Imaginez la scène suivante. Par une journée humide, vous marchez dans une épaisse forêt profonde. Vous entendez le bruit de millions de particules d'eau frappant l'eau d'une rivière. Le pépiement des oiseaux est noyé par le tonnerre d'une grande chute d'eau. C'est magnifique. Vous admirez les changements constants que la nature génère. Vous voulez peut-être plonger la main dans ce cours d'eau. Mais pour quel effet ? Le flux est plus fort que vous. Quoique vous fassiez avec votre main, l'eau se frayerait un chemin, en contournant votre main ou entre vos doigts. La société liquide, c'est ce flot constant d'eau. C'est le sociologue Zygmunt Bauman, qui, le premier, utilisa le terme pour décrire le monde actuel, où il y a en permanence des avancées et changements. C'est différent de la société solide liée aux traditions d'Europe et d'Amérique du Nord à la fin du XVIIIe et au XIXe siècle, qui se traduit par des avancées dans la démocratie et l'industrie. En ce moment, le monde change constamment, de nouvelles technologies émergent et les découvertes médicales foisonnent dans les revues spécialisées. Récemment, on m'a posé une question qui a profondément marqué comment je perçois le changement. Un enseignant m'a demandé : « Que veux-tu créer à l'avenir ? » Il a expliqué, citant Malcolm Gladwell, que « l'innovation réussie dépend en fait de si on est au bon endroit au bon moment. » Mais comment savoir quel est le bon endroit et moment ? On dirait que la stabilité a disparu. Le résultat de ces changements incertains crée une anxiété profonde de l'avenir. Mais pourquoi avons-nous si peur ? C'est difficile de contrôler les choses qui évoluent sans cesse. Avez-vous déjà essayé de saisir la vapeur ? Je vous fais gagner du temps, c'est totalement impossible. Les particules gazeuses de la vapeur sont en mouvement aléatoire permanent. Idem avec la vie liquide, vous pouvez voir passer une chaîne d'événements, mais vouloir dévier leur cours est sans espoir. Il ne peut y avoir d'arrêt. Il n'y a pas de bouton pause. Même si vous inspirez profondément pour ralentir les minutes qui passent, la vie liquide les accélère. Pour notre cerveau, que des choses bougent aléatoirement toujours et à jamais est un signal d'alerte rouge. Notre cerveau le traite comme une erreur et a le nom chic de « climat d'incertitude ». Des recherches en neurosciences, par le Pr David Rock, indiquent que si notre cerveau enregistre cette erreur, il tente de la corriger. Notre cerveau veut le contrôle complet et s'emparer de la situation. C'est pourquoi nous préférons une issue négative certaine dans une situation, plutôt que d'attendre le verdict, angoissés. Simplifions. Le neurologue Marc Lewis présente une excellente analogie de cette théorie. Imaginez-vous en voiture, vous démarrez et entrez l'itinéraire pour vous rendre à une réunion importante. Dans le premier des scénarios, vous crevez et êtes sûr de rater la réunion. Dans le second, vous êtes coincé dans un énorme embouteillage. Selon cette théorie, vous serez plus stressé dans le second scénario, car vous ne pourrez en prévoir l'issue. La vie liquide crée de la peur car nous ne voyons pas clairement le futur. Nous n'avons pas le 10/10 de vision que notre cerveau réclame. Alors, que faisons-nous ? Nous essayons de résister à tout changement. Mais cela empire car ce à quoi nous résistons persiste. Une étude dans la revue de psychologie sociale expérimentale présente cet état d'esprit de résistance. Dans cette étude, on présente le même tableau à deux groupes. Au premier, on dit que le tableau a été peint en 1905. Au second, on donne la date de 2005. Le groupe à qui on a donné la date de 1905 a trouvé le tableau bien plus esthétiquement réussi. Pourquoi préférer le plus « ancien » ? L'idée que le tableau était plus ancien et reconnu rassurait le premier groupe. Cela montre qu'accueillir le changement n'est vraiment pas notre point fort. Mais la vie liquide est une chose à laquelle nous devrons nous adapter, car nous ne pouvons empêcher toutes ces vagues de progrès qui ne s'insinuent plus, mais déferlent dans nos vies quotidiennes. Comment mieux accueillir le changement ? Ne vous en faites pas, je vais vous aider. Nous devons tout arrêter un instant et réaliser qu'on ne peut tout contrôler. Surtout pas l'incertitude. Acceptons ce qu'il se passe dans notre esprit. C'est peut-être là qu'on trouvera comment cesser de refouler l'incertitude. C'est crucial, d'autant plus avec le développement de la vie liquide. Certes, c'est plus facile à dire qu'à faire, mais il est important d'encourager les gens à réaliser que le changement nous entoure et qu'il n'y a pas de machine à remonter le temps. Même si on semble emporté par les courants de la vie liquide, une alternative existe. Même plusieurs. Innover. S'adapter. Pour survivre dans un monde où coule la créativité, devenez-en une source ou laissez la filer entre vos doigts. Plutôt qu'être emporté, on peut être élément perturbateur ou simplement vivre le présent. La peur créée par la vie liquide peut être évitée en embrassant l'incertitude. Avons-nous besoin de voir parfaitement dans l'avenir, si on se concentre sur vivre l'instant et accepter le changement ? Je vous remercie. (Applaudissements)