L'Université de Californie Santa Barbara présente Voix Douglas Adams, créateur du Guide du voyageur galactique Les perroquets, l'univers et tout le reste Merci beaucoup, mesdames et messieurs C'est une expérience très intéressante, inhabituelle et étrange pour moi de parler dans ma ville natale. Qui est… Bien, parmi les livres que Constance a mentionnés lorsqu'elle m'a présenté, Le guide du voyageur galactique, Un cheval dans la salle de bains, etc Ceux-ci n'étaient pas mes préférés. Et mon livre préféré est ce dont je vais vous parler ce soir. C'est drôle comme, comme souvent… Pour pratiquement tous les auteurs que je connais, leur livre préféré est celui qui se vend le moins. C'est un peu l'avorton de la portée, c'est celui que vous avez toujours préféré. Et j'aimerais vous raconter comment celui-ci est né. À un moment durant la moitié des années 1980, le téléphone sonna. Et la voix dit : « Nous voudrions que vous alliez à Madagascar. Nous voudrions que vous y cherchiez une espèce de lémurien très rare, qui s'appelle Aye-aye. L'avion décolle dans deux semaines, nous souhaiterions que vous soyez à bord. » Et là, pensant qu'ils s'étaient trompés de numéro, j'ai dit "oui !" avant qu'ils réalisent leur erreur. Mais il se trouve qu'ils avaient décidé « Eh bien voilà quelqu'un qui n'y connaît rien aux lémuriens, rien à l'Aye-aye, rien à Madagascar, envoyons-le. » Alors j'ai commencé à me renseigner, et il se trouve que c'est très intéressant. Les lémuriens étaient autrefois les primates dominants sur toute la terre. C'étaient des créatures très très douces et gentilles Ils faisaient à peu près la taille d'un chat, et ils traînaient en haut des arbres à profiter de la vie. C'est alors que le Gondwana se sépara. Ça sonne toujours comme si un groupe de rock des années 70 se séparait pour divergences artistiques. Mais comme vous vous en rappelez sans doute, le Gondwana était cette vaste masse de terre continentale qui consistait en ce qui était alors devenu l'Amérique du Sud, l'Afrique, l'Inde, l'Asie du Sud-Est, l'Australasie —euh, non—l'Australie, l'Australie et non pas — et ça sera important plus tard — pas la Nouvelle Zélande qui s'avère n'être qu'un tas de saletés qui a émergé des profondeurs de l'océan Et comme je le disais, Les lémuriens étaient les primates dominants sur terre et lorsque les continents se sont séparés, et Madagascar en faisait partie, Madagascar a en quelque sorte dérivé vers le milieu de ce qui devint alors subitement l'Océan Indien. Et prit avec elle un échantillon représentatif du cheptel de l'époque, qui incluait nombre de lémuriens. Et ils sont restés comme ça pendant des millions et des millions d'années dans une isolation splendide. Tandis que, dans le reste du monde, une nouvelle créature fit surface. Une nouvelle créature arriva, bien plus intelligente que les lémuriens, — du moins d'après elle — bien plus compétitive, bien plus agressive, et incroyablement intéressée par tout ce qu'on peut faire avec des brindilles. Les brindilles étaient absolument merveilleuses. On peut tant faire avec des brindilles, on peut fouiller le sol avec des brindilles, on peut gratter sous l'écorce des arbres, on peut se frapper l'un l'autre avec… S'il y avait eu un Brindille Hebdo à l'époque, ces créatures auraient fait la queue pour l'avoir. Et ces créatures — qu'on appelle singes comme vous l'avez probablement deviné— parce qu'elles étaient plus compétitives et plus agressives, et qu'elles vivaient dans le même habitat que les lémuriens, ont réussi à supplanter ceux-ci partout dans le monde en dehors de Madagascar. Parce que Madagascar se trouvait en plein milieu de l'Océan Indien et qu'elles ne pouvaient pas y aller. Du moins jusqu'il y a environ 1500 ans, suite à de stupéfiantes avancées des technologies à base de brindilles, qui leur permirent d'y aller en bateau, et par la suite en avion. Et subitement les lémuriens, qui ont disposé de cet endroit pendant des millions et des millions d'années, faisaient subitement face à leur vieil ennemi : le singe. Donc, voilà Madagascar, et il se trouve que le plus rare des lémuriens — et quand je dis le plus rare, à ce moment précis des années 80 on pensait qu'ils étaient les plus rares; on a depuis découvert un lémurien encore plus rare appelé hapalémur doré qui a pris la première place des lémuriens en voie de disparition— mais le Aye-aye est un animal très singulier. Il ressemble à un mélange de différentes sortes d'animaux. Par exemple, il a des espèces d'oreilles de renard, et a des dents un peu comme un lapin, et a une queue qui ressemble à une plume d'autruche, et il a des yeux très bizarres, en fait, il a les yeux de Marty Feldman. Un peu comme s'il regardait légèrement derrière vous vers une autre dimension juste au dessus de votre épaule gauche. Mais il a également une caractéristique très très particulière, son majeur sur chaque main est squelettique et très très long. Et il se trouve qu'il n'y a qu'un seul autre animal dans le monde entier qui présente ce trait. Et on appelle celui-ci —j'adore les zoologistes; ils ont une imagination tellement vive— on l'appelle triok à longs doigts. Cette créature vit en Nouvelle Guinée, mais c'est son annulaire qui est squelettique et allongé. Et c'est bien ce qui démontre qu'il n'y a aucun lien entre ces animaux, c'est de la pure convergence évolutive, parce que le facteur commun entre Madagascar et l'aye-aye, et la Nouvelle Guinée et le triok à longs doigts c'est que dans aucun de ces habitats il n'y a de pic-vert. Ce qu'il y a, voyez-vous, — la vie est très très opportuniste, et profitera de toute source de nourriture qu'elle pourra trouver autour d'elle. Et s'il n'y a pas de pic-vert pour chercher des asticots sour l'écorce des arbres, dans ce cas, ce sera les mammifères qui développeront un doigt long et squelettique pour gratter sous l'écorce des arbres et accéder à cette source de nourriture à savoir les asticots sous l'écorce. Donc, l'aye-aye est une créature très très étrange. Et à ce moment là on pensait qu'il n'en restait qu'une quinzaine. Et ils ne vivaient pas sur Madagascar à proprement parler, mais sur une petite île recouverte d'une forêt tropicale juste au large de Madagascar, appelée Nosy Mangabe, sur la pointe Nord-Ouest de Madagascar. Et pour y parvenir, vous devez prendre un 747 jusqu'à Madagascar. Puis un vieux coucou lamentable de Madagascar jusqu'au port Nord-Ouest. Et de là vous devez prendre une série de moins en moins excellente de charrettes et de camions etc, jusqu'à un petit port où devait nous attendre un bateau qui devait nous emmener à Nosy Mangabe. Nous voilà donc arrivés au port, et nous cherchions le bateau qui devait nous emmener à Nosy Mangabe, et on n'arrivait pas à le trouver. On demandait autour de nous « Mais où est ce bateau ? » et ils répondaient « Il est juste là ! » et on n'arrivait pas à voir ce qu'ils montraient du doigt parce que c'était masqué par une énorme épave rouillée. Comme vous l'avez deviné, c'était l'énorme épave rouillée avec laquelle nous devions aller à Nosy Mangabe. Et elle ne remplissait pas ce que je pensais être un critère de base pour un bateau, en cela qu'elle était en gros pleine d'océan. Et pour moi la fonction première d'un bateau c'était de garder l'océan à l'extérieur. Enfin bref, nous avons navigué jusqu'à Nosy Mangabe. C'est une île minuscule et très très jolie, recouverte par une forêt tropicale. Et nous nous sommes heurtés à un problème majeur qui est qu'évidemment cet animal vit non seulement dans les arbres — nul ne l'avait vu depuis bien des années — mais en outre c'est également un animal nocturne. Et la qualité des batteries à Madagascar laissait à désirer. On a donc passé nuit après nuit, errant à travers la forêt tropicale, sous ce qu'on ne peut décrire que comme la pluie. De quoi devenir grincheux, à passer nuit après nuit, blottis sous des bâches, priant pour que la pluie cesse. Et de temps en temps l'un de nous s'écriait « Grr, quand va-t-on enfin trouver ce satané animal ? » En fait, c'est assez inouï, nous avons trouvé cette hutte qui devait être à un garde-chasse — non, pas un garde-chasse— un garde forestier. C'était une hutte minuscule. Et en fait elle était pleine de vie sauvage. Ce qui se produisait, voyez-vous, c'est que vous ouvriez la porte, et vous entendiez tout ce bruit… et vous allumiez la lumière, et ça s'arrêtait. Et là vous voyiez des araignées géantes partout sur le mur, chacune avec un insecte à demi-dévoré dans la bouche ! et là, « Oui ? » Et vous éteigniez la lumière et… C'était donc notre abri, on s'est bien amusés. Et par la suite… Mais une nuit, une nuit, nous étions tous, comme je le disais, blottis sous nos bâches, et je suis sorti faire un tour, et subitement, subitement, j'ai regardé en l'air, et sur une branche à environ cette hauteur au dessus de ma tête une créature émergea. Cette créature avança sur la branche, m'a jeté un regard, et je la regardais, et alors qu'elle me contemplait — elle n'a manifestement pas du tout aimé ce qu'elle voyait — elle a fait demi-tour et s'en est allée. La rencontre dura une dizaine de secondes en tout. Et c'était ce pour quoi nous étions venus. J'avais vraiment vu, — on a tout juste réussi à en prendre une photo quand elle est apparue — mais j'ai subitement réalisé que nous avions vu un aye-aye. J'étais totalement subjugué par cet instant, pour des raisons que je ne m'expliquais pas totalement. Parce qu'un mois auparavant je n'avais pas même entendu parler de cet animal et me voilà, la fixant du regard, pensant que quelque chose d'extraordinaire était en train de se produire. J'ai donc commencé à y réfléchir un peu, et voilà ce qu'il en est ressorti. En voyageant jusque là, en prenant un 747 jusqu'à Tananarive, la capitale de Madagascar, puis ce vieux coucou lamentable qui nous a menés jusqu'au coin Nord-Ouest, puis cette série de moins en moins excellente de charrettes et de camions, et enfin dans cet énorme épave rouillée jusqu'à la forêt tropicale où nous marchions à travers la forêt nuit après nuit, c'était comme si nous avions fait une sorte de voyage temporel en remontant le temps à travers l'histoire des technologies à base de brindilles. Et ce qu'était cette rencontre, ce que ça représentait, c'était que j'étais un singe qui regardait un lémurien. Et quand on y pense, il y a une très longue histoire qui mène à ce moment, sans qu'on réalise qu'on la porte en nous. Nos racines sur cette planète remontent à très très très longtemps, et on a tendance à ne pas trop y penser. Et il faut une confrontation de cet ordre pour prendre conscience de l'ampleur de notre famille. Je me suis dit que c'était tout à fait fascinant. J'ai parlé au type qui faisait office de guide, un zoologiste qu'on avait envoyé pour s'assurer que je ne tomberais pas d'un arbre. Il s'appelait Mark Carwardine, et je lui ai dit, « J'aimerais vraiment qu'on puisse… que diriez-vous qu'on aille de par le monde à la recherche d'autres espèces rares et menacées d'animaux, peut-être pour en faire un livre ? » Il répondit « Eh bien c'est mon métier ! » « Donc oui, d'accord. » Et c'est ce qu'on a fait. Il y a eu une pause à ce moment là parce que je venais d'être signé pour quelques romans. j'ai donc écrit Un cheval dans la salle de bains et Beau comme un aéroport, et seulement après ce fut le moment de partir. Et le premier endroit où nous allâmes, c'était pour un certain lézard, à savoir le dragon de Komodo. Bien, vous savez à quoi ressemblent les lézards, n'est-ce pas ? je veux dire, ils font environ… Le dragon de Komodo est un peu plus grand que ça. Le plus gros que nous ayons vu faisait près de quatre mètres de long, sa tête arrivait à peu près ici « un putain de bestiau », selon le terme technique. On pense qu'ils sont à l'origine du mythe chinois du dragon — parce qu'ils sont, eh bien, d'énormes lézards géants, ils sont couverts d'écailles, mangeurs d'hommes, littéralement mangeurs d'hommes, et s'ils ne crachent pas le feu à proprement parler, ils sont en revanche dotés de la pire haleine connue de l'homme. Et ils vivent sur une île nommée Komodo. Comme si ça ne suffisait pas, il s'avère que cette île comporte mille cinq cent dragons mangeurs d'hommes et qu'en réalité l'animal le plus menacé de l'île c'est tout sauf les dragons. Et comme je l'ai dit ils s'attaquent aux hommes. Ils ne vous dévorent pas immédiatement, ils ne se jettent pas sur vous pour vous engloutir. Ils se faufilent en douceur et vous mordent un coup. Mais comme leur salive est très virulente, votre blessure ne guérira pas, et après un moment vous mourrez. Et donc un des dragons pourra vous manger — peu importe que ça ne soit pas celui qui vous a mordu— ils se fient simplement à la stratégie d'avoir autant de créature mortes et mourantes autour de l'île qu'ils peuvent et ça leur permet de vivre. Comme si ça ne suffisait pas que l'île comporte mille cinq cent dragons mangeurs d'hommes, pour rendre les choses un peu plus intéressantes, elle dispose également de plus de serpents venimeux — par mètre carré de terrain — que n'importe quelle autre surface équivalente sur terre. Donc on a approché Komodo — je dois bien le dire — assez nerveusement, et de manière légèrement détournée. En fait on l'a approchée de manière si détournée qu'on est passés par Melbourne en Australie. Et la raison pour laquelle nous sommes allés à Melbourne était pour y rencontrer quelqu'un, un certain Dr Struan Sutherland. En fait je voudrais vous lire un petit passage à son sujet, c'était un expert renommé en venin de serpent. Je devrais d'abord m'excuser avant de lire, parce que mon accent australien n'est pas très convainquant. Mais après tout peu importe, vous êtes tous américains et vous ne ferez pas la moindre différence. Il se trouve à Melbourne un homme qui en connaît probablement plus sur les serpents venimeux que quiconque sur terre. Il s'appelle Dr. Struan Sutherland, et a dévoué sa vie entière à l'étude du venin. « Et j'en ai marre d'en parler », dit-il lorsque nous allâmes le voir le matin suivant, bardés de dictaphones et de calepins. « Supporte plus toutes ces créatures venimeuses, tous ces serpents, insectes, poissons et autres. Fichues bestioles, qui mordent tout ce qui bouge. Et après les gens me demandent quoi faire. Voilà ce que je leur dis : ne vous faites pas mordre. C'est ça la réponse. J'en ai marre de leur dire sans arrêt. L'hydroponie, voilà une chose intéressante. J'vous parlerais autant que vous voulez de l'hydroponie. Fascinant, ce truc, faire pousser artificiellement des plantes dans de l'eau, technique très intéressante. Faudra qu'on sache tout là-dessus si on va sur Mars et tout. Vous allez où, déjà ? » « Komodo. » « Ben vous faites pas mordre, c'est tout ce que je peux vous dire. Et courez pas me voir si jamais, parce que vous n'arriverez pas à temps, et de toutes façons j'ai déjà assez à faire. Regardez-moi ce bureau, rempli d'animaux venimeux Voyez cet aquarium, il est plein de fourmis de feu. Saletés de créatures venimeuses, qu'est-ce qu'on y peut ? Enfin bref, j'ai des petites madeleines si jamais vous avez faim. Vous en voulez ? Je me souviens plus ce que j'en ai fait. Il y a bien du thé mais il n'est pas très bon. Mais bref, asseyez-vous, bon sang. Donc, vous allez à Komodo. Bon, je sais pas pourquoi vous faites une chose pareille, mais j'imagine que vous avez vos raisons. Il y a quinze types de serpents différents sur Komodo, dont la moitié sont venimeux. Les seuls qui sont potentiellement mortels sont la vipère de Russel, la vipère bambou, et le cobra indien. Le cobra indien est le quinzième serpent le plus mortel du monde, et les quatorze autres sont tous ici en Australie. C'est bien pour ça que j'ai un mal fou à trouver du temps pour avancer sur mon hydroponie, avec tous ces serpents partout. Et les araignées ! L'araignée la plus venimeuse est l'atrax robustus, on a environ cinq cent personnes par an qui se font mordre, Beaucoup mouraient, alors j'ai du développer un antidote pour qu'on arrête de me déranger tout le temps. Pris un temps fou. Ensuite on a développé un kit de détection de morsures de serpents. Non pas qu'il faille un kit pour savoir que vous avez été mordu par un serpent vous êtes généralement au courant, mais le kit permet de savoir quel type de serpent vous a mordu pour vous traiter convenablement. Voulez-vous voir un kit ? J'en ai quelques uns dans le frigo à venin. Voyons voir. Ah, voilà, les madeleines sont là dedans aussi. Vite, prenez-en tant qu'elles sont fraîches. Des madeleines, les ai faites moi-même. » Il distribua les kits de détection de venin de serpent et ses madeleines maison, et se réfugia derrière son bureau, d'où il nous souriait joyeusement derrière sa barbe bouclée et son nœud papillon. Nous admirâmes les kits constitués de petites boîtes efficaces proprement remplies de petites bouteilles, une pipette, une seringue, et un jeu d'instructions compliquées que je ne voudrais pas avoir à lire la première fois dans la panique. Puis nous lui demandâmes par combien de serpent il avait été mordu. « Pas un seul », répondit-il. « Une de mes autres spécialités est de faire manier les animaux dangereux par d'autres personnes. Le ferais pas moi-même. Veux pas être mordu, pas vrai ? Vous savez ce qu'il y a écrit sur la couverture de mon livre ? 'Passe-temps : jardiner, avec des gants; pêcher, avec des bottes; voyager, avec précaution.' Voilà la réponse. Quoi d'autre ? En plus des bottes, portez des pantalons amples et épais. Et préférablement marchez derrière une douzaine de personnes faisant autant de bruit que possible. Les serpents ressentent les vibrations et libèrent le passage. Sauf si c'est une vipère de la mort, qu'on appelle aussi sourde comme un mort, qui reste là sans bouger. On peut lui marcher par dessus sans que rien ne se passe. J'ai entendu parler de douze personnes en file indienne qui marchèrent par dessus et la douzième lui a marché dessus accidentellement et s'est faite mordre. C'est d'ordinaire assez sûr d'être le douzième de la file. Vous ne mangez pas vos madeleines. Allez, avalez-moi ça, il y en a plein d'autres dans le frigo à venin. » Nous demandâmes avec hésitation si nous pouvions emporter un kit de détection de morsure de serpent avec nous sur Komodo. « Sûr, vous pouvez, prenez-en autant que vous voudrez. Vous avancera pas plus, ils ne marchent que pour les serpents australiens. » « Alors que faire en cas de morsure par animal mortel ? » demandai-je. Il cligna des yeux comme si j'étais stupide. « Eh bien que croyez-vous que vous ferez ? » dit-il. « Vous mourrez, bien sûr. C'est ce que mortel signifie. » « Et si on coupe la plaie et aspire le poison ? », demandai-je. « Je n'aimerais pas être à votre place », dit-il. « Je ne voudrais pas d'une rasade de poison. Devrait pas vous faire de mal, ceci dit, les toxines de serpent ont une grande masse moléculaire donc ils ne pénétreront pas les veines de la bouche comme l'alcool ou certaines drogues. Et ensuite le poison est détruit par les acides de l'estomac. Mais ça ne fera pas nécessairement grand bien non plus. Vous n'arriverez probablement pas à extraire beaucoup de poison, mais vous allez sûrement endommager la plaie en essayant. Et dans un endroit comme Komodo, vous aurez vite une plaie gravement infectée à gérer, en plus d'une jambe pleine de poison. Septicémie, gangrène et consorts, ça vous tuera. » « Et si on fait un garrot ? » demandai-je. « Très bien, si ça ne vous embête pas de perdre la jambe après. C'est ce qui vous attend parce que si vous bloquez complètement l'afflux sanguin, elle va nécroser. Et si vous trouvez quelqu'un dans cette partie de l'Indonésie en qui vous avez assez confiance pour vous couper la jambe alors vous êtes plus courageux que moi. Non, la seule chose que vous pouvez faire, c'est d'appliquer un bandage de compression sur la plaie et envelopper fermement la jambe, mais pas trop. Ralentissez l'afflux sanguin mais ne le bloquez pas ou vous perdrez la jambe. Tenez la jambe, ou la partie mordue, plus basse que le cœur et la tête. Restez totalement immobile, respirez lentement, et voyez un docteur immédiatement. Si vous êtes sur Komodo ça veut dire pas avant deux jours, à ce point là vous serez raide mort. Non, la seule réponse, et je dis ça très sérieusement, c'est : ne vous faites pas mordre. Il n'y pas de raison que ça arrive. Tous les serpents s'écarteront de votre chemin bien avant que vous les voyiez. Vous n'avez pas à vous inquiéter des serpents si vous faites attention. Non, ce qui devrait vraiment vous inquiéter ce sont les créatures marines. » « Quoi ? » « Rascasses, poissons-pierre, serpents marins. Bien plus venimeux que tout ce qu'il y a sur terre. Faites vous piquer par un poisson-pierre et la douleur vous tuera à elle seule. Certains se noient juste pour arrêter la douleur. » « Où sont toutes ces choses ? » « Oh, seulement dans la mer. Des tonnes. Je m'en approcherais pas si j'étais vous. Pleine d'animaux venimeux. Les déteste. » « Y a-t-il des choses que vous aimez ? » « Oui », dit-il, « L'hydroponie. » « Non », dis-je, « y a-t-il des animaux venimeux auxquels vous soyez particulièrement attaché ? » Il regarda à travers la fenêtre un moment. « Autrefois », dit-il,  « mais elle m'a quitté. » Enfin, l'animal que je préfère de tous ceux que nous sommes allés voir, mon préféré, était un animal appelé kakapo. Et le kakapo est un genre de perroquet. Il vit en Nouvelle Zélande. C'est un perroquet ratite, il a oublié comment voler. Malheureusement, il a également oublié qu'il a oublié comment voler. Donc un kakapo gravement inquiet pourrait grimper à un arbre et en sauter. On est partagé sur ce qui se produit ensuite : certains disent qu'il a développé un genre d'aptitude rudimentaire au parachutisme, d'autres disent qu'il vole un peu comme une brique. Mais en réalité — je vous ai parlé d'un kakapo gravement inquiet— le fait est que vous aurez du mal à trouver un kakapo gravement inquiet parce que les kakapos n'ont pas appris à s'inquiéter. Cela semble une chose incroyable à dire parce que nous sommes tous très doués pour l'inquiétude et que celle ci nous vient très naturellement, nous pensons que ce doit être aussi naturel que de respirer. Mais il s'avère que s'inquiéter est tout simplement une habitude qui s'acquiert comme tout autre chose. Vous êtes disposé génétiquement à le faire ou ne pas le faire. Et comme le kakapo s'est développé en Nouvelle Zélande qui était, jusqu'à ce que l'homme arrive, un pays qui n'avait aucun prédateur. Et ce sont les prédateurs qui, au fil des générations, vous apprendront à vous inquiéter. Et si vous n'avez pas de prédateur, alors vous n'aurez pas besoin de vous inquiéter. Comme je l'ai dit plus tôt, la Nouvelle Zélande s'avère n'être qu'un tas de saletés qui a émergé des profondeurs de l'océan. Et c'est pourquoi, lorsqu'elle a émergé, aucune faune ne s'y trouvait — peut-être quelques poissons morts. Donc les seuls animaux qui vivaient en Nouvelle Zélande étaient les animaux qui ont pu voler jusque là, à savoir les oiseaux. Il y a également quelques espèces de chauves-souris qui sont des mammifères, mais vous comprenez l'idée. Donc seuls les oiseaux vivaient en Nouvelle Zélande. Et, en l'absence de prédateurs, ils n'avaient pas à s'inquiéter. Ce qui est assez compliqué à imaginer pour nous parce que nous n'avons jamais rencontré d'environnement dépourvu de prédateurs. Pourquoi pas ? Parce que nous sommes des prédateurs et qu'en conséquence, si nous nous trouvons dans cet environnement, celui-ci contient des prédateurs. Pour les européens qui arrivèrent originellement en Nouvelle Zélande … pardon, c'était maladroit de ma part. Bien évidemment, il y avait avant eux les Māoris et encore avant les Morioris, les Māoris ont mangé les Morioris et ensuite les européens sont arrivés. Mais avant que tout cela se produise, comme je le disais, l'île ne comportait aucun prédateur, et les oiseaux menaient une vie tranquille. Vous pouvez trouver un autre example de cela si vous allez au Galapagos, Il se trouve un autre type d'animal, un type d'oiseau sur les îles Galapagos, appelé fou à pieds bleus. Et le fou à pieds bleus s'appelle ainsi — je pense — pour deux raisons : l'une qui a à voir avec la couleur de ses pieds, et l'autre qui concerne le comportement suivant. Parce qu'apparemment, vous pouvez vous approcher d'un fou à pieds bleus — installé là sur la plage ou sur une branche — vous pouvez vous approcher et simplement le soulever. Et ce que le fou pensera, c'est qu'une fois que vous en aurez fini avec lui vous le reposerez. Et si vous n'avez pas vécu avec des générations et des générations de gens qui cherchent à vous manger, on en vient très facilement à cette conclusion. Donc le kakapo, comme je le disais, s'était développé dans un environnement sans prédateur. Et parce qu'ils étaient tous des oiseaux, et parce que la nature est très opportuniste, et que la vie s'infiltrera dans le moindre interstice où elle peut exister, donc — si je peux être très osé et faire de l'anthropomorphisme un instant — c'est comme si les oiseaux avaient réalisé, « Bon, cette histoire de vol est très coûteuse. Ça prend beaucoup d'énergie, on doit manger un peu, voler un peu voler un peu, manger un peu, parce qu'à chaque fois qu'on mange un truc on est plus lourds et c'est plus fatiguant de voler, il doit bien y avoir d'autres façons de vivre. » Et donc c'est comme si certains oiseaux disaient, « En fait, ce qu'on pourrait faire, c'est prendre un plus gros repas, et faire une dandinade après. » Et donc graduellement sur des générations nombre d'oiseaux ont perdu la faculté de voler. Ils ont embrassé la vie terrienne. Le kiwi, —je suppose— l'oiseau le plus célèbre de Nouvelle Zélande et le weka, et le vieux perroquet nocturne — comme on l'appelle — le kakapo. Qui est cette espèce d'oiseau gros, gras, doux, duveteux et lugubre. Et parce qu'il n'a jamais appris à s'inquiéter, lorsque l'Homme est arrivé avec sa ménagerie mortelle de chiens, chats, et hermines, et l'animal le plus destructeur de tous — hormis l'Homme— à savoir rattus rattus, le rat du navire, Subitement, ces oiseaux se dandinaient à toutes jambes. À ceci près qu'ils ne savaient même pas comment faire parce qu'une fois confrontés à un animal prédateur, ils ignoraient quoi faire, ils ne connaissaient pas le protocole, ils attendaient simplement que l'autre animal fasse le geste suivant, et bien sûr — comme attendu — celui-ci était rapide et mortel. On est donc passé subitement d'une population de — on ne sait pas exactement combien — vraisemblablement moins d'un million, mais de centaines de milliers de ces oiseaux, leur population a chuté à un taux incroyable vers la petite quarantaine. Ce qui constitue grossièrement la population actuelle. Et donc il y a des groupes de personnes qui ont voué leurs vies entières à essayer de sauver ces animaux, et de les conserver. Et l'un des problèmes qu'ils ont rencontrés est que bien qu'il soit très bon de simplement les protéger —des prédateurs— ce qui est très très difficile. Mais le problème suivant qu'ils ont rencontré c'est les mœurs nuptiales du kakapo. Parce qu'il s'avère que ses mœurs nuptiales n'en finissent incroyablement pas, sont fantastiquement compliquées, et quasi-complètement inefficaces. Certains vous diraient que l'appel du kakapo mâle repousse activement le kakapo femelle, ce qui est le genre de comportement qu'on ne trouverait par ailleurs que dans les discothèques. Les personnes qui ont entendu l'appel du kakapo mâle vous diront qu'on ne peut qu'à peine l'entendre c'est comme une espèce de… je vais vous dire ce qu'ils font. Cet animal, durant une centaine de nuit dans l'année, va suivre son rituel nuptial. Et ce qu'il fait, c'est de trouver un grand affleurement rocailleux dominant les grandes vallées déferlantes de Nouvelle Zélande, parce que l'acoustique est très importante pour ce qui va se produire. Il creuse une espèce de bol dans lequel il se tient. Et il se tient là, et il remplit ces espèces de sacs d'air qu'il a sur le torse. Et il se tient là — et ce sont des caisses de résonance — et il se tient là, nuit après nuit durant une centaine de nuit dans l'année, pendant huit heures d'affilée, il joue les premières mesures de Dark Side of the Moon. Je vois qu'il y a des cheveux gris parmi vous donc vous voyez de quel album je parle. Qui, comme vous vous en souvenez, commence par cet espèce de grand boum, boum, boum, c'est le son d'un battement de cœur. Et c'est le bruit que fait le kakapo. Mais le son est tellement grave que vous le ressentez plus comme un tremblement dans le creux de l'estomac. Vous pouvez à peine l'entendre. Je n'ai jamais pu l'entendre moi-même, mais ceux qui l'ont pu, disent que c'est un son très étrange parce que vous ne l'entendez pas vraiment, vous le ressentez plus. Et c'est un son grave. C'est un son très très grave de basse, juste en dessous de notre capacité à l'entendre Il se trouve que les sons graves ont deux caractéristiques importantes. La première est que ces ondes très longues ces ondes sonores très longues traversent de grandes distances, et remplissent les grandes vallées de l'île méridionale de la Nouvelle Zélande. Ce qui est une bonne chose. C'est une bonne chose. Mais l'autre caractéristique des sons graves, avec laquelle vous êtes peut-être familiers, si vous avez ces enceintes stéréo qu'on peut trouver. Vous avez deux tout petits haut-parleurs qui vous donnent les aigus, et vous devez les placer très précautionneusement dans la pièce, parce qu'ils vont définir votre paysage stéréo. Et puis vous avez celui connu sous le nom de subwoofer qui se charge des sons graves, et vous pouvez le mettre n'importe où dans la pièce. Vous pouvez le mettre derrière le canapé si vous voulez, parce que l'autre caractéristique des sons graves — et rappelez vous qu'on parle ici de l'appel du kakapo mâle — c'est qu'on ne peut pas déterminer sa provenance ! Imaginez donc, le kakapo mâle qui se tient là, faisant ce grondement qui, s'il y a une femelle par là —probablement pas— et si elle aime ce grondement —probablement pas— alors elle ne peut même pas trouver la personne qui le produit ! Mais en supposant qu'elle le soit, en supposant qu'elle soit par là —probablement pas— et qu'elle aime son grondement —probablement pas— en supposant qu'elle le trouve —probablement pas— elle ne consentira à s'accoupler que si le podocarpus porte des fruits ! Bon, on a tous eu des relations comme ça… Mais en supposant qu'ils traversent tous ces obstacles, en supposant qu'elle parvienne à le trouver, elle ne pondra qu'un œuf tous les deux ou trois ans qui sera rapidement gobé par une hermine ou un rat. Et vous devez penser à ce stade —avant même d'essayer de les sauver et de les conserver— comment diable sont-ils parvenus à survivre jusqu'ici ! Et la réponse est particulièrement intéressante : cela nous paraît un comportement absurde, mais c'est uniquement parce que l'environnement a changé d'une façon particulière et dramatique qui nous est totalement imperceptible. Et ce comportement est parfaitement adapté à l'environnement dans lequel il s'est développé, et complètement inadapté à celui dans lequel il se trouve maintenant. Parce que dans un environnement où rien n'essaye de vous tuer, vous évitez de vous reproduire trop vite. Et il se trouve qu'on peut le simuler sur un ordinateur. Si vous avez un taux de reproduction donné, et que vous prenez la capacité de tout environnement à subvenir aux besoins d'une population donnée, et que vous commencez par un taux de reproduction assez faible, et que vous le tracez sur plusieurs générations vous verrez que la population grimpe de plus en plus pour finir par se stabiliser sur un joli plateau. Augmentez un peu le taux de reproduction, et elle grimpe un peu plus haut, et puis elle se stabilise et s'équilibre. Augmentez encore un peu le taux de reproduction, et elle grimpe, et va trop haut, et redescend, et va trop bas, regrimpe trop haut, et se stabilise sur une onde sinusoïdale. Augmentez encore, et elle oscillera entre quatre valeurs différentes. Augmentez encore et encore, et vous atteindrez subitement la condition terriblement chic nommée chaos. Où la population de l'animal bascule violemment d'une année sur l'autre, et finira par atteindre zéro à un moment rien que par les simples mathématiques de la situation. Et une fois que vous atteignez zéro, il n'y a plus vraiment de retour possible. Et donc, parce que la nature tend à être très parcimonieuse elle ne va pas mettre de l'énergie et des ressources sur quelque chose voué à disparaître. Donc le taux de reproduction d'un animal dans un environnement sans prédateur s'ajustera à un niveau de reproduction approprié. Donc, s'il n'y a rien qui essaye particulièrement de vous manger, alors ce taux de reproduction sera très bas. Et c'est celui auquel le kakapo se reproduisait, et continue de se reproduire bien qu'il soit désormais victime de prédateurs, parce qu'il ne sait pas mieux faire. Parce que rien ne lui a appris à faire autrement jusque là, parce que ce changement s'est produit si soudainement, qu'il n'y a pas de pente, il n'y a pas de pente de pression évolutive graduelle ce qui est la chose qui tend à apporter le changement. Si vous avez un changement dramatique et soudain, alors il n'y a aucune orientation et vous avez simplement un désastre. Donc, si je peux encore verser dans l'anthropomorphisme un moment, ce qui semble s'être produit, c'est que l'animal qui atteint soudainement une crise de population pense, « Ouah ! Je ferais bien de faire ce que je fais parfaitement bien, faire ce qui est mon truc, à savoir me reproduire très très lentement ! » Et sa population s'effondre. « Bon, je ferais bien de vraiment faire mon truc, et me reproduire très très très très lentement ! » Et ça nous paraît absurde parce qu'on peut voir plus loin qu'eux. Mais si c'est le genre de comportement qui vous a permis d'évoluer avec succès, alors faire quoi que ce soit d'autre irait à l'encontre de la nature du kakapo, ce serait antikakapoesque. Et il n'a rien pour lui enseigner de faire autrement que ce qu'il a toujours fait, de suivre sa stratégie fructueuse, et parce que les temps ont changé autour de lui, ça n'est plus une stratégie fructueuse, et l'animal est en grand danger. Il y a un autre animal que nous sommes allés trouver, qui se trouve encore plus mal à présent. Il s'agit du Baiji, le dauphin du Yang-Tsé-Kiang, qui est un dauphin fluvial quasiment aveugle. La raison pour laquelle il est quasiment aveugle, est qu'il n'y a rien à voir dans le Yang-Tsé-Kiang. Des milliers et des milliers d'années d'agriculture au long des berges du Yang-Tsé-Kiang ont délavé dedans tant de boue et de vase, que le fleuve est devenu totalement turbide, un mot dont j'ignorais le sens avant d'avoir vu le Yang-Tsé-Kiang, et en gros on ne peut rien voir dedans. Donc ces animaux, ces dauphins, ont graduellement abandonné l'usage de la vue. Comme nous le savons tous, les mammifères marins disposent également d'une autre faculté, qu'ils peuvent développer, à savoir celle du son. Et donc pour le dauphin du Yang-Tsé-Kiang au cours des millénaires, tandis que leur vue se détériorait, leur capacité au sonar est devenue de plus en plus sophistiquée, plus puissante et plus complexe. Et c'est très intéressant, vous pouvez réellement observer le développement d'un fœtus de baiji, et vous verrez — comme vous le savez peut-être — il y a une certaine validité dans l'idée que le développement du fœtus récapitule les étapes dans le développement évolutif d'un animal. Et vous verrez, juste au début du développement du fœtus, que les yeux sont dans leur position normale pour un dauphin, à savoir assez bas sur les côtés de la tête. Et graduellement, alors que les générations se sont succédées, ses yeux ont en quelque sorte migré vers le haut de la tête, et vous pouvez observer cela durant le développement du fœtus. Parce que graduellement, au fil des générations, sa seule source de lumière venait directement d'au dessus et il n'y avait pas de lumière ambiante, et enfin, alors que cela aussi finit par disparaître, les yeux se sont atrophiés graduellement en conséquence. Et le sonar a pris le relai à la place. Et ces animaux ont développé des capacités incroyablement sensibles, et incroyablement précise, pour se diriger dans l'eau en utilisant seulement le sonar. Et tout se passait pour le mieux. Jusqu'au vingtième siècle, quand l'Homme invente le moteur diesel. Et subitement c'est l'enfer qui se déchaîne sous la surface du Yang-Tsé-Kiang, parce qu'il est subitement rempli de bruit. Et donc subitement, ces animaux se retrouvent pris au piège dans une chose qu'ils ne — que personne n'avait aucun moyen de prévoir — que ce dont ils dépendaient désormais était totalement anéanti par la pollution sonore qu'on a mis dans les océans. Et subitement ces animaux qui étaient si sophistiqués dans leur capacités à se diriger, se retrouvent à se cogner n'importe où, contre les bateaux, contre les hélices des bateaux, à se retrouver emprisonnés dans les filets de pêcheur etc. parce qu'on a en gros ruiné la dernière de leurs facultés. Et c'est un sentiment très étrange, je me souviens être assis sur un bateau sur le Yang-Tsé-Kiang essayant de regarder — ce qu'on ne pouvait faire parce qu'il est turbide comme vous vous en souvenez — et réalisant que tout ce bruit là dessous voulait dire que… C'est très curieux de penser que un dauphin aurait pu se trouver là tout près — je n'en savais rien, à ce stade là, c'était il y a une dizaine d'années, il n'en restait que deux cents dans un bras d'eau d'environ 300 kilomètres de long, on ignorait donc s'il s'en trouvait un dans les parages— mais c'est curieux parce que vous vous dites que si vous et une autre personne, une autre créature, vous retrouvez dans le même monde, alors vous devez ressentir à peu près la même chose. Mais l'une des choses dont vous prenez conscience en observant différents animaux c'est qu'à cause de leur histoire évolutive, et à cause des façons dont ils se sont développés, et des moyens qu'ils ont de percevoir le monde, ils ont beau habiter le même monde, ils n'en vivent pas moins dans un univers radicalement différent. Un univers réellement différent, parce que vous créez votre propre univers à partir des données sensorielles qui vous parviennent. Donc, vous réalisez que vous êtes là, et qu'un dauphin est là, et que tout va bien pour vous, tandis que le dauphin pourrait bien vivre l'enfer. Mais il n'a aucun moyen de vous le communiquer parce que disons que nous avons pris le contrôle et il n'y a aucun moyen de signifier à la direction qu'il y'a un problème. Donc, je me suis subitement intéressé à l'environnement sonore dans le Yang-Tsé-Kiang. Il se trouve que nous étions venus enregistrer des émissions pour la BBC, et donc en plus du zoologiste Mark Carwardine, nous avions également avec nous un ingénieur du son de la BBC. Je lui ai donc dit, « Pourrions-nous immerger un micro dans le Yang-Tsé pour voir ce qu'on y entend ? » Et il a dit, « J'aurais préféré que vous me demandiez ça avant de quitter Londres. » Et je lui ai dit « Pourquoi ? » Et il a dit, « Eh bien, j'aurais pu y prendre un micro étanche mais bon, vous n'avez pas parlé d'enregistrer sous l'eau. » Et j'ai dit, « Non, en effet. Peut-on y faire quelque chose ? » Et il a dit « Eh bien, il y a bien une technique qu'on nous enseigne à la BBC pour enregistrer sous l'eau en cas d'urgence. L'un de vous a-t-il des préservatifs sur lui ? » Nous n'en avions pas. Ce n'était pas ce genre de voyage. Mais nous avons décidé que nous ferions bien d'en acheter. Et nous voilà dans les rues de Shanghai, tentant d'acheter des préservatifs, et je voudrais vous lire un passage à ce sujet. Le Magasin de l'Amitié semblait un endroit prometteur pour acheter des préservatifs, mais nous eûmes certaines difficultés à faire passer le message. Nous passâmes d'un comptoir à l'autre dans le grand magasin en espace ouvert, constitué de divers stands individuels, étals et comptoirs, mais nul ne put nous aider. Nous commençâmes par les étals qui semblaient vendre des fournitures médicales, mais fîmes chou blanc. Lorsque nous arrivâmes aux étals qui vendaient des serre-livres et des baguettes nous sûmes que la quête était vaine, mais au moins nous trouvâmes une jeune assistante commerciale qui parlait anglais. Nous tentâmes de lui expliquer ce que nous voulions, mais semblâmes atteindre les limites de son vocabulaire assez rapidement. Alors, je sortis mon calepin et dessinai soigneusement un préservatif, y compris le petit réservoir au bout. Elle fronça les sourcils, mais ne comprit toujours pas. Elle nous apporta une cuiller en bois, une bougie, une sorte de coupe-papier et, assez étonnamment, un petit modèle en porcelaine de la Tour Eiffel avant de s'effondrer dans une posture de défaite. Les autres filles de l'étal s'approchèrent pour nous aider, mais elles furent également déroutées par notre dessin. Enfin, je puisai le courage d'effectuer un petit mime délicat, et enfin ça a fait tilt. « Ah ! », dit la première fille, subitement tout sourire, « Ah oui ! » Elles rayonnèrent toutes avec délice alors qu'elles comprenaient. « Vous comprenez ? » demandai-je. « Oui ! Oui, je comprends. » « En avez-vous ? » « Non », dit-elle. « Pas avoir ». « Oh. » « Mais, mais, mais… » « Oui ? » « Je dis à vous où vous aller, OK ? » « Merci, merci beaucoup. Oui. » « Vous aller 616 Nanjing Road. OK. Ils ont là. Vous demander 'caoutchouteur'. OK ? » « Caoutchouteur ? » « Caoutchouteur. Vous demander. Eux avoir. OK. Bonne journée. » Elle ricana joyeusement, la main couvrant sa bouche. Nous les remerciâmes à nouveau, abondamment, puis partîmes dans de grands signes et de grands sourires. La nouvelle sembla s'être propagée très rapidement au sein du magasin, et tout le monde nous salua. Ils semblaient vraiment contents qu'on leur ait demandé. Lorsque nous atteignîmes le 616 Nanjing Road, qui s'avéra être un autre grand magasin et non un lupanar comme on s'y attendait à moitié, notre prononciation de 'caoutchouteur' sembla nous faire défaut et produire une autre vague d'incompréhension déconcertée. Cette fois je fis directement le mime qui nous servit si bien précédemment, et celui-ci sembla faire l'affaire immédiatement. L'assistante commerciale, une dame un peu plus âgée à la chevelure austère, marcha droit vers une armoire à tiroirs, nous ramena une boîte et la posa triomphalement sur le comptoir devant nous. Victoire, pensions-nous en ouvrant la boîte pour constater qu'elle contenait une plaquette de pilules. « Bonne idée », dit Mark dans un soupir. « Mais mauvaise méthode. » Nous pataugeâmes à nouveau rapidement alors que nous tentions d'expliquer à la dame désormais légèrement offensée que ça n'était pas exactement ce que nous cherchions. À ce point là, une foule d'une quinzaine de badauds s'était assemblée alentour, dont certains, j'en étais convaincu, nous avaient suivis depuis le Magasin de l'Amitié. L'une des chose que vous découvrez rapidement en Chine, c'est que nous y sommes tous au zoo. Si vous restez sans bouger pendant un moment, les gens vont s'attrouper et vous regarder fixement. Ce qui est perturbant c'est qu'ils ne vous fixent pas attentivement ni avec curiosité, ils se tiennent simplement là, souvent juste devant vous, et vous observent avec le regard aussi vide que si vous étiez une pub pour de la nourriture pour chien. Enfin, un jeune homme à la mine pâteuse et portant des lunettes se faufila à travers la foule et dit qu'il parlait anglais en offrant son aide. Nous le remerciâmes et lui dîmes que, oui, nous voulions des préservatifs, des caoutchouteurs, et que nous lui serions reconnaissants de l'expliquer. Il sembla perplexe, prit la boîte rejetée qui gisait sur le comptoir devant l'assistante commerciale offensée et dit, « Pas vouloir caoutchouteur. Ça mieux. » « Non », dit Mark. « Nous voulons vraiment des caoutchouteurs , pas des pilules. » « Pourquoi vouloir caoutchouteurs ? Pilules mieux ! » « Dis lui, toi » dit Mark. « C'est pour enregistrer les dauphins, » dis-je. « Enfin pas les dauphins eux-mêmes. Ce qu'on veut enregistrer, c'est le bruit dans le Yang-Tsé qui… c'est pour recouvrir le micro, voyez-vous, et… » « Oh, dis lui simplement que tu veux baiser » dit l'ingénieur du son. « Et que tu ne peux pas attendre. » Mais à ce point là le jeune homme s'éloignait de nous nerveusement, réalisant subitement que nous étions des fous dangereux, avec qui il valait mieux se prêter au jeu et s'échapper. Il dit quelque chose avec hâte à l'assistante commerciale et se réfugia dans la foule. L'assistante commerciale haussa les épaules, ramassa les pilules, ouvrit un autre tiroir et en sortit une boîte de préservatifs. Nous en achetâmes neuf, juste par précaution. Quelques jours plus tard nous nous tenions sur les berges du Yang-Tsé, en un jour bruineux et grisâtre. Et nous avons mis le microphone dans cette espèce de petite chose rose, et l'avons plongé dans l'eau. Et, je n'ai pas l'habitude de faire des imitations, mais je vais imiter pour vous le son qu'on peut entendre sous la surface du Yang-Tsé. Et c'est quelque chose comme ça Le Yang-Tsé-Kiang, Mesdames et Messieurs. Et j'ai réalisé tout d'un coup la chose épouvantable que nous infligions à ces pauvres animaux, qui vivaient dans un monde de sons et d'ouïe ultra sensible. Et c'était la raison pour laquelle ces animaux étaient désormais désespérément en danger parce qu'après leur avoir enlevé un mode de vie, nous leur en enlevions maintenant un autre. Le problème c'est qu'on est sur le point d'en enlever un troisième, je vous ai dit que je me trouvais là bas il y a dix ans, il n'en restait que deux cents, aujourd'hui ils sont vingt. Et parce que les Chinois bâtissent ces gigantesques barrages pour endiguer le Yang-Tsé sur l'un des sites les plus beaux et les plus spectaculaires du monde, les Trois Gorges, qu'ils vont endiguer ce qui veut dire que le dauphin du Yang- Tsé sera certainement éteint d'ici là. Et c'est horriblement triste. Ce qu'il y a de particulier avec les barrages, c'est qu'on continue d'en bâtir et qu'aucun d'eux ne fait jamais le moindre bien. Ça n'est pas tout à fait vrai, parce que malheureusement il y en a — dans l'histoire de l'érection des barrages— deux qui ont fonctionné, l'un est le barrage Hoover et l'autre se trouve dans le Nord-Ouest du Pacifique, le barrage de Grand Coulée. Mais aucun des autres ne fonctionne. Et pour une certaine raison, nous n'arrivons jamais à nous en empêcher… nous nous disons toujours qu'on n'en construira qu'un seul de plus. Je pense qu'on doit avoir des gènes de castor aux tréfonds de notre… Mais ce qu'il y a de triste c'est que le dauphin du Yang-Tsé est voué sans le moindre doute à l'extinction. Et ça me semble très particulier que nous vivions actuellement dans un âge extraordinaire, une renaissance extraordinaire, parce que nous en sommes au point où nous comprenons tout d'un coup la valeur de l'information, plus que jamais. L'âge dans lequel nous vivons est celui de l'information. Et nous avons découvert que l'information est la ressource la plus précieuse que nous avons. Et comme vous le savez, nous venons de dépenser des milliards de dollars — à juste titre — à essayer de comprendre le génome humain, et ça n'est là qu'une espèce, rien que nous. Et nous en sommes venus à comprendre et réaliser la valeur incroyable de l'information. Et jusqu'ici nous n'avions jamais compris comment tout fonctionnait ensemble, parce que jusqu'ici nous avions… disons-le comme ça. De par le passé nous avons bâti la science en démontant les choses pour voir comment elles fonctionnent. Et cela nous a conduit à d'extraordinaires découvertes, un degré de compréhension incroyable, mais le problème de démonter les choses pour comprendre leur fonctionnement c'est que même si cela vous emmène jusqu'aux particules fondamentales, les principes fondamentaux, les forces fondamentales en œuvre, nous ne comprenons pas vraiment leur fonctionnement tant que nous ne les voyons pas à l'œuvre. Une des choses qui ont émergé à l'aune de la compréhension des principes fondamentaux, c'est cette chose appelée ordinateur. Et ce qu'il y a de formidable avec l'ordinateur c'est que, contrairement aux outils analytiques précédents, — et ils étaient quelque peu… c'est étonnant combien de ces choses ont à voir avec le verre, quand nous avons découvert le verre, qui est une forme du sable, nous avons inventé les lentilles, et levé les yeux au ciel. Et nous avons découvert, avec cela, les choses… en étudiant le ciel nous avons commencé à découvrir les choses fondamentales sur la gravité, et nous avons également découvert que l'univers semble constitué — de manière assez terrifiante — presque entièrement de rien. Ce qu'on a fait avec le verre après, c'est le mettre dans des microscopes, et nous avons regardé de près ce monde très très solide qui nous entoure, et nous voyons là les particules fondamentales, les atomes — faits de protons et de neutrons, avec les électrons qui tournent autour — et nous avons également découvert qu'ils semblent constitués, terriblement, de presque entièrement rien. Et que même lorsque vous trouvez quelque chose il s'avère qu'elle ne s'y trouve pas vraiment, il n'y a pas vraiment une chose là, à peine la possibilité qu'il s'y trouve quelque chose. Ça ne semble pas aussi réel que ceci. Puis la chose suivante que nous avons fait avec le sable c'est le silicium, lorsque nous avons créé l'ordinateur. Et cela nous permet enfin d'assembler les choses pour en voir le fonctionnement. Et ça nous permet de voir les processus en fonctionnement, et nous commençons à voir comme des choses très simples mènent inexorablement — itération après itération — à l'émergence de processus énormément complexes. Et à mon avis l'une des choses les plus extraordinaires de notre âge — pour ceux qui étaient là pour s'en souvenir, voir un homme marcher sur la lune pour la première fois— mais je pense que la chose la plus extraordinaire et dramatique qu'on ait vue de notre temps c'est de pouvoir observer, sur un moniteur, le processus par lequel des choses énormément simples et primitives, des processus, des instructions, répétés d'innombrables fois, de manière très très rapide, et itérées sur des générations d'instructions, produisent des résultats énormément complexes. Ce qui nous permet tout à coup de créer, rien qu'avec des instructions fondamentalement simples et primitives, nous pouvons recréer la façon dont le vent se comporte dans une soufflerie, les turbulences du vent, on peut voir comment la lumière danse dans l'œil d'un dinosaure imaginaire. Et on fait tout ça à partir d'instructions fondamentalement simples. Et le résultat de tout ceci c'est que nous sommes finalement arrivés à comprendre la façon dont la vie a effectivement émergé. Bon, il y a énormément de choses que nous ignorons sur la vie. Mais n'importe quel biologiste vous dira que, bien qu'il y ait énormément de choses que nous ignorons, il n'y a désormais plus de mystère profond. Il n'y a plus de mystère profond parce que nous avons effectivement vu de nos propres yeux la façon dont la simplicité donne naissance à la complexité. Quand je dis qu'il n'y a pas de mystère c'est plutôt comme si vous imaginiez un détective du XIXè siècle, faisant équipe avec un détective de la fin du XXè siècle, et si vous leur donniez cette énigme à résoudre: un suspect de crime a été vu un jour marchant dans les rues au beau milieu de Londres, et le lendemain il a été vu quelque part dans le désert au beau milieu du Nouveau Mexique. Le détective du XIXè dira, « Eh bien je n'ai pas le début d'une idée. Ce doit être l'œuvre d'une sorte de magie. » Et il n'aura pas la moindre idée du commencement d'une explication sur ce qui s'est passé ici. Concernant le détective du XXè siècle, celui-ci ne saura peut-être jamais si le type a pris un vol de British Airways ou d'United ou d'American Airlines ni où il a loué sa voiture, toutes ces choses, il ne trouvera peut-être jamais ces détails, mais il n'y aura pas de mystère fondamental sur ce qui s'est produit. Et donc pour nous il n'y a plus de mystère fondamental sur la vie. C'est le produit d'une éruption extraordinaire d'information. Et c'est l'information qui nous donne ce monde fantastiquement riche et complexe dans lequel nous vivons. Mais au même instant où nous découvrons cela, nous la détruisons à une vitesse sans précédent dans l'histoire, à moins de remonter jusqu'au point où un astéroïde s'abat sur nous. Il y a donc une ironie assez terrible qu'au moment même où nous sommes les plus à même de comprendre, et d'apprécier, et de valoriser la richesse de la vie qui nous entoure, nous la détruisons à un rythme plus élevé qu'elle ne l'a jamais été. Et nous perdons espèce après espèce après espèce, jour après jour, simplement parce que nous gaspillons nos ressources comme du petit bois. Et c'est une mise en cause assez terrible de notre compréhension. Mais, voyez-vous, nous commettons une autre erreur, parce que nous pensons que d'une manière ou d'une autre, tout ira bien dans un sens fondamental, parce que nous pensons que tout ceci est « voué à se produire. » Laissez-moi vous expliquer comment on en vient à ce type de mentalité, parce que c'est exactement le même type de mentalité dans lequel le kakapo s'est empêtré. Parce que, ce qui a été une stratégie très fructueuse pour le kakapo sur des générations et des générations durant des milliers et des milliers d'années, est soudainement devenu la mauvaise stratégie, et il n'a aucun moyen de le savoir parce qu'il fait simplement ce qui lui a réussi jusqu'ici. Et nous avons toujours été, parce que nous fabriquons des outils, parce que nous prenons de notre environnement ce dont nous avons besoin pour faire ce que nous voulons et cela a toujours été très fructueux pour nous… Je vais vous dire ce qui s'est passé. C'est comme si nous avions effectivement appuyé sur le bouton "pause" de notre propre évolution parce que nous avons mis un tampon autour de nous, qui consiste en — vous savez — la médecine, l'éducation et les bâtiments, et toutes ces choses qui nous protègent des pressions environnementales normales. Et c'est notre capacité à fabriquer des outils qui nous a permis de le faire. De manière générale, ce qui pousse à la spéciation, c'est qu'un petit groupe d'animaux se voit séparé du reste du groupe principal par la pression de la population, ou un bouleversement géographique ou autre. Donc imaginez qu'un petit groupe se retrouve tout à coup échoué dans un environnement légèrement plus froid. Ensuite, sur un petit nombre de générations tous ces gènes qui favorisent une fourrure plus épaisse vont monter au créneau et quelques générations plus tard l'animal aura une fourrure plus épaisse. Pour l'homme, comme il est capable de fabriquer des outils lorsque nous arrivons dans un environnement beaucoup plus froid, nous n'avons pas à attendre ce processus. Parce que nous voyons un animal qui a déjà une fourrure plus épaisse et on se contente de la lui prendre. Et donc nous avons en quelque sorte pris le contrôle de notre environnement, et tout cela est très bien, mais nous devons dépasser ce processus. Nous devons dépasser cette vision et en voir une plus élevée —et comprendre l'effet que nous avons de fait. Imaginez, si vous le voulez bien, un homme primitif, et voyons comment cet état d'esprit émerge. Il est là, observant son monde à la fin de la journée. Il le regarde et pense, « Que voilà un monde merveilleux dans lequel je me trouve. C'est pas mal du tout. Je veux dire, regardez, me voici, derrière moi se trouvent les montagnes, et les montagnes c'est super parce qu'il y a des grottes dans les montagnes où je peux m'abriter, que ce soit du climat ou des ours qui essayent occasionnellement de m'attaquer. Et je peux m'abriter là, donc c'est super. Et devant moi se trouve la forêt, et la forêt est pleine de noix, de baies et d'arbres, qui me nourrissent, et sont délicieux et me permettent de survivre. Et il y a un ruisseau qui la traverse qui contient des poissons, et l'eau est délicieuse, et je bois l'eau et tout est fantastique. Et voilà mon cousin Ug. Et Ug a attrapé un mammouth ! Youpi !! Ug a attrapé un mammouth ! Les mammouths sont géniaux ! Il n'y a rien de mieux qu'un mammouth, parce qu'avec un mammouth, en gros vous pouvez vous envelopper de sa fourrure, manger sa viande, et vous pouvez utiliser les os du mammouth, pour en attraper d'autres ! Ce monde est un monde incroyablement bon pour moi. » Ainsi, une partie de la manière dont nous prenons les commandes de notre monde, et de notre environnement, de fabriquer ces outils qui nous permettent de le faire c'est de nous poser sans cesse des questions. Donc cet homme commence à s'interroger. « Ce monde », dit-il, « eh bien, qui… qui l'a fabriqué ? » Il raisonne évidemment de la sorte, parce qu'il fabrique lui-même des choses, il cherche donc qui aurait pu fabriquer ce monde. Il se dit « Alors, qui aurait pu créer ce monde ? Bien, ça doit être un petit peu comme moi. Manifestement, en beaucoup plus grand, et nécessairement invisible, mais il l'aurait créé. Bon, dans quel but l'aurait-il créé ? » Nous nous demandons toujours « pourquoi » parce que nous cherchons les intentions alentour, car nous faisons tout avec intention. Vous savez, on fait bouillir un œuf dans le but de le manger. Alors, on regarde les cailloux et les arbres, et on se demande quelle intention s'y trouve, bien qu'il n'y en ait pas. On se demande donc dans quelle intention cette personne a créé ce monde. Et c'est à ce moment qu'on se dit, « Eh bien, il me sied particulièrement. Vous savez, les grottes et les forêts, et le ruisseau, et les mammouths. Il doit l'avoir créé pour moi ! Je veux dire, on ne peut faire aucune autre conclusion. » Et c'est un peu comme si une flaque se réveillait un matin — je sais qu'elles ne le font pas d'ordinaire, mais accordez-le moi, je suis écrivain de science-fiction. Une flaque se réveille un matin et pense, « Que voilà un monde intéressant dans lequel je me trouve. Il me sied particulièrement bien. En fait, il me sied si proprement, c'est vraiment précis, pas vrai ? Il a du être créé pour moi ! Et le soleil se lève, et elle continue de se raconter cette histoire du trou créé pour la recevoir. Et le soleil grimpe, et graduellement la flaque se rétrécit peu à peu, et au moment où la flaque cesse d'exister, elle pense toujours, enfermée dans cette idée, que le trou était là pour elle. Et si nous pensons que le monde est là pour nous, nous continueront de le détruire comme nous l'avons fait jusqu'ici, parce que nous pensons que nous ne pouvons commettre aucun mal. Il y a beaucoup de spéculation d'une manière ou d'une autre actuellement, sur l'existence de la vie ou non sur d'autres planètes. Carl Sagan, comme vous savez, était très partisan qu'il doit y en avoir. Les seuls chiffres dictent, parce qu'il y a des milliards et des milliards — comme il ne l'a pourtant pas dit — de mondes au delà, que le simple hasard doit faire qu'il y a d'autres vies intelligentes là bas. Mais d'autres voix s'élèvent pour dire que si vous considérez les circonstances réunies ici sur terre, elles sont spécifiques de manière si extraordinaire que les chances que ça se soit produit ailleurs sont en fait très minces. D'une certaine manière, ça n'a guère d'importance. Parce que pensez-y : — Carl Sagan, je crois, a lui-même dit ceci. Il y a deux possibilités : soit il y a de la vie sur d'autres planètes, soit il n'y en a pas. Voilà deux idées incroyablement extraordinaires ! Mais il y a une forte probabilité qu'il n'y ait rien qui nous ressemble du tout. Et nous agissons comme si cette planète, cette incroyable petite boule de vie, était quelque chose qu'on pouvait saloper comme on veut. Et peut-être qu'on ne peut pas. Peut-être qu'on devrait en prendre un petit peu mieux soin. Non pas pour le salut du monde — on parle assez orgueilleusement de « sauver le monde » Nous n'avons pas à sauver le monde - le monde va très bien ! Le monde a traversé cinq périodes d'extinctions massives. Il y a 65 millions d'années lorsqu'une comète a frappé la terre au moment où l'Inde subissait de vastes éruptions volcaniques, ce qui vit la fin des dinosaures, et quelque chose comme 90% de la vie sur terre à l'époque. Remontez encore, je crois, 150 millions d'années plus tôt à la limite permienne-triasique, et il y a une autre extinction gigantesque. Le monde l'a déjà subi de nombreuses fois. Et ce qui a tendance à se produire, ce qui se produit après chaque extinction massive, c'est qu'il y a d'énormes espaces disponibles, permettant à de nouvelles formes de vie d'émerger et les investir. Tout comme l'extinction des dinosaures nous a donné de la place. Sans cette extinction, nous ne serions pas là. Donc, le monde va bien. Nous n'avons pas à sauver le monde — le monde est assez grand pour s'occuper de lui-même. Ce qui doit nous préoccuper, c'est si oui on non le monde dans lequel nous vivons sera capable de nous subvenir. Voilà ce à quoi nous devons réfléchir. Merci beaucoup Mesdames et Messieurs. Et maintenant si quelqu'un a des questions, j'y répondrai avec plaisir, et il y a des micros ici et devant donc je vous suggère de les utiliser. Oui, bonjour. Merci, merveilleuse conférence. Vous dites que nous devrions éviter de détruire la planète, une suggestion qui a été faite, c'est que, la raison pour laquelle nous détruisons la planète, c'est que nous ne payons pas le véritable prix des choses quand nous les consommons Le prix de l'essence dégringole en vrai dollars et les véhicules deviennent de plus en plus gros, nous avons les Stupides Ubuesques Véhicules — je crois que c'est ça — les SUV Vous savez, je dois dire en tant que Britannique, vous savez on reste perplexes, « Les américains se plaignent encore parce que le prix de leur essence a presque atteint le quart de ce que nous payons. » Je me demandais juste si vous pensez que ça serait une bonne solution d'avoir le véritable prix des choses, si nous payions les 3 dollars par litre ou quel que soit le prix en termes d'impact sur l'environnement, est-ce que ça ferait une différence ? Et bien… ça pourrait… je… c'est… Il y a un problème dont je suis particulièrement conscient dans ce cas, qui est que, bien que je parle du point de vue d'un défenseur de l'environnement, sans équivoque, si vous regardez ce qui s'est passé et ce que nous et le mouvement de la défense de l'environnement avons dit durant les dix dernières années, et les dix années précédentes, et les dix années qui ont encore précédé, et pour l'essentiel de ce que nous avons dit qu'il faudrait faire ou la façon dont nous avons approché le problème, se sont avérés incorrects. Donc, c'est très difficile pour moi de prétendre que je peux me dresser et dire que nous devons faire ceci ou cela. Parce que ça pourrait bien ne pas être la bonne solution. J'en suis pertinemment conscient d'autant que, rien qu'en regardant derrière nous, en considérant la protection des animaux en Afrique, par exemple, à chaque fois, nous avons mal approché la question. Et oui, les efforts de défense de l'environnement consisteront à chaque décennie tout autant à défaire les problèmes causés par la décennie précédente. Donc c'est une question d'auto-éducation constante, essayer d'assimiler les informations, essayer de voir quelles sont les suites de ce que nous avons essayé jusqu'ici, ce que nous pouvons en retenir comme leçon. Il se pourrait très bien que si nous multipliions le coût de l'essence par dix ou autre, que cela puisse avoir des effets que nous pourrions mettre au… cela pourrait attirer des conséquences indésirables, qui entrent en jeu. Je pense que la meilleure chose à faire c'est de continuer à s'informer être aussi conscient que possible de ce qui se passe réellement, et voir comment ce retour l'affecte, si nous disons qu'on va faire refléter le vrai coût des dommages que nous causons sur ce que nous payons alors ça pourrait très bien être une excellente réponse, mais j'ai également peur que ça puisse ne pas l'être ce qui est une façon compliquée de dire « je ne sais pas » Deux questions : d'abord, savez-vous où est votre serviette ? Non. D'accord. Ça a toujours été un problème pour moi. C'est drôle cette histoire de serviette parce que… Je vais vous dire d'où ça sort. J'étais en vacances avec un tas de gens, et nous étions dans une villa à Corfou. Et chaque jours nous partions pour la plage, et juste au moment du départ il y avait un problème, et le problème était que Douglas n'arrivait pas trouver sa serviette ! Où pouvait bien être ma serviette ? Était-elle sous le lit ? Était-elle au pied du lit ? Était-elle dans le lit ? Était-elle dans la salle de bain ? Était elle étendue dehors ? Était-elle au lavage… ? Était-elle… ? Je n'avais aucune idée, jour après jour, d'où pouvait bien être cette fichue serviette. Et après un moment j'ai commencé à me dire que ça devait être symptomatique de quelqu'un qui est si profondément chaotique. Mais alors je… Je ne sais même pas si ça m'est venu en premier, ou si c'était quelqu'un sur place qui y a pensé avant, que l'idée que quelqu'un qui était plus organisé que moi, serait quelqu'un qui saurait vraiment où sa serviette se trouve. Et donc, quand j'écrivais le guide du voyageur, j'ai mis en quelque sorte… on met très souvent des choses parce qu'on sait ce qu'elles veulent dire. alors que c'est plutôt un signal pour vous-même pour que dans la version suivante du manuscrit, vous le remplaciez par quelque chose qui veut dire la même chose pour tout le monde. Vous voyez. Et puis ça reste quand même, et il s'avère que ça veut dire quelque chose pour tout le monde malgré tout. Ça répond à votre question ? D'accord. Est-ce qu'on se comporte comme des descendants des singes qui utilisent des bâtons, ou comme des descendants de nettoyeurs de téléphones ? Je crains que nous ne tenions des deux. Je ne me le pardonnerai jamais si je sors sans vous poser cette question elle m'est venue lorsqu'un de mes amis m'a physiquement obligée à prendre le premier livre Le guide du voyageur, et j'ai lu les toutes premières phrases du tout premier paragraphe, « que diable cet homme peut-il bien avoir contre les montres digitales ?! » je dois admettre qu'elles se sont améliorées depuis que j'ai écrit ce passage. Mais si vous y réfléchissez, les premières montres digitales étaient… si vous regardez une montre à aiguilles, vous avez un camembert. Vous vous rappelez l'époque où on s'enthousiasmait au sujet des camemberts qu'on pouvait faire avec les ordinateurs ? « Ouhhhh ! Des camemberts ! » Mais alors même qu'on s'enthousiasmait pour des camemberts, et en quoi ils pouvaient nous aider à mieux comprendre le monde, nous disions « nous ne voulons plus de camemberts sur nos poignets. C'est de la technologie à l'ancienne. Non, on ne veut pas simplement jeter un œil pour savoir l'heure qu'il est. On veut quelque chose qui oblige à aller dans un coin sombre et à poser sa valise et à appuyer sur un bouton pour pouvoir lire, "oh, il est 11:43, alors qu'est-ce que…? euh… ? ça fait combien de temps avant midi ?" » Et ça c'était le progrès. Mais ce qu'il y a de génial avec les êtres humains, — puisqu'on en rigole — c'est que non seulement on invente des choses nouvelles, meilleures, et plus efficaces. Mais même les choses qui marchent bien on ne peut pas s'empêcher d'y toucher, c'est un des aspects les plus charmants des êtres humains on continue d'inventer des choses qu'on a déjà réussi à bien faire auparavant. Par exemple les lavabos dans les salles de bain,c'est pourtant très simple. Vous tournez d'un côté et l'eau sort, vous tournez de l'autre et l'eau s'arrête. Et on avait à peu près pigé tout ça. Ça marche. Mais c'est incroyable, vous allez dans un hall d'hôtel ou dans un aéroport, et vous approchez la bassine avec un certain niveau d'anxiété. « Qu'est-ce que je fais ? Je tourne quelque chose ? Je pousse quelque chose ? Je tire quelque chose ? Je lui file un coup de genou ? Est-ce que je dois être dans les environs ? Et une fois que l'eau commence à couler parce qu'elle a capté une espèce d'énergie cérébrale ou autre. « Et maintenant, comment je l'arrête ? Est-ce que c'est à moi de l'arrêter ? Est-ce que ça s'arrête tout seul ? » Je pense qu'on a réglé la question du robinet. Mais je pense que c'est merveilleux qu'on continue d'inventer des choses qui marchent déjà, parce que c'est notre façon de nous sortir des maximums locaux, n'est-ce pas ? Je crois que c'est tout ce que j'ai à dire. Merci.