Peut-être y a-t-il parmi vous des gens qui ont fait l’expérience, éventuellement douloureuse, de la rupture amoureuse. Après une rupture, il arrive qu’on se remette en question. Il arrive aussi qu’on ne change rien à sa vie, en continuant comme avant. Dans tous les cas, c’est un moment si brutal et radical qu’il nous permet d’apercevoir quelques-uns de nos paradoxes. Par paradoxe, je ne parle pas des toutes petites choses. Par exemple, vous rencontrez un copain qui vous invite à l’apéro. Vous lui demandez : « Qu’est-ce que j’apporte? » Il va vous répondre : « Rien, c’est à la bonne franquette, j’ai tout ce qu’il faut à la maison. » En dépit ce que vous venez de vous dire, les usages sociaux font que vous avez compris que vous alliez apporter quelque chose et votre ami s’attend à ce que vous apportiez quelque chose. Si une créature de la planète Premierdegré était témoin de tout ça, il se dirait que les protocoles sociaux des humains sont vraiment bizarres. Je vais parler de paradoxes qui ne sont pas beaucoup plus complexes, mais qui ont un impact plus important sur l’existence, car ça se passe dans le cadre d’une rupture. Il faut que je vous parle de Jessica. C'est une copine qui s’est fait larguer un certain nombre de fois, et qui me racontait en avoir marre de tomber sur des connards, encore et toujours des connards. J’assiste un peu impuissant aux déconvenues amoureuses de Jessica. Premier connard : pas de bol. Deuxième connard : vraiment pas de bol. Au dixième connard, c'est difficile de ne pas trouver qu'un schéma s'installe. Le paradoxe, si on devait le représenter sur une carte routière, ce serait l’embranchement de la route qui mène au déni, et de la route qui mène à la remise en question. A propos de questions, je vais vous en poser une. Quel est le point commun entre les chatouilles et les crottes de nez ? Le point commun entre les chatouilles et les crottes de nez ? Le point commun est une question de point de vue. Si vous prenez la personne la plus chatouilleuse au monde et lui demandez de se chatouiller elle-même, vous n’allez pas obtenir grand-chose. Certains d'entre vous peuvent encore manger leurs crottes de nez, mais en tout cas quand vous étiez petits, au pic de votre consommation de crottes de nez, si on vous avait proposé les crottes de nez de quelqu’un d’autre, vous n'en auriez jamais voulu. Car là encore, c’est une question de point de vue. Revenons à Jessica. Si pour vous et pour moi c’est facile de mettre le doigt sur son paradoxe, pour elle, c’est beaucoup plus compliqué. Et surtout, on ne peut pas le faire à sa place. Peut-être qu’à ce stade certains se disent que je ne suis pas très psychologue, que ça me passe au-dessus de la cafetière. Il faut que je me présente. J’ai 42 ans et si vous m’aviez dit, quand j’étais petit, qu’un jour, j’écrirais un livre de psychologie de couple, non seulement je ne vous aurais pas cru, mais je vous aurais ri au nez. Je viens d’un environnement très cartésien. J’ai fait math sup, math spé. Je pense que quand j’étais plus jeune j’ai dû dire à ma compagne de l’époque : « Mais dis donc, c’est pas un peu dans ta tête tout ça. » Pour moi, à cette époque-là, la psychologie était comme la décoration d’intérieur : un truc de fille. Sauf que quand j’ai divorcé, il a fallu que je meuble mon appartement. J'ai fait très simple, au plus rapide, et j’ai fait fonctionnel. J’ai été dans un magasin d’ameublement suédois. J’ai acheté un certain nombre de trucs et s’est posée la question des rideaux. Les rideaux, je me suis dit, je vais les prendre blancs et pas chers. Sauf que des rideaux blancs et pas chers, il y en a quatre modèles différents. En ai-je si rien à faire que ça de la décoration d’intérieur, au point de prendre le premier qui se présente sans réfléchir, ou vais-je prendre cinq minutes pour choisir celui qui me plaît le plus ? C’est comme ça, mesdames, messieurs, que je suis tombé dans une drogue dure : la décoration d’intérieur. Le paradoxe se loge dans de toutes petites choses. Comme vous le voyez, ça peut se loger dans quatre rideaux blancs au même prix. Le paradoxe n’est pas très orgueilleux. En plus de ça, il est taquin. Je vous ai dit qu'il est l’embranchement menant au déni ou à la remise en question. C’est certain que, dans cette salle, des gens sont dans le déni. Si je faisais une expérience, que l'on rallumait la salle, et que je demandais à ces gens de lever la main, on assisterait à un autre paradoxe. Celui qui a assez de lucidité pour dire qu’il est dans le déni, ne l'est pas. Le paradoxe est décidément blagueur. Comprenez-moi bien. Je ne dis pas que sans remise en question, point de salut, et que le déni, c’est pour les gros nuls. Le déni est éminemment fonctionnel. C'est cette construction intellectuelle qui permet au cerveau de se préserver quand le principe de réalité arrive à fond la caisse vers vous, en emportant tout sur son passage. Si on revient à Jessica, qu’est-ce qui est le plus facile pour elle ? Se dire : « En dépit du mal que cela me fait, je persiste à me remettre avec des connards, et ça dit beaucoup de choses sur moi et ma façon de fonctionner. » Ou est-ce plus facile pour elle de dire : « Les mecs sont tous des connards, je n’ai rien à voir là-dedans » ? Passons à des travaux pratiques. Je vais vous poser une autre question. A votre avis, pourquoi les hommes pissent debout ? C’est une question simple. Pourquoi les hommes pissent debout ? Je vous vois perplexes. Je vais vous proposer deux réponses. Réponse A : les hommes pissent debout car c’est une marque de leur virilité, un atavisme de l’époque où il fallait être sur le qui-vive tout le temps, prêt à se défendre n’importe quand. Vous n’imaginez pas les discussions franches et viriles qu’il y a dans les toilettes d’hommes, dans des urinoirs. Réponse A. Ou alors réponse B : si les hommes pissent debout, c’est parce que ce ne sont pas eux qui nettoient. Peut-être que dans l’une de ces deux réponses - je vous laisse juges - vous avez détecté une part de déni. Je vous donne un indice. On reconnaît le déni car il passe par des explications alambiquées, alors que la vérité est plus simple. Donc le déni est blagueur. Il n’est pas très orgueilleux et se niche dans des petites choses. Le déni ne vous posera jamais la question de votre permission. Si vous voulez vous en convaincre pensez à la pornographie. La pornographie est câblée pour parler à votre inconscient. La pornographie est comme Élise Lucet. Vous ne l’avez pas invitée, elle est venue quand même, et elle vous pose des tas de questions que vous n’avez pas envie d’entendre. Vous pouvez penser ce que vous voulez de l’homosexualité, des plans à trois, quatre, cinq, du fétichisme du pied. Si vous êtes exposé à une forme que votre cerveau rejette en bloc, et que le reste du corps saute de joie à l’idée de faire un tour de manège, vous êtes bien obligés de vous poser la question. « Bonjour, Élise Lucet, Cash Investigation. Alors, dites-moi, c’est quoi, cette petite érection ? » Le paradoxe ne vous posera jamais la question, Il ne vous demandera jamais la permission. En plus de ça, le paradoxe est patient, et reviendra à la charge autant de fois qu’il faut. Le paradoxe est comme le méchant dans un film d’horreur. Tant que vous ne vous dressez pas en travers de son chemin, et que vous ne lui tordez pas le cou, il va revenir encore et encore et encore. Jessica contre les connards 2 : la vengeance. Jessica contre les connards 3 : il revient et il n’est pas content. Vous ne pouvez pas échapper à vos paradoxes. C’est pour ça qu’un jour, si on vous fait la remarque suivante : « Tu n'es quand même pas à l'abri de tes contradictions », vous pouvez vous en féliciter. Jean Cocteau disait : « Ce que le public te reproche, cultive-le, c’est toi. » Alors même si vos paradoxes ne vont pas sans une dose de perplexité, embrassez-les, chérissez-les. Il n’est pas impossible qu’en chemin, vous vous découvriez vous-même. (Applaudissements)