Bonsoir, bonsoir à tous ! Je m'appelle Karim Duval, je suis humoriste, je le précise parce que vous ne me connaissez pas forcément. Alors, pourquoi un humoriste pas célèbre au TEDx de Saclay ? Pour une raison évidente de budget déjà. Et car on m'a dit : « Karim ce serait bien que tu fasses un truc drôle sur un sujet sérieux. » Je me suis fixé un challenge supplémentaire, je vais essayer de faire un truc drôle et un truc sérieux. Parce qu'avant d'être humoriste j'étais ingénieur. Je ne vais pas vous faire le storytelling de mon parcours, il est tard, vous venez d'assister à trois heures de conférences. À ce stade de la soirée, comme dirait Estelle Lovi, il faut savoir écouter sa vibration intérieure chargée d'amour et de vérité qui nous dit : « J'ai la dalle ! ». (Rires et applaudissements) J'ai été impressionné par tous les talks de tous les intervenants, tous plus brillants les uns que les autres, vraiment. Liz Theophille, waouw, leadership incroyable, son parcours professionnel, c'est impressionnant. Juste son poste actuel, l'intitulé de son poste actuel, c'est un roman. Hier on était au cocktail et on a eu l'occasion de se rencontrer. Moi j'ai dit : « Bonjour, hi, my name is Karim Duval, I am a comique. (Rires) What's your job ? » Et là elle me dit, alors je vous lis mais je n'ai pas pu l'apprendre par cœur. « I am Chief Technology Officer and Digital IT Lead, responsible for Technology Strategy, Enterprise Architecture, Digital Technology enabling platforms, Advanced Analytics and Robotic & Cognitive Automation Centers of Excellence. » Je lui ai répondu : « I love you too. » (Rires) Dans la même veine de parcours brillant, on a eu Sébastien Bigo qui travaille chez Nokia sur la fibre optique. Brillant, il a eu plein de distinctions en tant que chercheur. Il a gagné plein de prix, plus de prix que le PSG n'a gagné de Coupe de la Ligue. (Rires) Sébastien Bigo travaille chez Nokia et je trouve ça super balèze ce que tu fais chez Nokia, c'est vraiment balèze, c'est sûr. On sent que Nokia investit massivement pour la recherche, d'ailleurs. Beaucoup moins dans la communication, car finalement ce que les gens retiennent de Nokia, c'est : « Le Nokia 3210 il y a rien de mieux ! Un téléphone qui fait téléphone, voilà ! M'embête pas avec l'innovation. » D'où l'importance de savoir communiquer son savoir. C'est ce que nous a dit William Watkins. William Watkins, notre alchimiste de la soirée, qui a rappelé d'ailleurs qu'à la base, le radium, ce n'était pas lui le problème. Le problème n'est pas le radium, c'était l'ignorance qui régnait autour du radium. Comme à la création de Monsanto d'ailleurs, qu'on blâme comme ça, le problème n'est pas le glyphosate, mais l'ignorance autour du glyphosate. (Rires) En parlant de cancer... (Rires et applaudissements) Je trouve ça super qu'on puisse tuer des cellules cancéreuses en chauffant des nanoparticules d'or. Personnellement, je les chauffe avec les ondes de mon smartphone qui est toujours dans ma poche... et je vais très bien. Enfin que je sache. Je vous ai tous refroidis là ! Allez Karim remets l'ambiance ! On va parler d'un truc plus sympa : la pâtisserie, le sucré. Yann Brys nous a parlé de ses créations. Vous avez vu les créations ? Moi avec Photoshop je ne suis pas capable de faire ça ! C'est très fort. Yann Brys qui milite pour les circuits courts, le manger local et qui nous a parlé de la crème chantilly, constituée de trois ingrédients : la vanille de Papouasie, (Rires) le sucre du Brésil, heureusement que la crème vient de Normandie, OK ! (Rires et applaudissements) Yann, tu as dit que la pâtisserie faisait partie de notre patrimoine, je te rejoins bien sûr là-dessus. D'ailleurs pour les Journées du Patrimoine, Yann devrait ouvrir son établissement à toute la population française. (Applaudissements) Sa pâtisserie, elle cartonnerait, elle défoncerait les musées ! Il rendrait la tâche difficile à Sofia Azzouz qui rêve que tout le monde aille au musée. Mettez un Français face à un dilemme : choisir entre un éclair au chocolat et le portrait de la Marquise de Pompadour. (Rires) Il n'y a pas de dilemme ! Pour intéresser les Français à leur histoire, Ladurée a dû faire des chocolats à l'effigie de Marie-Antoinette, figurez-vous ! Et les gens qui vont au musée, quand ils sortent disent : « Bon, on mange quoi ? » « L'art est la preuve que la vie ne suffit pas. » Ok, mais en France la bouffe est la preuve que l'art ne suffit pas. (Rires) La bouffe, l'art, la science, c'est quand même ce qui fait la fierté de la France et elles font bon ménage. J'ai beaucoup aimé le speech de Mohammed Moudjou. J'ai adoré ce parallèle entre les acides aminés sur une protéine et les notes d'un morceau de musique. Je trouve ça fou que derrière l'ADN d'une souris se cache un nocturne de Chopin. J'imagine que derrière l'ADN d'Escherichia coli se cache le nouvel album de JUL. (Rires) Tout le monde n'a pas compris parce qu'on est à Saclay, il y a des vieux... (Rires) Si vous voulez les vieux, JUL est aux adolescents ce que JCDecaux est à Samer Koujuk. (Rires) Samer Koujuk, c'est la première fois que je croise un fan de JCDecaux, j'avoue. (Rires et applaudissements) Comment ça se passe ? Tu as des panneaux 4x3 dans ta chambre ? T'as un abri bus dans ton salon ? Non, j'ai beaucoup aimé le speech de Samer Koujuk, j'ai trouvé ça très joli. C'est super bien cette technique pour briser la glace, aller dans le métro pour demander aux gens de faire ton nœud de cravate. Tu vas y prendre goût : demain une chemise, après-demain, les chaussures. Et dans un mois tu vas arriver en slip dans le métro, comme ça. (Voix cassée) « Messieurs dames, excusez-moi de vous déranger par une heure aussi matinale. Je sais que c'est bizarre de voir un gars avec son attaché-case et une cravate, en slip kangourou, mais voilà mon truc, c'est d'aller vers les autres, est-ce que quelqu'un peut m'aider à mettre mon futal s'il vous plaît ? » (Rires et applaudissements) Bien sûr il nous a rappelé que se réunir pour aller ensemble de l'avant c'était chouette, et je trouvais qu'il avait illustré cette idée très bien, le proverbe très tarte à la crème qu'on voit dans toutes les entreprises : « Seul on va plus vite, ensemble on va plus loin. » Proverbe africain auquel un marathonien kényan aurait répondu « Ensemble on va plus loin mais tu vas me laisser finir tout seul ok ? » (Rires) « Seul on va plus vite, ensemble on va plus loin. » Peut-être parce qu'entouré des autres, on agit différemment. C'est ce que nous a appris Barthélémy, enfin « Barthélémy », on est d'accord, Barthélémy c'est juste André Agassi qui a changé de carrière. T'étais le premier à passer tout le monde n'est pas... D'accord. Tout le monde ne se souvient pas de sa tronche, ce n'est pas grave. À Agassi non plus d'ailleurs. Barthélémy si je résume, tu nous as dit qu'en fait, si je comprends bien, si je vois un billet de 10€ tomber de la poche de quelqu'un qui marche dans la rue et si au préalable, j'ai aidé un touriste anglais à retrouver son chemin, alors statistiquement, il y a de fortes chances qu'en toute honnêteté, je ramasse le billet et le donne à la personne qui l'a perdu. J'ai compris l'idée mais je pense que l'exemple n'est pas du tout réaliste. En tant que Français, chauvin, si un Anglais me demande sa route... (Rires) Statistiquement... (Rires) Il y a de fortes chances que je lui propose d'aller se faire voir ! Surtout s'il y a un billet de 10 balles à gratter derrière ! (Rires) Je fais des blagues pour repousser le moment où je vais devoir dire des trucs sérieux. A un moment donné je devrai me jeter à l'eau. Heureusement on a eu les conseils éclairés de Phil Waknell qui nous a expliqué comment réussir une bonne présentation sauf que nous les intervenants de ce soir, on a bénéficié de ses conseils mais trop tard. Juste avant de monter sur scène. J'ai l'impression d'être un mec qui se noie en haute mer à côté d'un maître-nageur qui dit : « Le secret d'une bonne brasse, c'est de bien coordonner les bras et les jambes ! On fait la grenouille et on respire bien fort ! » Et en plus, il te le dit en anglais, merci ! (Rires et applaudissements) Non, pour vous dire la vérité, on a tous été coachés par de supers coachs TEDx et je voudrais qu'on les applaudisse s'il vous plaît. (Applaudissements) « Résonance. » Ce mot, il réveille en moi l'ingénieur que je suis, enfin que j'étais. Vous vous demandez tous ce qu'il y a dans cette boîte. C'est un cerveau. (Rires) Mais pas n'importe quel cerveau. (Rires) C'est mon cerveau d'ingénieur. Aujourd'hui. (Applaudissements) Quand j'entends résonance, je pense forcément à cet exemple qui relève peut-être de la légende. Nous sommes en 1850, à Angers. Un bataillon de soldats s'engage sur le pont suspendu de la Basse-Chaîne, au-dessus de la Maine. Ils marchent au pas, à une certaine cadence. Le pont se met à balancer et à un moment donné, crac, tout le monde tombe à l'eau. Dommage. Qu'est-ce qu'il s'est passé ? En fait, le pont peut être considéré comme un système physique avec ses caractéristiques propres et notamment une fréquence dite de résonance. Et les pas cadencés des soldats qui marchent sur le pont ont excité le système pont jusqu'à le faire balancer en lui apportant de l'énergie régulièrement, il a balancé jusqu'à une certaine fréquence de balancement égale à sa fréquence de résonance. Et par définition, à partir de ce moment-là, il a accumulé de l'énergie qu'il ne pouvait plus dissiper. Donc à un moment donné, ça part en vrille et on dit que le pont est entré en résonance. Si je prends cet exemple et que je le simplifie, si je réduis le bataillon de soldats à un soldat simplement, un seul soldat qui va troquer sa tenue contre une petite tenue moulante et ses bottes contre des petites ballerines, et si je réduis la largeur du pont à son minimum, j'obtiens un funambule qui marche sur un fil. Cette image du funambule reflète, selon moi, le travail de l'humoriste. Avant chaque spectacle, avant chaque sketch, avant chaque restitution TEDx, avant chaque vanne même, j'ai l'impression d'être un funambule qui va se hisser pour parcourir un fil d'une extrémité à l'autre. Parce que si je décortique mon travail, je peux y déceler trois phases : le fond, l'humour, et avec un peu de chance, le rire. Je m'explique. Le fond, pour moi c'est primordial dans mon métier, c'est essentiel. Le sujet de fond, la situation généralement pas drôle, c'est vraiment la base de tout. Le funambule qui, sous le regard des spectateurs, va aller risquer sa vie sur un fil, c'est le fond. Si le sujet que je traite sur scène est plat, peu engageant, par exemple, les gens qui mangent du chocolat, c'est un peu comme si le fil mesurait 1 mètre de long et était suspendu à 3 cm au-dessus du sol. Si le sujet est un peu plus délicat, si ça gratte un peu, par exemple si je parle des gens qui mangent du chocolat au Nutella, donc qui favorisent l'exploitation des personnes qui cultivent le cacao et la production d'huile de palme, donc la déforestation, donc la disparition des orangs-outans, là on est sur un fil de 8m de long suspendu à 3m au-dessus du sol. Si je parle de la réappropriation des crêpes par les Nantais et que je dis que Nantes n'est pas en Bretagne... (Rires) On est sur un fil de 200m de long suspendu entre deux gratte-ciels à 1 km d'altitude. Mais quel que soit le sujet que je traite, avant même d'avoir essayé de faire rire, il y a un fond. Je crée un enjeu : est-ce que le funambule va tomber ? Comment l'humoriste va traiter le sujet qu'il a choisi, avec humour ? Avec humour, c'est-à-dire en maintenant un certain équilibre. L'humoriste engagé sur son fil va essayer de maintenir cet équilibre et de le chercher en lui et surtout au sein du public en fait, par petites touches, en le testant, un peu comme les tremblements du funambule permettent de rester en équilibre sur le fil. Un équilibre entre bienveillance et provocation. Avoir du propos sans être donneur de leçon, du mordant en gardant une forme d'élégance, mais sans être bisounours parce qu'on parle d'équilibre, pas de compromis. Un équilibre entre beauté et laideur, un équilibre entre rêverie et réalisme, un équilibre entre plaisir et souffrance parce que l'équilibre, c'est un état un peu indéfinissable quand on y pense. Et le rire, ce n'est pas que de la joie. Le rire dérange autant qu'il soulage. C'est pour ça qu'on peut rire de sujets un peu sombres paradoxalement. Un équilibre entre le clown blanc et l'Auguste. Vous savez, ce duo qu'on a tous vu au cirque petits, et qui cohabite à l'intérieur de nous-même, qui rayonne par contraste entre raison et folie, entre expérience et innocence, entre l'adulte et l'enfant que nous sommes. Alors si le sujet que je traite est un peu délicat aux yeux des spectateurs, l'équilibre est d'emblée très fragile, le fil tremble déjà. L'humoriste va venir maintenir cet équilibre en faisant se balancer le fil encore plus en fait. Il va exciter le système, ici le public, en prenant des risques supplémentaires, c'est là qu'il va faire crier son insolence, qu'il va faire crier son style, qu'il va tenter un bond sur le fil, faire du monocycle, feindre une chute. Ça va faire monter l'énergie au sein du public, monter, monter, monter... Jusqu'à ce qu'il entre en résonance : c'est le rire. Le fil a trop vibré, le public a accumulé de l'énergie sans pouvoir la dissiper, du fait de l'équilibre précaire qu'a tenté bon an mal an de maintenir l'humoriste. Donc à un moment donné, on arrive à la chute de la blague et ça provoque le rire. Ce qui est beau, c'est que le rire est collectif, simultané et instantané. A croire qu'il existe une fréquence de résonance universelle, une fréquence de « rigolance »... universelle, au sein de toutes les personnes qui sont dans la salle, enfin c'est discutable - on parle d'humour communautaire. Il faut que les personnes partagent le même langage, la même langue, les mêmes codes culturels évidemment. Mais le mime, le cinéma muet font rire les enfants, petits et grands, et ça me donne l'espoir qu'il existe une fréquence de résonance universelle. A croire qu'il existe une intelligence universelle. Cette faculté à assimiler un propos et de restituer dans la seconde le fait qu'on ait compris. Dire « Moi homo sapiens sapiens, j'ai compris » et pour le signifier, j'émets un bruit « ha ha » quasi bestial. Car le rire, c'est ça, c'est lâcher le cerveau, lâcher prise, le rire, c'est partir en vrille. C'est accepter cet état un peu vague entre l'humain et l'animal. Alors, ce modèle du funambule qui marche sur un fil, il vaut ce qu'il vaut, j'essaye de rendre rationnelle une chose qui ne l'est pas vraiment, le rire. Toujours est-il qu'il permet de visualiser l'attention supplémentaire qu'on accorde à l'humoriste. Vous vous baladez dans la rue et voyez un type marcher sur une corde à 100m au-dessus de votre tête alors qu'on ne lui a rien demandé, vous ne pouvez pas ne pas vous arrêter. La forme humoristique ne laisse pas indifférent non plus. Elle dénote par rapport à un discours supposément drôle, enfin je veux dire sérieux pardon, en politique et dans les entreprises en ce moment qui est trop lisse, formaté, par excès de prudence. Donc l'attention supplémentaire accordée à la personne qui ose la forme humoristique va lui permettre de transmettre des messages d'une manière beaucoup plus instantanée. Grâce au rire qui, pour reprendre les mots de Chaplin, « est le chemin le plus direct entre deux personnes ». Je crois vraiment qu'une personne qui rit est une personne qui a compris. Et cet équilibre instable, sucré-salé, doux et violent à la fois qu'on appelle l'humour est une arme de transmission massive. Voilà ce qu'évoque pour moi le mot résonance, voilà ce qu'évoque le mot résonance pour ce clown drôle et sérieux à la fois, mais ne serait-ce pas là un pléonasme ? Merci de m'avoir écouté. (Applaudissements)