[Eduardo Sáenz de Cabezón : Les mathématiques sont éternelles] Imaginez un peu : vous êtes dans un bar, ou dans une discothèque, et vous discutez avec une fille. Et dans la conversation, elle vous dit : « Et tu travailles dans quoi ? » Et comme tu penses que ton travail est intéressant, tu réponds : « Je suis mathématicien. » (Rires) 33,51 % des filles (Rires) vont, à cet instant, faire semblant de recevoir un appel urgent et s'en vont. (Rires) 64,69 % tentent désespérément de changer de sujet, et s'en vont. (Rires) Les 0,8 % restant sont ta cousine, ta fiancée et ta mère, qui savent que tu fais un boulot bizarre mais ne savent plus lequel, (Rires) et 1 % continue la conversation. Quand cette conversation se poursuit, il y a toujours un moment où apparaît une de ces deux phrases : A) « J'étais super nulle en maths, mais ce n'était pas ma faute, le professeur était mauvais. » (Rires) et B) « Mais ça sert à quoi les mathématiques ? » Je traiterai le cas B. (Rires) Lorsque quelqu'un te demande à quoi servent les mathématiques, ils ne parlent pas des applications des sciences mathématiques. Ils te demandent : « Mais pourquoi ai-je dû apprendre cette connerie que je n'ai jamais utilisée ? » C'est ce qu'ils demandent en réalité. Lorsque vous demandez à un mathématicien à quoi servent les mathématiques, nous les mathématiciens, nous nous divisons en groupes. 54,51 % des mathématiciens prennent une position offensive, et 44,77 % des mathématiciens prennent une position défensive. Il reste un 0,8 %, un peu bizarre, dont je fais partie. Qui sont les offensifs ? Ce sont les mathématiciens qui te disent que : « Cette question n'a pas de sens, car les mathématiques ont un sens propre à elles-mêmes, un magnifique édifice en construction ayant une logique propre, et qu'il n'est pas toujours nécessaire de se focaliser sur les applications. À quoi sert la poésie ? À quoi sert l'amour ? À quoi sert la vie elle-même ? Quelle question ! » (Rires) Hardy est un bon exemple de cette posture offensive. Et ceux sur la défensive disent que : « Même si tu ne t'en rends pas compte, mon chou, les mathématiques sont la base de tout. » (Rires) Ceux-là citent toujours, toujours, les ponts et les ordinateurs. Si vous ne connaissez rien aux maths, le pont s'effondrera. (Rires) Fondamentalement, les ordinateurs ne sont que des mathématiques. Là, ils te disent aussi que derrière la sécurité informatique et les cartes bleues se trouvent les nombres premiers. Ce sont les réponses que te donnera ton professeur de mathématiques, qui est de ceux sur la défensive. Mais donc, qui a raison ? Ceux disant que les mathématiques n'ont pas besoin d'être utiles, ou ceux qui disent qu'elles sont partout ? À vrai dire, tous ont raison. Mais je vous ai dit que j'appartenais au 0,8 % qui dit autre chose, non ? Alors demandez-moi, à quoi servent les mathématiques. Public : « À quoi servent les mathématiques ? » Donc, 76,31 % des gens a posé la question, 23,41 % n'a rien dit, et 0,8 %... je ne sais pas ce qu'il est en train de faire celui-ci. (Rires) Et donc, mon cher 76,31%, c'est vrai que les mathématiques ne sont pas nécessairement utiles, c'est vrai que c'est un magnifique édifice, logique, sûrement l'un des plus beaux produits du travail collectif des hommes à travers l'histoire. Cependant il est vrai aussi que là où les scientifiques, les techniciens, cherchent des théories mathématiques et des modèles qui les aident à avancer, se trouvent aussi toutes les mathématiques qui rendent tout cela possible. Creusons plus profondément et regardons ce qui se cache derrière la science en général. La science se base sur l'intuition, la créativité, et les mathématiques exploitent l'intuition et la créativité. Presque tout le monde est surpris d'apprendre que si nous prenons une feuille de papier de 0,1 mm d'épaisseur, des feuilles classiques, suffisamment grandes, et que nous pourrions plier 50 fois, l'épaisseur obtenue équivaudrait à la distance Terre-Soleil. Intuitivement, nous dirions : « Impossible. » Faites le calcul et voyez par vous-même. C'est à ça que servent les mathématiques. C'est vrai que les sciences, la science n'a de sens que si elle nous aide à mieux comprendre le monde merveilleux qui nous entoure. Grâce à elle, nous pouvons éviter les pièges de ce monde fourbe où nous vivons. Certaines sciences exploitent directement ce point. L'oncologie par exemple. Et il y a d'autres sciences que nous regardons de loin, avec convoitise même si nous en sommes partisans. Toutes les sciences fondamentales en sont les piliers, et les mathématiques les relient. Ce qui fait que la science est science, c'est la rigueur mathématique. Et cette rigueur vient du fait que les résultats mathématiques sont éternels. Vous avez sûrement déjà dit, ou entendu dire, que les diamants sont éternels, non ? Ça dépend de ce qu'on entend par éternel ! Un théorème, ça oui, c'est pour toujours. (Rires) Le théorème de Pythagore... le théorème de Pythagore est vrai, même si Pythagore est mort, je vous l'assure ! (Rires) Et il le restera, même si le monde venait à disparaître. Là où il y a une paire de côtés et une bonne hypoténuse, (Rires) le théorème de Pythagore marche à fond ! (Applaudissements) Mais bon, nous les mathématiciens, nous nous consacrons à l'énonciation de théorèmes, des vérités éternelles. Mais il n'est pas facile de savoir ce qui est une vérité éternelle, un théorème, et ce qui n'est qu'une simple conjecture. Il faut le démontrer. Par exemple, je possède un immense champ, immense, infini. Je veux le recouvrir d'objets identiques, sans laisser d'espace. Je pourrai utiliser des carrés, non ? Je pourrai utiliser des triangles. Pas de cercles, ils laissent des trous. Quelle serait la meilleure forme ? Celle qui pour la même superficie possède le plus petit périmètre. Pappus d'Alexandrie, en l'an 300, disait que le mieux était l'hexagone, sur le modèle des abeilles. Mais il ne l'a pas démontré ! Le type a dit : « Des hexagones, ça le fait, allez, vendu ! » Il ne l'a pas démontré, il s'est limité à une conjecture : « Hexagones ! » Le monde, vous le savez, s'est divisé entre papistes et anti-papistes, jusqu'à ce que, 1700 ans après, 1700 ans après, en 1999, Thomas Hales démontra que Pappus et les abeilles avaient raison, la solution est bien l'hexagone. Et c'est devenu un théorème, le théorème du nid d'abeille, qui sera une vérité pour toujours, éternellement. Plus que n'importe quel diamant. (Rires) Mais qu'en est-il lorsque nous passons en 3 dimensions ? Si je veux remplir un volume, avec des pièces identiques, sans avoir de trous. Je peux utiliser des cubes, non ? Pas de sphères, elles laissent des petits trous. (Rires) Quelle est la meilleure structure ? Lord Kelvin, le même que pour les degrés, dit que : « La meilleure solution est d'utiliser un octaèdre tronqué... » (Rires) qui, comme vous le savez tous, (Rires) a cette tête-là ! (Applaudissements) Allez... qui n'a pas d'octaèdre tronqué chez lui ? Même en plastique. (Rires) « Montre l'octaèdre tronqué à nos invités. » Tout le monde en a ! (Rires) Mais Kelvin ne l'a pas démontré. C'est resté une conjecture, la conjecture de Kelvin. Le monde se divisa, comme vous le savez, entre kelvinistes et anti-kelvinistes. (Rires) Jusqu'au jour où, cent et quelques années après, cent et quelques années après, quelqu'un trouva une meilleure structure. Weaire et Phelan ont trouvé la structure que voici. (Rires) Forme qu'ils ont nommée, de manière très inspirée : Structure de Weaire et Phelan. (Rires) Structure bizarre, mais pas tant que ça, car elle se retrouve dans la nature. C'est très curieux que cette structure, pour ses propriétés géométriques, ait été utilisée pour construire le centre nautique des Jeux Olympiques de Pékin. Là où Michael Phelps remporta 8 médailles d'or, devenant ainsi le meilleur nageur de tous les temps. Enfin, jusqu'au moment où un autre deviendra le meilleur, non ? Même chose pour la structure de Weaire et Phelan, elle est la meilleure jusqu'à la découverte d'une meilleure. Mais attention, car elle a toutes ses chances pour que, que ce soit dans cent ans, ou dans 1700 ans, une personne la démontre comme la meilleure structure possible. Alors là, cela deviendra un théorème, une vérité pour toujours, éternelle, plus que n'importe quel diamant. Et donc, si vous voulez dire à quelqu'un que vous l'aimez à jamais, (Rires) vous pouvez lui offrir un diamant. Mais si vous voulez lui dire que vous l'aimerez à jamais, jamais, offrez-lui un théorème ! (Rires) Attention, car il vous faudra démontrer que votre amour n'est pas juste une conjecture. (Applaudissements) Merci. (Applaudissements)