Philanthrope usurpateur, humanitaire hypocrite, bienfaiteur trompeur, altruiste frauduleux, imposteur charitable - peu importe comment on les décrit, une chose est sûre : il y a peu de choses au monde qu'on déteste plus que les hypocrites moralisateurs, ces gens qui demandent de faire preuve de charité, mais sont eux-mêmes hypocrites. Dans mon domaine, travaillant avec les œuvres caritatives, les entreprises sociales, les fondations, les organismes d'aide, j'entends le mot « hypocrite » tout le temps. Quand Bono, avec ses lunettes de soleil, évadé fiscal, vivant dans son château et roi irlandais de la jet-set, quand il demande aux gens de donner aux associations caritatives, que dit-on ? On dit : « Hypocrite ! » Quand Al Gore fait campagne sur le changement climatique, un homme qui, pendant des années, a eu des factures d'eau et d'électricité plus de vingt fois supérieures aux ménages moyens, on dit : « Hypocrite ! » Quand le PDG de Kony 2012, d'un côté, nous demandait de donner de l'argent et semblait investi, mais de l'autre côté, ramenait chez lui un salaire associatif de 90 000 $, on a dit - vous l'avez deviné - « Hypocrite ! » Vous voyez, on déteste les hypocrites. On déteste les gens qui prétendent avoir certaines valeurs qu'on pense qu'ils n'ont pas, car leurs actions ne reflètent pas ces valeurs. Je veux nous poser la question : « Doit-on interpeller les gens sur leur hypocrisie ? Doit-on appeler hypocrites les gens que nous considérons comme tels ? » Comme tout le monde, je déteste l'hypocrisie pure, mais je voudrais suggérer - et c'est un grand « mais » - je voudrais suggérer qu'interpeller les gens sur leur hypocrisie est imprudent, au mieux, et tout simplement dangereux, au pire. Le problème ici, c'est que souvent, quand on accuse quelqu'un d'hypocrisie, ce n'est en fait pas de l'hypocrisie. Et il existe quelques erreurs répandues que nous avons tendance à répéter. La première erreur, c'est de supposer que tous les actes caritatifs sont au même niveau. Par exemple, quelqu'un vous dit qu'il soutient le marché du carbone. On en conclut à juste titre que cette personne se soucie de « l'environnement », et donc s'il ne recycle pas, on dit : « Hypocrite ! » Si quelqu'un vous demande une donation pour des tablettes de purification d'eau pour un pays comme la Birmanie, on se dit : « Oh, cette personne se soucie de l'eau propre et potable », donc si de leur côté ils ne donnent pas d'argent pour construire des puits, on dit : « Hypocrite ! » Mais en réalité, il existe de nombreuses solutions pour résoudre chaque problème, certaines sont bien plus efficaces que d'autres, et si vous soutenez certaines des solutions, cela ne veut pas dire que vous devez, ou voulez, ou allez toutes les soutenir. C'est la première erreur que nous faisons souvent. Le deuxième problème que nous rencontrons souvent, la deuxième erreur que nous faisons, c'est de comparer aux extrêmes de l'altruisme et de l'égoïsme. Disons que vous entrez dans un café, et un panneau sur le mur dit : « Nous versons 20% de nos profits à des associations caritatives. » Vous vous direz sûrement : « Quel super café ! Ce sont des gens bien ! Ils font don d'une partie de leurs profits ! » Quand quelque chose est principalement basé sur le profit, sur l'égoïsme, mais avec un peu d'altruisme, ça nous plaît, on pense que c'est bien. Mais si quelqu'un travaille dans le caritatif, si quelqu'un dédie sa vie entière à une noble cause, si quelqu'un est majoritairement altruiste mais ramène chez lui un salaire raisonnablement décent, on dit : « Hypocrite ! » Donc, majoritairement égoïste avec une pointe d'altruisme, c'est satisfaisant ; mais majoritairement altruiste avec une touche d'égoïsme, ça non. Vous pouvez être altruiste à 10%, mais pas à 90%, ce qui n'a aucun sens. On préfère l'avidité honnête à la générosité imparfaite. On compare aux extrêmes, au lieu de comparer les gens les uns aux autres. C'est la seconde erreur. Notre troisième erreur, c'est de supposer que si quelqu'un soutient une action collective, une action individuelle doit s'ensuivre. Donc si un politicien dit qu'il soutient l'éducation publique, mais envoie ses enfants dans une école privée, on dit : « Hypocrite ! » Si quelqu'un dit soutenir une interdiction générale de consommer de la viande, mais en mange lui-même, on dira sûrement : « Hypocrite » En réalité, c'est souvent totalement rationnel de soutenir un mouvement collectif sans forcément vouloir agir seul, agir individuellement, et en subir les conséquences. C'est tout à fait rationnel. Par exemple, en agissant de telle ou telle façon, en prenant des douches très courtes, ou en prenant le train plutôt que l'avion pour réduire vos émissions de CO₂, vous supportez seul le poids de vos actions, et elles bénéficient à sept milliards de personnes. Pour que votre effort soit rationnel, les bénéfices doivent être sept milliards de fois plus importants que le coût, et c'est rarement le cas. C'est pourquoi des initiatives comme Une heure pour la planète n'ont souvent pas d'effet durable. Ce n'est pas hypocrite d'être rationnel. Notre quatrième erreur, c'est de supposer que si quelqu'un est investi, s'il veut réellement le meilleur résultat, il soutiendra forcément la politique idéale. Donc quand Kevin Rudd, l'ancien premier ministre australien, a dit que le changement climatique constitue le plus grand défi moral de notre époque, et a ensuite soutenu des législations environnementales édulcorées, on a dit : « Hypocrite ! » Mais en réalité, il est parfois nécessaire d'être stratégique. Si la politique idéale, la situation idéale, ne reçoit pas le soutien parlementaire, en un an ou deux, elle sera réduite à néant par l'équipe politique suivante. Donc parfois, opter pour le second choix est en fait plus bénéfique à long terme, et a un impact plus important. Une autre de nos erreurs est de confondre légalité et moralité. Si quelqu'un prend position et dit qu'il s'oppose à la prostitution, s'il pense que la prostitution, c'est mal, et en même temps vote pour sa légalisation, on dira peut-être : « Hypocrite ! » Mais la question de la légalité est très différente de celle de la moralité. Voyez-vous, si la prostitution était légale, alors les victimes d'abus pourraient porter plainte sans avoir peur d'être poursuivies ou persécutées, et donc ce serait peut-être la bonne solution, peu importe si vous considérez que c'est moralement correct ou non. De même, il est cohérent pour quelqu'un de dire que, pour des raisons religieuses par exemple, il ne soutient pas le mariage homosexuel, mais qu'en même temps, il pense que ce devrait être légal. Parce que les questions de légalité incluent également les croyances, opinions et préférences d'autres personnes. Ne confondons pas légalité et moralité. Et la dernière erreur dont je parlerai est de ne pas distinguer des circonstances différentes. Quand Obama a dit qu'armer les agents de sécurité dans chaque école n'était pas la réponse à la violence armée, la NRA a répondu, non pas en attaquant son argument, mais en l'attaquant personnellement. Ils ont créé des campagnes publicitaires, traitant Obama d'hypocrite car les gardes du corps de ses filles étaient armés. Souvent, on ne distingue pas les différences de circonstances. Ce que je veux dire, c'est que souvent, quand on accuse les gens d'hypocrisie, ce n'en est pas. On suppose connaître les croyances des autres, on suppose savoir pourquoi les gens agissent de telle ou telle façon, mais souvent c'est arrogant de supposer cela. On condamne trop rapidement, et on pose des questions trop tard. Maintenant, supposons un instant que c'était hypocrite en effet, que ces personnes ont agi de façon hypocrite. Le problème ici, c'est que même s'il fait preuve d'hypocrisie, un argument n'en est pas pour autant discrédité. C'est une distraction pratique, mais pas une réfutation. Le fait que fumer est mauvais pour la santé reste vrai, même si c'est un fumeur qui le dit. Vous pouvez dissocier le bien du mal sans être un exemple parfait. Et vous devriez pouvoir demander aux gens de faire ce qui est juste. Ceux à la morale irréprochable n'en ont pas le monopole. Donc, si on ne doit pas interpeller les gens sur leur hypocrisie, si on ne doit pas se concentrer sur le messager caritatif, que devrions-nous faire ? Ma réponse serait que nous devons discuter, débattre et critiquer le message caritatif. Alors, ici il y a deux carafes. L'une représente la personne, le messager en question, et l'autre représente l'argument, le message. Alors, quand on interpelle quelqu'un sur son hypocrisie, quand on utilise cet argument pour attaquer quelqu'un, voici ce qu'il se passe. C'est facile de les faire saigner. C'est facile de faire mal. Après tout, ils sont humains. Mais ce qui est intéressant, c'est qu'on ne discute pas, on ne questionne pas, on ne critique pas le message caritatif. Voilà le statu quo, la situation dans laquelle nous sommes, où on attaque le porte-parole trop facilement, mais attaquer le message caritatif est un tabou. Pourquoi est-ce le cas ? Eh bien, je pense que souvent, on voit les actions caritatives comme un sujet tabou. On n'aime pas les critiquer. Puisqu'on les considère comme des bonnes actions. C'est pourquoi on peut faire plein de choses, si c'est « caritatif ». (Rires) Si vous cherchez une excuse pour sortir un calendrier sexy, faites-le pour une cause caritative. Courir un marathon, faites-le pour une cause caritative. Si vous voulez une excuse pour forcer trois de vos amis à se verser un seau d'eau glacée sur la tête, (Rires) faites-le pour une cause caritative. Vous voyez, c'est difficile de critiquer des actes caritatifs. On croit que toutes les actions caritatives sont semblables, mais elles ne sont pas toutes les mêmes, et toutes les solutions à un problème ne sont pas aussi efficaces. L'une des missions dans laquelle mon entreprise, Conseil 180°, est spécialisée, consiste à mesurer l'impact social de divers programmes et organismes ; et il me semble évident que certaines approches, certaines actions caritatives, sont cent fois, voire mille fois, plus efficaces que d'autres. Donc, ce que ça signifie, c'est qu'il est plus important d'agir pertinemment, d'agir efficacement, que de simplement agir. Une action est un moyen d'arriver à un but. On regarde l'action quand on accuse quelqu'un d'hypocrisie, mais se concentrer sur son impact est bien plus important. C'est bien plus important car nous vivons dans un monde rempli de problèmes sans fin, mais le temps, les ressources et l'argent sont limités, donc on ne peut pas se permettre de ne pas avoir le meilleur impact social possible. On ne peut pas se le permettre. On ne peut pas faire une bonne action simplement dans un effort de se donner bonne conscience. Ce doit être un effort intellectuel également. Laissez-moi vous donner un exemple. Disons que vous avez 42 000 $, et que vous voulez utiliser cet argent pour aider les aveugles. Vous avez plusieurs options. La première option est de ne rien donner. La deuxième option est d'utiliser cet argent pour dresser un chien-guide. 42 000 $, c'est environ le coût de dressage d'un chien-guide. La troisième option, c'est de l'utiliser pour financer une chirurgie de l'œil à bas coût dans un pays comme l'Inde, où chaque intervention coûte 75 $. Donc avec ces 42 000 $, vous pouvez aider soit : aucun aveugle, un aveugle, ou 560 aveugles. Je ne pense pas que ce devrait être un tabou de dire qu'il ne faut pas donner de l'argent pour dresser un chien-guide, même si les chiens sont mignons, et même si les chiens-guides sont importants pour les gens qu'ils aident, mais plutôt faire des dons pour les interventions chirurgicales à bas coût. Je sais, ça semble horrible. Ça semble immoral. Presque méchant. Quand on a fini les actions les plus efficaces, on peut faire celles qui le sont moins. Mais on ne doit pas faire les actions les moins efficaces aux frais de celles qui le sont plus. Et tant qu'il est tabou de parler des différents impacts des actions caritatives, il y aura plus d'aveugles, il y aura plus de pauvres, plus de personnes sans accès aux soins, à l'éducation, à l'hygiène, et je ne peux pas soutenir ça. Je veux que l'on ait le plus d'impact possible, et je ne pense pas que ce soit possible si on se concentre sur l'hypocrisie ou sur le messager. C'est possible si on se concentre sur le message caritatif. Car c'est ça le plus important. En conclusion ; à de nombreuses reprises, dès qu'on le peut, on s'attaque au messager, pas au message ; au militant, pas à la campagne ; à la personne, pas à son argument. Et ce devrait être exactement l'inverse. Le point central de ma présentation, c'est qu'il ne faut pas cibler les messagers des actions caritatives, et que critiquer les messages caritatifs ne devrait plus être un tabou. Les petits esprits réfutent les personnes ; les grands esprits réfutent les arguments. Je crois qu'Eleanor Roosevelt serait d'accord. Alors la prochaine fois qu'un politicien, une célébrité, un ami, un religieux, un bénévole, vous demande de faire quelque chose que vous ne voulez pas faire, je vous demande de répondre en réfutant leur message, pas eux. La prochaine fois que votre ami interpelle quelqu'un sur son hypocrisie, dites-lui : « Contredis le message, pas le messager. » Si on se concentre sur l'hypocrisie du porte-parole, on est malavisé, mais si on se concentre sur la validité du message, alors on est productif, et on aide à maximiser l'impact. Et ça c'est une cause qui vaut d'être défendue. Merci. (Applaudissements)