(Tintement de cloche) « Une cloche sonne, sonne Sa voix, d'écho en écho, Dit au monde qui s'étonne : « C'est pour Jean-François Nicot, C'est pour accueillir une âme Une fleur qui s'ouvre au jour A peine, à peine une flamme Encore faible qui réclame Protection, tendresse, amour. Toutes les cloches sonnent, sonnent Leurs voix, d'écho en écho, Merveilleusement couronnent La noce à François Nicot. « Un seul cœur, une seule âme, Dit le prêtre et pour toujours Soyez une pure flamme Qui s'élève et qui proclame La grandeur de votre amour. » Une cloche sonne, sonne Sa voix, d'écho en écho, Lancinante et monotone Elle redit aux vivants : ' Ne tremblez pas, cœurs fidèles Dieu vous fera signe un jour Vous trouverez sous son aile Avec le repos éternel L'éternité de l'amour. ' » Cette très belle chanson de Jean Villard-Gilles, immortalisée par Édith Piaf, résume à mon sens toute la poésie de la cloche, et sa vocation, qui est d'accompagner la vie des hommes, de leur naissance à leur mort. Il est possible que parmi vous, certains n'aient pas cette conception poétique de la cloche, peut-être voyez-vous plus un instrument, une gamelle peut-être. C'était peut-être ce que je pensais mais voilà, la vie m'a amenée à épouser un fondeur de cloches. Et je suis tombée, donc, amoureuse des cloches, du clochard et de son métier. Et j'avoue que mon regard sur les cloches a nettement changé. Tout d'abord, ce qui m'a vraiment fascinée avec cet objet, c'est de me rendre compte à quel point les gens sont attachés à leur patrimoine campanaire, à quel point pratiquement toutes les personnes ont une cloche qui a marqué leur enfance ou qui a marqué leur inconscient. D'ailleurs pas forcément une cloche qui sonne juste. On peut être attaché à la cloche de son village qui sonne un peu petit peu faux. Et j'en veux pour preuve que pas plus tard que jeudi dernier, j'ai accueilli une délégation d'un petit village du Morbihan qui a traversé toute la France pour venir assister à la coulée de sa cloche. Voilà, la cloche du village s'est fêlée et comme le veut la tradition, l'ancienne cloche a été cassée pour donner vie à une nouvelle cloche. Parmi cette délégation se trouvait une petite fille, Noémie, neuf ans, et je peux vous dire qu'elle n'était pas peu fière d'être là, certainement elle était aussi contente car elle avait le droit de rater l'école. Mais ce n'était pas la seule raison de sa joie et de son excitation, c'est que Noémie a donné son nom à la cloche, puisqu'elle a été choisie et désignée comme marraine de la cloche du village. Ce qui montre bien que la cloche est un objet intemporel qui parle à toutes les générations. Une autre chose qui m'a frappée rapidement, en faisant des recherches notamment dans les archives, c'est de me rendre compte à quel point notre histoire est gravée dans le bronze de nos cloches. J'illustrerai mon propos par une petite histoire vraie, qui m'a beaucoup touchée. Nous sommes en 1796, en pleine tourmente révolutionnaire. Dans un petit village qui se trouve pas très loin d'ici, Quintal pour ne pas le nommer, ce petit village, rappelons-nous, il n'est pas français, à l'époque en tout cas, il résiste encore et toujours à l'envahisseur et n'est pas sans rappeler un certain village gaulois. Seulement l'envahisseur à cette époque, ce sont les révolutionnaires français. Pourtant, les habitants du village ont entendu parler de « Liberté, Égalité, Fraternité ». Ce sont des idées qui leur parlent. Dans les Allobroges, la liberté, on sait ce que c'est. Ils se disent : « Mais c'est nous ça ! On est libres, on est frères, on est égaux. » Ils vont rapidement déchanter. Ils vont devoir se rendre à l'évidence, c'est que manifestement ils n'ont pas la même notion de la liberté, de l'égalité et de la fraternité que leurs voisins révolutionnaires français. Ce qui fait qu'en 1796 à Quintal, il n'y a plus de curé. Aujourd'hui peut-être ce n'est pas un drame mais je peux vous dire qu'en 1796 c'est un problème. C'est un peu comme s'il n'y a plus de Panoramix dans le village gaulois. Pas pour un problème de potion magique, mais à l'époque sans prêtre il n'y a pas de mariage, il n'y a pas de baptême, pas d'enterrement. Alors au passage, les révolutionnaires français ont réquisitionné les deux cloches du clocher du village. Parce que malheureusement pour les cloches, les canons à cette époque sont encore faits en bronze, du même métal que les cloches. Et on réquisitionne donc les cloches de France et de Navarre, et de Savoie malheureusement, pour en faire des canons car la France est en guerre contre tous ses voisins. Plus de cloches en 1796, il faut bien penser qu'on n'est pas à l'ère du numérique, et on n'a pas de montre, on n'a pas d'iPhone, on n'a pas d'ordinateur, il n'y a pas d'horloges électroniques, ce sont les cloches qui rythment la vie quotidienne. Ce sont les cloches qui le matin disent qu'il faut se lever, ce sont les cloches qui à midi sonnent l'angélus pour arrêter le travail, ce sont encore les cloches le soir qui annoncent aussi l'arrêt du travail, souvent dans les champs. Et puis ce sont les cloches qui annoncent les dangers. Ce sont encore les cloches qui annoncent les naissances, les mariages, les événements heureux, mais aussi l'au-delà, qui annoncent un décès dans le village. Et ne dit-on pas : « Qu'elle chante ou qu'elle pleure, une cloche toujours prie » ? (Musique : Ave Maria, piano et cloche) (Chante) Ave Maria Ave Maria Aaaa - Ave Maria Ave Maria Ave Maria Aaaa - Ave. (Musique seule, diminuant) (Applaudissements) Quand je vous disais que les cloches apportaient de la poésie. A la demande des habitants du village, le maire va trouver l'évêque, et lui demande d'envoyer un nouveau missionnaire dans le village. Monseigneur est un homme avisé et prudent. « Vous aurez [un prêtre], quand vous aurez une cloche dans votre clocher. » C'était une manière de s'assurer que la demande était sérieuse puisqu'il faut savoir qu'à l'époque, il est parfaitement interdit de fabriquer des cloches pour les églises. Notre maire, c'est un bon Savoyard, il est bien têtu, et il se dit : « Qu'à cela ne tienne, on va faire cette cloche, on s'arrangera avec les autorités, et il sera bien obligé de nous envoyer un curé. » Il faut avoir aussi qu'à l'époque, la fonte des cloches se fait à pied-d'œuvre, c'est-à-dire que les fondeurs de cloche, ce sont des artisans itinérants qui se déplacent de village en village pour fabriquer sur place le moule de la cloche, ils construisent sur place le four qui servira à la fusion du métal. Et ces artisans portent le joli nom de saintiers, S-A-I-N-T-I-E-R-S. Dans la région, il y a un saintier de bonne réputation, du nom de Jean-Baptiste Piston, et c'est à lui que le maire de Quintal va faire appel. Donc un beau matin de 1796, Jean-Baptiste Piston arrive avec tout son attirail dans le petit village savoyard. Il s'adresse aux habitants et demande s'il est possible que durant les semaines que va durer la fabrication de cette cloche, il puisse bénéficier de l'aide d'un apprenti, si possible quelqu'un qui sache lire et écrire. Ça ne court pas forcément les rues, on l'a vu, à cette époque. Et il se trouve que le seul lettré du village, c'est le maire. Il s'appelle Antoine Paccard, il a 24 ans. Et de manière tout à fait fortuite, il découvre le métier de fondeur de cloches. Et c'est une révélation pour lui. Il tombe littéralement amoureux du métier de fondeur de cloches et décide de devenir fondeur à son tour. Il ignorait sans doute qu'on en parlerait encore au TEDx d'Annecy en 2018. Je ne sais pas s'il a pensé à ce moment-là que ses descendants enverraient ses cloches dans le monde entier, que ses cloches deviendraient les ambassadrices de la Savoie, puis de la France parce que, quand même on a fini par devenir Français, aux quatre coins du monde. Et je ne sais pas non plus s'il s'imaginait que sa cloche sonnerait toujours dans le clocher de Quintal 222 ans plus tard. Et si par chance - ce n'est pas très courant - mais si vous avez la chance de monter au clocher de Quintal - ça vaut le détour parce que c'est l'une des plus vieilles églises du département - eh bien, vous découvrirez cette vieille fille de bronze de 222 ans, sur laquelle il est inscrit la devise choisie par Antoine Paccard : « Si je survis à la Terreur, je chanterai le bonheur. » (Applaudissements) Un autre aspect qui m'a fascinée avec la cloche, vous l'aurez compris, je suis un peu musicienne. Alors je ne suis pas toujours sûre, parce que quand les gens entendent mes prestations avec les cloches, m'entendent chanter, il y en a régulièrement qui viennent me dire : « Mais, vous êtes musicienne ? » C'est qu'apparemment être chanteur ne veut pas dire être musicien, donc j'ai parfois quelques doutes. Mais comme je pianote, on dira que je suis musicienne, mais en tout cas, j'étais fascinée par le côté musical de l'instrument. La cloche a une particularité dans l'univers musical : elle a un timbre mineur. Je ne vais pas rentrer dans les explications précises et scientifiques mais sachez que c'est le seul instrument de musique dans le monde musical dont le timbre, la composition harmonique du son, donne un son mélancolique. Peut-être est-ce pour ça qu'elle nous aide à élever notre âme. Est-ce pour ça qu'elle déclenche en nous un attachement sentimental, je ne saurai le dire. Sachez simplement que ce timbre est la résultante d'un profil. Le plus important pour le fondeur de cloches, c'est de bien maîtriser la forme, le tracé de la forme intérieure et de la forme extérieure de la cloche qui constituent donc le profil de la cloche. Ce profil, c'est l'ADN de la cloche. Il détermine toutes les caractéristiques : la taille, le poids, la note, qu'on connaît déjà avant même de couler la cloche. Donc c'est vraiment un savoir-faire extrêmement pointu. Mais au-delà de la note, il y a quelque chose qui à mon sens est plus important : c'est le timbre de l'instrument. Le timbre, c'est cette qualité particulière du son qui fait qu'on reconnaît un instrument de musique d'un autre. Pas besoin d'être musicien pour entendre la différence entre un do sur un piano, un do au violon ou un do avec une cloche, si petite soit-elle. Simplement parce que la note, c'est la même mais la composition harmonique... En fait cette note est enrichie de plusieurs notes, mais notre oreille qui est un synthétiseur, synthétise ce son et nous restitue ce qu'on appelle une note « au-coup ». Pourquoi le timbre est important ? Je prendrai une analogie. Dans une pouponnière, il peut y avoir 20 bébés, mais une maman reconnaîtra le cri de son enfant. C'est un sujet qui me touche particulièrement parce que j'ai quand même... Ma plus grande fierté est d'avoir livré cinq petits clochards, qui constituent la 8e génération - que des garçons. Pour les Savoyards je n'ai eu que des enfants. Je précise car il paraît que les filles, ce sont des filles, et les garçons, des enfants, je n'ai eu que des enfants. Mais, quand j'ai vu les petites filles tout à l'heure, j'avoue que moi, une petite fille, je n'aurais pas... Mais toujours est-il que le timbre est très important et sachez qu'un fondeur de cloches, quand il entend les cloches sonner il est capable de vous dire si c'est lui qui les a fabriquées, ou si elles viennent de Hollande, si elles viennent de Normandie ou d'ailleurs. Cette qualité d'instrument de musique nous permet aussi d'entrer dans le troisième millénaire. Et d'associer la cloche au design et à l'architecture urbaine, grâce à un concept novateur qui s'appelle « Art Sonora ». Art Sonora : l'art sonore. L'art sonore, et ce concept d'Art Sonora, en fait permettent d'allier, de marier l'esthétique de la cloche, car c'est un bel objet qui malheureusement n'est pas vu très longtemps, le temps de la bénédiction de la cloche, hop ça monte au clocher, Pourtant on se donne du mal pour la faire ! Mais ça permet donc d'associer cette esthétique de la cloche à la sculpture et au design, car ces sculptures musicales sont installées sur la place publique : devant la mairie, dans un jardin, devant l'office du tourisme, pour habiller notre quotidien de poésie. Voilà une manière originale de rentrer dans le troisième millénaire. Un autre avantage de ce concept, c'est qu'il permet d'associer la très belle musicalité de la cloche à celle d'autres instruments de musique. Et je peux vous dire qu'on peut faire un répertoire très éclectique, que je vous propose de découvrir dans un extrait, car si vous me laissez, je reste trois heures, mais ce n'est pas ce qui était prévu. S'il vous plaît, maestro. (Musique : When you believe, synthétiseur et cloche) (Chante) Many nights we prayed With no proof anyone could hear In our hearts a hope for a song We barely understood Now we are not afraid Although we know there's much to fear We were moving mountains Long before we knew we could There can be miracles When you believe Though hope is frail It's hard to kill Who knows what miracles You can achieve When you believe somehow you will You will when you believe They don't always happen when you ask And it's easy to give in to your fears But when you're blinded by your pain Can't see the way, get through the rain A small but still resilient voice Says hope is very near There can be miracles When you believe Though hope is frail It's hard to kill Who knows what miracles You can achieve When you believe somehow you will Somehow you will You will when you believe You will when you believe (Fin de la musique) (Applaudissements) Voilà comment les cloches ont changé ma vie. Alors j'espère que cette petite intervention aura peut-être changé votre regard sur les cloches. J'espère que ce témoignage vous donnera l'envie de défendre votre patrimoine campanaire, de faire en sorte que les cloches sonnent dans votre village, parce qu'elles sont souvent menacées, soit par manque d'entretien, soit par méconnaissance aussi, on a souvent tendance à arrêter les cloches parce que le beffroi bouge, ou le clocher bouge, mais c'est normal, il n'y a pas de problème ! Et puis si ce concept vous a plu, parlez-en autour de vous de manière à apporter au cœur de la cité un peu plus de poésie et un supplément d'âme. (Applaudissements) (Tintement de cloche)