Quand j'étais enfant,
mon père me récupérait après l'école.
J'avais environ 11 ans,
c'était à Genève, en Suisse.
On traversait la ville en voiture
jusqu'au site qui gère aujourd'hui
le Grand collisionneur de hadrons
et qu'on nommait encore Centre Européen
pour la Recherche Nucléaire.
C'est là qu'a été découvert
le boson de Higgs, il y a quelques années.
J'y ai connu Rafael Carreras,
un excellent enseignant,
qui donnait un cours hebdomadaire,
dont le titre était :
« Science pour tous ».
Des personnes de tous horizons
assistaient à ses cours :
des écoliers, des concierges du CERN,
des professeurs, des femmes au foyer...
Des gens tous différents, et certains
en sacrifiaient leur pause de midi,
parmi ceux qui travaillaient.
Deux choses me frappaient
à propos de ces cours.
Premièrement, personne n'y assistait
par bénéfice personnel.
Il n'y avait ni honneurs
ni rémunérations à la clé.
On allait au cours juste
parce qu'on s'y intéressait.
Je trouvais ça merveilleux,
et je me suis dit, dans un déclic,
que dans la vie, il valait mieux
poursuivre ses intérêts,
plutôt que de passer par l'ennuyant,
pour atteindre l'intéressant.
Qu'on pouvait brûler certaines étapes.
(Rires)
Deuxièmement, le Dr Carreras
nous encourageait constamment.
Je lui posais souvent des questions.
Il ne m'a jamais considéré
comme un simple enfant.
Il n'y avait pas de questions bêtes.
Vous pouviez lui demander n'importe quoi,
on en apprenait toujours.
J'adorais cet environnement.
Ça m'a ouvert la voie
qui m'a mené jusqu'ici,
en tant que scientifique professionnel,
devant vous.
Encore plus tôt,
mon père me lisait les histoires
de Winnie l'Ourson.
Voici une image de Winnie et de Porcinet
sur les traces de l'Éfélant.
L'Éfélant est une créature
très rare et très surprenante,
que sûrement personne n'a jamais vue.
Mais ils tiennent
une preuve indirecte qu'elle existe,
à savoir des empreintes dans la neige.
Et ça les encourage.
En poussant leur travail plus loin,
ils trouveront peut-être cette chose.
La différence principale
entre moi et Winnie sur cette image,
c'est qu'il regarde en bas,
alors que mon job est de regarder en haut.
En tant que scientifiques
(c'est le sujet de cette conférence),
nous traitons de la recherche
des premières étoiles
et galaxies formées après le Big Bang.
Ce sont des objets rares et surprenants,
qui diffèrent beaucoup
des étoiles et galaxies
observables aujourd'hui.
Mais nous pensons qu'ils existent.
Des preuves indirectes
nous mettent sur la voie.
Alors ça vaut la peine de se lancer
dans cette quête.
Je vous ai raconté ces deux anecdotes,
peut-être certains aspects de ma vie
pour vous donner
l'idée d'une chronologie.
Je suis là, à contempler mon passé,
comme nous le pouvons tous,
jusqu'à ma naissance,
et à observer des moments clés,
qui ont fait ma vie.
Ce qui est fascinant est que cette idée
vaut aussi pour l'Univers.
L'Univers est donc né du Big Bang.
On ignore en partie
ce qui a fait « bang » et comment,
bien qu'on en sache plus
depuis quelques semaines,
d'après l'actualité scientifique.
En revanche, on connaît
l'instant t du Big Bang.
On sait qu'il correspond
à la création de l'espace-temps.
Matière et lumière sont apparues
il y a 14 milliards d'années.
On connaît le chiffre exact
avec 1 % de marge d'erreur.
Je me projetais dans mon passé,
au début de cette présentation :
on peut en faire de même en astronomie,
car la vitesse de la lumière
est finie.
Donc, quand on regarde le ciel,
on regarde en fait vers le passé.
Dans beaucoup de cas,
c'est assez insignifiant.
Pour la Lune, ce passé
n'est que de 2 secondes.
On voit toujours la Lune
telle qu'il y a 2 secondes.
De là, c'est le temps que met la lumière
pour atteindre la Terre.
Pour les étoiles que vous voyez
si vous allez dans le désert,
loin de la ville,
ça peut être quelques milliers d'années.
Vous les voyez
telles qu'il y a des milliers d'années.
Quant à l'objet le plus lointain
visible à l'œil nu,
la galaxie d'Andromède,
dont voici une image prise par télescope,
elle paraît telle qu'il y a
2,4 millions d'années.
Sa lumière a donc mis
2,4 millions d'années pour vous parvenir.
Vous pouvez voir cet objet,
même sans l'aide d'un télescope.
Pour savoir
à quoi il ressemble maintenant,
il vous faudrait encore attendre
2,4 millions d'années.
(Rires)
L'histoire de l'astronomie correspond à
celle du développement des télescopes
et des technologies permettant
de sonder l'espace encore plus loin,
de voir encore plus d'objets lointains
et remarquables.
Voici à l'image un objet
appelé « amas de galaxies »,
fait de milliers de galaxies
similaires à la Voie lactée.
Il est si éloigné qu'il paraît tel
qu'il y a 250 millions d'années environ.
Il y a alors 250 millions d'années,
se trouvait ici
une profonde mer intérieure.
On le voit dans les calcaires de Kaibab,
déposés au Red Rock Canyon,
présents aussi le long du Glen Canyon,
jusqu'à Lee's Ferry.
Ces indices démontrent que cette région
était bien différente dans le passé.
Il n'y avait pas de désert, mais une mer.
Même si elle-même n'est pas visible,
on en a la preuve indirecte : les roches.
Tandis qu'ici,
nous voyons les choses
telles qu'elles étaient
il y a 250 millions d'années.
J'ai donc tracé une ligne du temps
sur ces diapositives à propos du Big Bang.
La flèche verte indique
le moment où la Terre s'est formée.
La Terre est donc venue s'ajouter
assez récemment à l'Univers.
Sa vie ne représente
que le tiers de celle de l'Univers.
Aux deux tiers,
le système solaire n'existait pas encore.
Alors, jusqu'où dans le passé
la technologie nous permet-elle de voir ?
J'ai ajouté à l'image
un petit carré rouge,
qui indique le champ optique
du meilleur instrument
jamais construit dans ce but,
et dont vous devez avoir entendu parler :
le télescope spatial Hubble.
Le télescope Hubble
possède un champ de vision très étroit.
Autrement dit, il capture une à une
de très petites images du ciel,
dont la taille représente un centième
de celle de la lune.
C'est comme regarder un grain de sable
tenu au bout de votre bras.
C'est une très petite région du ciel.
Pour interroger le passé,
les chercheurs ont eu l'idée
de photographier le ciel
en l'espace de deux semaines,
pour observer une de ses régions.
L'idée géniale : observer
une région banale du ciel,
une région qu'on croirait
a priori sans intérêt,
dans le seul but
de voir ce qui s'y cache.
Et ce qu'on y a trouvé était exceptionnel.
Voici une des images les plus célèbres
en astronomie :
le champ ultra-profond de Hubble.
Dans une zone plus petite
que la taille d'un grain de sable,
on peut compter dix mille galaxies.
Ce ne sont pas des étoiles
de la Voie lactée,
mais des galaxies à part entière,
à l'image de la Voie lactée.
Ici, une dizaine d'entre elles
paraissent telles qu'il y a
13,3 milliards d'années,
preuve que la lumière a débuté
son parcours
bien avant la formation
du système solaire.
Durant la plupart de ce parcours,
il n'y avait ni Soleil ni Terre.
Donc le Soleil et la Terre se forment,
l'évolution suit son cours,
on crée le télescope,
et voilà qu'on capture cette lumière.
Certes, c'est absolument remarquable.
Mais, ces galaxies
ne sont pas les premières.
On cherche bien
les premières étoiles et galaxies.
C'est, je pense, une des plus grandes
aventures scientifiques du XXIe siècle,
et elle va encore continuer
pendant ces dix prochaines années.
Maintenant, prenons
ce champ profond de Hubble.
Comment a-t-on identifié
ces dix galaxies,
les plus lointaines,
parmi des milliers de galaxies ?
C'est tellement simple
que j'ai décidé de vous l'expliquer.
Sans rentrer dans les détails techniques,
on prend une image
de ce champ en lumière visible,
puis une autre en infrarouge.
Les galaxies qui apparaissent alors
sur l'image infrarouge,
mais pas sur celle en lumière visible
sont celles qu'on cherche.
Elles ne sont pas nombreuses,
seulement dix.
Ce sont celles qui nous paraissent
telles qu'il y a 13,3 milliards d'années.
Pour résumer mon propos jusqu'ici...
Je passe à la prochaine diapositive,
que voilà...
Nous sommes dans la Voie lactée,
et observons de plus en plus loin,
grâce à des télescopes plus pointus.
Et nous portons le regard
vers le passé,
13,3 milliards d'années en arrière,
grâce à Hubble.
Mais un autre indice s'offre à nous,
grâce au fond diffus cosmologique.
Le fond diffus cosmologique,
qu'on détecte sous forme d'ondes radio,
nous indique ce qui se passait
dans l'Univers
déjà environ un demi-million d'années
après le Big Bang.
On sait qu'autrefois,
d'après ce fond diffus,
représenté par la demi-sphère extérieure
verte, jaune et bleue,
qu'autrefois, l'Univers était dépourvu
d'étoile ou de galaxie.
Voilà ce qu'il nous indique.
Mais il y a un autre point important :
le fond diffus cosmologique,
avant de nous atteindre,
a été dévié
par les étoiles et galaxies,
les toutes premières étoiles et galaxies,
qui restent encore indétectées.
C'est le principe « Éfélant ».
Les empreintes.
Nous voyons les empreintes
de ce que nous cherchons,
mais n'avons encore
pas vu la chose en elle-même.
Et pour trouver ce qu'on cherche,
on doit élaborer de nouveaux outils.
On peut résumer
l'histoire de l'astronomie comme
400 ans de progrès spectaculaires
autour du télescope.
La lunette astronomique de Galilée
avait une lentille pas plus grande que ça,
et voici les télescopes 2.0,
construits au Chili.
Il s'agit du Télescope géant européen.
On tombe à court de noms de télescopes.
(Rires)
Mais son miroir...
(Rires)
Son miroir mesure à peu près
la taille de cette salle.
C'est un outil gigantesque,
qui servira à sonder l'espace plus loin.
Comme vu plus tôt, on a besoin
des spectres optique et infrarouge
pour étudier les objets en question.
Pour réaliser
l'observation dans l'infrarouge,
on construit le successeur
du télescope spatial Hubble,
baptisé télescope spatial James-Webb.
On ne voit ici
qu'un sixième de sa taille.
C'est donc un immense instrument.
Tellement grand
qu'il n'entre pas dans une fusée.
Il devra donc être plié
comme un insecte aux ailes rabattues,
embarqué, envoyé dans l'espace,
largué, il se déploiera
puis il photographiera
ce qu'on espère être
les premières étoiles et galaxies.
Il explorera aussi les planètes
et d'autres objets,
qui suscitent tout notre intérêt
Alors qu'espère-t-on trouver ?
Dans notre façon de travailler,
illustrée par cette vidéo,
l'astronomie, comme toute science,
se résume en un dialogue constant
entre nos théories ou projections,
autrement dit, ce à quoi on s'attend,
comme vous le voyez ici à l'image,
et la réalité des choses,
que vous apercevez lors des pauses.
Sur cette vidéo,
vous pouvez voir deux galaxies,
par exemple la Voie lactée et Andromède,
en pleine collision.
C'est une prévision
réalisée par ordinateur.
L'image se fige de temps en temps,
et puisque c'est une simulation,
vous pouvez la voir sous tous les angles,
puis la comparer aux images réelles
de galaxies proches l'une de l'autre,
pour vérifier à quel point
nous avons réussi à comprendre
les interactions entre les galaxies.
Pour les étoiles et galaxies
les plus lointaines,
nous ne sommes qu'à mi-parcours.
Nos projections sont faites,
mais pas nos observations.
Alors que peut-on espérer voir ?
Où tout ça va-t-il mener ?
D'après l'histoire de l'astronomie,
je ne pourrais pas mieux répondre
que par une anecdote.
C'est Howard Carter, sur le point
d'ouvrir le tombeau Toutânkhamon.
Ses collègues et lui sont
dans un corridor étroit,
et Carter est le premier
de l'époque à voir le tombeau.
Il tient une bougie à la main,
et à sa lumière tremblotante,
il aperçoit cette immense étendue d'or,
de statues d'animaux, et j'en passe.
Et puisqu'il ne dit rien,
les autres lui demandent :
« Alors, tu vois quoi, tu vois quoi ? »
Il répond : « Des merveilles.
Des merveilles. »
Je pense qu'on peut espérer
en voir de même
dans l'avenir de notre domaine.
En plus de lever le voile sur l'Univers,
ce qui devrait être
vraiment passionnant,
la science nous en apprend beaucoup
sur l'humanité et nous-mêmes.
Pour ceux qui n'ont jamais lu
Winnie l'Ourson,
voici la chute de l'histoire :
ils ne trouvent pas
l'Éfélant, malheureusement.
Ils suivaient leurs propres traces.
Néanmoins, ils en ont appris
sur eux-mêmes, dans cette aventure,
sur ce qu'ils étaient.
Pareil pour nous, en science.
On découvre notre place dans l'Univers,
mais on se découvre aussi soi-même.
Et le CERN, qui compte
plusieurs lauréats du prix Nobel,
je ne vous l'ai pas encore dit,
est né des cendres de l'Europe,
après la Seconde guerre mondiale.
La guerre régnait en Europe.
Je suis d'ailleurs un immigré européen.
Au cours du XXe siècle,
pour des raisons floues,
d'ordre religieux, culturel ou ethnique,
les pays européens
entretenaient des relations tendues.
Et si une autre voie était possible ?
Et si on travaillait ensemble ?
Et si chacun, dans ces pays
qui furent en guerre,
montrait qu'en collaborant,
qu'en surmontant les préjugés,
on peut faire aboutir la science ?
Et l'histoire du CERN démontre
qu'en mettant ça en pratique,
on peut faire des merveilles.
Des merveilles.
Merci.
(Applaudissements)