Ximena Elgueda (espagnol) : Bonjour, comment allez-vous ? Steven Ward (anglais) : Bonjour. SW : L'œuvre de notre vie a commencé il y a 22 ans ici, au Japon. Nous avions de l'intérêt pour nos œuvres respectives et cela nous a conduits à co-produire. XE : Ensuite, nous avons créé des objets en céramique pour l'extérieur que tout le monde peut toucher. Ce fut une aventure aussi périlleuse que partir en mer et traverser les océans en construisant son bateau. SW : Il y a 20 ans, un été, nous avons obtenu l'autorisation de la ville de prendre de la terre d'un parc public pendant un mois, fabriquer un objet aussi grand que ça que nous avons cuit avec des déchets. Pendant sa fabrication, nous avons subi deux typhons mais on a pu achever l'œuvre que nous avons intitulée : « La place du ciel ». Mais un jour, l'œuvre fut vandalisée. XE : Les trois tonnes de terre que nous avions utilisées étaient en mille morceaux. Sous le choc, j'ai pris mon enfant dans les bras et j'ai couru jusqu'à la mairie pour montrer un débris de notre œuvre. L'explication de la mairie ne fut pas convaincante. Mais on s'est aperçu qu'une des raisons pourrait être le fait que nous n'avions pas pensé au rapport entre le lieu et les gens. Nous avions imaginé une œuvre mais nous n'avions pas pris le temps de communiquer avec les habitants du quartier à son sujet, ni de la fabriquer ensemble et donc, elle n'émanait pas du quartier. SW : Mais nous n'avons pas abandonné l'idée d'offrir une œuvre à notre ville. Nous avons donc demandé une autorisation à la mairie une seconde fois. XE : Le thème de cette œuvre fut : « Un lieu pour rencontrer l'autre. » Nous avions la vision de relier le lieu, les gens et l'œuvre. SW : Nous avons fabriqué notre objet dans le parc public. Et donc, plein de gens venaient nous parler. Ils transportaient l'argile et les briques avec nous. Ils nous ont même aidés pour la cuisson des céramiques. On avait réussi à faire le lien entre notre œuvre et les gens. Cela nous a pris trois ans pour la fabriquer et la cuire sur place. Elle est devenue aussi solide que de la roche avec la chaleur et la pression. Et elle est toujours debout. Voici notre objet : « La place du ciel et du crépuscule ». Pourquoi avoir eu envie de créer un tel espace ? XE : Il y a ces sons et échos que j'ai ressentis dans un amphithéâtre de pierre dans la nature au Venezuela. SW : Il y a la sensation d'être enveloppés par l'immensité des forêts en Amérique. Tout cela nous a inspirés. XE : J'ai voulu reproduire avec de l'argile cette sensation mystérieuse d'être enveloppé par le son. Le vol des cormorans et celui des aigles nous ont inspirés pour cela. On a pu créer un lien avec les villages enveloppés par les rizières. Le jeu, la danse, la musique et le théâtre étaient à nouveau unis à la nature. C'est un lieu où naissent de nouvelles expressions. Un théâtre en plein air dont les tuiles rendent l'écho possible. C'est ça « la place de la montagne, le théâtre en plein air. » SW : L'histoire de la céramique est ancienne. On cuit des céramiques depuis plus de 26 000 ans. Toutefois, je n'ai jamais vu des exemples d'objets en céramique aussi gigantesques que les nôtres. Notre vision devenait de plus en plus claire mais elle entraînait aussi un risque plus grand quant à nos compétences, aux limites des matériaux et aux finances. XE : Nous avons accepté ce risque. Nous avons fait appel à des artisans céramistes qui construisaient leurs fours, à des architectes, des géomètres et même un dentiste. SW : Sur le lieu même de notre travail. XE : « Que faites-vous ? Avec des tuiles en argile pour créer un écho ? Incroyable ! Cela semble compliqué mais quand est-ce que ce sera terminé ? » SW : « Eh bien, ce n'est pas pour aujourd'hui ni demain. Mais si vous nous donnez un coup de main, ce sera terminé un peu plus vite. » Nous avions toujours des gants de travail à disposition pour de telles occasions. (Rires) XE : « Merci. » Petit à petit, de plus en plus de gens venaient nous aider. Notre vision devenait de plus en plus réelle. SW (anglais) : Rejoignez-nous quand vous le pouvez. Faites ce que vous pouvez. Quand vous pouvez nous rejoindre, faites ce que vous pouvez. Des gens ont fait la chaîne avec un seau pour transporter l'argile. XE : D'autres ont mélangé l'argile... SW : ou des « onigiri », des boules de riz. XE : Il y en avait qui ne faisait rien sauf la conversation. SW : Des enfants couraient partout avec de grandes feuilles en guise de parapluie. XE : Le théâtre avait déjà commencé. Il y avait beaucoup de monde qui participait et nous avons eu notre lot de rencontres, de séparations et de conflits. Un typhon a détruit 7 tonnes de tuiles de céramique sur les 30 tonnes que nous avions déjà érigées. Des gens nous poussaient à travailler à la chaîne pour réparer les dégâts rapidement. Mais la plupart ne souhaitaient pas travailler machinalement. SW : La raison pour cela, c'est qu'avec la terre, il y a des expériences et des moments qui ne sont possibles que sur place. Et c'est ce que les gens recherchaient. Finalement, ceux qui voulaient aller vite étaient peu nombreux. XE : Le moment de fabriquer le four est arrivé. On le construisit en empilant des briques pesant 28 kilos. Le four est haut de cinq mètres et il ne peut pas laisser échapper la chaleur. C'est un immense puzzle de 200 tonnes. Pour arriver là, nous avions déjà été le témoin de 14 moissons des rizières. On ne voyait pas la fin de ce travail et l'envie d'abandonner tout nous a envahis. Au même moment, peu de gens venaient nous aider. Qui a envie de transporter des briques pendant ses jours de congé ? (Rires) SW : Oh ? XE : Quelqu'un vient ? Oui, là-bas ! (Rires) Des gens venaient regarder. SW : « Ce n'est pas encore terminé ? » XE : « On a des gants pour vous. » SW : « Oh ! Merci ! » (Rires) XE : On a finalement terminé le four. Avec une chaleur intense, l'argile se transforme en pierre et ne retourne plus à l'état de terre. Pour cuire ces tuiles, il nous aura fallu 40 jours de cuisson et une chaleur de 1 200°C. On n'a qu'une seule chance avec la cuisson et on ne peut pas échouer. Et si cela explosait pendant la cuisson ? Et si la chaleur ne monte pas assez haut ? Nous étions très anxieux en pensant à toutes les personnes qui avaient participé et aux fonds que nous avions investis dans ce projet. SW : 40 jours de cuisson, c'est un marathon. Quand on allume le feu, ça commence doucement, comme une musique. On conserve une chaleur basse un certain temps et la musique s'emballe au fur et à mesure que la chaleur commence à monter dans le four. Finalement, la chaleur atteint son paroxysme. On a fait du camping sans jamais relâcher notre attention du feu une seule seconde. On manquait de sommeil et cela nous rendait presque fou. Parfois, avouons-le, on a eu des crises de folie. (Rires) XE : En fin de cuisson, on a jeté un pin parasol du Japon entier dans le four. On ignorait si la cuisson serait une réussite. Mais on devait attendre 40 jours que la chaleur tombe. Deux ans de façonnage, 3 ans de tuiles, 10 ans pour le four et un an pour démanteler le four. C'était comme voir naître un papillon sortant de sa chrysalide. L'objet nous a enfin montré sa forme d'ocarina. SW : Nous pensons que le projet de place des montagnes, théâtre en plein air allait prendre deux ans. Mais cela nous aura demandé 16 ans. Parfois, des choses inattendues sont survenues et c'est ce qui nous a permis de réussir. XE : Environ 2 000 personnes ont participé à notre projet. Chacun forgeait sa propre idée de ce à quoi le théâtre devrait ressembler. Mais une vision va au-delà d'une idée. La vision est le moteur qui construit l'avenir. C'est grâce à ce moteur qu'on a pu réunir les trois potentiels dans notre projet. SW : Le potentiel du lieu enraciné l'œuvre dans le terroir et la rend unique. XE : Le potentiel de l'homme car tout le monde a un rôle à jouer. SW : Le potentiel du temps qui permet l'accomplissement quand on le prend. Les habitants du village se sont rassemblés pour rendre l'œuvre possible. Une nouvelle forme d'expression est née et a fait renaître ce lieu de vie. C'était précisément notre vision. XE : (anglais) C'est un endroit créé par les hommes pour les hommes. Un endroit créé par les hommes pour les hommes. (Musique) (Fin de la musique) XE : Cet objet géant qui crée un écho, vu du ciel, il ne semble pas plus grand qu'un caillou. Pourtant, sur ce caillou, il y a les traces de toutes nos mains. La volonté de chacun qui est née à travers cette expérience va devenir le lien vers des nouvelles histoires. Si chacun de nous agit pour réaliser sa vision, il peut certainement la réaliser seul, comme un marin sur son bateau. SW : Mais on peut aussi naviguer ensemble. XE : Nous vous invitons XE et SW : à partir à l'aventure et démarrer une nouvelle histoire. XE (anglais) : Merci. SW (espagnol) : Merci. (Applaudissements)