Je suis stressée, je n'ai pas dormi de la nuit, c'est la dernière plongée de ma saison, et je sens qu'elle va être déterminante pour la suite. On est début octobre, je suis aux championnats du monde en Turquie. Mes pensées fusent dans tous les sens, mon cœur bat à 100 à l'heure, et je me demande bien ce que je fais ici, allongée sur le dos, flottant à la surface de l'eau. Je cherche à fuir cette tension qui me paralyse. Alors mes pensées et mon regard plongent dans le ciel. Je m'évade, loin, loin de toute cette agitation. Je me remémore toutes les personnes qui m'inspirent et me donnent envie de rêver. Le brouhaha autour de moi n'est plus qu'un bruit sourd. Je me laisse bercer par les vagues. La seule chose que j'entends distinctement, c'est le compte à rebours. Il me rappelle que c'est maintenant. Alors si vous le voulez bien, je vous propose de plonger avec moi. J'espère que vous avez du souffle. Dès que vous entendez le décompte, je vous invite à prendre une grande inspiration, et on plonge ensemble. Vous êtes prêts ? Alors c'est parti ! (Bruits de respiration) (Décompte :) 5, 4, 3, 2, 1, top time D'un coup, je bascule dans le silence. Ça y est, je suis seule, seule avec moi-même. Mon corps est en mode automatique. Il enchaîne les gestes techniques à la seconde près, tel un métronome. A 30 mètres, la pression est telle que je suis aussi dense et lourde qu'une pierre qui coule. Alors je me laisse partir, comme attirée par les abysses. J'ai les yeux entrouverts, le filin qui défile devant moi m'hypnotise, le froid m'envahit, la vitesse caresse mon visage, je coule à un mètre par seconde. Il fait de plus en plus sombre. La pression s'abat sur ma cage thoracique. A ces profondeurs, je subis 9 bars de pression, l'équivalent d'un poids lourd de 15 tonnes qui m'écrase. C'est tellement violent que je ne ressens rien, je suis comme en dehors de mon corps, et je me sens étrangement bien. Toute mon attention est maintenant braquée sur mes oreilles. Je cherche désespérément l'air qui lui aussi s'est fait comprimer par la pression. L'enjeu est de taille : sans air pour équilibrer mes oreilles, ma plongée s'arrête net. Les mètres défilent, je sens que mon objectif se rapproche. C'est magique. Je me sens libre. Ça y est, le fonds se rapproche. Je saisis le tag qui va me servir de témoin. A ce moment précis, j'ai une pensée pour la surface. Le drone sous-marin retransmet instantanément, je suis en direct, et ça me donne une force incroyable. Ces images inédites vont révolutionner notre sport en permettant de le médiatiser. Mais retour à la réalité : 82 mètres à remonter à la seule force de mes jambes. C'est la hauteur d'un immeuble de 35 étages. L'effort est intense, je dois m'arracher du fond. Ça fait plus de 2min30 que je ne respire plus. Je dois rester concentrée. Commence alors une longue bataille entre mon corps et mon esprit. J'ai le diaphragme qui se contracte de plus en plus violemment, mes jambes se font de plus en plus lourdes. Alors ma petite voix intérieure me rassure, en me disant que je n'ai jamais fait de syncope. Et ça, mon corps s'en souvient très bien. Alors mon corps s'apaise et se calme, et me laisse profiter de la remontée. Vers 30 mètres, les apnéistes de sécurité, mes anges-gardiens me rejoignent. Ils sont à l'affût du moindre signe de faiblesse pour me secourir en cas de défaillance. (Respiration forte) La première inspiration est un électrochoc, c'est comme si je me réveillais en sursaut d'un rêve. Si on n'est pas bien préparé ou si on est à cours d'air, la première inspiration peut être fatale et nous conduire à la syncope, tel un fusible qui fait tout disjoncter. Le signe OK valide mon intégrité physique, le tag que j'ai glissé dans ma cagoule témoigne que je suis allée à la profondeur annoncée. Ces deux éléments sont indispensables pour valider ma performance. Carton blanc. Record de France : 82 mètres, trois minutes vingt d'apnée, je me classe quatrième mondiale. (Applaudissements) Improbable pour une jeune Auvergnate née au milieu des volcans de rêver de profondeur. J'ai eu le coup de foudre pour l'apnée il y a dix ans, dans les bassins chlorés de Clermont-Ferrand. J'ai plongé pour la première fois dans les lacs d'Auvergne, puis mon instinct m'a guidée jusqu'à Nice, avec le souhait plonger plus régulièrement, en 2013. Mais mon métier de chirurgien-dentiste m'a écartée de ma passion. Mais impossible pour moi de me résigner, j'ai renoué en septembre dernier. J'ai battu le record de France en monopalme, ma discipline de prédilection. Je suis descendue à 88 mètres de profondeur, aux Bahamas, en juillet dernier. Puis il y a dix jours, ce record de France en bipalme, une nouvelle discipline pour moi, plus longue et plus intense physiquement, de très bon augure pour la suite. Mon rêve : être la première Française à franchir la barre mythique des 100 mètres. Alors je voudrais vous faire un aveu : je n'ai pas confiance en moi - vous avez dû le voir - (Rires) mais sous l'eau, j'ai totalement confiance en moi. Je suis forte et invincible. Alors j'espère que, vous aussi, il y a un endroit où vous vous sentez invincible. Merci. (Applaudissements)