Au printemps 2017,
dans la province de Florence,
la vie à Poggio alla Croce est bousculée
par l'annonce de l'arrivée d'un groupe de migrants.
Entre peur, colère et indifférence,
des habitants cherchent une solution.
(Musique de fond et bruits de cuisine)
JE SUIS PARCE QUE NOUS SOMMES
(Piera) Dans ces années,
beaucoup de choses ont changé.
Parce qu'avant,
les choses étaient un peu différentes.
Les gens étaient plus simples,
les gens fréquentaient
le centre du village.
Maintenant, ils restent plus à la maison :
le village est sans doute moins vivant.
Avant, nous étions tous plus concentrés
vers ma boutique.
Voilà : le monde, la vie se déroulait là.
Et aussi pour apprendre à se connaître,
pour se comprendre,
pour avoir des opinions, même différentes,
mais pour arriver à un dialogue,
c'était plus facile.
C'était la vie.
À mon avis, c'était la vie.
(Musique rythmée...)
(Andreas) Poggio alla Croce pourrait être
défini comme une "petite Suisse".
C'est situé dans un endroit magnifique
entre le Chianti et le Valdarno.
Les habitants sont travailleurs
et coopératifs.
En été, on organise une belle fête
qui attire les gens des deux vallées.
Lorsqu'il y a des problèmes
tels que le verglas en hiver,
les informations circulent dans le réseau
et il semblait donc un village idéal.
Puis en avril 2017, la "bombe" arrive :
trente migrants arrivent dans le "palais",
qui est un ancien hôtel
au milieu du village.
On aurait dit
qu’un vaisseau spatial allait atterrir,
avec à l'intérieur :
de "petits hommes noirs".
(Musique de tension...)
(Piera) L’homme noir arrive.
L’homme noir arrive.
Et nous sommes tous
coincés, impressionnés.
Même moi, je dois dire la vérité.
Même si on en entend parler,
on en entend parler en bien
et en mal de ces gars.
La réaction la plus forte et
la plus intense a été le rejet immédiat,
ce que nous appelons
une réaction "des tripes".
C'est ce qui a provoqué
l'organisation immédiate.
De sorte qu’en trois jours,
230 signatures "contre" sont apparues.
Là où nous sommes 190 habitants.
(Attilia) Il y a eu une première rencontre
il y a un an et demi,
en été,
avant l'arrivée des migrants.
Donc nous ne connaissions pas
les personnes.
Nous n'avions pas associé de visage,
ou de nom à ces personnes...
Et Il y a eu une réunion au village.
Je ne suis pas de Poggio alla Croce,
je viens d'un village proche.
Et à la réunion,
il y a eu des personnes agressives,
mais parce qu’elles avaient peur.
(Martin) Leur réaction
n'est pas le fruit de la méchanceté,
mais derrière il y a aussi
une réalité qu'il faut raconter.
Il faut dire que c'était dû au fait
que personne n'était préparé à cela.
Personne n'était prévenu
que les étrangers, les migrants, venaient.
(Musique... martelage de fer...)
(Paolo) Vu qu’ils firent recueillir des signatures...
Mais, moi, je me prononçais
seulement car je voulais savoir :
ces gars, comment seraient-ils installés,
que viendraient-ils faire ?
Mais ce n'était pas la raison,
c'était car ils ne voulaient pas d'eux.
Alors j'ai dit que ma signature
avait été extorquée
et ça ne me va pas.
(Luana) Ils ont dit : "Dans un an,
on vous rappellera, vous verrez !"
Parce que nous avons peur...
Moi, j'ai une petite fille de 18 mois...
Je ne pourrai probablement pas
l'envoyer seule dans la rue...
Même les premières fois
qu'on nous a demandé de signer,
moi, je n'ai pas voulu signer.
Je suis devenu le mouton noir :
"Pourquoi, toi, tu les veux ?"
(Paul) Ils sont noirs,
il n'y a qu'un seul discours,
et il peut ne pas être bien digéré.
L'intégration n'est pas facile.
Ça non.
Et pour eux non plus, tu sais.
(Attilia) Il y avait une sensation,
une atmosphère terrible,
mes jambes tremblaient vraiment,
j'ai reconnu des enfants que j'avais vus
quand ils étaient petits
et qui maintenant sont adultes,
très effrayés,
qui ont commencé à dire
qu'ils ne les voulaient pas,
qu'ils ne voulaient pas des migrants
parce que leur vie allait changer,
qu'ils ne pourraient plus aller
tranquillement dans Poggio
et qu'ils ne pourraient plus se promener.
Mais ils l'ont hurlé, agressivement,
et j'ai commencé à trembler
et je voulais dire, mais je n'ai pas pu
parce que je tremblais,
que j'étais tellement désolée de voir
que les enfants qui, petits,
avaient l'habitude de partager,
d'être tous ensemble
- je me souviens qu'à l'époque,
il y avait aussi des enfants noirs
dans nos classes,
et qu'ils jouaient tous ensemble -
maintenant, étaient devenus comme ça
et qu'eux, ils m'effrayaient plus
que les migrants qui devaient venir,
parce que je percevais une colère
et une violence qui me faisaient peur.
(Bruit des machines dans la buanderie...)
(Andreas) Lorsque "le vaisseau spatial
avec les petits hommes noirs"
dont nous parlions avant
s'est effectivement posé,
à la fin,
nous avons réussi, à organiser
dans une pièce sous l'église,
que don Martin, notre curé,
avait mis à disposition
pour tout le reste de cette expérience,
à organiser un premier cercle où
nous avons fait, juste au début, un jeu:
on s’est mis sur les chaises
tout à fait au hasard,
puis on s’est mélangé
entre eux et nous.
Et nous avons commencé le jeu,
mettant une feuille de papier au mur
et chacun de nous a commencé à écrire :
"Andrea Formiconi,
Italien, parle italien".
Et en pointant le marqueur au hasard,
c'est le tour de celui-là, et il écrit,
et chacun de nous a ensuite écrit
son pays d'origine,
son nom et la langue qu'il parlait.
Dans ce simple jeu, un monde
s'est fondamentalement ouvert, un univers,
parce que parmi
les quatorze ou quinze garçons
sont sortis douze ou treize langues,
et puis il s'est avéré qu'il y avait
des analphabètes.
On les reconnaissait
parce qu'ils tenaient le marqueur
d'une manière improbable
et n'écrivaient pas leur nom
mais le dessinaient.
Mais en même temps, il y avait
des jeunes scolarisés.
A une extrémité, il y avait un jeune
dont on a compris ensuite
qu’il s’était même enfui alors qu’il
faisait sa 4e année de mathématiques.
Cela fait comprendre
la grande diversité
des histoires et des situations humaines
qui se cachent derrière ce stéréotype,
que nous désignons avec un mot unique :
le migrant,
où chacun a en tête l’image
d’un petit homme noir
toujours l’image sempiternelle, avec
une histoire standard : absolument pas !
(Musique douce...)
(Bruits de cuisine...)
(Malò) Je crois que l’étincelle qui a
suscité cette envie d’aller à l’école
est venue d’un garçon malien, Ali,
qui m’avait repéré
parce que nous avions parlé
un peu de français,
et un jour je l’ai vu arriver chez moi,
- je ne vis pas dans le village, il y a
1,5 km de chemin de terre -
il est arrivé seul, avec un cahier
et un crayon en me disant :
"Je veux apprendre l’italien".
(Elettra) Nous sommes trois
à nous être lancés
dans cette aventure
de la "petite école" de Poggio alla Croce
sans savoir ce qui nous attendait.
Il fallait faire quelque chose
pour aider ces garçons
et on a pensé que la meilleure chose
était de leur apprendre l’italien,
plus que toute autre chose,
pour les aider à avoir confiance en eux.
Comme nous avons peur d’eux, les noirs,
eux ont peur de nous, les blancs,
ça, il faut bien le comprendre :
ils ont peur, ils ont peur de nous
Ensuite, ce qui est drôle,
c’est que nous avons fait participer
beaucoup de gens qui n’avaient
rien à voir avec l’enseignement :
il y avait Marcie, une Canadienne,
qui connaissait très peu l’italien
mais qui a enseigné l’italien,
et puis nous avons aussi eu Willy,
qui est toujours là avec nous
à lire, à faire de la dictée,
à faire toutes ces choses
avec ces jeunes.
(Attilia) Je suis maîtresse
d’école primaire.
Le mardi, je quitte ma classe,
souvent très fatiguée,
surtout l’année dernière
où j’avais une première.
Je m’assois dans ma voiture et je dis :
non, mais qui me fait faire ça ?
Mais je suis folle, mais comment
je vais là-bas, je suis tellement fatiguée
que je devrais rentrer me reposer ou dîner
puis je ferme les yeux et je me dis :
"Si ce que je fais est bien,
j’aurai de l’énergie !", et je pars.
Et puis je suis heureuse
parce que tu arrives là et tu vois
ces sourires aux dents blanches
des gens de couleur,
ces yeux heureux
qui t’attendent,
te remercient, qui sont là,
impatients que tu leur apprennes
quelque chose.
(Bruit de voiture...)
(Laura) Je suis arrivée ici
un peu par hasard,
j’ai connu cette expérience
grâce à Andreas, à ses récits
dans les salles de l’université
et j’ai décidé de venir
jeter un coup d’œil.
Ce qu’on me demande le plus souvent,
c’est pourquoi je le fais.
Surtout, ce qui frappe, c’est que je fais
90 kilomètres pour venir ici,
donc je fais près de deux heures de route
juste pour arriver ici.
Ce n’est pas facile à expliquer,
parce que la raison se trouve
dans tant de petites choses :
ce sont les gestes, les regards,
les émotions,
les sensations éprouvées
quand on est en contact
avec ces gens, avec ces jeunes,
qui en fin de compte sont des vies,
sont des expériences, sont des mondes
qu'on rencontre
et dont on ne sait souvent rien.
(Rumore del traffico...)
(Bruits de la campagne, gazouillis...)
(Madou) je vais à l’école
à Figline Valdarno tous les jours,
le lundi et le mardi j’y vais en voiture
mais les autres jours à vélo.
Aller n’est pas difficile,
mais revenir, 1h30, c’est difficile.
C’est fatigant, oui.
Quand j’étais en Afrique,
je n’ai pas été à l’école
et heureusement,
je me suis retrouvé en Europe
et j’ai rencontré les gens qui m’aident
et m’ont inscrit à l’école.
Mon but est d’apprendre l’italien,
mais je voudrais rester en Italie,
je voudrais travailler
pour aider ma famille en Afrique.
Alors, je dois me concentrer
sur mes études, c’est mon but..
Je m’appelle Madou Koulibaly, je suis
originaire de Guinée et j’ai 20 ans.
Je suis arrivé en Italie
il y a un an et deux mois,
c’était un voyage très difficile,
je ne peux pas l’oublier,
c'était très dangereux.
J’ai sacrifié ma vie pour chercher
ma fortune en Europe et, grâce à Dieu
je suis entré en Italie le 13 juin 2018
et j’ai été transféré à Poggio alla Croce.
J’ai rencontré de très bonnes personnes
qui m’ont traité
comme si j’étais l’un d’eux,
ils sont comme mes parents ici,
pas seulement moi
mais tous les Africains qui vivent
à Poggio alla Croce.
Je voudrais continuer à étudier,
s’il y a la possibilité,
je voudrais aller étudier et apprendre
un métier, par exemple soudeur.
(Bruit de source d'eau, gazouillis...)
L'Italie m’a sauvé dans la mer
en Italie je suis allé à l’école
et je voudrais continuer à étudier,
je ne sais pas ce qui va se passer après.
Poggio alla Croce est mon village.
(Andreas) Le chemin est chaotique,
on ne peut pas s’attendre à suivre
un fil conducteur préétabli :
cela tuerait ce genre d’école.
Il faut donc être prêt à aller
là où le vent vous dit d’aller.
Un exemple pourrait être celui où Samba
avait écrit son CV sur l’ordinateur,
donc bien sûr vous essayez d’aider...
"Samba, qu’est-ce que ça veut dire,
qu’est-ce que c’est ?"...
À un endroit, il avait écrit
"expérience de conduite",
alors je dis "Samba, mais
qu'est-ce que tu conduisais ?"...
il s’illumine tout à coup
et dit "vache !"
Et de là est né un discours
tout à fait différent,
sur comment les choses
changent avec le temps,
comment elles changent en Afrique,
comment elles changent ici.
C’est un exemple de digression.
C’est une école centrée sur l’humain,
essentiellement.
(Musique douce, dialogue en arrière-plan...)
(Andreas) On a tous des greniers
pleins de vieux ordinateurs,
dont on ne sait quoi faire...
C’est un problème parce que c’est à nous
de les amener au recyclage
et donc nous diffusons cette information
depuis des mois :
"Tu as un vieil ordinateur ?
tu ne sais pas quoi en faire ?
Est-ce un problème pour toi ?
Avant de l’amener au recyclage,
donne-le-nous.
Nous installons une version
du système d’exploitation libre,
c’est-à-dire Linux, et en particulier
les variantes d’Ubuntu,
une version légère qui s’intègre bien
dans les vieux ordinateurs,
elle les "ressuscite" facilement.
Le système d’exploitation Ubuntu
est ainsi appelé
parce que c’est un concept qui est né
en Afrique du Sud
et Nelson Mandela, dans une belle vidéo
que nous avons ensuite utilisée
pour un travail avec les garçons,
décrit ce concept par une petite histoire :
"Autrefois, quand un voyageur
arrivait dans un village,
fatigué, qui avait soif, avait faim,
personne ne lui posait jamais de question,
on lui apportait simplement
à boire et à manger.
C’est l’Ubuntu, c’est-à-dire
penser à l’autre
en sachant que cela crée une communauté
qui vit bien si nous le faisons tous.
(Martin) Oui : Ubuntu est
une grande philosophie africaine
une grande réflexion,
une pensée africaine
avant d’en venir à l’aide, part du fait
que nous sommes tous frères
et que si j’aide une personne,
celle-ci peut aider une autre personne
proche de moi,
donc un lien général de la société
parce que nous nous considérons tous
comme des frères et sœurs.
Ce qui s’est passé à Poggio alla Croce,
est de l’Ubuntu,
c’est vraiment de l’Ubuntu.
(Chœur d'enfants africains...)
(Gabriele) Je pense qu’en suivant
un principe selon lequel
si j’aide l’autre et que l’autre m’aide,
nous vivons tous les deux mieux,
plutôt que plus mal.
Lutter entre nous, même si dans la lutte,
il y en a peut-être un qui gagne
et qui peut alors être plus satisfait
que celui qui perd.
C'est ce qui m’a toujours guidé
depuis que j’ai acquis la raison,
j’ai toujours passé
le temps dont je disposais dans le social
mais pour cette raison,
non par angélisme.
Ce n’est pas que je suis bon, je pense que
pour être bon il faut faire le bien,
donc aider les autres,
faire la charité, faire... non.
C’est peut-être une façon égoïste,
je pense que je gagne
quelque chose de cette façon
et ensuite je peux vivre mieux,
être serein.
On est souvent déçu, très souvent.
Mais on n’est pas aussi déçus
que ceux qui se battent, puis perdent.
Ce sont peut-être des opportunités
qui nous laissent un peu de goût amer
dans la bouche,
mais ils ne créent pas
de gros malaises,
parce que nous savons, je sais
que nous devons les avoir
Il y avait des problèmes
de nature presque raciste
à Poggio alla Croce,
donc je suis aussi intervenu pour cela,
mais ensuite, c’était ma façon de faire :
Je suis un migrant à Poggio alla Croce,
parce que je suis venu de la ville
à la campagne, j’ai choisi cela
et j’ai immédiatement essayé
de m’intégrer dans l’association ici,
parce que c’était naturel pour moi.
C’est donc un mode de vie
qui n’est certainement pas héroïque,
c'est normal, je pense que tout le monde
peut comprendre cela.
(Marcie) Quand j’entends le mot Ubuntu,
cela me frappe, car il signifie humanité.
Dans la religion juive, nous avons
une expression que je viens d’apprendre,
"Tikkoun Olam", qui signifie
"réparer le monde",
et je vois comment
ces concepts sont reliés.
c'est vraiment beau, parce que
petit à petit, les gens, un par un
"réparent le monde"
et montrent de l’humanité.
Nous devons nous concentrer
sur cette partie positive du monde,
car si nous ne le faisons pas
et si nous ne faisons rien,
nous sommes condamnés.
Alors pour moi, venir ici est
une toute petite chose
Mais elle a beaucoup de sens
dans ma vie.
(Andreas) Cette idée d’Ubuntu,
cette idée de réparer des ordinateurs
ou des objets ou des outils
qui semblaient bons à jeter,
est un peu ce qui a aussi inspiré
l’action de cette communauté,
qui, peu à peu, s’est régénérée elle-même.
En fait, cette devise
"Nous avons besoin de vous",
signifie justement ceci :
En réalité, notre communauté locale
s’est régénérée grâce à votre arrivée,
grâce à votre vaisseau spatial,
de vous, "petits hommes noirs",
parce que votre arrivée a généré en nous,
à nouveau
un besoin de travailler ensemble,
de sortir de chez soi,
d’abandonner les canapés,
de quitter la télévision,
de sortir de chez soi
et d’essayer ensemble de résoudre
un problème
au profit de toute la communauté.
(Samba chante un rap...)
(Samba) Je suis Samba et je viens du Mali,
je suis un artiste malien mais avant,
quand je chantais avec mes amis,
ma famille ne voulait pas
que je fasse de la musique,
mais j’aime vraiment ça.
En 2016, je suis allé en Algérie,
puis en Libye
et je suis arrivé ici il y a deux ans.
Ma vie est compliquée
parce que je voudrais être un artiste,
un rappeur comme beaucoup d’Italiens,
Ghali, Sfera Ebbasta,
et je voudrais être comme eux aussi.
(Luana) Moi je ne sais pas exactement
ce qui a pu se passer,
mais on a tous un peu changé.
J’ai trouvé en eux des changements
même à notre égard :
avant, peut-être, quand ils passaient
ils nous souriaient et c’est tout.
Après quand ils ont vu
qu’on leur voulait réellement du bien
Je ne peux pas parler pour tout le monde,
mais pour ceux qui, comme moi,
quand elles voient quelqu’un de nouveau
s’arrêtent pour lui dire “salut !”
et s’il est grand lui demande
de se baisser parce que sinon,
nous n’y arrivons pas
et que lui nous appelle et nous on lui dit “grands-parents”
et lui répond “grand-père, grand-mère”
Nous on parle italien, eux ...
Alors on se fait comprendre quand on voit
que vraiment, ils ne comprennent pas
ce qu’on veut leur dire, par exemple
si on veut leur dire de se baisser,
on fait comme ça nous aussi.
ils ont appris, quand on passe,
ils nous disent
“grand-mère, tu m’aides ?”
“non, pas aujourd’hui, demain”.
On leur dit : "il y a peut-être quelqu’un
par ici qui sait quelques mots d’anglais
comme moi alors je leur dis “tomorrow”
et ils me comprennent.
Oui, mais si toi tu penses le discours
de "tomorrow", oh, punaise!
Moi je l’ai toujours dit :
je n’ai pas de place à la maison,
mais si j’en avais je les accueillerais
avec plaisir,
un, deux, le nombre que je pourrais avoir,
surtout si la maison est la mienne,
parce que selon moi ils ont aussi
besoin d’être compris
de ressentir le bien
pas seulement avec le sourire.
Il y a des choses plus fondamentales
dans la vie de tout le monde,
mais dans la leur en particulier:
ils ont quitté leur famille,
ils viennent d’un système mauvais,
souffrent de la faim…
Toutes ces choses, pour arriver en Italie,
qu’il leur a fallu tant.
nous sommes deux ou trois personnes
qui leur veulent du bien du fond du cœur
et pas seulement en paroles.
et ils le sentent, dès qu’ils nous voient
ils viennent tout de suite,
le bisou, le goûter,
on leur donne des biscuits,
comme si vous voyez un enfant
à qui on apprend à parler.
De même avec eux, surtout avec ceux
que nous voyons plus souvent,
un contact s’est créé,
alors on perd du temps,
mais ce n’est pas du temps perdu,
on prend du bon temps.
Sûrement que les personnes
qui nous ont vus comme ça
au début nous ont critiqués
et maintenant au contraire
ils ont dit “c’est vrai,
ils se sont fait aimer…
mais comment avez-vous fait ?”
… comment on fait ? Eh bien, on leur parle !
Tôt ou tard ils comprennent...
(Piera) Puis la chose s’est stabilisée,
petit à petit,
ces garçons sont formidables,
ils ne dérangent personne,
ils saluent tous ceux qui passent,
ils vous appellent, nous on leur répond,
au moins moi personnellement,
quelques-uns ne leur parleront pas.
mais le village est calme.
Il a donné le pire de lui-même,
car je pense que le manque d’information
provoque une mauvaise réaction.
Ensuite les choses vous les connaissez,
vous les voyez et vous les vivez,
parce qu’à la fin, il s’agit
de vivre ensemble, avec eux,
c’est aussi beau.
Pour moi, ces garçons
on les a mis en prison, les pauvres
ils sont enfermés là-dedans,
s’il n’y avait pas ce groupe
qui leur fait l’école
et les autres choses, alors,
ça représente quoi d’être ici ?
Si vous mettez trente garçons
enfermés dans une maison,
ça sert à quoi ? Pour moi il me semble
que cela ne sert à rien
s'ils ne font aucune activité ;
ce sont tous des jeunes
d’une vingtaine d’années,
qu’est-ce qu’ils doivent faire ?
S’ils font quelque chose,
s’ils peuvent se défouler,
de l’espace dans les activités,
dans le jeu, alors c’est différent.
Ils peuvent même devenir utiles,
mais il faut une intégration
qui ne se fait pas en deux ou trois mois,
parce qu’après, il y a la méfiance...
si voir une personne noire à côté de toi,
cela te gêne,
il faut aussi dire cela.
Mais cela ne signifie rien,
au final il est comme moi,
si tu apprends à le connaître.
Mais même si je suis avec toi,
et que je ne te connais pas,
je peux avoir la même opinion.
Ça me parait logique.
(Bruit de voiture...)
(Sibghat) Le premier village que j’ai vu
après être entré en Europe
a été Poggio alla Croce,
je ne l’oublierai jamais,
parce qu’ils m’ont réellement
donné une vie, une expérience inoubliable :
les personnes, la joie, un respect
pour la société qu’ils m’ont donnée,
dès les premiers jours,
quand ils m’ont emmené partout
pour chercher du travail, obtenir
mon permis, aller à l’école, partout
et je me suis dit : écoute, ces gens,
ils ne veulent rien de toi,
mais ils te donnent tellement.
une nouvelle vie.
(Musique dans le club...)
Ciao Anna!
Ciao Sibi!
Je dois leur rendre quelque chose,
alors j’ai pensé que ce serait
une bonne chose
de continuer à aller de l’avant avec eux,
et de les aider, même physiquement.
Je n’oublierai jamais ce village
de ma vie,
et même les gens qui me connaissent,
ma famille,
même s’ils ne sont pas en Italie,
ils connaissent Poggio alla Croce !
C’est une grande joie pour eux aussi,
à mon avis s’ils rencontrent
des Italiens ou des Européens,
ils les respecteront,
parce qu’ils ont donné une bonne chose
et une nouvelle vie à leur fils.
Par la suite j’aimerais bien
aider à l’école,
je ne parle pas très bien l’italien,
mais j’aimerais au moins
aider les Pakistanais,
ceux qui ne parlent pas anglais
et n’ont pas étudié.
Je peux faire l’interprète
entre eux et un Italien
qui explique les règles
et toutes les choses...
c’est une aide pour eux,
mais c’est une façon de rendre
quelque chose à la société, au village.
Tu t’es intégré dans la société,
mais maintenant tu apprends
à d’autres personnes
à s’intégrer dans la société,
et comme ça elles développent
de nouvelles belles choses.
J’ai encore beaucoup à apprendre,
jusqu’à présent j’ai peu appris,
mais les gens de Poggio
m’ont donné vraiment une belle vie
qui ne peut pas être expliquée,
je ne peux pas l’expliquer avec des mots.
J’essaierai toujours de donner, de rendre,
mais c’est un village inoubliable.
Il est beau... beau, beau, beau.
(Gabriele) Cette initiative de l’école
a permis
à de nombreuses personnes du village
qui ne se connaissaient pas
de se connaître désormais et de collaborer
ils sont devenus amis...
Donc maintenant les migrants
ont une école avec des cours d’italien,
des cours de mathématiques,
mais nous-mêmes, les gens du village,
avons appris à nous connaître,
à vivre ensemble
et c’est bien mieux ainsi.
(Laura) Un autre des souvenirs
que j’ai et que je pense ne jamais oublier
est le deuxième jour
où je suis retournée à l’école,
c'était l’anniversaire de Duccio,
notre mascotte.
C’était l’anniversaire de ses un an,
et à un moment,
pendant le mini buffet
que sa maman nous avait préparé,
les garçons ont ouvert un petit sac
et en ont sorti
un petit chariot en bois tout coloré
et on voyait qu’ils l’avaient bricolé
comme ceux que je pourrais trouver
dans le grenier de ma grand-mère.
C’étaient des morceaux de bois assemblés
avec cette corde attachée
pour traîner le chariot,
avec les roues,
c’était vraiment bien fait.
(Claudio) Il a été fabriqué
à la main par eux
et le cadeau a vraiment été
très apprécié par Duccio.
car entre tous les jouets
qui sont ici dans la maison,
des jouets incroyables qui sonnent,
chantent, crient,
ce simple chariot fait de bouts de bois,
boutons, lui a plu immédiatement
et il a joué avec sans le jeter
par terre
comme il le fait avec les autres jouets,
après 30 secondes
qu’il les a en main, il les jette.
Aussi, peut-être, parce que
depuis qu'il est petit, dès sa naissance,
nous avons essayé, ma compagne et moi,
que Duccio s’intègre avec ces garçons,
sans le lui faire vivre
comme une chose extraordinaire.
mais comme s’ils étaient nos parents,
nos amis, nos frères et sœurs.
Et vraiment quand il les voit, il rit
il va vers eux
- mon fils a 18 mois,
ce n’est pas qu’il soit...
il est pratiquement devenu
la mascotte du centre d’accueil...
parce qu’à chaque fois qu’ils le voient,
ils l’appellent "Duscio, Duscio, Duscio"
Il est devenu "Duscio".
Lorsque "Duscio" est avec eux,
tu les vois se mettre à sourire
et cela me rend vraiment heureux.
C'est une phrase toute faite, mais je veux
que mon fils devienne citoyen du monde
pas un citoyen de Poggio alla Croce.
Alors... tout va bien... et le travail ?
(Dialogues inintelligibles...)
Duscio! Ciao Duscio...
(Madou explique la recette du pain,
avec l’huile et le sel dans sa langue)
Tu es bon!
Pas si bien que ça...
(bruits de blanchisserie...)
(Omar) Je m’appelle Omar
et je viens du Sénégal.
Je suis en Italie depuis deux ans.
Je suis arrivé à Poggio alla Croce
et je suis heureux,
j’ai rencontré beaucoup de personnes...
Ils m’apprennent un peu d’italien.
Je suis devenu ami avec ces personnes.
Je vais à l’école,
aussi à l’école d’élagage,
j’ai fait les vendanges
et la récolte des olives.
Ils m’ont aidé à trouver un bon travail.
Oui, j’ai trouvé une maman et un papa.
Il me manque juste des frères.
Mais ma maman et mon papa
sont proches de moi.
Ce sont Paola et Gabriele.
Ils sont très gentils.
Ils le sont tous à Poggio alla Croce.
(Bruit des branches de taille)
(Martin) Un étranger, quand il vient ici
et qu’il quitte sa terre,
il a toujours cette nostalgie.
ll pense que là où il va,
peut-être,
il trouvera un accueil,
un sourire.
Quand il vient et expérimente un rejet,
c’est un moment de grande difficulté,
une tristesse.
Nous sommes tous l’étranger d’un autre.
Moi aussi, je suis étranger.
Je suis arrivé ici en 2000,
ça fait 19 ans.
Et je suis ici en tant que prêtre
à Poggio alla Croce.
(Andreas) Ils donnent l’idée d’avoir en
quelque sorte repris en main leur destin.
La transformation bien sûr,
peut-être un des aspects plus important,
elle ne concerne pas qu’eux :
c’est toujours une erreur
de se concentrer sur "eux".
Les choses fonctionnent
quand on laisse le contexte changer
et, en ce sens, c’est une réaction
positive de la population.
Certains concitoyens âgés
qui étaient peut-être terrifiés
lors de ces fameuses et terribles
réunions du début,
ils peuvent maintenant les appeler.
Ils le peuvent
quand le bûcheron décharge
devant leur maison une tonne de bois.
Leur problème étant de
de les transporter jusqu’au jardin,
à l’intérieur...
Et alors, comme eux ils disent,
de ces “gars” ils en appellent plusieurs,
et ils disent "qui peut transporter
ceci à l’intérieur ?”
Clairement, en dix minutes,
ces garçons font le travail.
Et eux leur payent
peut-être un cappuccino
ou leur donnent un peu d’argent.
C’est comme cela que la vie normale
est revenue,
c’est une saine normalité
qui forme la véritable civilité
d’une population.
(Attilia ... et d’ailleurs,
et cela me touche,
les personnes qui sont avec moi maintenant
et qui m’ont associée à cette aventure,
deux en particulier, deux femmes
qui ont commencé cette aventure,
sont les mêmes personnes
qui m’ont accueillie
il y a déjà vingt-six ans
quand je suis arrivée ici à San Polo.
Et c'est important pour moi,
parce que ça a été une expérience sublime
que j’ai vécue et que je veux
faire vivre à d’autres, pour eux.
- Comment s'appelle ce plat ?
- Celui-ci ?
- Mafé.
- Le mafé ?
Oui, le mafé.
Comment le préparez-vous ?
Juste avec de la viande et des légumes ?
De la viande, un peu de légumes...
Viande, légumes et ?
Tomates...
et beurre de cacahuète.
- De ça aussi : "opala".
- Ah, ça, c’est du "opala" ?
- Oui, ça s'appelle "opala".
Oui, oui, ça s'appelle "opala".
- Comment vous faites ?
Vous devez les laver et les couper ?
- Oui, il faut les laver.
C'est bien. Super.
Ok les jeunes, je vous laisse travailler.
En attendant,
je vous regarde et je vous aide.
- Qu'est-ce que cette chose blanche ?
- Du manioc.
En pulaar : bantara.
- Bantara. Et comment on le cuit ?
- Beaucoup.
- Il faut beaucoup de temps ?
- Oui, il en faut beaucoup au Sénégal.
En Europe,
je ne sais pas comment on le cuit.
Il est trop dur.
- Ah, tu ne sais pas. D'accord.
- Parce que s'il est plus frais,
il cuit beaucoup plus rapidement.
S'il est vieux,
il faut plus de temps.
- Oui.
(Musique, bruits de cuisine...)
(Documentaire Rtv38) C’est terminé
pour cette sorte de Barbiana des migrants
à Villa Viviana, à Poggio alla Croce.
Aujourd’hui règne un grand silence
car ces garçons qui avaient ramené la vie
depuis deux ans dans ce village dépeuplé
ont été contraints de partir.
(Musique...)
Ils sont partis précipitamment
sans préavis,
certains objets sont restés là.
La coopérative Cristoforo,
qui gérait le centre, a abandonné
car avec le budget, réduit
de 35 à 21 euros par migrant,
elle a déjà dû fermer 5 de ses 17 centres
et ce n'est qu'un début :
la situation n'est plus viable
financièrement.
A Poggio alla Croce,
dans la commune de Figline et Incisa,
une trentaine de migrants
étaient arrivés il y a deux ans
dans la méfiance et les protestations
des quelques âmes du village,
puis tout a changé,
beaucoup les ont adoptés,
quelques-uns ont décidé
d'improviser une école,
de leur apprendre à cuisiner
ou à tailler les oliviers.
En est née une expérience singulière
d'intégration jusqu'à aujourd’hui,
et le déménagement soudain et forcé
vers un autre centre à Sesto Fiorentino.
(Musique douce...)
(Madou et Elettra) Aujourd'hui,
c’était le dernier jour de classe
à Poggio alla Croce.
C'était une école où les étrangers
apprenaient beaucoup de choses
c’était l'école où nous avons appris
tout ce dont nous avions besoin
en italien, en anglais et surtout
sur la culture italienne.
En ce moment il est très difficile
de quitter les habitants
de Poggio alla Croce
et d’être loin de nos enseignants
et de nos enseignantes.
Nous sommes profondément désolés,
mais nous ne l’avons pas choisi,
nous vous disons que nous n'avons
pas beaucoup de mots
pour exprimer comment vivre avec vous
a été aussi beau.
Vous devez être fiers de vous pour tout
ce que vous avez fait
et que vous faites encore :
vous avez créé une histoire incroyable
et indélébile dans votre petit village,
un petit village où l'humanité
est très respectée.
Pour certaines personnes vivre
avec des garçons africains
est une gêne ou une honte.
Mais avec vous ce n'était pas comme ça,
toujours des sourires, de belles paroles
sans gros mots
ni discrimination de couleur de peau.
Nous avons eu la chance de vivre
avec vous un moment de ce voyage.
Après les études à Poggio, nous avons
compris que chacun de nous
doit être le maître de son propre destin.
Merci de nous avoir appris
la bonne attitude,
comment nous comporter en Europe,
merci de nous avoir fait comprendre
que nous ne devrions pas être
comme les délinquants
ou les personnes qui font la manche.
Je ne vous oublierai jamais, très chers,
au revoir.
(Attilia) Parce qu'à mon avis,
cette histoire de Poggio,
de l'école de Poggio
c’est vraiment une histoire d'amour,
parce qu’on s’aime bien
entre nous, les bénévoles,
parce que nous sommes ensemble
d'une manière particulière,
et entre nous et les garçons,
qui nous aiment bien aussi,
de véritables amitiés sont nées.
Notre histoire est une histoire d'amour.
(Laura) Ce sont ces petits gestes, ce sont
ces histoires de la vie quotidienne
qui rendent notre expérience
si spéciale.
C'est ce qui te fait dire :
"Je tiens à toi."
C'est le cadeau le plus précieux
que nous puissions emporter chez nous.
Ubuntu
Je suis parce que nous sommes
Malgré la fermeture du centre d'accueil,
l’expérience de la "petite école"
ne s'est pas interrompue
et elle continue à Poggio alla Croce
et au siège du COSPE à Florence
pour des activités d’enseignement et
d’accompagnement à l’intégration.
Grâce au projet "Laboratorio aperto
di cittadinanza attiva LACA19",
on a développé une carte collaborative
basée sur le logiciel Ushahidi
pour témoigner des pratiques d’accueil
sur le territoire régional, national
et européen, et les partager.
Tourné entre février et septembre 2019
Générique de fin