Joshua Prager : À la recherche de l'homme qui m'a brisé le cou
-
0:06 - 0:09Il y a un an, j'ai loué une voiture à Jérusalem
-
0:09 - 0:12pour aller à la recherche d'un homme
que je n'avais jamais rencontré -
0:12 - 0:14mais qui avait changé ma vie.
-
0:14 - 0:17Je n'avais pas de numéro de téléphone
pour l'appeler et lui dire que j'arrivais. -
0:17 - 0:19Je n'avais pas d'adresse exacte,
-
0:19 - 0:22mais je connaissais son nom, Abed,
-
0:22 - 0:26Je savais qu'il vivait dans une ville
de 15 000 habitants, Kfar Kara, -
0:26 - 0:31et je savais que 21 années plus tôt,
juste à l'extérieur de cette ville sainte, -
0:31 - 0:33il m'avait brisé le cou.
-
0:33 - 0:38Et donc, un matin couvert de janvier,
je me suis dirigé vers le nord, -
0:38 - 0:42dans une Chevrolet grise à la recherche
d'un homme et d'un peu de paix. -
0:42 - 0:45La route était en descente et j'ai quitté Jérusalem.
-
0:45 - 0:48J'ai ensuite pris le virage même
où son camion bleu, -
0:48 - 0:50chargé de quatre tonnes de carrelage,
-
0:50 - 0:53avait heurté à grande vitesse
le côté arrière gauche -
0:53 - 0:56du minibus dans lequel j'étais assis.
-
0:56 - 0:59J'avais alors 19 ans.
-
0:59 - 1:02J'avais grandi d'environ 10 centimètres
et fait environ 20 000 pompes -
1:02 - 1:05en huit mois, et la nuit avant l'accident,
-
1:05 - 1:07j'étais enchanté de mon nouveau corps,
-
1:07 - 1:09jouant au basket avec des amis
-
1:09 - 1:11durant les petites heures d'un matin de mai.
-
1:11 - 1:14J'ai saisi le ballon de ma grande main droite,
-
1:14 - 1:18et quand cette main a atteint le bord,
je me suis senti invincible. -
1:18 - 1:22J'ai pris le bus pour aller récupérer la pizza
que j´avais gagné sur le terrain -
1:22 - 1:25Je n'avais pas vu Abed venir.
-
1:25 - 1:27De mon siège, je levais les yeux vers une ville de pierre
-
1:27 - 1:30installée sur une colline et qui brillait
sous le soleil de midi, -
1:30 - 1:33quand il y a eu un grand choc venant de l'arrière,
-
1:33 - 1:36un choc aussi fort et violent qu'une bombe.
-
1:36 - 1:38Sur mon siège rouge, ma tête
a fait le coup du lapin. -
1:38 - 1:41Mon tympan a explosé. Mes chaussures
se sont envolées. -
1:41 - 1:44Je me suis envolé aussi,
la tête branlante sur mes os brisés -
1:44 - 1:49et quand je suis retombé sur le sol,
j'étais tétraplégique. -
1:49 - 1:51Au cours des mois suivants,
j'ai appris à respirer seul, -
1:51 - 1:54puis à m'asseoir, à me lever et à marcher,
-
1:54 - 1:57mais mon corps était dorénavant divisé verticalement.
-
1:57 - 2:00J'étais hémiplégique, et de retour à la maison à New York,
-
2:00 - 2:05j'ai utilisé un fauteuil roulant pendant quatre ans, pendant tout le collège.
-
2:05 - 2:08À la fin du collège, je suis retourné à Jérusalem pendant un an.
-
2:08 - 2:11Là, je me suis levé de ma chaise roulante pour de bon,
-
2:11 - 2:14je me suis appuyé sur ma canne, et j'ai regardé derrière moi,
-
2:14 - 2:17pour trouver à la fois mes compagnons de voyage dans le bus,
-
2:17 - 2:20mais aussi des photos de l'accident,
-
2:20 - 2:23et quand j'ai vu cette photo,
-
2:24 - 2:28je n'ai pas vu un corps ensanglanté et immobile.
-
2:28 - 2:31J'ai vu la partie saine d'un deltoïde gauche,
-
2:31 - 2:34et j'ai pleuré parce qu'il était perdu,
-
2:34 - 2:36j'ai pleuré pour tout ce que je n'avais pas encore fait,
-
2:36 - 2:40mais qui était désormais impossible.
-
2:44 - 2:46C'est alors que j'ai lu le témoignage d'Abed
-
2:46 - 2:48le matin d'après l'accident,
-
2:48 - 2:52de son trajet sur la voie droite d'une autoroute
en direction de Jérusalem. -
2:52 - 2:55À la lecture de ses mots, ma colère montait.
-
2:55 - 2:59C'était la première fois que j'étais
en colère contre cet homme, -
2:59 - 3:02et c'est venu d'une pensée magique.
-
3:02 - 3:04Sur ce morceau de papier photocopié,
-
3:04 - 3:07l'accident n'avait pas encore eu lieu.
-
3:07 - 3:09Abed pouvait encore tourner sa roue vers la gauche
-
3:09 - 3:13de sorte que je puisse le voir
passer en trombe de ma fenêtre -
3:13 - 3:15et que je reste entier.
-
3:15 - 3:19« Attention, Abed, regarde dehors. Ralenti. »
-
3:19 - 3:21Mais Abed n'a pas ralenti,
-
3:21 - 3:25et sur ce morceau de papier photocopié,
mon cou s'est brisé à nouveau, -
3:25 - 3:29et de nouveau, je n'ai pas ressenti de colère.
-
3:29 - 3:32J'ai décidé de trouver Abed,
-
3:32 - 3:33et quand je l'ai finalement trouvé,
-
3:33 - 3:37il a répondu à mon bonjour en hébreu
avec une telle nonchalance, -
3:37 - 3:39qu'il m'a semblé qu'il attendait mon appel téléphonique.
-
3:39 - 3:41Peut-être bien.
-
3:41 - 3:45Je n'ai pas mentionné à Abed son passé de conducteur --
-
3:45 - 3:4827 infractions à l'âge de 25 ans,
-
3:48 - 3:53le dernier étant de ne pas avoir rétrogradé
son camion en ce jour de Mai -- -
3:53 - 3:55et je n'ai pas fait allusion à mon propre passé --
-
3:55 - 3:57la quadriplégie et les sondes,
-
3:57 - 3:59l'insécurité et la perte --
-
3:59 - 4:02et quand Abed m'a dit comment
il a été blessé dans l'accident, -
4:02 - 4:04je ne lui ai pas dit que
je savais du rapport de police -
4:04 - 4:07qu'il avait échappé à des blessures graves.
-
4:07 - 4:11Je lui ai dit que je voulais le rencontrer.
-
4:11 - 4:14Abed m'a dit de le rappeler
dans quelques semaines, -
4:14 - 4:16et quand j'ai rappelé et
qu'un enregistrement m´a dit -
4:16 - 4:18que son numéro n'était plus en service,
-
4:18 - 4:23j'ai laissé tomber Abed et l'accident.
-
4:23 - 4:26Plusieurs années ont passé.
-
4:26 - 4:30J'ai marché avec ma canne, ma chevillière et un sac à dos,
-
4:30 - 4:33voyageant sur les six continents.
-
4:33 - 4:36Toutes les semaines, j'ai participé à un match de softball
-
4:36 - 4:38que j'ai lancé à Central Park,
-
4:38 - 4:41et de retour à New York, je suis devenu journaliste et auteur,
-
4:41 - 4:45tapant des centaines de milliers de mots avec un seul doigt.
-
4:45 - 4:48Un ami m'a fait remarquer que
l'ensemble de mes grandes histoires -
4:48 - 4:51reflètent la mienne, chacune
étant centrée sur une vie -
4:51 - 4:53qui avait changé en un instant,
-
4:53 - 4:56en raison, si ce n'est d'accident, alors d'un héritage,
-
4:56 - 4:58un coup de batte, un clic du volet, une arrestation.
-
4:58 - 5:02Chacun d'entre nous avait eu un avant et un après.
-
5:02 - 5:06J'avais travaillé sur mon sort, après tout.
-
5:06 - 5:10Abed était encore loin de mon esprit, lorsque l'année dernière,
-
5:10 - 5:12je suis retourné en Israël pour écrire sur l´accident,
-
5:12 - 5:15et le livre que j'ai alors écrit, « Une Vie à Moitié »
-
5:15 - 5:18était presque terminé quand j'ai réalisé
-
5:18 - 5:20que je voulais toujours rencontré Abed,
-
5:20 - 5:23et j'ai finalement compris pourquoi :
-
5:23 - 5:29entendre cet homme dire trois mots :
« Je suis désolé. » -
5:29 - 5:32Les gens s'excusent pour moins que ça.
-
5:32 - 5:34J´ai alors obtenu d'un flic qu'il me confirme
qu'Abed vivait encore, -
5:34 - 5:37quelque part dans cette même ville,
-
5:37 - 5:40et j'étais alors en route pour cette ville avec une rose jaune en pot sur le siège arrière,
-
5:40 - 5:44quand soudain, offrir des fleurs m'a semblé ridicule.
-
5:44 - 5:47Mais qu'est-ce tu peux bien apporter à l'homme
qui a brisé ton putain de cou ? -
5:47 - 5:51(Rires)
-
5:51 - 5:53Je me suis arrêté dans la ville d'Abou Ghosh,
-
5:53 - 5:55et j'ai acheté une boîte de loukoums :
-
5:55 - 6:00pistaches et eau de rose. Mieux.
-
6:00 - 6:03De retour sur l'autoroute 1,
j'ai imaginé ce qui allait se passer. -
6:03 - 6:07Abed me serrerait dans ses bras.
Abed me cracherait dessus. -
6:07 - 6:11Abed me dirait : « Je suis désolé. »
-
6:11 - 6:14J'ai alors commencé à me demander,
comme je l'avais fait à de nombreuses reprises, -
6:14 - 6:16comment ma vie aurait été
-
6:16 - 6:17si cet homme ne m'avait pas blessé,
-
6:17 - 6:21si mes gènes avaient été nourris
d'un autre genre d'expérience. -
6:21 - 6:23Qui étais-je ?
-
6:23 - 6:26Étais-je le même qu'avant l'accident,
-
6:26 - 6:30avant que cette route ne divise ma vie
comme la colonne vertébrale d'un livre ouvert ? -
6:30 - 6:32Étais-je ce qu'on m'avait fait ?
-
6:32 - 6:37Étions-nous tous les résultats de ce qu'on nous avait fait, ou de ce qu'on avait fait pour nous,
-
6:37 - 6:39de l'infidélité d'un parent ou d'un conjoint,
-
6:39 - 6:41de l'argent hérité ?
-
6:41 - 6:45Étions-nous plutôt définis par nos corps,
leurs dotations et déficits innés ? -
6:45 - 6:48Il semblait que nous ne pouvions être
rien de plus que des gènes et de l'expérience, -
6:48 - 6:52mais comment démêler l'un de l'autre ?
-
6:52 - 6:55Comme Yeats a exprimé
cette même question universelle, -
6:55 - 6:58« Ô corps se balançant au rythme de la musique,
ô regard illuminé, -
6:58 - 7:04comment peut-on différencier
le danseur de la danse ? » -
7:04 - 7:06Ça faisait une heure que je conduisais
-
7:06 - 7:10quand j'ai regardé dans mon rétroviseur et ai vu mon propre regard illuminé.
-
7:10 - 7:14La lumière que mes yeux avaient portée
depuis qu´ils étaient bleus. -
7:14 - 7:17Les prédispositions et les pulsions qui avaient propulsé
-
7:17 - 7:20le bambin que j'étais à essayer de glisser sur un bateau dans un lac de Chicago,
-
7:20 - 7:21qui avait propulsé l'adolescent que j'étais
-
7:21 - 7:26à sauter dans la baie sauvage de Cape Cod après un ouragan.
-
7:26 - 7:28Mais j'ai également vu dans mon reflet
-
7:28 - 7:30que, si Abed ne m'avait pas blessé,
-
7:30 - 7:33selon toute vraisemblance,
je serais aujourd'hui médecin, -
7:33 - 7:37mari et père.
-
7:37 - 7:39Je serais moins conscient du temps et de la mort,
-
7:39 - 7:41et, ah, je ne serais pas handicapé,
-
7:41 - 7:45je ne souffrirais pas des mille frondes
et flèches de ma fortune. -
7:45 - 7:47L'enroulement fréquent de cinq doigts,
les morceaux dans mes dents -
7:47 - 7:50viennent de l'utilisation de ma bouche
pour ouvrir toutes ces choses -
7:50 - 7:52qu'une main solitaire ne peut pas.
-
7:52 - 7:58Le danseur et la danse
étaient irrémédiablement liés. -
7:58 - 8:00Il était presque 11 heures
quand j'ai pris la sortie de droite -
8:00 - 8:02en direction de Afula, et j'ai passé une grande carrière
-
8:02 - 8:05et je suis arrivé rapidement à Kfar Kara.
-
8:05 - 8:07Je senti un pincement des nerfs.
-
8:07 - 8:11Mais ils passaient Chopin à la radio,
sept belles mazurkas, -
8:11 - 8:13et je me suis arrêté sur le parking
d'une station-service -
8:13 - 8:16pour écouter et me calmer.
-
8:16 - 8:19On m'avait dit que, dans une ville arabe,
-
8:19 - 8:21il suffit de mentionner le nom de quelqu'un qui y vit
-
8:21 - 8:23et on le reconnaîtra.
-
8:23 - 8:25Et je mentionnais Abed et moi-même,
-
8:25 - 8:27remarquant délibérément que j'étais ici en paix,
-
8:27 - 8:30aux gens de cette ville,
-
8:30 - 8:33quand j'ai rencontré Mohamed à l'extérieur d'un bureau de poste à midi.
-
8:33 - 8:35Il m'a écouté.
-
8:35 - 8:38Vous savez, c'était généralement
quand je parlais aux gens -
8:38 - 8:42que je me demandais où je prenais fin
et où mon handicap commençait, -
8:42 - 8:45car beaucoup de gens m'ont dit ce
qu´ils ne diraient à personne d'autre. -
8:45 - 8:47Beaucoup pleuraient.
-
8:47 - 8:50Et un jour, après qu'une femme que j'avais rencontrée dans la rue a fait de même
-
8:50 - 8:52et je lui ai demandé plus tard pourquoi,
-
8:52 - 8:54elle m'a dit que, du mieux qu'elle
pouvait l'expliquer, ses larmes -
8:54 - 8:57avaient quelque chose à voir
avec mon aspect heureux et fort, -
8:57 - 9:00mais également vulnérable.
-
9:00 - 9:02J'ai écouté ses paroles. Je pense qu´elles étaient sincères.
-
9:02 - 9:04J'étais moi,
-
9:04 - 9:06mais dorénavant j'étais moi, même si je boitais,
-
9:06 - 9:11et je pense que c'était ce qui, dorénavant, avait fait de moi ce que je suis.
-
9:11 - 9:12Quoi qu'il en soit, Mohamed m'a dit
-
9:12 - 9:15ce qu'il n'aurait peut-être
pas dit à un autre étranger. -
9:15 - 9:19Il m'a conduit à une maison en stuc
de couleur crème, puis il est parti. -
9:19 - 9:22Et alors que je m'asseyais
en me demandant quoi dire, -
9:22 - 9:25une femme avec un châle noir
et une robe noire s'est approchée. -
9:25 - 9:28J'ai fait un pas depuis ma voiture
et j´ai dit « Shalom », -
9:28 - 9:30et je me suis identifié,
-
9:30 - 9:31et elle m'a dit que son mari Abed
-
9:31 - 9:34serait à la maison après le travail d'ici 4 heures.
-
9:34 - 9:37Son hébreu n'était pas bon,
et elle a avoué plus tard -
9:37 - 9:40qu'elle pensait que je venais
pour installer l'Internet. -
9:40 - 9:43(Rires)
-
9:43 - 9:47Je suis parti et suis revenu à 16:30,
-
9:47 - 9:48reconnaissant envers le minaret en haut de la route
-
9:48 - 9:50qui m'avait aidé à trouver mon chemin de retour.
-
9:50 - 9:52Et alors que je m'approchais de la porte d'entrée,
-
9:52 - 9:56Abed m'a vu, mon jean, la flanelle et la canne,
-
9:56 - 10:01et j'ai vu Abed, monsieur tout le monde, de taille moyenne.
-
10:01 - 10:04Il portait des vêtements noirs et blancs :
des pantoufles sur des chaussettes, -
10:04 - 10:06plusieurs couches de pantalon de survêtement,
un pull queue de pie -
10:06 - 10:09un bonnet de ski rayé tiré vers le bas du front.
-
10:09 - 10:12Il m'attendait. Mohamed avait téléphoné.
-
10:12 - 10:16Et tout d'un coup, nous nous sommes serrés la main et avons souri,
-
10:16 - 10:18et je lui ai donné mon cadeau,
-
10:18 - 10:19et il m'a dit que j'étais un convive dans sa maison,
-
10:19 - 10:23et nous nous sommes assis l'un à côté
de l'autre sur un canapé en tissu. -
10:23 - 10:26C'est alors qu'Abed a repris
-
10:26 - 10:27le conte de malheur qu'il avait commencé au téléphone
-
10:27 - 10:3016 ans auparavant.
-
10:30 - 10:34Il m'a dit qu'il venait de subir une intervention chirurgicale aux yeux.
-
10:34 - 10:36Il avait des problèmes avec son côté et ses jambes aussi,
-
10:36 - 10:38et, ah, il avait perdu ses dents dans l´accident.
-
10:38 - 10:41Est-ce que je voulais qu'il les enlève pour moi ?
-
10:41 - 10:44Abed s'est alors levé et a allumé la télé
-
10:44 - 10:47de sorte que je ne sois pas seul
quand il a quitté la pièce, -
10:47 - 10:49et il est revenu avec des photos
polaroïds de l'accident -
10:49 - 10:52et son vieux permis de conduire.
-
10:52 - 10:55Il a dit: « J'étais beau. »
-
10:55 - 10:58Nous avons regardé sa tasse laminée.
-
10:58 - 11:00Abed avait été moins beau que substantiel,
-
11:00 - 11:04avec des cheveux noirs épais,
un visage plein et un large cou. -
11:04 - 11:07C'est cette jeunesse qui, le 16 mai 1990,
-
11:07 - 11:09avait brisé deux cous, dont le mien,
-
11:09 - 11:13blessé un cerveau et pris une vie.
-
11:13 - 11:16Vingt et un ans plus tard, il était maintenant plus mince que sa femme,
-
11:16 - 11:17la peau de son visage avait relâché,
-
11:17 - 11:20et en regardant Abed
s'observant quand il était jeune, -
11:20 - 11:23je me suis souvenu de moi regardant
cette photo de moi quand j'étais jeune -
11:23 - 11:27après l'accident, et j'ai reconnu sa nostalgie.
-
11:27 - 11:31J'ai dit: « L'accident a changé nos deux vies. »
-
11:31 - 11:34Abed m'a alors montré une photo de son camion en purée,
-
11:34 - 11:36et a dit que l'accident était la faute d'un chauffeur de bus
-
11:36 - 11:40dans la voie de gauche
qui ne l'avait pas laissé passer. -
11:40 - 11:42Je ne voulais pas revivre l'accident avec Abed.
-
11:42 - 11:44J'espérais quelque chose de plus simple :
-
11:44 - 11:49échanger un dessert turc contre deux mots
et reprendre mon chemin. -
11:49 - 11:51Donc, je n'ai pas souligné que
dans son propre témoignage -
11:51 - 11:53le matin après l'accident,
-
11:53 - 11:56Abed n'avait même pas mentionné le chauffeur de bus.
-
11:56 - 11:59Non, j'étais tranquille. J'étais tranquille
parce que je n'étais pas venu pour la vérité. -
11:59 - 12:02J'étais venu pour des remords.
-
12:02 - 12:04Et c'est alors que je suis allé chercher des remords
-
12:04 - 12:07et que j'ai jeté la vérité sous le bus.
-
12:07 - 12:10J'ai dit: « Je comprends que l´accident
n´était pas de votre faute, -
12:10 - 12:14mais est-ce que ça vous rend triste
de savoir que d'autres ont souffert ? » -
12:14 - 12:17Abed a prononcé trois mots rapides.
-
12:17 - 12:20« Oui, j´ai souffert. »
-
12:20 - 12:23Abed m'a alors dit pourquoi il avait souffert.
-
12:23 - 12:26Il avait vécu une vie profane avant l'accident,
-
12:26 - 12:29et alors Dieu avait ordonné l'accident,
-
12:29 - 12:33mais maintenant, dit-il, il était religieux,
et Dieu était content. -
12:33 - 12:36C'est alors que Dieu est intervenu :
-
12:36 - 12:39des nouvelles à la télé à propos
d'un accident de voitures -
12:39 - 12:41qui avait tué trois personnes dans le Nord
quelques heures auparavant. -
12:41 - 12:44Nous avons regardé l'épave.
-
12:44 - 12:47J'ai dit : « Étrange. »
-
12:47 - 12:49Il a confirmé: « Étrange. »
-
12:49 - 12:52J'ai eu la pensée que là-bas, sur la route 804,
-
12:52 - 12:54il y avait des agresseurs et des victimes,
-
12:54 - 12:56des dyades liées par un accident.
-
12:56 - 12:58Certains, comme Abed, oublieraient la date.
-
12:58 - 13:02Certains, comme moi, s'en souviendraient.
-
13:02 - 13:05Le reportage s'est terminé puis Abed a parlé.
-
13:05 - 13:07Il a dit: « C´est dommage que la police
-
13:07 - 13:12de ce pays ne soit pas assez sévère avec les mauvais conducteurs. »
-
13:12 - 13:15J'étais perplexe.
-
13:15 - 13:18Abed avait dit quelque chose de remarquable.
-
13:18 - 13:21Est-ce que ça soulignait à quel point
il s'était exonéré de l'accident ? -
13:21 - 13:23Était-ce une preuve de culpabilité, une affirmation
-
13:23 - 13:26qu'il aurait dû être mis à l'écart
pour plus longtemps ? -
13:26 - 13:29Il aurait passé six mois en prison, aurait perdu son permis de conduire un camion pour une décennie.
-
13:29 - 13:31J'ai oublié ma discrétion.
-
13:31 - 13:35Je lui ai dit : « Euh, Abed,
-
13:35 - 13:39« Je pensais que vous aviez eu quelques
problèmes sur la route avant l'accident. » -
13:39 - 13:43Il a dit : « Eh bien, une fois j'ai conduit
à 60 km/h sur une route limitée à 40km/h. » -
13:43 - 13:46Et donc 27 infractions --
-
13:46 - 13:49passer au feu rouge, excès de vitesse,
-
13:49 - 13:51conduire du mauvais côté de la barrière,
-
13:51 - 13:53et enfin, tester ses freins en bas de cette colline --
-
13:53 - 13:56réduites à une seule.
-
13:56 - 13:59Et c'est alors que j'ai compris
que peu importe la dureté de la réalité, -
13:59 - 14:02l'être humain l'adapte
dans un récit qui est acceptable. -
14:02 - 14:06Le bouc devient le héros. L'agresseur devient la victime.
-
14:06 - 14:13C'est alors que j'ai compris
qu'Abed ne s'excuserait jamais. -
14:13 - 14:16Abed et moi nous sommes assis avec notre café.
-
14:16 - 14:19Nous avons passé 90 minutes ensemble,
-
14:19 - 14:21et il était maintenant connu de moi.
-
14:21 - 14:24Il n'était ni un homme particulièrement mauvais
-
14:24 - 14:26ni un homme particulièrement bon.
-
14:26 - 14:28Il était un homme limité
-
14:28 - 14:31qui avait trouvé en lui-même d'être gentil avec moi.
-
14:31 - 14:33Avec un clin d'œil à la coutume juive,
-
14:33 - 14:37il m'a dit que je devrais vivre jusqu'à 120 ans.
-
14:37 - 14:38Mais il était difficile pour moi de créer
un lien avec celui -
14:38 - 14:42qui s'était radicalement lavé les mains
de sa propre action calamiteuse, -
14:42 - 14:46avec celui qui examinait si peu sa vie qu'il m'a dit
-
14:46 - 14:51qu'il a pensé aux deux personnes tuées dans l´accident.
-
14:53 - 14:57Il y avait tant de choses que je voulais dire à Abed.
-
14:57 - 15:00Je voulais lui dire que, s'il venait
à reconnaître mon handicap, -
15:00 - 15:03ce serait bien.
-
15:03 - 15:04car les gens ont tort de s'émerveiller
-
15:04 - 15:08de ceux qui, comme moi, sourient bien qu'ils boitent.
-
15:08 - 15:11Les gens ne savent pas qu'ils ont vécu pire,
-
15:11 - 15:15que les problèmes du cœur frappent avec une force supérieure à un camion qui s'emballe,
-
15:15 - 15:18que les problèmes de l'esprit
sont encore plus grands, -
15:18 - 15:22plus préjudiciables, qu'une centaine de cous brisés.
-
15:22 - 15:25Je voulais lui dire que ce qui fait ce que la plupart d'entre nous sommes,
-
15:25 - 15:26plus que tout,
-
15:26 - 15:28ça n'est pas nos esprits et nos corps
-
15:28 - 15:30et pas ce qui nous arrive,
-
15:30 - 15:33mais comment nous réagissons
à ce qui nous arrive. -
15:33 - 15:36Le psychiatre Viktor Frankl a écrit :
-
15:36 - 15:38« C'est la dernière des libertés humaines :
-
15:38 - 15:42choisir son attitude dans un ensemble
donné de circonstances. » -
15:42 - 15:45Je voulais lui dire que
non seulement les paraliseurs -
15:45 - 15:49et les paralysés doivent évoluer,
se rapprocher de la réalité, -
15:49 - 15:51mais nous le devons tous --
-
15:51 - 15:56celui qui vieillit, celui qui est anxieux, celui qui a divorcé, celui qui perd ses cheveux,
-
15:56 - 16:00celui qui a fait faillite et tout le monde.
-
16:00 - 16:02Je voulais lui dire qu'on n'a pas à dire
-
16:02 - 16:04qu'une mauvaise chose a du bon,
-
16:04 - 16:07qu'un accident vient de Dieu et que donc l'accident est une bonne chose,
-
16:07 - 16:09qu'un cou brisé est une bonne chose.
-
16:09 - 16:12On peut dire qu'une mauvaise chose, c'est nul,
-
16:12 - 16:16mais que ce monde naturel
a encore de nombreuses gloires. -
16:16 - 16:21Je voulais lui dire que, au final,
notre mandat est clair : -
16:21 - 16:24Il nous faut nous élever
au-delà de la mauvaise fortune. -
16:24 - 16:27Nous devons être dans le bien et profiter du bien,
-
16:27 - 16:33étudier, travailler, l'aventure et l'amitié -- oh, l'amitié --
-
16:33 - 16:37et la communauté et l'amour.
-
16:37 - 16:40Mais surtout, je voulais lui dire
-
16:40 - 16:42ce que Herman Melville a écrit,
-
16:42 - 16:45que « pour vraiment apprécier la chaleur corporelle,
-
16:45 - 16:48une petite partie de vous doit être froide,
-
16:48 - 16:50car il n'y a pas de qualité dans ce monde
-
16:50 - 16:54qui ne soit pas définie seulement par contraste. »
-
16:54 - 16:56Oui, le contraste.
-
16:56 - 16:58Si on est conscient de ce qu'on n'a pas,
-
16:58 - 17:02on est vraiment conscient de ce qu'on a,
-
17:02 - 17:06et si les dieux sont bons, on pourrait
bien apprécier pleinement ce qu'on a. -
17:06 - 17:08C'est le seul don singulier qu'on peut recevoir
-
17:08 - 17:11si on souffre de quelque manière
existentielle que ce soit. -
17:11 - 17:13Vous connaissez la mort, et donc
vous vous réveillez peut être chaque matin -
17:13 - 17:15débordant de vie.
-
17:15 - 17:17Une partie de vous est froide,
-
17:17 - 17:20et donc une autre partie peut vraiment
profiter de ce que c'est que d'avoir chaud, -
17:20 - 17:23ou même d'avoir froid.
-
17:23 - 17:25Quand un matin, des années après l'accident,
-
17:25 - 17:28je suis monté sur la pierre et le dessous de mon pied gauche
-
17:28 - 17:32a senti un flash de froid, les nerfs enfin réveillés,
-
17:32 - 17:37c'était exaltant, une rafale de neige.
-
17:37 - 17:40Mais je n'ai pas dit ces choses à Abed.
-
17:40 - 17:45Je lui ai seulement dit qu'il avait
tué un homme, pas deux. -
17:45 - 17:49Je lui ai dit le nom de cet homme.
-
17:49 - 17:53Et puis j´ai dit : « Au revoir. »
-
17:53 - 17:55Merci.
-
17:55 - 18:02(Applaudissements)
-
18:02 - 18:05Merci beaucoup.
-
18:05 - 18:09(Applaudissements)
- Title:
- Joshua Prager : À la recherche de l'homme qui m'a brisé le cou
- Speaker:
- Joshua Prager
- Description:
-
Quand Joshua Prager avait 19 ans, un accident de bus devastateur l'a rendu hémiplégique. Il est retourné en Israël vingt ans plus tard pour trouver le chauffeur qui a bouleversé son existence. Dans ce récit fascinant de leur rencontre, Prager sonde de profondes questions sur la nature, le vécu, l'aveuglement et le destin.
- Video Language:
- English
- Team:
- closed TED
- Project:
- TEDTalks
- Duration:
- 18:30
Anna Cristiana Minoli approved French subtitles for In search of the man who broke my neck | ||
Anna Cristiana Minoli accepted French subtitles for In search of the man who broke my neck | ||
Anna Cristiana Minoli edited French subtitles for In search of the man who broke my neck | ||
Anna Cristiana Minoli edited French subtitles for In search of the man who broke my neck | ||
serge pizot edited French subtitles for In search of the man who broke my neck | ||
serge pizot edited French subtitles for In search of the man who broke my neck | ||
Papa Balla edited French subtitles for In search of the man who broke my neck | ||
Papa Balla edited French subtitles for In search of the man who broke my neck |