Bonjour à tous ! Je vais vous parler de mesure du temps. Pour parler de mesure du temps, je pense qu'il faut commencer forcément par une question évidente : quelle heure est-il ? C'est une question qui paraît anodine mais si on faisait l'expérience aujourd'hui, que l'on regardait chacun l'heure à notre montre, chacun aurait une heure différente de son voisin ou de sa voisine. En particulier, vous auriez une heure différente de celle affichée sur cette horloge un peu particulière. C'est une horloge qui vous donne le temps atomique. Je n'ai pas pu apporter une horloge atomique avec moi aujourd'hui. Mais le temps atomique est construit à l'observatoire de Paris, Il est diffusé par onde radio. Et là, on reçoit cette information. Je pense que si vous comparez l'heure – là c'est la date, 27 novembre – à l'heure que vous voyez ici, vous voyez une différence. Ma présentation, ça ne va pas être uniquement vous expliquer comment remettre les pendules à l'heure. Ça va être aussi vous expliquer comment mesurer très précisément le temps. Vous verrez que les ordres de grandeur de précision sont assez impressionnants. Et vous donner quelques applications originales ou fascinantes. Je vais commencer par quelque chose de très simple : pour mesurer le temps, on va utiliser une règle. J'ai pris l'analogie avec une règle temporelle, une règle spatiale. Si vous voulez mesurer une distance, vous allez prendre une règle qui est graduée, vous allez compter le nombre de graduation. (par exemple là, des centimètres) et si vous comptez 5 graduations, en supposant qu'une graduation vaut un centimètre, vous allez déduire que votre longueur vaut 5 centimètres. Avec le temps, ça va être pareil. On va utiliser une règle temporelle. Une règle temporelle, on peut la matérialiser avec un oscillateur. Un oscillateur, c'est une dispositif physique qui va vous donner un signal périodique avec le temps (dont un paramètre est reproduit de façon périodique avec le temps). J'en ai apporté un avec moi, le pendule de Tournesol. Ça, c'est un oscillateur. Vous voyez qu'on peut compter le temps, en comptant le nombre d'aller-retour. Si on dit que l'aller-retour se fait en une seconde, on peut compter 1, 2, etc. le temps qui passe. En utilisant cette règle temporelle, donc la graduation élémentaire – ce qu'on appelle la période – on va pouvoir mesurer le temps. On imagine bien que si l'on veut avoir une meilleure précision, il va falloir avoir plus de graduations. C'est l'équivalent de ce qu'on a avec une règle. Si votre règle, au lieu d'être graduée en centimètres, est graduée en millimètres, et que vous en mesurez 51 (petites graduations millimétriques), vous allez en déduire que votre longueur fait 5,1 centimètre. C'est exactement pareil pour la mesure du temps. Si vous prenez un oscillateur qui va plus vite que ce que je viens de vous montrer, et qui a donc une période plus courte, c'est-à-dire une fréquence, un nombre de battement par seconde plus élevé, vous allez avoir une bien meilleure résolution dans la mesure du temps. C'est ça qui a vraiment orienté les recherches depuis l'invention de la mesure du temps par les oscillateurs. Typiquement, si on donne des ordres de grandeurs, vous prenez une horloge mécanique, qui n'est pas forcément franc-comtoise mais qui est mécanique, comme mon petit pendule oscillant, ça bat à un battement par seconde, donc vous n'avez pas une énorme précision, quand vous voulez mesurer une seconde. Si maintenant vous prenez un oscillateur que vous transportez avec vous dans votre montre ou votre téléphone portable, qui a un oscillateur à quartz qui utilise la piézoélectricité, qui a une forme de petit diapason qui vibre et qui est de taille millimétrique, ça va battre à 32 768 battements par seconde. Vous allez découper une seconde, en 32 768 petites périodes élémentaires. Pourquoi ce nombre un peu bizarre ? C'est un nombre qui est facile à diviser par deux, 15 fois, pour arriver à un battement par seconde, pour avoir le tic-tac de votre montre. Et si l'on va à l'extrême, aux oscillateurs qui sont les plus rapides qu'on connaisse aujourd'hui, qu'on appelle (les oscillateurs dans le domaine optiques) les lasers, vous voyez qu'un laser est un oscillateur qui va vous donner une onde électromagnétique qui bat extrêmement vite puisqu'elle va découper votre seconde en 500 000 milliards de petits battements. Vous voyez que la graduation élémentaire est extrêmement petite. On va compter 500 000 milliards et se dire qu'une seconde s'est écoulée, on va recompter 500 000 milliards etc. Vous voyez, dans la mesure du temps, finalement, avoir une fréquence la plus élevée possible, c'est ce qui va vous donner la plus grande précision. A ce niveau-là, on se dit qu'on a à peu près résolu le problème. Pas tout à fait ! En fait, quelle confiance on a dans la mesure ? Je reprends l'exemple de mes deux règles. Vous achetez deux règles, à deux endroits, deux pays différents, et vous faites une mesure, faites l'expérience, vous verrez que ça ne marchera peut-être pas aussi exagéré que ça, mais vous verrez que ça marche très bien. vous allez voir que, pour une même longueur, vous n'avez pas le même nombre de graduation. Donc à qui faire confiance ? A quelle règle faut-il faire confiance, quelle est la bonne mesure ? Pour les oscillateurs, pour la mesure du temps, on va avoir le même problème. Votre oscillateur, deux oscillateurs différents, ne vont pas donner exactement, le même nombre de période pour mesurer une durée donnée, chaque petite graduation va être différente, si vous prenez un oscillateur, suivant l'endroit, ou l'instant où vous allez l'utiliser, il ne va pas vous donner la même mesure. Par exemple, le pendule que je vous ai montré, qui oscille, si vous l'utiliser à l'équateur ou aux pôles, parce que la période d'oscillation dépend de la force de gravité, au bout d'un an, vous aurez à peu près deux jours d'écart entre les deux mesures. C'est énorme, peut-être pas dans la vie de tous les jours, quoique deux jours, c'est important ! Mais pour les applications que je vais vous montrer, c'est quelque chose de très gênant. Comment résoudre le problème ? C'est là qu'on construit des horloges atomiques, et l'atome est la solution à ce problème puisque c'est l'atome qui va servir de référence. Qu'est-ce qui se passe dans une horloge atomique ? C'est relativement simple Vous avez toujours un oscillateur, mais on va comparer sa fréquence à une fréquence qui est infiniment stable, universelle et extrêmement bien connue qui est la fréquence de résonance pour passer d'un niveau atomique à un autre. Pourquoi cette fréquence atomique est très bien connue ? C'est parce que la mécanique quantique nous informe que les états d'énergie c'est-à-dire que les niveaux d'énergie entre lesquels les atomes vont pouvoir transiter, ces états d'énergie ont des valeurs extrêmement bien fixes et bien déterminées. Donc la fréquence de résonance pour aller d'un niveau à un autre, sera, elle aussi, extrêmement bien fixée. Vous avez une photo de l'horloge atomique qui est à l'observatoire de Paris. Aujourd'hui, en utilisant des atomes qui sont un peu particuliers car ce sont des atomes froids qu'on refroidit par laser, à des températures extrêmement basses, qu'on vient piéger avec de la lumière laser, en utilisant des oscillateurs optiques qui battent extrêmement vites, on arrive à avoir une précision, dans la mesure du temps, qui est très impressionnante puisqu'une horloge, parmi les meilleures horloges au monde aujourd'hui, ne va dériver d'une seconde qu'au bout de 3 milliards d'années. En d'autres termes, on est capable de donner la valeur de la petite graduation, ou de la fréquence de l'horloge avec 17 chiffres après la virgule. Vous voyez que c'est une application, qui est très impressionnante, un niveau de stabilité qui est très impressionnant, et ça a plein d'applications. La première application, c'est l'horloge parlante. C'est une application qui parle au public, en général. Elle vient d'où, l'horloge parlante ? Elle a été créée à l'observatoire de Paris en 1933, Dans ce temps-là, c'était les astronomes qui donnaient l'heure, ce n'était pas la physique atomique. La ligne de l'observatoire de Paris s'en est toujours occupée, parce que tout le monde appelait Ernest Esclangon qui était le directeur de l'observatoire, pour avoir l'heure. Ernest Esclangon a eu l'idée de développer cette horloge parlante. Il y a eu plusieurs générations d'horloge parlante, aujourd'hui, l'horloge parlante présentée ici vous donne l'heure avec 50 millisecondes d'incertitude. Comme la métrologie est une science expérimentale, on va appeler horloge parlante. (Moi j'ai le droit de laisser branché, c'est le privilège !) C'est toujours le risque, dans les expériences, que ça ne marche pas. Horloge parlante : il est 17 heures 7 minutes 10 secondes. (bip) NR : On va attendre un petit peu mais vous voyez que les trucs rouges, Horloge parlante : il est 17 heures 7 minutes 20 secondes. (bip) NR : Voilà, ça marche ! Merci! (Applaudissements) C'est une application qui parait anodine mais qui est importante au moment des changements d'heure d'été, d'heure d'hiver. Si on veut transmettre le temps de façon plus précise, on peut utiliser aussi internet, les satellites de télécommunication ou GPS, et cetera. Ça, c'est la première application. La deuxième application, qui est très en vogue et qui est très importante, c'est d'utiliser les horloges atomiques pour tester la loi de la relativité d'Einstein qui vous dit, depuis 100 ans, que le temps n'est pas absolu. C'est-à-dire que si vous mettez des horloges identiques et que vous les mettez dans des référentiels différents, qui bougent l'un par rapport à l'autre, ou qui ont des paramètres environnementaux différents, vous allez trouver, mesurer des différences, entre les temps et les fréquences d'horloge. Ce côté non absolu du temps, on le teste déjà au sol, mais on va le tester de façon extrêmement précise, dans l'espace, en installant une horloge ultra précise, à bord de la station spatiale internationale, dans quelques années, et en comparant le temps et la fréquence de cette horloge qui sera dans l'espace, avec les temps et les fréquences d'horloges qui sont situées tout autour de la Terre, on pourra valider la théorie d'Einstein, sachant que toute les théories modernes prédisent une violation de la théorie d'Einstein. Il y a un vrai enjeu scientifique à faire ça, on va tester différents aspects de la relativité générale, on va tester par exemple, une propriété assez intéressante, qui dit que les constantes fondamentales sont constantes. Ce n'est pas anodin : en physique, il y a tout un jeu de constantes, qu'on suppose constantes, et en fait toutes les théories modernes prédisent que ces constantes dérivent à la fois dans le temps et dans l'espace, on va pouvoir le tester assez précisément. On va tester aussi un effet de relativité générale qui dit que le temps s'écoule à un rythme différent en fonction de l'altitude : par exemple, vous qui êtes assis au premier rang, vous ne vieillissez pas à la même vitesse que ceux qui sont assis au dernier rang, car vous n'êtes pas assis à la même altitude. Je vous rassure, parce que sur la durée de ma présentation, la différence de vieillissement c'est à peu près une picoseconde, soit 10 puissance -12 secondes, donc un millionième de millionième de seconde il ne faut pas courir pour descendre, ou monter, restez assis ! On va tester aussi que la vitesse de la lumière est constante, c'est un postulat extrêmement fort de la relativité restreinte, de dire que la vitesse de la lumière est indépendante du référentiel par rapport auquel on la mesure. C'est une propriété extrêmement importante, qui est utilisée pour effectuer des mesures de distance, à partir de mesures de temps. Si vous voulez mesurer une distance, vous utiliser un signal qui va se propager, et en connaissant le temps de propagation, si vous supposez que la vitesse de propagation est connue, ce qui est le cas avec la vitesse de la lumière, vous allez en déduire la distance, On se dit qu'il n'y a pas besoin d'avoir des horloges ultra stables pour faire ça. Eh bien si ! Parce que la lumière va vite, 300 000 km par seconde, si vous faites une erreur d'une nanoseconde, un milliardième de seconde, vous vous trompez de 30 centimètres. Typiquement, ce genre d'application, mesurer des distances à partir de mesures de temps, c'est fait pour mesurer la distance Terre-Lune en envoyant des impulsions sur la Lune qui sont réfléchies par des rétro-réflecteurs qui ont été installées par les missions Apollo pour mesurer la distance Terre-Lune à mieux que le centimètre. Quand on fait mesurer une distance on sait se positionner. Comment on fait ? Avec le système GPS, par exemple, si vous avez une constellation de satellites dans lesquels il y a des horloges atomiques toutes synchronisées, en mesurant les temps de parcours de chaque onde, depuis chaque satellite, vers votre récepteur, vous mesurez votre distance par rapport à chaque satellite, et par triangulation, vous mesurez votre position ; il vous faut 4 satellites parce que dans l'espace-temps, il y a 4 coordonnées : x, y, z, et t puisqu'il faut aussi le temps pour se positionner dans l'espace-temps. Vous voyez que les applications du GPS c'est pas uniquement pour se positionner en voiture, là où on a besoin d'avoir quelques mètres de résolution, mais aussi des applications en termes de géophysique, puisqu'on va être capable d'analyser le mouvement des plaques tectoniques avec des résolutions de l'ordre de quelques centimètres par an, ce qui est une très bonne résolution. C'est intéressant parce qu'à partir des mesures de temps, on connait le fonctionnement de la Terre, on connait les fluctuations de la rotation de la Terre, c'est intéressant parce qu'historiquement, c'était le contraire : c'était la rotation de la Terre qui donnait l'heure. Actuellement c'est le contraire, c'est la mesure du temps qui permet de connaître les fluctuations de la rotation de la Terre. C'est quelque chose que vous avez peut-être entendu à la radio ou à la télévision, les fameuses secondes intercalaires : le fait que la Terre ne tourne pas rond, (on le sait tous) alors que le temps atomique est infiniment stable, fait que les deux échelles de temps, liées à la rotation de la Terre et aux horloges atomiques, vont dériver l'une par rapport à l'autre. Pour éviter qu'elles se décalent trop, on rajoute, volontairement, au niveau international, une seconde supplémentaire qu'on appelle seconde intercalaire, ça veut dire que, en général tous les deux ans, soit le 30 juin, soit dans la nuit du 31 décembre, (le 31 décembre on ne s'en rend pas trop compte) il y a une minute qui fait 61 secondes. Et ce saut doit être fait sur toute la Terre. En guise de conclusion, j'aimerais vous montrer que la mesure du temps a quitté le domaine de l'astronomie pour arriver dans le domaine de la physique atomique, et celui de la mécanique quantique. Depuis l'invention des horloges, à peu près au milieu du 20e siècle, on a gagné un facteur 10 tous les 10 ans, c'est une progression vraiment très impressionnante. Aussi, à chaque fois qu'on a amélioré la précision, on s'est dit : ça sert à rien d'avoir tous ces chiffres après la virgule. Ce n'est pas vrai, à chaque fois, Il y a eu une application qui est intervenue après, 10 ans après, 20 ans après, qui a utilisé cette précision. Je pense que dire en conclusion que les mesureurs de temps sont en avance sur leur temps est tout à fait logique dans ce cas-là. Je vous remercie beaucoup. (Applaudissements)