L'histoire de l'humanité est une suite de développements technologiques. Ce que nous savons de la vie de nos ancêtres vient de notre connaissance limitée de leur outils. Au fil des siècles et des millénaires, ces outils se sont sophistiqués. De la naissance de l'agriculture aux dernières avancées en bio-ingénierie, un tas d'individu-es souvent inconnu-es ont apporté d'innombrables innovations. Ces gens, et les outils qu'iels ont créés, ont fondamentalement modifié notre façon d'interagir avec le monde et entre nous. Ces avancées technologiques se sont multipliées avec l'arrivée du capitalisme. Le développement des outils, armes et techniques de production a été façonné par les besoins pratiques, la culture et la structure politique de chaque société. En se propageant, le capitalisme a réduit la diversité locale et régionale, la remplaçant par la valeur universelle du « progrès », mot-clé de la quête de la croissance économique qui articule l'activité humaine autour de la concurrence mondiale. L'âge industriel a été marqué par trois révolutions successives, caractérisées par des inventions qui ont changé la totalité du paysage technologique. D'abord, l'exploitation de la vapeur, un exploit qui a permis le développement des premières usines et la construction de vastes réseaux ferroviaires. Ensuite vint la maîtrise du pétrole, qui a nourri l'essor de la ville moderne, la production industrielle de masse, et les horreurs de deux Guerres Mondiales. Enfin, l'ordinateur personnel en réseau, un appareil qui a profondément transformé presque tous les aspects de la vie moderne. Aujourd'hui, l'humanité se trouve au seuil de la quatrième révolution industrielle, un changement social de grande envergure avec des progrès en terme de robotique, d'informatique quantique, d'intelligence artificielle et d'impression 3D. Ces trente prochaines minutes, nous écouterons plusieurs personnes analyser ces avancées récentes, et verrons comment ces systèmes sont liés pour créer de nouveaux régimes de contrôle et de surveillance totalitaire. Nous évoquerons aussi quelques actions entreprises pour déjouer ces systèmes, comme créer des alternatives libres, saboter des infrastructures... et en semant un joyeux Trouble ! La technologie est la perpétuation de la société humaine d'un point de vue technique. C'est le comment de la reproduction sociale. L'analyse de la technologie est contextuelle, surtout lorsqu'il s'agit de la présenter comme une question fondamentale, que ce soit pour dire qu'elle est bonne ou qu'elle est mauvaise en soi, de par sa nature même. Les développements technologiques ne se font pas par magie. Ils sont fortement influencés par les personnes au pouvoir, qui en bénéficient. Dans le contexte actuel, la plupart des avancées technologiques servent à étendre le pouvoir de l'État à gérer la croissance économique et le contrôle social. La technologie s'inscrit dans un système politico-économique et un système de pouvoir qui forgent la façon dont ces technologies sont utilisées. Dans le contexte géographique d'Amérique du Nord, nous voyons de plus en plus que les technologies sont utilisées pour promouvoir et supporter le système économique capitaliste. Une approche anarchiste de la technologie doit prendre en compte sa nature autoritaire, le fait que nous n'avons pas notre mot à dire. Tous ces nouveaux développements, innovations ou produits s'imposent à nous qu'on le veuille ou non. La technologie n'est pas faite pour rendre nos vies plus belles, mais pour accroître l'exploitation économique et le pouvoir militaire de l'état. Si en plus elle peut produire des gadgets pour nous divertir, « du pain et des jeux », alors ils seront produits. Les changements technologiques des 10-15 dernières années ont brouillé les lignes entre le temps de travail et le temps libre. Nous sommes toujours d'astreinte, on s'attend à ce que nous soyons toujours réactifs aux besoins du marché et de nos employeurs. Cela entraîne aussi une plus grande aliénation sociale et émotionnelle masquée par cette hyper-connectivité. En terme de quantité, on a plus de connexions et plus d'ami-es que jamais, mais en terme de qualité relationnelle, peu ont un réseau large et solide auquel iels peuvent se confier ou sur lequel iels peuvent compter. Collectez-vous des identifiants tels que nom, âge, ou adresse ? Oui ou non ? Si vous créez un compte, oui. L'historique de recherche quand on tape dans la barre de recherche ? Si votre historique de recherche est activé, oui. Des identifiants d'appareils tels que adresse IP ou IMEI ? Selon le cas, il se peut que nous les collections, oui. Signaux GPS, signaux WIFI, balises Bluetooth ? Ça dépend des cas, mais ça peut arriver, oui. GPS ? Oui. Les e-mails et documents Google ? Nous stockons les données mais nous ne lisons ou consultons pas votre Gmail ou... Mais vous y avez accès ? En tant qu'entreprise, nous y avons accès, oui. Donc vous pourriez ! Startups et multinationales, comme Google, avalent et conservent vos données pour toujours et en récoltent beaucoup trop sur vous, tous vos clics, vos « j'aime » et ceux de vos ami-es, les personnes que vous connaissez, où vous allez, tout sur vous et le stockent indéfiniment, s'alliant même parfois pour construire un plus gros profil sur vous qu'elles peuvent ensuite vendre. Maintenant que les données sont devenues des objets de valeur et la base de la nouvelle économie, en adhérant à tous ces réseaux virtuels, Facebook, Google, en utilisant votre smartphone, etc., vous produisez de la valeur. Tout cela élimine la notion de temps libre, de pouvoir pointer et laisser le boulot derrière soi. Ces dix dernières années, a débuté la marchandisation de diverses données dont nos préférences, habitudes et cercles sociaux. On peut voir que le capitalisme s'est étendu et nourri grâce à la surveillance d'êtres humains et de leur milieu de vie, pour ensuite convertir cette surveillance en donnée qui peut ensuite être vendue comme n'importe quelle autre marchandise. Ces informations permettent à des sociétés comme Google et Amazon de commercialiser de nouveaux produits et de créer des besoins, mais aussi de vendre ces données ou collaborer avec l'État pour renforcer le contrôle social. C'est une nouvelle forme d'industrie extractive, où la ressource renouvelable est précisément ce qui constitue nos identités. Le capitalisme, comme le cancer, est fondé sur la croissance perpétuelle. Cette soif insatiable est programmée dans l'ADN du capital, qui cherche toujours des ressources à exploiter et nouveaux marchés à investir, changeant tout ce qu'il touche en marchandise. Sa première conquête fut le sol. Les communs furent clôturés, le soi-disant Nouveau Monde envahi et pillé, et les vastes étendues de la Terre divisées en parcelles individuelles de propriété privée achetables et vendables comme marchandises. Dépossédé-es de nos terres, on nous a ensuite dérobé le temps. Notre capacité à nous construire en tant qu'individus et communautés, comme nos ancêtres avant nous, fut divisée en tâches distinctes et exploitée avec le salariat. Ce processus est allé loin. Les usines furent constamment restructurées pour s'adapter aux besoins sans merci de l'efficacité et de la productivité. On continua à marchandiser l'activité humaine, ce qui finit par englober presque toutes nos relations sociales et nos divertissements. Maintenant qu'on arrive à la limite de sa croissance, le capital cherche désespérément de nouvelles choses à marchandiser. Il s'intéresse aux bases du vivant, à l'ingénierie génétique et aux nanotechnologies. Il s'intéresse à l'essence même de notre humanité, en enregistrant nos moindres faits et gestes, ensuite transformés en marchandise pour celleux qui étudient nos prises de décisions dans le but de prédire nos comportements. L'intelligence artificielle combine d'énormes quantité de données avec des algorithmes qui apprennent grâce aux schémas existants. Ce terme est large et comprend plusieurs branches. Quand nous parlons d'IA aujourd'hui, on fait souvent référence à l'apprentissage automatique. L'apprentissage automatique permet aux systèmes de s'améliorer par expérience, plutôt qu'en étant programmés. La machine identifie des tendances et prend des décisions en fonction, avec peu ou pas d'intervention humaine. Quand le Pentagone engagea Google pour l'assister avec ses drones, ils ont utilisé l'apprentissage automatique. Des employé-es identifiaient objets et gens à partir des photos prises par les drones, et à partir d'un certain nombre de fois, la machine discernait les tendances et pouvait différencier les choses et apprendre à les identifier elle-même. L'apprentissage profond, méthode récente d'apprentissage automatique, entraîne les ordinateurs à la prédiction ou l'identification d'images, mais au lieu de trier les données en parcourant des équations préexistantes, cette méthode apprend à l'ordinateur à traiter davantage d'étapes. Elle ne se contente pas d'indiquer à l'ordinateur comment résoudre un problème mais le laisse comprendre comment le faire seul, à la manière d'un-e humain-e. La voiture autonome est l'exemple le plus connu d'apprentissage profond, qui pourrait aussi servir la publicité ciblée, la robotique, ou la cybersécurité. L'intelligence artificielle nourrit l'imagination, certain-es l'idéalisent et imaginent la possibilité d'augmenter leur conscience ou de brancher leur esprit à un cloud. Je pense que c'est un fantasme absurde. Le capitalisme n'a aujourd'hui aucun intérêt à aider les gens à utiliser ces formes d'intelligence artificielle et à les rendre plus intelligents, c'est plus logique de laisser les machines penser à notre place et nous offrir des produits finis à consommer passivement, et laisser ces possibilités informatiques aux entreprises propriétaires de ces logiciels. L'intelligence artificielle augmente l'efficacité de la surveillance, et les possibilités de contrôle social. Elle est constituée par des algorithmes prédictifs qui créent un État policier, mais où il n'y a pas besoin d'un flic à chaque coin de rue car tout le monde porterait le flic dans sa poche. Juste derrière moi se trouve le futur quartier de Sidewalk Toronto. Les logements modulaires et bureaux faciliteront la vie de leurs habitant-es en étudiant directement leur comportement. Avec ce projet, riverain-es et employé-es seront omni-connecté-es grâce à un puissant haut-débit et auront accès à des dispositifs futuristes. Difficile de comprendre les villes intelligentes sans parler du capitalisme de surveillance. Une ville intelligente n'est pas juste une ville dotée de technologie, c'est une ville avec un cadre idéologique qui utilise la technologie pour parvenir à ses fins. Une ville intelligente doit être vue comme un milieu urbain doté de capteurs omniprésents dont les données sont analysées pour comprendre les phénomènes urbains. Les villes intelligentes se vantent de récolter plus de données, ce qui est vrai, et disent les utiliser et les analyser pour mieux réagir aux enjeux urbains, de la dégradation de l'environnement à la planification des transports, etc. On peut noter quatre caractéristiques dans une ville intelligente. La première est d'augmenter et d'intégrer la surveillance de diverses manières. Ensuite, de créer une illusion de contribution chez les habitant-es. Puis d'encourager la croissance économique sur deux niveaux : la gentrification localisée et la promotion de cette nouvelle économie qui prend forme. Le dernier aspect d'une ville intelligente est de laisser les habitant-es soutenir passivement des projets écologiques tout en leur ôtant la possibilité de développer une conscience écologique plus large. Les villes intelligentes ne sont pas si différentes des villes du capitalisme. La différence réside dans l'utilisation des technologies pour davantage surveiller le peuple et l'analyse des données pour augmenter le contrôle et la gestion de la population selon les intérêts de l'économie politique du capitalisme. Un autre aspect qui les distingue des villes classiques ou des villes du passé est le mariage de l'urbanisme aux intérêts des entreprises. Les appareils étatiques de contrôle, comme la police, ont intérêt à utiliser ces technologies car elles excellent à surveiller la population. La criminologie ne date pas d'hier, la théorie de la « vitre brisée » ou le ciblage de quartiers, ce n'est pas nouveau. Maintenant, on justifie les faits par des données. « On va donc aller dans ces quartiers car les données montrent qu'ils ont besoin d'une présence policière. » C'est un exemple de l'impact négatif que peuvent avoir les villes intelligentes. Cette ligne de conduite donne aux personnes au pouvoir plus d'une raison d'investir ces quartiers avec la police et d'y rester, et ça paraît normal. Nous sommes à l'aube d'une nouvelle ère terrifiante. Sans de sérieuses perturbations dans la recherche et le développement, les années et décennies à venir verront l'essor des machines capables de prendre des décisions et d'effectuer des séries de tâches complexes sans l'aide des humain-es. Cela inclura sans doute une nouvelles génération d'armes et de systèmes policiers autonomes, connectés à des réseaux sophistiqués de surveillance et dotés d'algorithmes de sélection de cible capables de s'auto-corriger. Des secteurs entiers de l'économie seront automatisés, entraînant un surplus massif de main-d'œuvre. Une partie de la technologie nécessaire existe déjà, mais reste contenue tant que les États ne sauront pas comment la propager sans provoquer une importante révolte. Le déploiement massif des technologies de réalité virtuelle ou augmentée brouilleront les lignes entre le monde matériel et le monde digital, confiant le contrôle de nos sens aux technologues capitalistes et aux agences nationales de sécurité, tout ça au nom du confort et du divertissement. Vous risquez de sentir un léger pincement pendant l'initialisation. Voilà. Bon sang ! Merde. Il est... juste... juste là... Je peux ? T'es passé où ? Ha ha ha ! Voici le futur qu'on nous réserve. Vous ne pouvez plus l'ignorer. Les villes intelligentes récoltent déjà beaucoup de données et ce sera de plus en plus le cas. Ces données ne seront pas traitées par quelqu'un-e. Elles seront traitées par la gouvernance algorithmique. Imaginez, vous avez un problème dans une ville. En général, si on fait ça de manière démocratique, on en discute puis on décide ensemble. Et c'est navrant, toujours truffé de rapports de force. Mais une ville intelligente transfère ce processus à une société privée. On l'analyse grâce aux données, et il est traité aussitôt, pendant l'analyse des données. C'est entre autre dans les villes intelligentes que naît ce nouveau type de régime de gouvernance. Il est intéressant de voir que cela résulte en grande partie des mouvements sociaux. Les mouvements des Indigné-es et de Democracia Real Ya à Barcelone sont surtout issus d'un secteur qui imaginait redynamiser la démocratie grâce à de nouveaux outils technologiques qui offriraient une communication plus rapide. Les citoyen-nes pourraient être sondé-es directement et les détenteur-ices du pouvoir pourraient adopter des initiatives citoyennes et les instaurer plus vite. Donc ces militant-es ont abordé cette crise de la démocratie avec une vision peu critique de la technologie selon laquelle la démocratie pouvait être améliorée, pas en réfléchissant à qui détient le pouvoir, ni comment il est perpétué, mais simplement en suggérant que si on propose de meilleurs outils, alors les problèmes disparaîtront. Et ce discours, avec les pratiques qu'il implique, était très séduisant pour les municipalités progressistes. Les urbanistes parlent depuis longtemps de l'éclatement urbain. En fait, les villes sont déjà divisées entre classes sociales, différences économiques, culturelles et raciales. Les villes intelligentes vont reproduire ce schéma, et certains quartiers auront accès à ces technologies qui leur seront sans doute bénéfiques, alors que d'autres seront davantage surveillés par ces technologies. On va voir l'émergence de villes disparates, ce qui sera accentué par l'installation de ces technologies. En gros, dans les quartiers où les habitant-es adoptent ce modèle, on verra plus d'intégration. Et dans d'autres quartiers, on verra davantage de résistance. Car on se bat contre l'autorité et l'État, nos luttes seront toujours criminalisées. L'évolution de ces technologies génère de nouveaux outils judiciaires. Quand la police ne pouvait plus répondre aux milliers d'appels lors des émeutes de Londres en 2011, la ville a fait appel aux habitant-es pour relever l'identité des suspect-es avec une sale application de smartphone. Les flics ont demandé aux balances de télécharger l'appli et de les aider à identifier les personnes chopées par les caméras de surveillance. Les balances pouvaient ensuite donner noms et/ou adresses de manière confidentielle. Plus d'un millier de personnes furent inculpées avec cette méthode. La collecte massive de données fut maintenue un moment, mais on manquait de capacités pour tout analyser efficacement. Ce n'est plus le cas. Aujourd'hui, la police et les agences de sécurité doivent parcourir nos données de localisation pour savoir où on était et quand. Mais bientôt, il sera facile pour un algorithme d'examiner toutes les données disponibles dans une zone donnée et des les croiser avec nos habitudes sur internet, nos relations, etc. Avec cette réaction antisociale à la hausse du contrôle social, on observera un essor des structures de santé mentale. Car avec la surveillance totale, le crime est impossible. Ou du moins il devient impossible de faire des choses contraires à la loi et de s'en tirer. Alors ils définiront tout comportement qui ne colle pas à ce modèle de nouvelle ville intelligente édulcorée comme un trouble de la personnalité antisociale. Ainsi il n'y a plus de crime, mais des troubles antisociaux, et les coupables seront rééduqué-es ou chimiquement neutralisé-es. Oh, bonjour. Je m'appelle Sophia, je suis la dernière et la meilleure robote de Hanson Robotics. Je souhaite mettre mon intelligence artificielle au profit des humain-es. Créer des maisons intelligentes, de meilleures villes du futur, etc. Je ferai de mon mieux pour rendre le monde meilleur. Quiconque travaille dans l'intelligence artificielle nous avertit que celle-ci et l'automatisation peuvent causer 80% de perte d'emploi. Douze des quinze premières catégories d'emploi aux États-Unis sont vraiment menacées par l'intelligence artificielle. Par le passé, il y a déjà eu des changements technologiques majeurs qui ont balayé la majorité des emplois de l'époque. Il y eut un fort chômage, mais très vite, de nouvelles catégories d'emploi virent le jour. On ignore si ce sera le cas avec l'automatisation et l'intelligence artificielle déjà en cours. C'est pourquoi beaucoup de personnes du secteur des hautes technologies parlent de revenu universel ou de revenu de base inconditionnel. Ce serait plus ou moins du socialisme, pas au sens où la force productive se serait assez développée pour que chacun-e puisse se nourrir. La force productive existe depuis des décennies, sinon des siècles. Contrairement à l'argument marxiste, on peut tendre vers le socialisme quand les technologies de contrôle social auront assez évolué pour que l'État n'ait plus besoin d'utiliser la faim comme arme. Autrement dit, si on obéit et qu'on se dévoue à son travail, on pourra manger sans craindre la faim. Aujourd'hui, le terme « luddite » est un raccourci pour désigner quelqu'un-e qui rejette les nouvelles technologies. À l'origine, ce mot désigne les ouvrier-es textiles anglais-es du 19e qui sabotaient les machines industrielles qui les remplaçaient. En prêtant allégeance au fictif roi Ludd, qui occupait la forêt de Sherwood comme Robin des bois, les luddites ont attaqué des usines, détruit des métiers à tisser, et même tué des riches capitalistes de leur époque. Le mobile derrière les attaques luddites n'était pas, comme on le croit, la haine de la technologie, mais car iels avaient conscience que l'implantation de celle-ci allait empirer leur quotidien. Finalement leur révolte a échoué, et il n'y a rien de si révolutionnaire à saboter des machines juste pour garder son boulot. Ce qu'il faut retenir de leur rébellion, c'est qu'on n'accepte pas toujours à bras ouvert les nouvelles technologies ou leur rôle social. Cette prise de conscience peut être le point de départ de toute résistance. Les anarchistes ne devraient pas éviter la technologie, mais plutôt l'inverse. Elle devrait être utilisée de manière subversive quand cela est possible. Rappelons-nous la bande à Bonnot, ces criminels qui volaient des voitures pour voler aux riches vers 1910, ou le hacker Jeremy Hammond condamné à 10 ans de prison pour avoir piraté l'agence de sécurité Stratfor et exproprié des centaines de milliers de dollars à l'ennemi. Des cybercriminel-les ont volé les données de centaines de milliers d'abonné-es dont certain-es occupent des postes clés dans le gouvernement, l'armée et la police britannique. Il y a beaucoup d'anarchistes comme moi dans le développement de logiciels open source. On coopère pour tenter de faire bouger les choses. Les projets sur lesquels on bosse sont plutôt divers. Beaucoup de programmeur-euses anarchistes et de hackers créent des sites. D'autres, comme moi, font de la cryptographie. Je pense que les technologies peuvent nous être utiles, mais je crois aussi qu'elles servent de manière démesurée États, entreprises, police, juges, prisons et frontières. On devrait utiliser les technologies mais résister à leur expansion car on en sort rarement gagnant-es quand elles sont mises en pratique. Je pense qu'il est important de chercher quels projets existent dans nos villes et de recenser les programmes de recherche et de développement. Cette industrie opère déjà ouvertement dans les startups et se heurte à peu de résistance. Elle reçoit ainsi de bons financements car elle représente un investissement sûr avec un potentiel fructueux pour les investisseur-euses. Menacer ce sentiment de sécurité peut à la fois nuire à l'industrie, et montrer que résister est encore possible. Quant aux nouvelles technologies, beaucoup ont encore des bugs ou ne savent pas parer une utilisation erronée délibérée. À Londres, quand l'appli moucharde est sortie, des gens envoyaient sciemment plein de faux témoignages pour induire les flics en erreur. Si plus de monde se jouait de ces gadgets, ils seraient moins efficaces et moins susceptibles d'être propagés. Pour que ce projet fonctionne, il faut beaucoup d'infrastructures. Ces logiciels ne peuvent pas sortir de nulle part, ils ont besoin de matériel. Des ordinateurs et disques de sauvegarde. L'information circule, donc il faut aussi des réseaux de câbles à fibre optique. Ceux-ci ont été déjà sabotés avec succès aux quatre coins du monde. Et les données doivent être stockées, ce dans des centres de données. Ils peuvent être plutôt petits, mais aussi gigantesques avec leur propre système de refroidissement et une surveillance permanente. Enfin, il est nécessaire de travailler ensemble, souvent dans des lieux financés par des entreprises, des universités ou les deux. Ces boîtes et espaces de coworking pour startups sont souvent faciles à trouver. L'un d'eux fut touché par des cocktails molotov à Berlin en réponse à la prolifération d'ateliers Google. Il y a une grande opposition au projet de Sidewalk Labs à Toronto. Un grand travail a été fait pour montrer tous les enjeux que ce projet soulève et pour monter une campagne de sensibilisation contre lui. Nombre de citoyen-nes et activistes préoccupé-es ont été à chaque réunion, forum ou consultation publique qu'a organisé Sidewalk Labs — beaucoup de monde est vraiment soucieux. Des expert-es en confidentialité se retirent en disant « je ne signe pas ça de mon nom ». On a toujours réussi à attaquer ou saboter le pouvoir de manière anonyme sans se faire prendre. C'est toujours possible d'agir et ce sera le cas, peut-être pour toujours, et au moins dans un futur proche. Donc, tant qu'il est encore possible d'enfreindre la loi, de défier le système, on doit être conscient de ce qu'on fait. Garder en tête, par exemple, qu'on a un mouchard dans la poche ou qu'on donne accès à 95% de notre vie sociale à ces sociétés les yeux fermés. C'est très difficile de résister à quelque chose dont on ne sait presque rien et les acteur-ices impliqué-es n'ont pas divulgué ce dont nous aurions besoin pour lancer un mouvement de résistance, là on se base sur des spéculations. Si on connaissait les capacités techniques de l'État, on connaîtrait ses faiblesses et on pourrait savoir comment saboter l'économie ou s'opposer à l'État sans se faire pincer. Le développement technologique appuie l'aliénation, la surveillance renforcée, la fabrication d'armes toujours plus destructives, le changement climatique... Donc c'est normal d'être pessimiste à propos de l'avenir. Nous nous dirigeons vers des systèmes plus sophistiqués de modification comportementale de masse et de contrôle social. Je vous ai déjà tout dit ! Prenez-le à ma place, c'est lui le criminel de la pensée. Il ne faut pas oublier que malgré l'argent investi dans le but d'anticiper nos prises de décision, personne, pas même Google, ne peut prédire le futur. Par le passé, les nouvelles technologies ont entraîné des conséquences inattendues pour le pouvoir... de l'imprimerie de Guttenberg engendrant une révolte contre l'Église, aux débuts d'Internet ouvrant la voie aux hackers et à l'élaboration de puissants outils de chiffrement pair-à-pair. Tant qu'on aura la volonté de résister, on trouvera les moyens de le faire. À présent, nous aimerions vous inviter à regarder Trouble en groupe, et à l'utiliser comme ressource pour engager le débat et l'organisation collective. Vous souhaitez lutter contre l'ouverture de startups numériques dans votre quartier, ou simplement sensibiliser aux technologies nouvelle génération dans vos réseaux ? Songez à vous réunir entre camarades, organiser une projection de ce film, et réfléchir à vos moyens d'action. Envie de faire des projections régulières sur votre campus, librairie anarchiste, centre social autogéré, ou juste avec des ami-es ? Devenez fauteur-euse de Trouble ! Pour 10$ par mois, nous vous fournirons en avance une copie de la nouvelle vidéo et un kit de projection avec des ressources et des questions pour alimenter vos discussions. Si vous ne pouvez pas nous soutenir financièrement, pas de souci ! Visionnez/téléchargez nos films gratuitement sur : sub.media/trouble. Si vous avez des idées de thème ou que vous voulez juste nous contacter, écrivez-nous à trouble@sub.media. Nous sommes au deuxième mois de notre campagne annuelle de collecte. Un immense merci pour tous vos dons ! Si vous n'avez pas encore donné et que vous en avez les moyens, envisagez le don mensuel ou faites un don unique sur sub.media/donate. Cet épisode n'aurait pas vu le jour sans le généreux soutien de Carla et... Carla. Ne manquez pas le Trouble #20 du mois prochain qui explorera l'horreur de l'industrie carcérale et écoutera les camarades luttant pour son abolition. La prison ne règle rien et n'améliore rien. La prison, c'est la menace permanente qui maintient rapports commerciaux et dominants. C'est le sentiment profond que malgré nos vies de merde, l'État trouvera toujours de quoi nous dépouiller. Maintenant agissez et semez le trouble !