Je pense que nous sommes tous conscients
que le monde d'aujourd'hui
est plein de problèmes.
Nous en entendons parler
d'hier et d'aujourd'hui, bref,
tous les jours depuis des lustres.
De graves problèmes, de gros problèmes,
des problèmes urgents :
la mauvaise alimentation,
l'accès à l'eau,
le changement climatique,
la déforestation,
le manque de compétences,
l'insécurité, la famine,
le manque de soins de santé,
la pollution.
Il y a sans cesse de nouveaux problèmes,
mais ce qui différencie le moment présent
des autres moments que j'ai pu connaître
depuis que je suis sur cette terre,
est la prise de conscience de ces problèmes.
Nous sommes tous très conscients.
Mais alors, pourquoi avons-nous tant de mal
à y faire face ?
C'est la question qui me taraude,
et que j’aborde sous un angle spécifique.
Je ne suis pas un spécialiste
des problèmes sociaux.
Je suis quelqu'un qui travaille
pour des entreprises,
et qui les aide à réaliser des bénéfices.
Dieu nous en préserve.
Alors pourquoi avons-nous tant de problèmes
avec ces problèmes sociaux,
et est-ce que les entreprises
ont un rôle à jouer dans cela,
et si oui, lequel ?
Je pense que pour répondre
à cette question,
nous devons prendre du recul
et réfléchir à la meilleure façon
d'appréhender et de cerner
à la fois les problèmes et les solutions
à ces grands défis sociaux
auxquels nous sommes confrontés.
Je pense que beaucoup de personnes
ont identifié le monde des affaires
comme étant la cause,
ou du moins l'une des causes
de la plupart des défis sociaux
auxquels nous sommes confrontés.
Vous savez :
l'industrie de la restauration rapide,
l'industrie pharmaceutique,
le secteur bancaire.
Le respect envers le monde des affaires
est à son plus bas.
L'entreprise n'est pas considérée
comme la solution.
De nos jours, elle incarne le problème
pour la plupart des gens.
Et c'est souvent à juste titre.
Nombreux sont ceux qui,
dans le monde des affaires,
ont mal agi
et ont de fait aggravé le problème.
Donc, cette perception est peut-être justifiée.
Comment voyons-nous
généralement les solutions
à ces problèmes sociaux,
ces nombreux problèmes auxquels
nous sommes confrontés dans la société ?
Eh bien, on a tendance
à rechercher ces solutions
en termes d'ONG,
de gouvernement,
de fondations philanthropiques.
En fait, le type d'entité organisationnelle
de cette époque
est cette énorme augmentation
du nombre d'ONG
et d'organisations sociales.
Il s'agit d'une nouvelle sorte d'organisation,
dont nous avons vu l'expansion.
D'importantes innovations,
d'énormes quantités d'énergie,
de nombreux talents ont été mobilisés
grâce à ce type de structure,
pour tenter de faire face à tous ces défis.
Et beaucoup d'entre nous
sont profondément impliqués là-dedans.
Je suis professeur
dans une école de commerce,
mais jusqu'à présent, je pense avoir fondé
quatre organisations à but non lucratif.
A chaque fois que je me suis intéressé
ou que j'ai pris conscience
d'un problème de société,
j'ai créé une organisation à but non lucratif.
C'est cette manière de procéder
à laquelle nous pensons
pour traiter ce genre de problèmes.
Même un professeur d'école de commerce
a intégré cette manière de procéder.
Mais actuellement, je pense
qu'on a agi durant trop longtemps
de cette façon.
Nous sommes au courant de ces problèmes
depuis des années.
Nous avons des années d'expérience
avec nos ONG et nos entités gouvernementales,
pourtant il existe une réalité embarrassante :
nous ne faisons pas
assez rapidement de progrès.
Nous sommes pas
sur la voie de la victoire.
Ces problèmes semblent encore
ardus et intraitables,
et les solutions auxquelles nous arrivons
sont de petites solutions.
Nous faisons des progrès incrémentaux.
Quel est le problème fondamental
qui nous empêche
de faire face à ces problèmes sociaux ?
Si l'on exclut la complexité,
on est confronté au problème d’échelle.
On ne peut pas passer à l'échelle supérieure.
On peut faire des progrès.
On peut montrer des avantages.
On peut donner des résultats.
On peut améliorer les choses.
On aide. On fait mieux.
On fait du bon.
Mais on ne peut pas passer
à l'échelle supérieure.
On ne peut pas avoir un impact
à grande échelle sur ces problèmes.
Pourquoi cela ?
Parce que nous n'avons pas
les ressources nécessaires.
Et c'est vraiment clair maintenant.
Et cela est plus flagrant maintenant
que ça ne l'a été pendant les années passées.
Il n'y a tout simplement
pas assez d'argent
pour faire face
à l'ampleur de ces problèmes
en utilisant le modèle actuel.
Il n'y a pas assez
de recettes fiscales,
il n'y a pas suffisamment
de dons philanthropiques,
pour faire face à ces problèmes,
de la façon dont nous y faisons face actuellement.
Nous devons accepter cette réalité.
Et la rareté des ressources
pour faire face à ces problèmes
ne fait que croître,
ce qui est indéniable
dans le monde avancé d'aujourd'hui,
avec tous les problèmes budgétaires
auxquels nous sommes confrontés.
Donc, si c'est fondamentalement
un problème de ressources,
où sont les ressources de la société ?
Comment peut-on créer ces ressources,
les ressources dont nous aurons
besoin pour faire face
à tous ces défis sociétaux ?
Eh bien là, je pense que la réponse
est très claire :
par le biais des entreprises.
En effet, toute richesse est créée
par une entreprise.
Les entreprises créent de la richesse
quand elles répondent à des besoins lucratifs.
C'est ainsi que toute
richesse est créée.
C'est en répondant aux besoins lucratifs
qui mènent à l'impôt
et qui conduisent à des revenus
et qui conduisent
à des dons de bienfaisance.
C'est de là que toutes
les ressources proviennent.
Seules les entreprises peuvent véritablement
créer des ressources.
D'autres institutions
peuvent utiliser ces ressources
pour effectuer un important travail,
mais seules les entreprises peuvent les créer.
Les entreprises les créent,
quand elles sont en mesure de répondre
à un besoin et en tirer des profits.
Les ressources sont en grande majorité
générées par les entreprises.
La question est alors :
comment pouvons-nous les utiliser ?
Comment pouvons-nous les utiliser ?
Les entreprises génèrent ces ressources
quand elles réalisent un bénéfice.
Ce bénéfice représente la différence
entre le prix et le coût de production
quelle que soit la solution
que l'entreprise a créée,
pour tenter de résoudre
un problème.
Mais ce bénéfice est la magie ici.
Pourquoi ? Parce que ce bénéfice
permet de faire de la solution
que l'on a créée
quelque chose d'infiniment transposable.
Parce que si on peut faire un bénéfice,
on peut le faire pour 10, 100, un million,
100 millions, un milliard.
La solution se suffit à elle-même.
C'est ce qu'une entreprise réalise
quand elle génère un bénéfice.
Alors, quelle est la relation
avec les problèmes sociaux ?
Eh bien, une façon de voir les choses
consiste à dire :
prenons ce bénéfice et redéployons-le
vers les problèmes sociaux.
Les entreprises devraient donner plus.
Les entreprises devraient être
plus responsables.
Cela a toujours été notre vision
dans les entreprises.
Mais encore une fois,
cette façon de voir les choses
n'est pas en train de nous mener
là où nous devrions aller.
J'ai commencé
comme professeur de stratégie,
et je suis toujours
professeur de stratégie.
Je suis fier de cela.
Mais au fil des ans, j'ai travaillé
de plus en plus souvent
sur des projets à caractère social.
J'ai travaillé sur la santé,
l'environnement,
le développement économique,
la réduction de la pauvreté,
et à mesure que je travaille de plus en plus
dans le domaine social,
j'ai commencé
à percevoir quelque chose
qui a eu un impact profond sur moi
et sur toute ma vie, en quelque sorte.
L'idée la plus répandue en économie
dans la vision de l'entreprise
a toujours été
qu'il existe un compromis
entre la performance sociale
et la performance économique.
L'idée la plus répandue
consistait à dire
que l'entreprise réalise un bénéfice
en induisant de fait un problème social.
L'exemple classique est la pollution.
Si l'entreprise pollue, elle fait plus d'argent
que si elle tentait de réduire cette pollution.
Réduire la pollution coûte cher,
donc les entreprises ne veulent pas le faire.
Il est rentable d'avoir un environnement
de travail dangereux.
Cela coûte trop cher d'avoir
un environnement de travail sûr.
Donc les entreprises gagnent plus d'argent
si elles n'ont pas
un environnement de travail sûr.
C'est l'idée la plus répandue.
Beaucoup d'entreprises ont succombé
à cette idée.
Elles ont résisté
aux mesures écologiques,
à l'amélioration
des conditions de travail.
Je crois que cette réflexion a conduit
à forger une grande partie du comportement
que nous critiquons chez les entreprises,
et que je critique moi-même.
Mais en fait, plus je m'investissais
dans tous ces problèmes sociaux,
l'un après l'autre,
et plus je tentais d'y remédier
moi-même, personnellement,
dans certains cas,
à travers des organismes à but non lucratif
dans lesquels je me suis impliqué,
plus je trouvais effectivement que la réalité
se trouvait à l’opposé.
L'entreprise ne gagne rien
à induire des problèmes sociaux,
pas dans un sens fondamental.
C'est une vision très simpliste.
Plus on se penche
sur ces questions,
plus on commence à comprendre
qu'en fait les entreprises gagnent
à résoudre les problèmes sociaux.
C'est de là que provient le véritable bénéfice.
Prenons l’exemple de la pollution.
Nous avons appris récemment que le fait
de réduire la pollution et les émissions
générait des bénéfices.
Cela fait économiser de l'argent.
Cela rend l'entreprise
plus productive et efficace.
Cela évite de gaspiller les ressources.
Avoir des conditions de travail plus sûres
et éviter les accidents
rendent l'entreprise plus rentable,
parce que c'est la preuve de bons procédés.
Les accidents sont onéreux et coûteux.
Problème après problème,
on commence à apprendre
qu'en réalité il n'y a pas de compromis
entre le progrès social
et l'efficacité économique
dans un sens fondamental.
Un autre problème est la santé.
J'entends par là
que l'on a découvert que
la santé des employés est quelque chose
que les entreprises devraient soigner,
parce qu'un bon état de santé
permet aux employés
d'être plus productifs
et moins souvent absents.
La recherche poussée, la récente recherche,
la nouvelle pensée
sur l'interface entre les entreprises
et les problèmes sociaux
montrent qu'il existe en réalité une fondamentale
et profonde synergie,
surtout si on ne raisonne pas
à très court terme.
A très court terme, on peut parfois
se tromper en pensant
qu'il y a fondamentalement
des objectifs opposés,
mais sur le long terme,
en fin de compte, on apprend,
que ce n'est tout simplement pas vrai.
Alors, comment peut-on puiser dans
la puissance des entreprises
pour résoudre les problèmes fondamentaux
auxquels nous sommes confrontés ?
Imaginez qu'on puisse faire ça.
Parce que si on le pouvait,
on pourrait passer à l'échelle supérieure.
On pourrait puiser dans
cette réserve de ressources énormes
et cette capacité organisationnelle.
Et devinez quoi ?
C'est ce qui se passe actuellement, enfin.
En partie à cause de gens comme vous
qui ont fait connaître ces problèmes
année après année
et décennie après décennie.
On voit des entreprises telles
que Dow Chemical
mener une révolution contre
les graisses transgéniques
et les graisses saturées
grâce à des produits innovants.
Ceci est un exemple de Jain Irrigation.
C'est une entreprise qui a apporté
la technologie d'irrigation au goutte à goutte
à des milliers et des millions d'agriculteurs,
réduisant ainsi considérablement
la consommation d'eau.
On voit des sociétés comme
la société forestière brésilienne Fibria
qui a trouvé un moyen d'éviter
d'abattre les forêts anciennes
en se tournant vers les eucalyptus
qui permettent
d'obtenir un meilleur rendement
de pâte par hectare
et produire beaucoup plus de papier
qu'on ne peut en obtenir
en abattant des arbres centenaires.
On voit des sociétés comme Cisco
qui a formé, à ce jour,
quatre millions de personnes
en informatique
pour, certes, être responsable,
mais aussi élargir la possibilité
de diffuser l'informatique,
et faire croître l'ensemble de l'entreprise.
Une opportunité fondamentale
s’offre aux entreprises d'aujourd'hui
pour agir et s'attaquer à ces problèmes sociaux,
et cette opportunité
est la plus grande opportunité commerciale
qui s'offre aux entreprises.
La question est, comment peut-on
transposer cette vision
du monde des affaires au problème
de la valeur partagée ?
Voici ce que j'appelle une valeur partagée :
traiter des problèmes sociaux
avec un modèle d'entreprise.
Voilà ce qu'est la valeur partagée.
La valeur partagée,
c'est le capitalisme,
mais c'est un capitalisme
de type supérieur.
Finalement, c'est le capitalisme tel
qu'il était censé être :
la satisfaction des besoins importants,
pas la concurrence incessante
dans des différences
insignifiantes sur les produits
et les parts de marché.
La valeur partagée, c'est quand on arrive
à créer de la valeur sociale
et de la valeur économique simultanément.
Trouver ces opportunités
nous permettra d'atteindre
la possibilité ultime
d'apporter une réponse réelle
à ces problèmes sociaux
parce que nous pouvons passer
à l'échelle supérieure.
Nous pouvons voir la valeur partagée
à plusieurs niveaux.
C'est en train de se produire.
Mais pour que cette solution fonctionne,
on doit maintenant changer la façon
dont les entreprises se perçoivent,
et cela est heureusement en cours.
Les entreprises se sont retrouvées
prises au piège de l'idée répandue.
Elles ont pensé qu'elles ne devaient pas
se soucier des problèmes sociaux,
que c'était en quelque sorte
quelque chose de secondaire,
que quelqu'un d'autre s'en chargeait.
On voit maintenant des entreprises
adhérer à cette idée.
Mais on doit aussi reconnaître
que l'entreprise
ne va pas le faire de manière aussi efficace
qu'elle pourrait le faire en collaborant
avec des ONG et l’État.
Les nouvelles ONG qui sont vraiment
arrivées à faire la différence
sont celles qui sont arrivées à conclure
ce genre de partenariats
et qui ont trouvé ces façons de collaborer.
Les gouvernements qui font le plus de progrès
sont ceux qui ont trouvé des moyens
d'introduire la valeur partagée dans l'entreprise
plutôt que de laisser le gouvernement
être seul aux commandes.
Et les États ont de nombreuses façons
d'avoir une incidence
sur la volonté et la capacité des entreprises
à se lancer dans cette direction.
Je pense que si on pouvait faire en sorte
que les entreprises se voient différemment,
et si on pouvait faire en sorte d'amener
les autres à voir les entreprises différemment,
nous pourrions changer le monde.
Je le sais. Je le vois.
Je le sens.
Les jeunes, je pense,
comme mes élèves de l'école de commerce
de Harvard, l'ont compris.
Si on pouvait briser ce genre de fossé,
ce malaise, cette tension,
ce sentiment que nous ne sommes pas
en train de collaborer fondamentalement
dans la prise en charge
de ces problèmes sociaux,
on pourrait casser cette routine,
et je pense, qu'à ce moment-là
on pourra avoir des solutions.
Je vous remercie.
(Applaudissements)