Bonsoir. Savez-vous que sur la planète Terre, selon les dernières études de l'INED qui datent de 2017, un homme sur sept est africain ? En 2050, un homme sur quatre sera africain. Et d'ici 2100, un homme sur trois sera africain. Qu'est-ce que cela veut dire ? Cela veut dire qu'en terme de population, l'Afrique va dominer le monde, et que le continent africain représentera le plus grand marché. L'Afrique sera plus grande que la Chine. Elle sera plus grande que les États-Unis. Elle sera plus grande que l'ensemble des pays européens réunis. Nous avons une responsabilité historique, non seulement d'impacter le monde, mais d'en avoir le contrôle. Tous les grands spécialistes du monde s'accordent aujourd'hui à dire que l'Afrique est le continent de l'avenir. Que nenni ! C'est un superlatif pour nous endormir et mieux nous entuber. L'Afrique n'est pas le continent de l'avenir. L'Afrique est aujourd'hui l'avenir. Je suis sûr que dans la salle, beaucoup ont vu le film « Black panther ». Pour ceux qui ne l'ont pas vu, c'est un film réalisé par les studios Marvel, qui parle d'un super-héros africain dans un pays imaginaire qu'on appelle Wakanda, un pays très prospère qui domine pratiquement le monde grâce à une richesse qu'on appelle le vibranium. Eh bien, au-delà de la fiction, l'Afrique possède effectivement ce vibranium. Et ce vibranium, ce n'est rien d'autre que son patrimoine culturel. En 2015, j'ai participé à une résidence d'écriture, au Sénégal, avec une vingtaine de jeunes auteurs, sur la thématique : « Comment réinventer l'Afrique ? ». Et nous nous sommes rendu compte que nous étions tous francophones comme anglophones, assis en déséquilibre entre plusieurs cultures linguistiques. C'est-à-dire qu'on ne parlait pas bien nos langues nationales, et la langue qu'on parle correctement n'est pas la nôtre. Nous étions ballottés entre nos langues nationales et la langue du colon. Nous avons créé l'OULIAF - l'Ouvroir de la Littérature Africaine - qui, en réalité, est un laboratoire de recherche expérimentale en écriture et en éducation au patrimoine culturel africain, qui prend en compte nos langues nationales, parce que la langue est la première caractéristique d'une identité. C'est le premier vecteur d'une identité culturelle. Et un peuple sans identité culturelle est un peuple fantôme, sans âme, condamné à disparaître. Regardez un peu les Chinois. Non seulement ils ont réussi à garder leur langue, mais aussi l'ensemble de leur patrimoine culturel, leurs us et coutumes, jusqu'aux salutations. Alors qu'en 1930, nous étions au même niveau que les Chinois - on était même mieux puisque dans certains restaurants britanniques en Chine, il était marqué : « Interdit d'entrer aux chiens et aux Chinois », c'est-à-dire que les Chinois étaient comparés aux chiens dans leur propre pays - aujourd'hui, la Chine, c'est relativement la première puissance du monde. Tout ça parce qu'elle a su garder son patrimoine culturel. Et c'est pareil pour le Japon. L'Afrique aussi est capable de faire pareil. Le Bénin aussi est capable de faire pareil. Et si vous doutez que l'Afrique est capable de faire pareil, regardez simplement les pyramides d'Égypte. Après quatre mille ans d'Histoire, ces pyramides sont encore debout. Quatre mille ans, s'il vous plaît ! C'est extraordinaire ! Et le Bénin, spécifiquement, est en tête de peloton en matière de patrimoine culturel. Et je vais prendre simplement un exemple, l'exemple de l'architecture des Batammariba qu'on appelle les « Tata Somba ». Cette architecture est unique au monde, parce que c'est la seule architecture, la seule construction à étages, construite entièrement avec des matériaux locaux et traditionnels qu'on appelle BTP - Bois, Terre et Paille. Cette architecture est aujourd'hui en voie de disparition. Nous avons cinq types différents de cette architecture. Un type a déjà disparu, il n'en reste que quatre. Et si on ne fait rien, les quatre autres risquent de subir le même sort. Nous avons lancé la construction du premier musée écologique, en Afrique de l'ouest, sous forme de Tata Somba, pour valoriser, protéger et conserver ce patrimoine, parce qu'il est en train et disparaître. Les Tata Somba, c'est à la fois une habitation, une œuvre d'art, et un lieu de culte. Les Tata Somba, c'est une réponse assez sage en matière de construction et d'habitation aujourd'hui. Romaric tout à l'heure a parlé de la conduction thermique. Eh bien, les Tata Somba sont des habitations bioclimatiques. C'est-à-dire que, quand il fait chaud dehors, naturellement, il fait froid dans un Tata Somba. Quand il fait froid dehors, il fait chaud naturellement dans un Tata Somba. C'est extraordinaire. C'est pourquoi c'est un patrimoine culturel à défendre et à valoriser. Nous nous sommes inspirés de cette architecture pour pouvoir construire ce genre d'habitation, inspiré justement des Tata Somba, et construit entièrement avec la technique dont je viens de parler : BTP - Bois, Terre et Paille - sans ciment. Et pour faire ce travail - on ne peut pas le faire seul - nous avons besoin de recueillir une importante, sinon colossale, donnée ancestrale, c'est-à-dire les savoir-faire anciens de nos ancêtres. Et les personnes qui détiennent ce savoir-faire sont des personnes d'un certain âge en train de disparaître aujourd'hui, qu'on appelle les PHV - Personnes Handicapées Vieillissantes. On dit en Afrique : « Quand un vieillard meurt, c'est une bibliothèque qui brûle. » Je suis sûr que, dans chaque famille, il y a des personnes d'un certain âge qui détiennent encore le savoir-faire traditionnel. Ces gens-là sont en train de disparaître. Il est absolument important aujourd'hui de nous rapprocher de ces personnes pour essayer de recueillir cette connaissance pour la postérité. Aujourd'hui, nous avons la chance d'avoir le numérique. Nous pouvons utiliser ce numérique pour préserver ces connaissances pour la postérité, parce que l'Afrique, en tant que fille aînée de l'humanité, ne doit plus marcher sur les sentiers qui ont été érigés par d'autres civilisations. Elle doit pouvoir se redécouvrir elle-même pour se réinventer. Il n'y a que par là que viendra son salut. Parce que l'amour de l'art mène à l'amour des hommes, et l'amour des hommes mène à l'amour de l'humanité. L'amour de l'humanité mène à l'amour de soi. Comme le dit Alvin Toffler, « L'analphabète du XXIe siècle ne sera pas celui qui ne sait ni lire ni écrire, mais celui qui ne sait pas apprendre, désapprendre et puis réapprendre. » (Applaudissements)