    « Bonjour, je voudrais une chambre,
    je suis accompagnée d'un chien guide...
  • 16:39 - 16:41
    - Ah non, non, c'est complet. »
  • 16:41 - 16:45
    Je me suis rendu compte que quand je
    ne disais plus que j'avais le chien guide,
  • 16:45 - 16:46
    il y avait des places.
  • 16:46 - 16:49
    Donc ce que j'ai fait
    pour mes dernières vacances,
  • 16:49 - 16:50
    j'avais une chambre, nickel,
  • 16:50 - 16:54
    échanges par mails : « Vous arrivez
    à quelle heure ? Très bien, 18h30.
  • 16:54 - 16:58
    - Ah au fait, j'ai oublié de vous dire,
    je suis accompagnée d'un chien guide. »
  • 16:58 - 17:00
    Cinq minutes après, j'avais un mail.
  • 17:01 - 17:03
    « Ceci annule votre réservation. »
  • 17:04 - 17:05
    Ben voilà.
  • 17:05 - 17:07
    Qu'est-ce que vous voulez
    que je fasse ? Ben rien.
  • 17:07 - 17:09
    On est allés à l'hôtel.
  • 17:10 - 17:14
    Tout ça pour dire que
    je suis loin d'être Superwoman,
  • 17:15 - 17:16
    pas du tout.
  • 17:17 - 17:19
    Mais quand on est handicapé aujourd'hui,
  • 17:19 - 17:23
    et qu'on veut prendre
    sa place dans la société,
  • 17:23 - 17:29
    la place qui est promise
    à n'importe quel citoyen,
  • 17:30 - 17:31
    il faut se battre.
  • 17:32 - 17:37
    Se battre pour tout ; pour la
    moindre chose, la moindre banalité.
  • 17:38 - 17:40
    Il faut se surpasser en permanence.
  • 17:42 - 17:47
    Moi, je voulais juste
    vivre une vie normale.
  • 17:47 - 17:49
    On peut dire que je me suis bien plantée.
  • 17:49 - 17:51
    Enfin en tout cas jusque-là.
  • 17:52 - 17:55
    J'ai vécu des choses compliquées,
  • 17:56 - 17:57
    complexes,
  • 17:58 - 17:59
    pénibles parfois.
  • 18:00 - 18:04
    Mais j'ai aussi vécu des choses
    très belles et très fortes.
  • 18:04 - 18:07
    En tout cas, une chose dont je suis sûre,
  • 18:07 - 18:11
    c'est que j'ai vécu
    des choses extraordinaires.
  • 18:12 - 18:13
    (Applaudissements)
  • 18:13 - 18:14
    Allez Gini.
  • 18:15 - 18:16
    Allez Ginoute !
Title:
Le handicap m'a fait vivre des choses extraordinaires | Pascale Casanova | TEDxToulouse
Description:

Pascale, qui a un handicap visuel depuis sa naissance, a cherché à vivre comme tout le monde. Elle a échoué. En fait, son handicap lui a permis de vivre des choses extraordinaires, notamment une carrière de skieuse au palmarès impressionnant !

Pascale est née avec un lourd handicap visuel mais elle s'est toujours battue pour vivre « comme les autres », sans y parvenir toutefois puisque elle a accompli des choses peu communes, souvent des premières, qui lui ont valu de vivre des moments extraordinaires.

Cette présentation a été donnée lors d'un événement TEDx local utilisant le format des conférences TED mais organisé indépendamment. En savoir plus : http: //ted. com/tedx

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Video Language:
French
Team:
closed TED
Project:
TEDxTalks
Duration:
18:32

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