Voilà, ça y est. J'ai pu réserver mon prochain week-end à la mer, avec mon épouse. Ce sera bien. On va y aller en train. Avec tout ce qu'on entend sur la planète, le développement durable, les sociétés en transition. Puis, ça va nous donner bonne conscience avec notre chaudière au mazout, nos deux bagnoles, nos trois enfants. Alors, sur les 100 km qu'on va faire pour aller jusqu'à la mer, 20, 30 peut-être seront associés à des combustibles fossiles. Parce que l'électricité qui va faire fonctionner le train, elle est produite aujourd'hui en Belgique par des centrales thermiques au gaz, au pétrole et au charbon. Et 50 autres km vont être associés indirectement à de l'uranium. Une autre matière extraite du sous-sol. Parce que ce sont les centrales nucléaires qui font fonctionner environ 50 % de l'électricité aujourd'hui en Belgique. C'est du propre, tout ça ! Heureusement, on sera nombreux dans le train. On va pouvoir partager les déchets radioactifs, les émissions de CO₂. Mais ouf ! Les 20 derniers kilomètres, entre Bruges et Ostende, seront associés à des énergies renouvelables. Tranquille ! Mais là aussi, il va falloir pas mal d'énergie et de ressources du sous-sol car pour fabriquer un aimant d'une éolienne, il va falloir du néodyme et plein d'autres éléments terre rare. Vous voyez les éléments que Mendeleïev a mis en bas dans son tableau. Il allait avoir plein d'ennuis avec ça. Il les a mis en bas, du néodyme et d'autres. Pour des panneaux photovoltaïques, il va me falloir de l'indium, du gallium, du cuivre, de l'argent et plein d'autres éléments, du silicium notamment. Mais heureusement, j'ai pu réserver en me connectant. Tranquille ! Alors, ça ! C'est un véritable consommateur de ressources du sous-sol. Du lithium pour sa batterie, de l'indium pour son écran plat, du cuivre, de l'argent, du tantale pour son électronique et encore plein de terres rares pour le faire fonctionner. Si j'avais l'idée de téléphoner dans le train, je serais un vrai pilleur de ressources du sous-sol. Vous allez dire : « Mais qu'est-ce qu'il a ce type ? » Il ne parle que de terres rares, de sous-sol. Mais je suis géologue. Mon métier, c'est de suivre les filons pour faire carrière. Mais j'ai plutôt bonne mine sur la photo, je ne vais pas me plaindre. Car il y a beaucoup de cailloux sympathiques qui viennent des entrailles de la Terre. Des saphirs, des émeraudes - parfait ! des rubis, des diamants et les diamants, ça, c'est durable, c'est éternel. Mais si on prend une image de la cité de demain telle qu'on l'imagine, on voit le vol majestueux des oiseaux, le gaillard qui promène son chien, il y a mon train, on voit un vélo. Tout est si harmonieux et verdâtre. Mais si je mets mes lunettes de géologue, qu'est-ce que je vois ? Vous me voyez venir ! Du néodyme pour les aimants des éoliennes. Tous les métaux qui seront nécessaires pour les panneaux photovoltaïques. Le fer, le manganèse pour les silos. Je ne vous raconte pas pour le train. Le calcaire, l'argile, le sable, le ciment et même les charges métalliques qu'on va observer pour donner la couleur rouge du graffiti. Il faut des charges métalliques. Ce n'est pas qu'une préoccupation des géologues actuels. C'est une vieille histoire, les ressources du sous-sol. Votre prof d'histoire vous l'a dit. Toutes les sociétés se basent sur les minerais, les techniques et les produits. À l'Âge de la pierre, on exploitait des pierres. Et puis, il y a eu l'Âge du cuivre. Et un gars a pensé : « Si j'ajoute un métal au cuivre, je vais passer à l'Âge du bronze, ce sera mieux pour moi. » Puis, il y a l'Âge du fer. Nous quittons actuellement l'ère des combustibles fossiles, trop lentement, et on entre dans l'Âge de l'électron. On exploite tous les éléments du tableau de Mendeleïev, en haut, en bas, quels qu'il soit. Les Romains connaissaient déjà sept métaux, associés aux sept astres facilement visibles à l'époque, chaque astre et chaque métal associé à un jour de la semaine. Et évidemment à un dieu. Vous verrez, c'est marrant, on va faire le jeu. Lundi, Maandag en néerlandais, c'est le jour de la Lune. La Lune, c'est un grand disque d'argent dans le ciel. Mardi, Mars, le dieu, la planète, c'est le jour du fer. Mercredi, aujourd'hui, Mercure, la planète, le métal et un messager des dieux. Jeudi, Jupiter, c'est l'étain. Vendredi. Vénus, la déesse de l'amour. Et le symbole de la féminité, c'est le symbole du cuivre. Samedi, Saturday en anglais. Saturne, mais la maladie du plomb, c'est le saturnisme. Samedi, le jour du plomb. Dimanche, Sunday, le jour du soleil, et le soleil est un grand disque d'or dans le système. Alors, depuis les Romains, on a plutôt de la veine, on a largement intensifié nos extractions. On extrait autant depuis 30 ans que depuis toute l'histoire de l'humanité. On extrait chaque année, 2,2 milliards de minerai de fer sur Terre, bien plus qu'il y a 10 ans. Qui parle encore de rationalité là-dessus ? Mais on a besoin des ressources du sous-sol. Soyons pragmatique, c'est de saison. Soyons pragmatique mais comment fait-on ? Eh bien on creuse. Vous connaissez sûrement les grands trous, les grandes carrières alimentées par de grands camions de grandes multinationales aux capitaux gigantesques et qui quotidiennement améliorent leurs processus et tentent tant que faire se peut, de diminuer leur impact environnemental. Mais si je mène un peu l'enquête et que je prends mon déguisement de géologue un peu baroudeur, je peux vous dire qu'il y a une autre façon d'extraire. On appelle ça les creuseurs artisanaux assez pudiquement. Alors, les gars, ils creusent à la pelle. Et ils vont remplir des sacs. Et ces sacs sont le fil conducteur de tout le chemin. Les sacs sont parfois remplis par les enfants. Et ce qui a dans les sacs est parfois lavé par les dames qui sont totalement à la botte, il n'en a qu'une, du contre-maître local. Les gamins transportent les minerais dans les sacs. Et ils transportent tout ça dans le coffre des voitures, comme vous le voyez. Les voitures transportent les sacs sur des camions. Et nous, on reste dans notre voiture car on sent que ça va être chaud, cette histoire. Les camions embarquent les sacs devant ces grandes balustrades. Vieux zinc, vieux bronze, vieux aluminium. On se demandait c'est quoi ces deux tuyaux juste au-dessus ? Quand la balustrade s'ouvre, on voit que ce sont des hauts-fourneaux. Vous reconnaissez les sacs. On va sortir les minerais de sacs pour couler des lingots artisanaux, moins beaux que les lingots légaux. Ça représente d'après la banque mondiale, pour certains minerais, dans certains produits, de 60 à 90 % de l'extraction aujourd'hui. Pour les ONG, c'est de l'esclavagisme moderne. Mais toujours selon la Banque Mondiale, en RP du Congo uniquement, c'est 500 000 à 2 millions de creuseurs qui font vivre jusqu'à 10 millions de personnes, aujourd'hui. Si on va un peu plus au nord, en Afrique. Là, les géologies affluent évidemment. On prend la route et que voit-on à côté de la route ? Des gars qui creusent avec les moyens du bord. Ils creusent ce type de choses. Ils vont mettre les minerais dans des sacs, toujours les mêmes sacs en toile de jute, partout où vous allez. Ces sacs vont aller sur le dos des ânes. Les ânes apportent les sacs dans les coffres des voitures. Les coffres des voitures apportent les sacs sur des camions. Mais, tout bien pesé, s'il faut creuser, préfères-tu qu'on creuse à la pelle ou à la pelleteuse ? On pourrait se dire : « Essayons d'extraire tout près de chez nous plutôt que d'aller si loin. » Bonne idée, un petit circuit court pour les ressources du sous-sol. Dans mon jardin. Oui, parce que je fais des travaux chez moi, j'analyse le sous-sol. Qu'y a-t-il dans mon jardin ? Des éléments majeurs. Plus de 99,6 % : silicium, aluminium, fer etc. Dans mon jardin, j'ai tous les éléments du tableau de Mendeleïev. Tous. Mais ils sont en éléments mineurs, il n'y a pas de jeu de mots. On les dose en ppm, partie par million, un atome d'un élément pour un million d'autres atomes. Et dans mon jardin, j'ai 27 ppm de néodyme. Super ! 0,0027 % de néodyme. Donc, transformer ça en un aimant d'éolienne va demander une telle énergie, que non, vraiment... l'idée de faire une gisement de néodyme dans mon jardin a du plomb dans l'aile. Mais heureusement, nous avons d'autres ressources du sous-sol en Wallonie. On a été premier producteur de plomb, de zinc, au XIXe siècle. Mais il y a encore de la ressource. Notamment dans la région de Namur. Dans l'est de la Belgique, dans un village qu'on appelle Plombières. Deux ressources : du plomb (Rires) et de la bière. Vous imaginez une grande mine de plomb aux alentours de Namur ? C'est nickel, ça ! Mine de rien, cette idée, aussi prometteuse soit-elle pour un circuit court, serait rapidement minée par les réactions caustiques des riverains. L'effet NIMBY. « Not In My BackYard » [pas dans mon jardin] « Je suis tout à fait d'accord d'utiliser l'ensemble des métaux qui sont dans cet appareil, mais, heu, pas dans le « Yard », c'est une expression anglophone, qui est derrière chez moi. Et puis, les extractions, elles ont laissé des souvenirs un peu bizarres en Wallonie avec des noms comme Germinal, silicose, coup de grisou. Non : l'histoire de l'extraction, loin de chez moi ! En favorisant bien sûr une approche strictement locale et en négligeant l'approche globale du développement durable. Alors, s'il n'y a pas moyen d'extraire avec des extractions, comment faire ? On recycle, en effet. On peut tenter de recycler et pour certains, c'est une vraie mine d'or. Et puis le recyclage, c'est sympa, ça ne paie pas de mine. Mais si je mets à nouveau mes lunettes de géologue, qu'est-ce que je peux vous dire ? Recycler les plusieurs dizaines de métaux qu'il y a là-dedans, mais chaque métal en très petite quantité, ce n'est pas simple. Même si on arrivait à recycler à plus de 90 %, au premier recyclage, 90 %. Au deuxième recyclage, 90 % de 90 % : 80 %. Puis 73 %, 66 %, 59 %, 53 %. Dès le septième recyclage, je n'ai plus la moitié de ce que j'avais au début. Je constate que je plombe un peu l'ambiance. On pourrait imaginer, tous ensemble car on est devenus géologues, on pourrait imaginer que le concept de développement durable basé sur trois piliers : social, économique et environnemental, que ce concept, avec une soutenabilité forte que j'aime bien car on a la nature qui englobe le social qui englobe l'économique. Donc, pas d'économie sans social et pas d'économie et social sans nature. Ce concept exclut les ressources non renouvelables du sous-sol. Mais en réalité, homo sapiens n'a jamais épuisé les ressources de son sous-sol. Quand on a quitté l'Âge de la pierre, il y avait encore des pierres. Quand on a quitté l'Âge du cuivre, il y en avait encore. Et on s'est dit : « Ce serait mieux de passer à l'Âge du fer. Mon bien-être en sera amélioré. » Quand on quitte l'Âge du fer, il y a encore du fer. Nous quitterons l'Âge des combustibles fossiles et il en restera encore. Pétrole, gaz, charbon. Mais nous aurons décidé, nous, citoyens, que ce sera quand même mieux de passer dans l'âge de l'électron. Même s'il y a plein de soucis, il ne faudra pas attendre l'épuisement, propre ou figuré. On pourra y aller car le quatrième pilier du développement durable, c'est la participation citoyenne. À partir de maintenant, je vous invite à ne plus rester de marbre. À aller au charbon. À regarder le monde qui nous entoure avec des yeux de géologue. En scrutant un peu, en creusant tous les métaux présents dans tous les produits. « Pas mal cet indium pour ton nouvel écran. » « Je te demanderais bien un peu de diatomite pour filtrer ma bière. » « Tu n'aurais pas du calcaire pour fabriquer mon sucre ? » Je t'échangerais bien un peu de rhodium contre du fer et du manganèse pour fabriquer mon acier. » Conscient de l'omniprésence des ressources du sous-sol dans notre environnement quotidien, il nous sera plus facile d'adopter un comportement adéquat de citoyen en rejetant certains produits. Mon fils et ma fille doivent être terrorisés. Ou en réduisant certains produits ! (Gros soupir). Ouf, réduire. Ou en réparant et les « fair phone » ont la particularité de pouvoir se réparer plus facilement. En réutilisant. En rentrant ce soir, vous ouvrirez le tiroir-là : « On ne sait jamais ! » Vous allez voir tous les trésors qu'il y a dedans. Ou en recyclant. Et puis, l'effet NIMBY, « Not In My BackYard », c'est moi qui décide de la sphère locale, régionale ou environnementale. Mais ne jetons la pierre à personne et revenons aux Romains. Ils avaient déjà une approche transversale car ils mélangeaient les disciplines. Transdisciplinaire, systémique. Eh bien, on revient à cette approche transversale. En effet, la lente fin de l'ère des combustibles fossiles qui sont à la base de l'émission de 40 giga tonnes de CO₂ dans l'atmosphère. Une tonne de gaz, c'est environ une montgolfière. 40 giga tonnes, c'est qu'on émet par an, 40 milliards de montgolfières de CO₂. Eh bien, la lente fin de l'ère des combustibles fossiles va nous éviter bien des soucis. Mais elle va en créer d'autres, aussi diversifiés en termes d'implications environnementales, sociétales, sociales, économiques, géopolitiques, technologiques, théologiques, philosophiques, chouïa géologiques quand même. En réalité, nous avons largement besoin d'une approche transversale vers laquelle doivent aller les universités, en modifiant quelque peu leurs cursus de bachelier, de master, un peu plus transdisciplinaire. Une approche vers laquelle doivent aller les administrations et les politiques, en restructurant la fiscalité. Une approche transversale vers laquelle doivent aller les compagnies privées en modifiant la sphère sociale de travail de leurs employés. Une approche transversale vers laquelle doivent aller les citoyens, munis de plusieurs paires de lunettes facilement ajustables et interchangeables. En réalité, l'avenir est entre nos mains, à nous, citoyens, pour une gestion durable des ressources non renouvelables du sous-sol. Une approche résolument transdisciplinaire à plusieurs échelles : locale, NIMBY, régionale, globale, pour que nos enfants aussi puissent jouir de noces d'argent, de platine, d'or, de diamant, car le mariage, c'est aussi une affaire de géologue. Je vous souhaite un moral d'acier, une santé de fer, pas trop de pieds de plomb. Merci. (Applaudissements)