J'ai grandi dans les champs
de maïs de l'Ohio,
et mon rêve était de découvrir
la vraie Amérique, de haut en bas,
et de tout savoir
sur la « grande rivière ».
J'ai toujours voulu découvrir
les dimensions gigantesques
des plus puissants cours d'eau
de l'Amérique, de mes propres yeux.
Donc en 2015,
mon ami d'enfance Alex Ross, voyageur
et artiste talentueux, et moi,
avons eu l'idée folle de pagayer
4 000 km le long du Mississippi,
et documenter tout ce que
nous voyons en route
par des données scientifiques
et les œuvres d'art d'Alex,
dont vous allez en voir
une partie aujourd'hui.
Notre ami Shea Selsor nous a accompagnés,
un futur guide de descente en eaux vives.
Nous voulions entrer en contact
avec le monde naturel
et interagir avec nos terrains
et voies navigables publiques.
Donc, nous avons entassé notre équipe
et une profusion de provisions
sur un grand canoë,
un canot de fret Grumman de 1972,
6 mètres d’aluminium reluisant
de la proue à la poupe
que nous avions baptisé « Calypso ».
Nous n'avons pas pris
de radio d'urgence, ni de GPS.
Je voulais naviguer sur le fleuve
au compas uniquement,
avec les cartes de navigation
du Génie militaire.
Nous voulions nous souvenir
ce que c'était de boire de l'eau fraîche,
dormir sous les vieux arbres,
et sentir la boue entre nos orteils.
J'ose dire que nous étions
suffisamment jeunes pour tenter ça,
et juste assez vieux pour y arriver.
En tant que géomorphologue,
je sais que les rivières
façonnent la surface de la Terre,
en formant et en érodant le relief
à travers le temps et l'espace,
en faisant circuler les sédiments.
Le fleuve Mississippi
se situe en plein cœur
du système circulatoire de l'Amérique.
Toute l'eau dans cette zone sombre,
cet énorme bassin hydrographique,
finit dans ce fleuve.
Les rivières et leurs systèmes de drainage
prennent du temps à se développer,
mais l'influence humaine
peut conduire à des changements rapides.
Nous voulions comprendre la co-évolution
de ces systèmes naturels et humains.
Donc nous avons amené
des instruments pour mesurer
la composition chimique et la qualité de
l'eau, et les indicateurs de biodiversité.
Et nous avons gardé l'esprit ouvert
pour communiquer avec l'Amérique
et nous familiariser avec ses différents
territoires, ses eaux et ses gens.
Le départ était à 160 km au Sud de la
frontière canadienne, dans le Minnesota,
là où le fleuve n'est qu'un filet d'eau
débordant du Lac Itasca
que nous pouvions traverser
en sautant d'une rive à l'autre.
Dans toute la région
du Haut Mississippi,
il y a un grand investissement
pour les activités de plein-air.
Le paysage est magnifique.
Tout le monde s'adonne
aux sports nautiques,
à la chasse, la pêche
et au tourisme écologique,
qui sont les piliers de l'économie locale.
Là, le fleuve est un refuge
pour les animaux sauvages,
et tous ceux que nous avons
rencontrés nous ont dit,
« Les 19 km qui suivent
sont pure magnificence »,
ou « Bienvenue dans la plus
belle portion du fleuve ».
Nous avons fait plusieurs rencontres
inattendues avec la faune locale.
(Rires)
Il y avait des ours et des loups
rôdant près de notre camp.
Des castors nous ont chassés
de notre camp,
et nous vu des balbuzards repousser
des aigles chauves sous nos yeux.
Cette région fourmillait de vie,
et nous avons vu des créatures
et des bestioles de toutes tailles.
Et partout dans le Haut Mississippi,
la population comprend
que la santé de ces écosystèmes
reflète celle du fleuve dans son ensemble.
C'est pourquoi les états
du Haut-Mississippi -
Minnesota, Wisconsin et Iowa -
préparent un rapport annuel
sur la condition du fleuve
qui présente un résumé sur sa santé.
Ce rapport est non seulement
scientifiquement fiable,
mais il est aussi largement distribué
et accessible à tous.
Et c'est crucial car
il permet de maintenir
la responsabilité des gestionnaires
des ressources naturelles et du public,
à l'égard de la santé du fleuve.
En nous déplaçant du cours supérieur
au cours inférieur du Mississippi,
les choses ont commencé à changer.
Nous étions déjà époustouflés
par l'échelle du fleuve.
Il fait plus de 4 km de large
à certains endroits du Wisconsin.
La taille même des 29 écluses et barrages
que nous avons traversés
entre Minneapolis et St. Louis,
était vraiment incroyable.
En rencontrant le tout puissant Missouri,
qui amène l'eau de loin,
du Montana et de St. Louis,
nous pensions que le fleuve ne pouvait
pas être plus grand, ni plus sauvage.
Mais au confluent de la rivière Ohio,
le plus grand affluent du Mississippi,
il avait presque doublé de taille.
Nous nous déplacions à une telle vitesse
que le canoë semblait incontrôlable,
et il l'était peut-être,
parce que les cours supérieur et inférieur
du Mississippi diffèrent fondamentalement.
Le cours inférieur
n'a pas d'écluses, ni de barrages,
ce qui veut dire que le fleuve s'écoule
librement vers le Golfe du Mexique,
si ce n'est les digues et les revêtements
construits par le Génie militaire.
Ça veut dire qu'il peut inonder
de larges étendues
en se tortillant lentement
en direction du Golfe du Mexique.
Il était à 9 m au-dessus
de son niveau d'inondation, en 2015.
Donc nous devions esquiver
des chalands chavirés, des arbres massifs,
et des frigos, qui nous dépassaient
rapidement dans les virages.
La paysage était plus humain.
Nous avons traversé plus de villes
et de cités sur notre route.
Le trafic maritime a repris,
donc nous évitions le chemin
des remorquages et des barges énormes
comme celle-ci, chargée de soja.
Nous commencions même
à souhaiter avoir un moteur.
Là où l'Ohio et le Mississippi
se rejoignent,
il y a une ville appelée
« Cairo », Illinois.
Et c'est là aussi que les cultures
entrent en collision.
Les inondations rendaient
la navigation difficile,
mais nous avions désespérément
besoin de provisions.
Ces inondations nous ont emmenés
directement en ville,
et nous avons vite réalisé que nous
avions dépassé notre but de 24 km.
Nous sommes allés au seul
magasin-station essence de la ville,
qui ne vendait plus d'essence,
où nous avons appris
qu'il n'y avait plus de transports,
plus de communication.
Il n'y avait plus grand chose d'ailleurs,
à part une ballade de 48 km
aller-retour pour nous.
Ce soir-là, nous sommes partis
sous la pluie, aux environs de la ville.
Nous avons dormi dans un abri
de joueurs de base-ball
dans une école abandonnée à vendre.
Cette nuit-là,
une jeune mère et son enfant
ont bravé la pluie
pour nous offrir des sandwichs,
pensant que nous étions des sans-abris.
Et le matin, nous avons
entamé notre périple
dans un milieu rural à majorité blanche.
Il était clair que nous étions en train
de traverser une communauté divisée
et encore ségrégationniste.
Et nous avons ressenti
un sentiment rampant d'anarchie
qui est resté avec nous, plus nous
nous aventurions vers le Sud.
Cairo était autrefois
une ville trépidante,
pleine de gens et d'endroits intéressants.
Maintenant, Cairo n'est pas
une ville fantôme, mais c'est tout comme.
C'est une ville tuée par le racisme,
et par la migration des blancs
après le Mouvement des Droits Civils.
Nous avons rencontré plus de villes
comme celle-ci en avançant vers le Sud -
où nous avons vu le pouvoir
qu'a le fleuve de bâtir des sociétés,
mais aussi le pouvoir
qu'ont les gens de les détruire -
des villes ressemblant à des coquilles
vidées de leur vie animée d’antan,
mourant lentement des blessures
qu'elles se sont elles-mêmes infligées,
les pertes d'emplois, d'investissements,
de richesses et d'opportunités.
Et en conséquence,
moins de fonds ont été alloués
à la gestion et à l'entretien du fleuve.
Curieusement, ceci a entraîné
un réensauvagement
de nombreuses portions
du Sud du fleuve,
ce paysage extraordinairement
vert et marron
qui s'incurve et se tord lentement
en descendant vers le Golfe du Mexique,
où il fait chaud et lourd,
et où nous nous endormions
et nous réveillions souvent en nage.
Nous avons affronté des orages
dans notre canoë en métal,
notre paratonnerre de 6 m de long.
(Rires)
Des carpes asiatiques
ont sauté dedans avec nous,
et un sanglier sauvage a traversé
notre camp au galop.
C'est un paysage surnaturel,
vraiment unique
au tissu culturel américain.
Nous avons vu son importance reflétée
dans les arts et les cultures
des régions que nous
avons traversées dans le Sud.
Le fleuve y est honoré, non seulement
en tant que chemin vers la liberté,
mais en tant que moyen de subsistance
pour beaucoup de familles,
et source d'inspiration
pour beaucoup d'artistes.
La ville de Mark Twain,
Hannibal, nous a accueillis.
Nous avons écouté Johnny Cash
et les Delta Blues,
et partout nous n'entendions
que respect pour le fleuve,
surnommé le « Père des Eaux »,
la « rivière du Vieil Homme »,
la « Grande Boueuse ».
Cependant, sa notoriété
n'est pas reflétée dans son traitement.
Dans le Sud, l'eau est une commodité.
Le fleuve est un moyen
pour atteindre une fin.
Parfois, des nuages noirs
de fumée éclipsaient le ciel
dans cette région où les titans
industriels règnent en maîtres.
Nous avons souvent pagayé
devant des sites industriels
qui jetaient leurs déchets
directement dans le fleuve
en toute impunité ou presque.
Il y a une différence critique
dans le paysage culturel
entre le Nord et le Sud.
Alors que, dans le Nord, l'impact
du fleuve sur les gens est énorme,
dans le Sud, l'impact humain
et industriel sur le fleuve
dépasse de loin l'impact
du fleuve sur les gens,
et la plupart interagissent
surtout avec le fleuve
à travers leur travail,
la chasse ou la pêche.
Et tout comme dans le Nord
où la faune sert à estimer
la condition générale du fleuve,
on voit la même chose dans le Sud.
Cela a incité les groupes
de chasseurs et de pêcheurs
à être peut-être les plus actifs
dans la gestion de l'environnement,
dans toutes les régions du Sud.
Je ne dis pas que les gens
ne sont pas fiers du fleuve,
mais de toute évidence,
ils ne s'y baignent pas.
Mais, ça ne veut pas dire
qu'ils ne boivent pas son eau.
Là où, dans le cours supérieur du fleuve,
nous avons croisé des gens
qui nous répétaient maintes fois,
« C'est la plus belle portion du fleuve »,
dans le Sud, et surtout
les 500 derniers kilomètres
entre Bâton Rouge et le Golfe du Mexique,
on nous disait, « Bienvenue
dans l'Allée du Cancer »,
où vous trouverez le taux de cancer
le plus élevé des Etats-Unis,
mais aussi l'eau potable la plus polluée.
Et ce sont ces eaux qui nous
ont portés jusqu'au Golfe du Mexique
après trois mois de pagayage,
ces eaux qui transportent plus
de 5 millions de kilos de polluants
déversés chaque année dans le Mississippi,
des herbicides, des pesticides,
des cendres de charbon, du mercure,
provenant des eaux lointaines du Montana,
de New York, de Columbus en Ohio.
C'est dans ces eaux que nous avons ramé
en entrant dans le Golfe du Mexique.
Ces problèmes peuvent sembler loin,
mais ils sont plus près qu'il n'y paraît.
Vous seriez surpris d'apprendre
que le Mississippi n'est pas
le fleuve le plus pollué,
mais c'est la rivière Ohio,
pour la douzième année consécutive.
Presque le double des polluants
y est déversé chaque année,
13 millions de kilos,
principalement des herbicides,
des cendres de charbon et du mercure.
Il est donc crucial de reconnaître
que ce qu'il y a dans nos rues
et dans nos champs
se trouve aussi dans nos rivières,
et dans l'eau potable consommée
par les habitants du bassin inférieur.
Ces paysages culturels sont
constamment en train d'évoluer,
et nous avons le pouvoir
de les modeler en progressant.
C'est parce que nous sommes liés
à ces systèmes naturels
et liés les uns aux autres
grâce à ces systèmes.
Donc, ce que vous jetez dans les toilettes
et ce que vous vaporisez
finit dans l'Allée du Cancer.
Nous devons réaliser que nous
sommes tous parties prenantes
et affectons l'avenir
de ces systèmes naturels.
Je pense qu'il est impératif
que nous devenions tous
gardiens des terres
et cours d'eau publiques.
Et nous pouvons le devenir
de trois façons principales.
Premièrement, s'il vous plaît,
respectez les systèmes naturels.
Aidez à préserver l'intégrité
et la beauté de ces systèmes naturels
en trouvant des moyens
de minimiser votre impact individuel.
Deuxièmement, passez le relais.
Laissez la Nature intacte, et respectez
l'expérience des autres visiteurs.
Troisièmement, ce que
vous apportez, vous le ramenez.
Ramenez avec vous ce que
vous apportez et limitez les ordures,
ou mieux, ne venez pas avec, surtout s'il
s'agit de microdéchets et microplastiques.
J'en rajoute une quatrième,
sortez dans ces endroits.
Car pour construire
un futur meilleur et plus flexible,
nous devons impérativement
stimuler notre curiosité,
partager nos découvertes,
échanger nos histoires,
et laisser la Nature nous captiver.
Faites un pas vers l'inconnu.
Suivez votre curiosité
de son enclenchement à sa source.
Ce peut être simplement se demander
où va ce ruisseau dans le jardin
de derrière, chez vos parents,
qu'est-il arrivé à cette montagne de neige
dans le parking de l'Université d'Ohio,
ou partir à l'aventure comme nous,
le long du Mississippi.
Je voudrais vous demander à tous
de penser au voyage de l'eau.
Pensez à ce qui arrive à la pluie
une fois tombée, à une goutte.
Nous avons suivi l'eau
de sa source au Lac Itasca,
pendant 4 000 km
jusqu'au Golfe du Mexique,
une eau qui tombe en pluie,
déferle le long des rochers,
irrigue nos cultures,
hydrate les créatures et les plantes,
remplit nos verres,
et façonne la terre et les gens
à travers l'Amérique
de sa source à l'océan.
Je vous encourage tous à réfléchir,
d'où vient notre eau,
et où va-t-elle ensuite.
Merci.
(Applaudissements)