Le matin du premier mai de cette année [2018], le monde s'est réveillé pour découvrir que l'acteur et star d'Hollywood nominée aux Oscars, Leonardo DiCaprio avait été transformé en coléoptère. J'en suis la cause et je vais vous raconter ça. Avant de commencer, une petite question : combien d'espèces animales vivent-elles sur la Terre ? Que dites-vous ? D'habitude, on me répond quelques dizaines de milliers. Mais c'est loin du compte : il y en a probablement environ 8 millions. C'est parce que ces mammifères et oiseaux ne représentent qu'une fraction de la biodiversité. On trouve la vraie diversité dans le million de petites créatures comme les insectes, les escargots ou les araignées. Durant trois siècles de biologie, on a découvert et nommé 1,5 million d'espèces environ. Une infime portion du vrai nombre. Certes, nous avons pu cataloguer tous les cratères sur la Lune, mais ici, sur Terre, au 21e siècle, nous continuons d'ignorer 80 % des espèces animales. C'est fou. Pourquoi ? On croirait bien que ces petites créatures n'ont pas de bonnes relations publiques car la plupart des gens se focalisent sur les grandes, même les biologistes. Il y a des centaines de scientifiques dans le monde qui s'intéressent à une espèce de tigre mais il n'y a qu'un scientifique pour 1 500 espèces d'insectes. Cette partie inconnue, non étudiée devient de plus en plus cruciale car les activités humaines accélèrent les taux d'extinction. Chaque jour, nous perdons des espèces avant même avoir eu l'occasion de les découvrir et d'apprendre sur elles. Les taxonomistes ne sont pas prêts d'aller au chômage. Les taxinomistes sont des biologistes, comme moi, dont le travail consiste à découvrir des nouvelles espèces. Je sais que nous avons le plus beau boulot au monde. C'est très divertissant et il n'y a rien de tel que d'être quelque part dans une forêt à la recherche d'une nouvelle espèce. Les gens attendent cela de nous. Il y a quelques années, le gouvernement hollandais a instauré un « Agenda de la recherche nationale », une opportunité pour le public d'envoyer les questions auxquelles il souhaitait que les scientifiques répondent avec l'argent du contribuable. Une de ces grandes questions posées aux biologistes fut de découvrir des nouvelles espèces et de deviner combien d'espèces existent sur la Terre. Hélas, le financement public pour la taxonomie baisse simultanément car les gouvernements mettent la priorité sur les sciences de pointe alors que la taxonomie est plus traditionnelle. On a donc réfléchi à des alternatives pour financer nos recherches. Et nous avons eu l'idée d'associer des non biologistes qui, comme nous, sont séduits par l'idée de découvrir des nouveaux animaux. Une sorte de tourisme de la taxinomie. Nous avons donc fondé une association nommée : « Taxon Expeditions ». Nous organisons des expéditions scientifiques adressées au public, aux profanes qui s'intéressent à la nature et à la science. L'objectif de chaque expédition est de découvrir des nouvelles espèces. Les participants paient pour être présents et avec cet argent nous finançons tout : l'expédition, la recherche, le mécénat des étudiants et chercheurs locaux et les publications scientifiques. Ce qui est primordial, c'est de rendre le résultat disponible pour tout le monde. Tous les spécimens que nous collectons durant ces voyages sont déposés dans les musées locaux pour permettre aux chercheurs locaux et aux conservateurs de les étudier. Nous publions toutes les nouvelles espèces dans des publications libres d'accès afin que tout le monde puisse lire ces documents gratuitement. Mais comment découvre-t-on une nouvelle espèce ? Tout le monde peut-il le faire ? À quel point est-ce difficile ? C'est de manière étonnante assez facile. Vous passez un filet à papillons dans des feuillages de la jungle ou vous saisissez quelques feuilles mortes dans une forêt tropicale. C'est presque 100 % garanti que vous aurez trouvé une nouvelle espèce. Vous pourriez même en trouver dans votre jardin. La difficulté, c'est de déterminer lesquelles sont nouvelles et pourquoi. Pour cela, il faut faire appel à des spécialistes comme Hendrik Freitag, par exemple, de l'Université de Manille qui connait les coléoptères aquatiques sur le bout des doigts. Ou Menno Schilthuizen de l'Université de Leiden, un spécialiste en escargots tropicaux et limaces. Ou moi, spécialiste des coléoptères cavernicoles. Avoir une équipe de généticiens sous la main est pratique. Ils ont des labos d'analyse ADN portables pour lire l'ADN des nouvelles espèces. Mettez ensemble ces gens-là avec un groupe de profanes enthousiastes dans la jungle pour 10 jours : c'est la recette du succès. Voici quelques photos de notre expédition à Bornéo. Aglaya, ici, est écrivaine et vient des Pays-Bas. Voici le photographe venu d'Australie, Brock, Un directeur d'une université au Texas, William, qui a adoré la montée dans cet arbre. Un anthropologue d'Australie, Tony. Aucun d'eux n'est biologiste. Ils partagent tous la passion pour la biodiversité et la conservation. Ces voyages leur offrent une expérience unique. Ils passent dix jours dans un lieu isolé et apprennent des scientifiques. Ils découvrent des nouvelles espèces et leur donnent un nom scientifique. Plus important, ils contribuent à accélérer la découverte de la biodiversité et la documentation de la biodiversité la plus menacée. Que faisons-nous durant ces expéditions ? Il y a deux parties. D'abord, le travail sur le terrain. On enseigne aux participants les ficelles du métier que nous utilisons sur le terrain pour collecter et découvrir des espèces. La deuxième partie a lieu dans un labo de terrain. On enseigne aux participants comment classer et étudier les spécimens. On retire aussi leurs organes génitaux, aux coléoptères, pas ceux des participants, car cette partie du corps est cruciale pour identifier différentes espèces On extrait et analyse aussi l'ADN des échantillons collectés et à la fin de l'expédition on vote et on nomme les nouvelles espèces. Toute l'équipe travaille ensuite sur la publication que nous soumettons à un journal scientifique. Jusqu'à présent, nous avons organisé 4 expéditions et découverts 18 espèces. Il s'agit en fait de petits animaux comme des minuscules coléoptères ou des acariens. L'espèce la plus grande que nous avons découverte est une limace de 2 cm. En dépit de leur petite taille, ces animaux sont des membres vitaux pour les écosystèmes où ils réalisent plusieurs fonctions importantes. Nous sommes tous très fiers de nos découvertes mais quand explique cela aux gens, ils haussent souvent les épaules car ils préfèrent entendre parler de mammifères plus grands ou de nouvelles espèces de papillons aux couleurs ostentatoires. C'est pour eux qu'on sort notre atout : les stars. Les nouvelles espèces reçoivent parfois le nom de personnes célèbres pour leur marque de fabrique. L'araignée aux cheveux improbables de David Bowie. Ou une nouvelle espèce de mouche avec un gros derrière doré appelée Beyoncé. Et ma préférée : une espèce de mite au nom évoquant Donald Trump car elle a, car elle a des magnifiques cheveux blonds, comme vous le remarquerez, et un tout petit pénis. (Rires) (Applaudissements) On immortalise d'autres célébrités avec des noms d'animaux non pas pour leur apparence mais pour leur action en faveur de l'environnement. Durant notre première expédition à Bornéo, on a découvert tout tout petit coléoptère aquatique très sombre. C'est une nouvelle espèce et nous avons décidé de l'appeler Leonardo DiCaprio qui est un défenseur de l'environnement très actif. Il se fait que porter le nom d'une célébrité quand on est par ailleurs une petite créature anodine est la seule manière que ces espèces ont d'attirer l'attention. On espérait donc que les médias s'intéressent à notre coléoptère mais on ignorait totalement ce que cela allait déclencher. Leonardo DiCaprio a changé sa photo de profil sur Facebook (Rires) qu'il a remplacée par notre coléoptère. C'est cool, non ? Il n'y a pas de meilleure reconnaissance possible de notre travail. Les médias sont devenus fous évidemment. Et soudain, je donnais des interviews pour The Guardian, Forbes, Life Science. Des vidéos sur YouTube en parlaient. C'est même passé à la télé, sur BBC Wild. Le petit coléoptère noir Leonardo DiCaprio ne gagnera sans doute pas d'oscar pour son apparence mais dans la conservation des espèces, la plus petite créature a son importance. Il suffit parfois qu'une célébrité se transforme en coléoptère pour attirer l'attention des gens sur ce monde totalement caché des bébêtes rampantes et effrayantes avec lesquelles nous partageons la Terre. Elles méritent notre attention. Non seulement car il y a tant d'espèces qui restent à découvrir, mais parce que la vie sur Terre telle que nous la connaissons n'existerait pas sans eux. Ils oxygènent le sol, décomposent les matières organiques et pollinisent les plantes. Ce sont elles, ces petites créatures, qui gèrent le monde. Avec nos touristes en taxonomie, nous découvrons leurs secrets. Merci. (Applaudissements) Merci. (Applaudissements)