Notre monde se transforme
de multiples façons
et un des éléments qui auront
un impact important sur notre avenir
est l'intelligence artificielle, IA,
à l'origine d'une nouvelle
révolution industrielle.
Les révolutions industrielles précédentes
ont rehaussé la force mécanique de l'homme
mais cette révolution-ci,
la deuxième ère de la machine,
va rehausser nos capacités cognitives,
notre force mentale.
Les ordinateurs ne vont plus se limiter
à remplacer le travail manuel,
ils vont aussi s'emparer
du travail intellectuel.
Où en sommes-nous aujourd'hui ?
Vous avez probablement entendu
parler en mars dernier [2016]
du système d'apprentissage
automatique appelé AlphaGo
qui a utilisé l'apprentissage profond
pour vaincre le champion du monde de go.
Le go est un ancien jeu chinois
bien plus complexe à maîtriser
pour un ordinateur
que les échecs.
Comment cela fut-il possible maintenant,
après des décennies de recherche en IA ?
On a entraîné AlphaGo à jouer au go.
D'abord, en observant encore et encore
des dizaines de millions de mouvements
de joueurs humains très doués.
Ensuite, en le faisant jouer
des millions de parties contre lui-même.
L'apprentissage automatique est
une méthode d'apprentissage par l'exemple.
Les ordinateurs apprennent des données.
L'apprentissage automatique
est devenu un élément clé
pour emmagasiner de la connaissance
dans les ordinateurs.
C'est fondamental
car la connaissance
conduit à l'intelligence.
Intégrer la connaissance
dans les ordinateurs
s'est avéré être le défi
dans les approches précédentes de l'IA.
Pourquoi ?
Il y a de nombreuses choses
que nous savons intuitivement.
Nous sommes donc incapables
de les communiquer verbalement.
Nous n'avons pas un accès conscient
à ce savoir intuitif.
Comment programmer un ordinateur
sans connaissance ?
Comment résoudre ça ?
La solution est de faire apprendre
aux machines ce savoir par elles-mêmes,
comme nous le faisons.
C'est important car la connaissance
conduit à l'intelligence.
Ma mission est de contribuer
à la découverte et à la compréhension
des principes qui soutiennent
l'intelligence par l'apprentissage.
Qu'il s'agisse de l'apprentissage
par l'animal, l'homme ou la machine.
Avec d'autres, je suis convaincu
qu'il y a quelques principes fondamentaux
comme les lois de la physique.
Des principes simples capables
d'expliquer notre propre intelligence
et de nous aider à concevoir
des machines intelligentes.
Prenez par exemple
les lois de l'aérodynamique :
suffisamment générales pour expliquer
le vol des oiseaux et des avions.
Ne serait-ce pas incroyable de découvrir
des principes simples mais puissants
qui expliqueraient l'intelligence,
rien de moins ?
Nous avons fait des progrès.
Mes collaborateurs et moi avons contribué
à révolutionner l'IA ces dernières années
avec nos recherches sur les réseaux
neuronaux et l'apprentissage profond,
une approche de l'apprentissage
automatique inspirée du cerveau.
Tout a commencé avec
la reconnaissance vocale
dans vos téléphones
avec les réseaux neuronaux depuis 2012.
Peu après, on a fait des avancées
dans la vision par ordinateur.
Les ordinateurs sont devenus assez bons
pour reconnaître le contenu d'images.
Ils sont même proches des performances
de l'homme depuis cinq ans environ.
Un ordinateur a atteint le niveau
de compréhension intuitif
de l’apparence visuelle d’un plateau de go
comparable à celui
des meilleurs joueurs humains.
Plus récemment,
et suite à des découvertes
réalisées dans mon labo,
l’apprentissage profond est exploité
pour traduire d’une langue vers une autre
et cela va bientôt apparaître
dans Google Traduction.
Ceci élargit les capacités des machines
à comprendre et générer
un langage naturel.
Mais ne vous laissez pas aveugler !
Nous sommes encore très loin d’une machine
aussi capable qu’un être humain
d’apprendre à maîtriser
les nombreux aspects de notre monde.
Prenons un exemple.
Même un enfant de deux ans
est capable d’apprendre des choses
d’une manière que les ordinateurs
ne peuvent pas encore reproduire.
Un enfant de deux ans a une compréhension
intuitive de la physique.
Il sait qu’en lâchant une balle,
celle-ci va tomber.
Quand il renverse du liquide,
il s’attend au résultat final.
Ses parents n’ont pas besoin
de lui expliquer
la loi de Newton
ou les équations différentielles.
L’enfant apprend seul ces choses,
sans supervision.
L’apprentissage sans supervision
reste un des défis cruciaux de l’IA.
Ça pourrait requérir plusieurs décennies
de recherche fondamentale
pour dénouer ce nœud.
L’apprentissage sans supervision cherche
à traduire des données en représentation.
Je vais illustrer cela pour vous.
Imaginez regarder, avec vos yeux,
une page sur votre écran.
L’ordinateur voit ça comme
une image, un amas de pixels.
Pour répondre à une question
sur le contenu de cette image,
vous avez besoin de comprendre
sa signification de haut-niveau.
La signification de haut niveau
correspond au plus haut niveau cognitif
de représentation dans le cerveau.
À un niveau bas, on a la signification
individuelle des mots
et plus bas encore, on a les signes
qui composent les mots.
Ces signes peuvent être représentés
de diverses manières,
avec des traits différents
qui les composent.
Ces traits sont composés par des arêtes
et ces arêtes sont composées de pixels.
Il s’agit donc de différents
niveaux de représentation.
Toutefois, les pixels seuls
ne sont pas suffisants
pour faire sens de l’image,
pour répondre à la question
de haut niveau sur le contenu de la page.
Votre cerveau possède ces différents
niveaux de représentation
depuis les neurones
dans la zone visuelle du cortex, V1,
qui reconnaît les arêtes.
Ensuite, les neurones dans la deuxième
région visuelle du cortex, V2,
reconnaissent les traits
et les petites formes.
Plus haut, des neurones détectent
les parts constitutives des objets
et ensuite les objets et un paysage
dans son intégralité.
Quand on entraîne les réseaux
neuronaux à reconnaître des images,
ils sont capables de découvrir
ces niveaux de représentation
d’une manière correspondant
à ce que nous observons dans le cerveau.
Les réseaux neuronaux biologiques,
qui existent dans notre cerveau,
et les réseaux neuronaux profonds,
que nous entraînons sur nos machines,
peuvent apprendre à transformer
un niveau de représentation en le suivant,
les niveaux les plus élevés correspondant
à des notions progressivement abstraites.
Prenons un exemple :
la notion abstraite de la lettre A
peut être rendue de diverses manières
aux niveaux les plus bas,
autant de manières que
de configurations différentes de pixels
selon leur position,
leur rotation ou leur police.
Comment apprenons-nous
ces hauts niveaux de représentation ?
Un des modes qui rencontrent
du succès jusqu'à présent
dans les applications
d'apprentissage profond
est un mode appelé
apprentissage supervisé.
Le principe de ce mode est que l'humain
prend l'ordinateur par la main
et lui donne les réponses
à un grand nombre de questions.
Par exemple, les hommes doivent dire
à la machine pour des millions d'images
que sur cette image-ci, on a un chat.
Sur cette image-là, on a un chien.
Et sur cette autre image, un ordinateur.
Sur cette image, c'est un clavier,
et ainsi de suite, des millions de fois.
C'est un processus douloureux
et on a recours au crowdsourcing.
Même si ce mode est très puissant
et nous permet de résoudre
de nombreux problèmes intéressants,
l'homme est bien plus fort
et peut apprendre davantage
d'aspects différents du monde
de façon autonome,
comme l'enfant qui a une compréhension
intuitive de la physique.
L'apprentissage non supervisé pourrait
aider à aborder la conduite autonome.
Je veux dire en fait
que l'apprentissage non supervisé permet
aux machines de se projeter dans l'avenir
pour générer des futurs plausibles
conditionnés par la situation actuelle.
Ceci permet aux ordinateurs
de raisonner, anticiper et planifier.
Même pour des circonstances
pour lesquelles
ils n'ont pas été entraînés.
C'est important
car avec l'apprentissage supervisé,
nous devrons expliciter aux ordinateurs
toutes les circonstances dans lesquelles
peut se trouver un véhicule
et comment un humain réagirait
pour chacune d'elles.
Comment ai-je appris
à ne pas conduire dangereusement ?
Ai-je dû mourir mille fois
dans un accident ?
(Rires)
C'est pourtant ainsi que nous entraînons
les machines actuellement.
Donc, elles ne vont pas voler
ou ne pas rouler.
(Rires)
Nous devons donc entraîner nos modèles
à devenir capables de générer des images
ou des futurs plausibles, à être créatifs.
On fait des progrès dans ce domaine.
Nous entraînons ces réseaux
neuronaux profonds
à transiter d'une signification
de haut niveau vers le pixel
plutôt que l'inverse,
de traverser les niveaux de représentation
dans l'autre direction.
Ainsi, l'ordinateur peut
générer des images
qui sont nouvelles et différentes
de ce qu'il a déjà vu auparavant
pendant son apprentissage,
mais qui sont plausibles
et ressemblent à des images naturelles.
On peut également utiliser ces images
pour rêver des images étranges,
parfois même effrayantes,
comme nos propres rêves et cauchemars.
Voici quelques images synthétisées
par un ordinateur
en utilisant ces modèles
d'apprentissage profond.
Cela ressemble à des images naturelles
mais un observateur attentif
décèlera qu'il s'agit d'autre chose
et qu'il manque à ces images
des détails importants
pour rendre ces illustrations
naturelles à nos yeux.
Il y a environ 10 ans,
l'apprentissage non supervisé
a joué un rôle crucial dans l'avancée
que nous avons réalisée
dans l'apprentissage profond.
Seuls quelques rares laboratoires
s'y intéressaient, dont le mien,
à une époque où les réseaux neuronaux
n'étaient pas répandus.
La communauté scientifique
les avait presque abandonnés.
Mais les choses ont beaucoup changé.
C'est devenu un domaine
très concurrentiel.
Des centaines d'étudiants
envoient leur candidature
pour continuer leurs études
avec les collaborateurs
de mon laboratoire.
Aujourd'hui, Montréal attire
la plus grande concentration académique
de chercheurs dans l'apprentissage
profond dans le monde.
Nous venons d'obtenir un financement
de recherche de 94 millions de dollars
pour repousser les frontières de l'IA
et de la science des données
et pour transférer
vers l'industrie les technologies
issues de l'apprentissage profond
et de la science des données.
Des entrepreneurs y trouvent
une source d'émulation
et créent des start-ups
ou des laboratoires industriels
souvent proches des universités.
Par exemple,
nous venons d'annoncer il y a quelques
semaines le lancement d'une start-up
appelée : « Element AI »
qui se concentre sur les applications
d'apprentissage profond.
Il n'y a pas assez de spécialistes
en apprentissage profond.
Les salaires sont extravagants,
conduisant de nombreux anciens collègues
à accepter des offres généreuses
d'entreprises pour travailler
dans leurs laboratoires.
J'ai toutefois décidé
de rester à l'université,
de travailler pour le bien public,
de travailler avec les étudiants,
de rester indépendant
et de montrer la voie à la nouvelle
génération de spécialistes
en apprentissage profond.
Au-delà de la valeur commerciale de l'IA,
nous réfléchissons
à ses implications sociales.
Nous sommes nombreux à nous intéresser
aux applications qui créent
de la valeur sociale, comme la santé.
Nous pensons pouvoir utiliser
l'apprentissage profond
pour améliorer les traitements
et vraiment personnaliser la médecine.
Je suis convaincu qu'à l'avenir,
la collecte de données sur des milliards
de personnes dans le monde
nous permettra d'offrir un conseil médical
à des milliards de personnes qui n'ont pas
encore accès aux soins de santé.
On peut imaginer beaucoup d'autres
applications avec une valeur sociale.
Par exemple, notre laboratoire
va prochainement sortir un produit
lié à la compréhension du langage naturel
qui offre une palette de services
comme des services légaux,
à ceux qui ne peuvent pas se le permettre.
Nous nous intéressons aussi
aux implications sociales de l'IA
dans ma communauté.
Mais cette question ne devrait pas
intéresser seulement les spécialistes.
En dépit des mathématiques et du jargon,
les citoyens peuvent
suffisamment appréhender
ce qu'il se passe sous le capot
pour participer
aux décisions fondamentales
qui seront prises prochainement
et dans les décennies à venir
au sujet de l'IA.
Je vous invite donc
à mettre de côté vos peurs et à ménager
un peu d'espace pour vous renseigner.
Avec mes collaborateurs, nous avons écrit
plusieurs articles d'introduction
et un livre intitulé :
« L'apprentissage profond »
pour inciter étudiants et ingénieurs
à s'engager dans ce domaine passionnant.
Il y a aussi de nombreuses ressources
en ligne : logiciels, tutoriels ou vidéos.
De nombreux étudiants étudient ce domaine
de recherche sur l'apprentissage profond
de manière autodidacte
afin de rejoindre des laboratoires
comme le mien.
L'impact de l'IA sur notre société
sera important.
Il est donc crucial de se demander :
qu'allons-nous en faire ?
Des bénéfices incalculables peuvent
en émaner comme des impacts négatifs :
des applications militaires
ou des changements disruptifs
sur le marché de l'emploi.
Pour nous assurer que les choix collectifs
qui seront pris au sujet de l'IA
dans les années à venir
soient bénéfiques à tous,
tous les citoyens doivent
devenir les protagonistes
pour définir comment l'IA
va modeler notre avenir.
Merci.
(Applaudissements)