Bonjour.
Le thème de cette conférence,
c'est comment identifier un psychopathe.
D'ailleurs, les statistiques,
que Robert Hare, l'inventeur
de la checklist des psychopathes,
a établies,
indiquent qu'une personne
sur cent est psychopathe.
Cette pièce contient 100 personnes,
ce qui veut dire que l'un de vous...
(Rires)
est un psychopathe.
Si les psychopathes aiment se rendre
aux conférences à leur sujet,
peut-être y en a-t-il même
plus d'un dans le public.
(Rires)
Je pense que les psychopathes
aiment venir à ces conférences
en raison du point 2 de la liste :
une estime de soi grandiose.
Donc, une personne sur cent
est psychopathe, selon M. Hare,
et quatre PDG sur cent.
Vous avez quatre fois plus de chances
d'être dirigé par un psychopathe
que d'en avoir un à vos ordres.
Je suis désormais
formé professionnellement,
et je dois dire que je suis très doué
pour repérer les psychopathes.
Je vais vous raconter
comment j'en suis arrivé là
et ce que j'ai fait de mes facultés.
Tout a commencé chez une amie.
Sur une étagère,
j'ai remarqué le livre « DSM ».
Connaissez-vous ce livre, le DSM ?
C'est un manuel des troubles mentaux.
Dans les années 50,
il s'apparentait à un pamphlet.
Aujourd'hui, c'est un pavé.
Il documente un nombre incalculable
de ces troubles.
886 pages pour 374 troubles mentaux.
En feuilletant ce livre,
je me demandais si j'étais atteint.
Apparemment, j'en ai douze.
J'ai le trouble anxieux généralisé,
ce qui est une évidence.
Je fais des cauchemars,
ce qui est diagnostiqué si vous rêvez
souvent que vous êtes poursuivi
ou traité de loser.
Dans tous mes rêves, quelqu'un me poursuit
en criant : « T'es qu'un loser ! »
(Rires)
J'ai la sinistrose et je pense
que c'est assez rare
d'avoir à la fois la sinistrose
et le trouble anxieux généralisé,
car la sinistrose tend
à vous faire sentir très anxieux.
J'ai aussi des problèmes relationnels
parent-enfant,
pour lesquels je blâme ma mère.
(Rires)
Ou encore le trouble anxieux
induit par la caféine, comme maintenant.
(Rires)
Donc, en feuilletant ce livre,
je me suis dit : « Mince !
Suis-je plus fou que ce que je pensais ? »
Ou l'auto-diagnostic
est une très mauvaise idée
quand on n'a pas été formé en la matière.
Ou l'industrie psychiatrique
a cette manie
de voir des troubles mentaux partout.
Je n'en savais rien.
C'était stimulant de se dire
que j'avais tout ça.
Je me suis dit
que c'était bien de se rendre compte
que quelque chose cloche.
Je me suis demandé
si l'anxiété était bénéfique.
Peut-être que ça allait me pousser
à atteindre mes buts.
À faire des choses intéressantes.
Je me posais beaucoup de questions.
Je voulais rencontrer
un détracteur de la psychiatrie
pour avoir son avis.
J'ai donc déjeuné avec des scientologues.
Ils ont une équipe de choc
qui contrôle les abus,
la CCDH.
Je leur ai demandé : « Pouvez-vous
me prouver que mon hypothèse est correcte
et que la psychiatrie
est une pseudo-science ? »
Ils m'ont répondu : « Sans problème.
On va vous présenter Tony. »
J'ai donc demandé : « Qui est Tony ? »
Ils ont répondu : « Il est à Broadmoor. »
Broadmoor, c'est le nom d'un hôpital
qui s'appelait avant
« Asile de Broadmoor
pour les fous criminels ».
J'ai demandé :
« Qu'est-ce qu'a fait Tony ? »
Les scientologues m'ont répondu :
« Trois fois rien.
Il a toute sa tête,
il a dû tabasser quelqu'un.
Il s'est fait passer pour fou
pour éviter une peine de prison.
Il a été tellement convaincant
qu'il s'est retrouvé à Broadmoor.
Plus il essaie d'expliquer
qu'il n'est pas fou,
plus c'est considéré
comme la preuve du contraire.
Vous voulez aller à Broadmoor
pour rencontrer Tony ? »
J'ai dit : « Oui, s'il vous plaît. »
Je suis donc allé à Broadmoor.
Les scientologues m'ont fait entrer.
Ce n'était pas simple.
On était assis dans le centre de bien-être
(Rires)
et Brian le scientologue a dit :
« Au fait, Tony est la seule personne
de l'UMD
qui a la permission de rencontrer des gens
dans ce centre. »
J'ai dit : « UMD, ça veut dire quoi ? »
Il m'a répondu :
« Unité pour malades dangereux. »
Je lui ai demandé : « Tony séjourne
là où se trouvent
les personnes dangereuses ? »
Brian m'a répondu :
« Oui, c'est fou, non ? »
Les patients ont commencé à entrer.
La plupart étaient en surpoids
et portaient un jogging.
Ils avaient l'air plutôt dociles.
Et là, Brian a dit : « Voilà Tony. »
Tony est entré. Il n'était pas en surpoids
mais en très bonne forme physique.
Il ne portait pas de jogging,
mais un costume rayé
et il se dirigeait vers moi,
le bras tendu,
comme s'il sortait de « The Apprentice ».
Il voulait me convaincre
qu'il n'était pas fou du tout.
Il s'est assis.
Je lui ai dit : « Avez-vous
menti pour être ici ? »
Il m'a répondu : « Oui,
j'ai tabassé un gars à Reading.
J'étais en détention
et mon codétenu m'a dit :
« T'es bon pour cinq ans.
Il faut que tu te fasses interner.
Dis-leur que t'es malade
et t'iras dans un hôpital confortable.
Les infirmières te donneront des pizzas
et t'auras une PlayStation. »
J'ai dit : « Comment as-tu fait ? »
Il m'a dit : « J'ai demandé
à voir le psychiatre.
J'avais vu le film « Crash »
de David Cronenberg :
des gens prennent leur pied
en causant des accidents de voiture.
Alors j'ai dit au psychiatre :
' Je prends mon pied
quand je provoque un accident.'
- Pourquoi ?
- Ah, oui. J'ai dit au psychiatre
que j'aimais voir les femmes mourir
parce que ça me faisait sentir
plus normal.
- Qu'est-ce qui vous a inspiré ?
- Une biographie de Ted Bundy
à la bibliothèque de la prison. »
Manifestement, il avait trop bien
simulé la folie
et on l'a envoyé à Broadmoor.
Il a regardé l'hôpital et il a dit :
« Il y a erreur.
Je ne suis pas fou. »
« Depuis combien de temps
êtes-vous ici ?
- Si j'avais purgé ma peine de prison,
j'aurais eu cinq ans.
Je suis à Broadmoor depuis 12 ans. »
Ces 12 dernières années,
il a donc essayé de les convaincre
qu'il n'était pas fou.
« Comment avez-vous fait ? »
- Ce n'est pas une mince affaire.
Je suis abonné au magazine New Scientist.
J'essaie de leur parler
de choses ordinaires, comme le foot.
Selon un article récent de New Scientist,
l'armée américaine entraînait des bourdons
à détecter des explosifs.
J'ai dit à l'infirmier :
« L'armée américaine entraîne des bourdons
à détecter des explosifs. »
Quand il a pu consulter son dossier,
il était écrit :
« Croit que les abeilles
peuvent détecter les explosifs. »
« Plus vous essayez d'agir normalement,
plus vous leur paraissez fou. »
J'ai trouvé que Tony avait toute sa tête,
mais je ne suis pas expert.
Je suis parti et j'ai réfléchi.
J'ai décidé d'écrire à son médecin,
Anthony Maden.
« C'est quoi, cette histoire ? »
Le médecin m'a répondu :
« L'histoire de Tony peut être vraie.
Il a peut-être bien simulé la folie
pour éviter la prison
car ses explications étaient stéréotypées.
Mais nous l'avons examiné
et nous sommes parvenus à la conclusion
que c'est un psychopathe !
Simuler la folie,
c'est un acte de ruse et de manipulation
caractéristique des psychopathes. »
Prétendre que vous avez un problème
prouve que vous avez un problème.
« C'est sur la checklist :
ruse et manipulation. »
« Et quoi d'autre ?
- Eh bien, les costumes rayés,
c'est typique pour un psychopathe
car cela reflète
une 'estime de soi grandiose',
ainsi que de la 'désinvolture
et un charme superficiel'. »
Tony m'avait dit qu'il n'aimait pas
passer du temps avec ses voisins.
L'étrangleur de Stockwell était
dans la chambre à côté,
donc il restait dans sa chambre.
Ce serait une indication
qu'il est psychopathe
car cela dénote un manque d'empathie,
de l'éminence.
Ne pas vouloir passer du temps
avec des tueurs en série à Broadmoor,
ça signifie que vous êtes fou.
Anthony Maden a dit : « Si vous voulez
en savoir plus sur les psychopathes,
vous pouvez participer à un cours
de détection des psychopathes
de Robert Hare, l'inventeur
de la checklist des psychopathes. »
C'est ce que j'ai fait, sur trois jours,
c'est ce que font les personnes
qui servent d'experts au tribunal
et s'expriment lors des condamnations,
etc.,
afin de déterminer si quelqu'un
est un psychopathe de premier ordre.
J'ai participé à la formation
et maintenant je suis tout à fait apte
à identifier les psychopathes.
Hare m'a dit, à plusieurs occasions :
« Un type de Broadmoor
qui simule ou non la folie,
cela a peu d'importance.
Pas la psychopathie en entreprise. »
« La psychopathie est puissante,
c'est une anomalie du cerveau. »
« Une anomalie du cerveau », dit-il.
L'amygdale n'envoie pas assez
de signaux de peur et de détresse
au système nerveux central.
Un psychopathe est l'opposé de moi,
en termes neurologiques.
Mon amygdale à moi envoie trop de signaux
de peur et de détresse
à mon système nerveux central.
Donc, ils ne ressentent pas d'anxiété.
« Cette anomalie du cerveau
est si puissante
qu'elle en a déformé la société. »
Le capitalisme,
dans sa forme la plus brutale,
est une manifestation physique
de la psychopathie.
Voyez comme cette maladie est puissante.
Nous sommes tous des victimes
de la psychopathie.
Il m'a dit : « Essayez d'obtenir
un entretien
avec un psychopathe en entreprise. »
J'ai fait des recherches et j'ai choisi...
Al Dunlap.
Dunlap était un requin financier notoire
dans les années 90.
En arrivant dans une entreprise,
il licenciait tout le monde
et le prix des actions montait en flèche.
Chez Scott, par exemple,
l'un des plus importants fabricants
de papier hygiénique aux États-Unis.
Il est arrivé, il a fermé des usines
un peu partout.
Il licenciait souvent des personnes
avec une boutade, comme si c'était drôle.
Une fois, quelqu'un est venu lui dire :
« Je viens d'acheter une voiture. »
Al Dunlap a dit : « Certes,
tu as une voiture,
mais tu n'as pas de travail. »
Il est allé dans une usine à Mobile,
en Alabama,
a demandé à quelqu'un
depuis quand il était là
et le type a dit : « 30 ans. »
« Pourquoi travailler pendant 30 ans
au même endroit ? C'est insensé. »
Il a fermé l'usine et a licencié
tout le monde.
Il a dit une chose qui ne relevait pas
de la psychopathie.
Par exemple, il a évité...
Je n'ai pas abordé le sujet
de la promiscuité sexuelle
car sa femme était présente
et je n'ai pas osé.
Mais il a évité la délinquance juvénile
et les problèmes de comportement précoces.
Il a dit : « Comme j'ai été accepté
à West Point,
si j'avais été un délinquant,
je n'aurais jamais pu entrer. »
Il n'aurait pas eu de liaisons.
Il a été marié à deux reprises.
Certes, sa première femme
a déclaré, lors du divorce,
qu'il l'avait menacée avec un couteau
en disant : « Je voudrais savoir
quel goût a la chair humaine. »
Mais il n'a été marié que deux fois.
Au fait, il parlait souvent de ses parents
sages et compréhensifs
mais il n'est pas allé à leur enterrement.
Malgré tout, quelques points
de la checklist des psychopathes
ne collaient pas du tout.
Je me suis dit
que je n'allais pas le mentionner.
Et j'ai eu une révélation :
identifier des psychopathes
m'a rendu un peu psychopathe.
Je manquais d'empathie,
j'étais rusé et manipulateur.
C'était l'ivresse du pouvoir,
en quelque sorte.
Après ça, j'ai eu un appel de Tony
à Broadmoor.
Au fait, Tony a toujours nié
être un psychopathe.
Pour lui, le problème de la liste...
Un des points est le manque de remords,
un autre, la ruse et la manipulation,
et le mensonge compulsif.
Si on dit : « J'éprouve beaucoup
de remords pour ce que j'ai fait »,
ils répondent : « Prétend avoir
des remords alors que c'est faux,
cas classique. »
Pour lui, c'est du vaudou.
Tout est déformé.
La liste de Hare est souvent utilisée
par les experts pour prononcer les peines
et les libérations conditionnelles
au tribunal.
Votre avenir peut être déterminé
par votre score sur l'échelle
du test de psychopathie.
Bref, Tony m'a dit
que son cas allait être examiné
et il m'a invité à venir.
J'y suis allé.
Après 14 ans passés à Broadmoor
pour un délit qui lui aurait valu cinq ans
s'il n'avait pas simulé la folie,
ils l'ont relâché.
Maintenant, il est libre.
Il m'a dit : « Jon, dis-toi bien que...
On est tous un peu psychopathes.
Toi, moi. Surtout moi.
- Tu vas faire quoi maintenant ?
- Il y a une femme en Belgique
que j'aime bien, mais elle est mariée.
Il faudrait qu'elle divorce.
Pas de problème, je sais manipuler. »
Tony va et vient.
Longtemps j'ai réfléchi
à ce que je pensais de Tony.
Je me faisais du souci,
car une partie de moi était avec lui
et une autre partie de moi pensait,
c'est peut-être bien un psychopathe
et ils ont un taux de récidive de 60 %.
Que faire ?
Je me suis demandé
si je devais écrire à son sujet
pour l'encourager,
sans trop en faire
pour que ce soit un succès.
Comme pour demander sa libération,
de manière maladroite, du mauvais Bono.
(Rires)
Au final, je me suis posé la question :
Tony est-il un psychopathe
ou la victime d'une erreur judiciaire ?
Ma réponse est : « Les deux. »
On peut être psychopathe
et victime d'une erreur judiciaire
parce que notre sort ne devrait pas
être déterminé par une checklist.
C'est notre santé mentale
qui devrait nous définir
et pas notre folie, si possible.
Parfois, ce sont notre folie,
les aspects les moins attractifs
de notre personnalité,
nos anxiétés, nos compulsions
et nos obsessions
qui nous mènent
à des choses intéressantes,
qui nous poussent à avancer
et à atteindre nos buts.
Merci beaucoup.
(Applaudissements)