« Personne ne te posera de questions sur Harry Potter. » C'est dur à entendre pour une amoureuse folle des livres. J'avais quatorze ans, et parce que j'avais quatorze ans, je croyais qu'il était possible de lire tous les livres du monde. Mais, j'ai compris une chose : il y a sûrement des gens qui peuvent vivre de leur passion, mais des livres ? Vous êtes sérieux ? Qui lit encore de nos jours ? Il y avait peu de chances que je sois une de ces personnes, parce que les réussites de ce genre sont rares. En fait, c'est plutôt bizarre, je vieillis, mais le genre de livres que je lis reste plus ou moins le même. La vie ne fonctionne pas comme ça, et plus vite j'accepterais la vérité, plus ce sera facile. Quelle vérité ? Celle qui disait que je n'étais pas assez bonne, que mon amour pour la fiction ne suffisait pas, que je devais arrêter de m'intéresser à la littérature de « bas étage » pour lire des livres plus sérieux sur le droit ou la philosophie, et abandonner l'enfant en moi. J'ai donc décidé d'arrêter de lire les livres que j'aimais, pleins de dragons et de magie, pour me concentrer sur d'autres, plus sérieux. « Ça devrait être facile » ai-je pensé, « vu que j'aime lire. Je dois simplement apprendre à mon esprit à aimer ce qui lui déplaît. » Et je l'admets, parfois ça marche. Je suis une grande partisane du « Fais semblant jusqu'à ce que ce soit vrai. » Mais que faire quand celle que vous êtes et celle que vous essayez de devenir sont à l'opposé l'une de l'autre ? Et en réalité, vous ne voulez même pas être cette personne, mais vous vous étiez convaincue que c'était celle vous deviez être pour être un membre actif de la société. Si vous avez déjà essayé d'aimer quelqu'un que vous n'aimez pas, ou de ne pas aimer quelqu'un que vous aimez, vous savez à quel point il est difficile de ne pas être soi-même. Malgré tout, ce n'était pas si mal au début. Je me suis concentrée sur mon BAC et mon admission en faculté de droit, et je me suis menti à moi-même en me persuadant que j'allais bien, et que j'aimais réprimer tout ce qui faisait de moi, moi. Alors, je suis devenue déprimée, et pour la première fois, aussi loin que je me souvienne, je ne pouvais penser à aucune histoire, en posant ma tête sur mon oreiller pour m'endormir. Cela peut sembler sans importance, mais c'était une chose que je faisais toutes les nuits, depuis que j'étais tombée amoureuse de la lecture, mais maintenant, je ne le faisais plus. Durant ma deuxième année d'université, j'ai recommencé à lire. Je me sentais coupable et j'avais honte, parce que je ne lisais pas le genre de livres considérés utiles pour devenir avocat ou juge. Là, encore une fois, ce n'était pas comme si je ne lisais rien d'autre. Mon expérimentation a complètement échoué. J'ai presque réussi à oublier qui j'étais, mais je n'ai pas remplacé cette personne par quelqu'un de meilleur. Je suis redevenue l'ancienne moi, celle qui lisait et écrivait. Mais, après trois ans d'arrêt de la lecture, je n'avais plus aucune idée de ce qui était publié. J'avais besoin d'une plate-forme pour rester en contact avec l'édition, et c'est comme ça que j'ai découvert « Bookstagram ». C'est une partie d'Instagram dédiée aux livres. Voici la première photo que j'ai postée en 2016, sur laquelle on voit un livre, puis un an après, en 2017, et un peu plus tard au milieu de la même année. Et voici, la photo qui m'a rendue célèbre. Mes photos sont devenues de plus en plus complexes, les pages artistiques et les publications internationales ont commencé à les partager, et mon compte est devenu de plus en plus connu. Sans le faire exprès, j'ai réussi à rester à la limite entre une page artistique et un bookstagram, donc ça a accroché plus de gens qu'un simple bookstagram. Je venais d'obtenir mon diplôme de droit, durant cette période, et je savais que je n'avais rien à faire dans le droit, mais tout dans les livres. J'ai réalisé que c'était une communauté plus importante que je ne le pensais, et qu'elle s'étendait au monde entier, reliant les lecteurs aux écrivains et aux maisons d'édition d'une façon que je n'avais jamais crue possible dans mes débuts de rat de bibliothèque. J'ai aussi réalisé que ma passion pouvait devenir mon métier. J'ai découvert le terme « influenceuse », qui ne me plaît pas beaucoup à cause de tous les articles qui dénigrent les influenceurs, surtout les jeunes influenceuses qui gagnent leur vie de cette façon, et les commentaires qui déclarent généreusement combien ils attendent avec impatience de voir la bulle éclater. Ils disent que les influenceurs font la pub de produits qu'ils n'utilisent pas, et qu'ils feraient tout pour de l'argent, mais, en ce qui me concerne, j'ai refusé des contrats qui n'étaient pas en accord avec mes valeurs ou auxquels je ne croyais pas, et je fais de mon mieux pour bien libeller mes collaborations afin que mes abonnés sachent le type de relation que j'entretiens avec l'entreprise à laquelle je m'associe. La plupart du temps, je fais la promotion de livres. Donc, je ne pense pas qu'on puisse me soupçonner de ne pas les aimer. Ils disent que ce n'est pas un vrai métier, mais, nous sommes en 2019, et si vous gagnez de l'argent et payez vos impôts, alors, c'est un vrai métier. En même temps, ils se contredisent en disant que c'est plus facile qu'un emploi de bureau. Eux-mêmes pourraient le faire. Tout comme écrire un livre, c'est si facile, ils pourraient aussi le faire. Et ce concept commercial qui marche si bien, ils auraient pu l'inventer. Ils disent que nous encourageons le consumérisme aveugle sans nous concentrer sur les sujets sérieux. Et pourtant, [j'ai reçu ce commentaire] après le 8 mars 2018, quand j’ai parlé de mon message personnel aux filles du monde entier qui essaient de trouver leur voie. J'ai parlé de ce que j'avais compris en traitant mes problèmes d'image corporelle, ma dysmorphophobie, et mes troubles alimentaires. J'ai compris que tout changement doit venir d'une base d'amour de soi. Au début de mon histoire, je vous ai dit que j'avais essayé de changer qui j'étais, mais je l’avais fait sur une base de haine de soi, parce que je croyais que c'était seulement en me haïssant, que je pouvais changer ce que je haïssais en moi - n'est-ce pas malheureux ? J'ai compris que le bonheur ne dépend pas des chiffres sur une balance, que mon corps m'a mené où je suis, et que je devrais l'aimer et le chérir, parce que c'est lui qui fera de son mieux pour redresser mes mauvais choix. J'ai compris que la vie guérit et pardonne, que les circonstances de ma vie ne définissent pas qui je suis, et que je peux les utiliser comme tremplin et les dépasser. J'ai compris qu'après un certain âge, on ne peut blâmer personne que soi-même. Alors, que tout marche pour vous ou non, ce sera votre image que vous devrez regarder dans le miroir, et vous, avec qui vous devrez vivre. Alors, sachant que face à la mort, nous sommes tous égaux, pourquoi avons-nous si peur d'aller au bout de nos rêves ? J'ai aussi compris que personne ne s'intéresse vraiment - à part certains - au prix de vos vêtements, car personne ne vous regarde vraiment, tout comme vous ne regardez personne, car nous sommes tous coincés dans ce monde avec nos propres petits problèmes. Donc, quelques erreurs, ça n'est pas si grave, parce que de toutes les erreurs que j'ai commises, je pense que très peu comptent vraiment. Et la première de cette liste, c'est de ne pas avoir mis de crème solaire durant l'été 2013 ! J'ai compris que les gens haïssent, mais c'est leur problème, pas le vôtre, car une personne réellement heureuse et bien dans sa peau, n'a pas de place pour la haine dans son cœur. Je vous dis tout cela en insistant de nouveau sur le fait que j'ai horreur du terme « influenceuse ». En pratique, je suppose que j'en suis une. Mais, si vous me demandiez ce que je fais, je vous répondrais que je ne sais pas vraiment, mais ça marche. Voici mon meilleur ami, avec qui je travaille et avec qui j'ai commencé cette aventure. Nous écrivons ensemble, nous travaillons ensemble, nous prenons des photos ensemble, et nous nous entraidons. Et nous voilà, après avoir été invités , au Salon du Livre de Francfort, le plus grand du monde. Eh bien, il se trouve qu'en fait, les gens me posent des questions sur Harry Potter. Merci. (Applaudissements)