L'air sentait la fumée et le soufre.
Je venais de descendre d'un train vétuste
à destination de Korba,
au cœur de l'État indien du Chhattisgarh,
ville qui abrite une douzaine
de centrales à charbon,
et la plus grande mine de
charbon à ciel ouvert d'Inde.
La voici.
C'est un paysage de l'enfer sur Terre,
la totale, avec des feux infernaux
brûlant 24 heures sur 24, 7 jours sur 7.
Mais à Korba,
le charbon, c'est toute la vie.
La plupart de mes interlocuteurs
reconnaissent
que le charbon est leur source de revenus
mais qu'il les tue petit à petit.
Voici une communauté à côté
d'une centrale à charbon.
Tous les matins,
ils se réveillent
dans des maisons recouvertes
d'une couche de cendres projetées
par les éructations de la centrale.
Korba est l'un des endroits
les plus pollués
sur notre planète.
Hélas, ce n'est pas seulement
les pays noirs qui souffrent.
L'Inde entière nourrit une dépendance
mortelle aux combustibles fossiles.
L'Inde abrite 22 des 30 endroits
les plus pollués de la planète.
À Delhi, la capitale,
l'espérance de vie des habitants
est raccourcie de 9,4 années.
En 2020, le ciel s'est brièvement dégagé
lors du confinement rendu
nécessaire par le COVID
car les voitures n'ont pas circulé,
on a fermé les usines
et réduit la production
des centrales électriques.
Mais la détérioration économique
a fragilisé la vie
de 400 millions d'Indiens
qui risquent de sombrer
encore plus dans la pauvreté.
L'Inde ne devrait pas avoir
à sacrifier son développement
pour de l'air respirable.
Il y a une meilleure solution.
En effet, l'Inde est devant
l'occasion historique
de s'industrialiser
avec de l'énergie propre.
C'est la raison pour laquelle
j'ai quitté les États-Unis pour l'Inde,
à l'autre bout du monde,
pour rejoindre ReNew Power, le plus grand
fournisseur d'énergie renouvelable en Inde
comme directeur technologique.
J'ai passé deux ans à sillonner le pays.
J'ai vu partout les jeunes pousses
d'un boom naissant de l'énergie propre,
me mettant au défi d'espérer
que l'Inde puisse réaliser la plus
importante transition énergétique au monde
et ses choix feront ou saperont
la lutte mondiale contre
le changement climatique.
Car si l'Inde choisit
les combustibles fossiles
pour alimenter sa croissance,
ses émissions de carbone
pourraient exploser,
faisant du pays
le premier émetteur mondial
de ce siècle.
Pourtant, pour la majorité des Indiens,
les combustibles fossiles sont un luxe.
La plupart vivent dans des zones rurales
où le bois, la bouse de vache
et les sources de bioénergie
représentent deux tiers de la consommation
d'énergie des ménages.
Seulement 6 % des Indiens ont une voiture
et 2 % sont équipée avec la climatisation.
Les Indiens auront besoin
de bien plus d'énergie
pour échapper à la pauvreté
et vivre un mode de vie moderne et digne.
D'ici 2050, la majorité vivra
dans les villes
et voudra travailler en voiture
et climatiser leur maison.
En cours de route,
l'Inde deviendra le pays
le plus peuplé du monde,
avec 1,6 milliard d'habitants vers 2050.
Son économie pourrait
être multipliée par dix
et ses besoins énergétiques
pourraient quadrupler.
Aujourd'hui, le charbon,
le pétrole et le gaz
fournissent les trois quarts de l'énergie,
produisant électricité,
alimentant les véhicules
et les usines indiennes.
Si d'ici 2050, l'Inde consomme
la même proportion
des combustibles fossiles,
ce sera une catastrophe
pour le monde entier,
principalement les populations locales,
vulnérables à la pollution,
au changement climatique
ou à la voracité des nouvelles mines.
Au lieu de cela, l'Inde peut mettre
les énergies renouvelables
au cœur d'une économie ré-imaginée
en accomplissant trois objectifs audacieux
simultanément.
C'est une voie qu'aucun pays
n'a jamais empruntée.
Mais elle est possible
et ce moment l'exige.
Tout d'abord, l'Inde devra construire
des centrales solaires et éoliennes
à une échelle et à une vitesse
sans précédent
pour remplacer les centrales au charbon.
Deuxièmement, l'Inde devra étendre
la portée de cette énergie renouvelable
pour électrifier des secteurs économiques
comme l'industrie et les transports
qui n'utilisent pas l'électricité
traditionnellement.
Et troisièmement, l'Inde
doit améliorer drastiquement
son efficacité énergétique.
Voici mon plan pour atteindre
ces trois objectifs.
D'abord, l'Inde doit
construire des milliers de gigawatts
d'énergie solaire et éolienne.
Pour vous donner une idée,
c'est davantage que l'énergie nécessaire
pour alimenter l'Amérique.
Heureusement, l'Inde a la chance
de bénéficier d'un soleil abondant.
En théorie, on peut satisfaire
tous ses besoins énergétiques
en captant la lumière du soleil
sur moins de 10 %
des terres incultes de l'Inde.
L'Inde dispose également
d'un important potentiel éolien
inexploité sur terre et en mer.
Le vent et le soleil se complètent
car le vent souffle souvent plus fort
quand il y a moins de soleil,
pendant la mousson, par exemple.
Et une information récente
nous enthousiasme :
l'énergie éolienne et solaire est devenue
moins chère que l'énergie du charbon
et il est moins coûteux de construire
une ferme solaire en Inde
que partout ailleurs dans le monde.
Le prix des batteries a nettement baissé,
ce qui permet de stocker
et de fournir de l'énergie à la demande.
La baisse des coûts permet la croissance
rapide des énergies renouvelables.
Mais leur croissance doit accélérer
davantage d'ici 2050.
Cette décennie est critique pour investir
dans l'énergie solaire et éolienne
et éviter de nous enfermer
dans de nouvelles centrales à charbon
à longue durée de vie.
L'Inde doit également étendre
de toute urgence son réseau
pour fournir de l'énergie
des centrales solaires et éoliennes
dans les déserts ensoleillés du Rajasthan
ou sur la côte venteuse du Gujarat,
aux villes énergivores comme Mumbai.
Tout le renouvelable ne doit pas être
conçu à grande échelle.
Des panneaux solaires
sur les toits des entrepôts
ou à la périphérie
des villes tentaculaires
produit de l'électricité
là où elle est nécessaire.
Certes, il ne fait aucun doute
que les énergies nucléaire et hydraulique
seront essentielles à la transition
énergétique des pays du monde.
Mais l'Inde n'a tout
simplement pas les capacités de
l'État nécessaires
pour construire des projets
complexes et coûteux à
un rythme effréné
et tout ce qui pousse à
construire des éoliennes et
des solaires renouvelables
joue au mieux les atouts de l'Inde.
Le deuxième objectif audacieux
est d'utiliser les énergies
renouvelables dans l'ensemble
de l'économie,
y compris dans les secteurs
comme l'industrie et les transports
qui ne consomment pas
d'électricité aujourd'hui.
Comme l'essor des énergies
renouvelables rend
le réseau électrique plus propre,
l'Inde devrait faire en
sorte que tous ses trains
soient alimentés en
électricité et que le transport
de marchandises lourdes
passe des camions au rail.
Le parc de véhicules routiers de
l'Inde peut également
passer à l'électricité.
Ce serait clair,
nous ne parlons pas de
ces véhicules électriques,
mais de ceux-là.
Les deux et trois roues représentent
plus de 80 % du parc automobile indien.
Pour accélérer l'adoption
des scooters et des rickshaws électriques,
l'Inde devrait construire
des stations de recharge
et renforcer les réseaux
électriques locaux
pour faire face à l'afflux
de la demande d'électricité.
Cependant, l'électrification
ne fonctionnera pas partout.
Il ne sera peut-être pas
possible d'utiliser l'électricité
pour alimenter certains
processus industriels lourds
dans les secteurs en pleine
croissance de l'acier,
du ciment, des engrais
et de la pétrochimie.
Les usines devront peut-être
ajouter des équipements
pour capter les émissions
de carbone provenant de
la combustion de combustibles fossiles.
Une autre solution pourrait
être l'hydrogène propre.
Le surplus d'électricité renouvelable
peut faire fonctionner des
machines appelées électrolyseurs.
Ces derniers peuvent
séparer l'eau en oxygène et
en hydrogène vert,
qui peut ensuite
alimenter des applications
dans les transports et l'industrie,
comme la fabrication d'acier
ou de produits chimiques.
L'hydrogène peut également agir
comme une sorte de batterie,
en stockant le surplus
d'énergie éolienne et solaire
pour être utilisé plus tard.
Enfin, le troisième objectif
est d'améliorer radicalement
l'efficacité énergétique.
S'il y a un pays dans le monde là
où l'efficacité est la plus importante,
c'est l'Inde.
Même si l'Inde construit
une réserve massive
d'énergie renouvelable
et étend la portée de cette énergie
en rassemblant son économie,
ce ne sera pas suffisant sans
l'efficacité énergétique.
Car si la demande vorace
de l'Inde en énergie
augmente trop rapidement,
elle devra combler le manque avec
des combustibles fossiles polluants.
Voici une statistique farfelue.
Pour répondre à la demande
folle de climatisation,
l'Inde devra augmenter
de 70 % la capacité de
son système électrique
par rapport à l'Europe actuelle.
Et Comme une grande partie de
l'Inde est chaude et humide,
la demande de climatisation
atteindra un pic pendant
les nuits de sueur,
ce qui rendra difficile
l'alimentation des CA
par l'énergie solaire.
Mais des climatiseurs
beaucoup plus efficaces
pourraient permettre d'alimenter
les aspirations d'une
classe moyenne montante
avec des énergies renouvelables.
Le grand avantage de
l'Inde est qu'elle est
en grande partie une ardoise propre
et, chose incroyable,
70 % des infrastructures
de l'Inde en 203
0 n'ont pas encore été construites.
Cela représente une énorme opportunité
de promulguer des normes
d'efficacité rigoureuses
et de concevoir des bâtiments
et des villes efficaces sur
le plan énergétique.
Cependant, certains signes
avant-coureurs laissent présager
que la transition énergétique de l'Inde
pourrait s'essouffler.
COVID-19 a fortement ralenti
la construction de nouvelles centrales
d'énergie renouvelable,
des défis encore plus importants
se profilent à l'horizon.
Tout d'abord, les services de distribution
d'électricité indiens
sont mal gérés, économiquement fragiles
et contraints par de nombreux États
à subventionner l'électricité
aux agriculteurs et
aux clients résidents.
L'Inde a besoin de réformes
pour lutter plus efficacement
contre la pauvreté énergétique
tout en remaniant les
services publics non rentables
afin qu'ils puissent payer
l'énergie propre à temps.
Ce faisant, il sera possible
de réunir des billions de
dollars dans le pays et
à l'étranger
pour financer la transition de
l'Inde vers l'énergie propre.
Deuxièmement, cette transition s'enlisera
sans technologies nouvelles et améliorées.
Voilà une opportunité économique
pour l'Inde de cultiver des industries
avancées d'énergie propre.
À l'avenir, l'Inde devrait fabriquer
et exporter des climatiseurs
à haut rendement énergétique,
des deux et trois roues électriques
et des équipements pour produire
et utiliser l'hydrogène.
L'Inde est déjà forte dans la fabrication
d'énergie éolienne,
et elle pourrait devenir un leader mondial
dans les technologies
énergétiques numériques.
La communauté internationale
peut aider dans ce domaine
en finançant l'innovation afin
de rendre la transition
énergétique de l'Inde plus rapide
et plus abordable.
Des pays comme les États-Unis
devraient contribuer au financement
des marchés publics de
climatiseurs de pointe
et s'associer pour mettre
sur pied des projets
sur le terrain en Inde
qui font la démonstration de
technologies essentielles,
telles que le stockage de
l'énergie sur une longue durée
et le captage du carbone.
Enfin, le charbon ne
disparaît pas sans combat,
c'est un gros business en Inde.
Près de Korba, la capitale
indienne du charbon,
des entreprises privées s'efforcent
d'étendre l'exploitation du charbon,
allant même jusqu'à déboiser
une réserve d'éléphants
pour en extraire le charbon sous-jacent.
J'ai été le témoin
direct de la destruction,
mais pour chaque Korba, il y a un piège.
Dans cette région du Gujarat
balayée par les vents,
j'ai été témoin de l'ascension
de nacelles de 70 tonnes
par des équipes de construction,
un sommet aussi long
qu'un terrain de football.
Les pales des éoliennes
sont fabriquées en Inde
et l'électricité qu'elles produiront
contribuera à la croissance économique.
Les énergies renouvelables
offrent à l'Inde
un avenir plus propre
et plus prospère que le charbon ne pourra
jamais le faire. Si nous
n'accélérons pas la transition,
la pollution atmosphérique
et le changement climatique
continueront à ravager le pays
et à mettre la planète en danger.
Alors, mettons-nous au travail.
Je vous remercie.