Comme vous le savez tous,
la robotique
et l'intelligence artificielle
sont en train de révolutionner
l'exploration de l'espace.
Nous n'en sommes qu'au début.
La NASA va bientôt envoyer
ce robot sur Mars.
Non seulement il se déplacera en nous
rapportant des images exceptionnelles,
mais il est muni d'un bras articulé
qui va nous permettre d'explorer
les origines de la vie sur cette planète.
Je pense, et je vais vous le démontrer,
que la robotique peut aussi révolutionner
notre approche de la vie
qui est sur notre planète, cette fois-ci,
et notamment dans
ces populations animales
que j'étudie depuis
le début des années 1970.
Il s'agit du manchot royal,
et nous sommes dans les terres
australes, dans l'archipel de Crozet,
que nous appelons
« les Galapagos françaises »,
25 millions d'oiseaux de mer.
Alors, à la base de toute étude -
notamment une étude
qui nous a permis de découvrir
une molécule anti-microbienne
dans l'estomac des manchots,
qui leur permet de conserver
du poisson intact,
pendant trois semaines,
à leur température de 37 degrés...
Avez-vous essayé de conserver
du poisson à 37 °C ?
C'est un poison violent en quelques jours.
Ça leur permet de conserver
pendant trois semaines,
et de nourrir le poussin à l'éclosion
si le conjoint n'est pas revenu à temps.
Mais, je vais vous parler
d'une autre approche,
à travers ces identifications,
c'est celle qui consiste
à suivre l'évolution de leur succès
reproducteur et de leur survie
comme des indicateurs
du changement climatique.
Évidemment, il faut pour cela
qu'il n'y ait aucun biais expérimental.
Impossible de savoir
si la technique utilisée
pour les suivre,
les identifier et les localiser,
si cette technique,
en raison de la gêne apportée
au déplacement dans l'eau,
avait un impact.
En tout cas, ça a duré vingt ans.
Et un jour,
en lisant un journal
de programmes télévisés,
j'ai découvert l'existence
de cette nouvelle technique,
aujourd'hui banale
pour les chats et les chiens :
la petite puce que l'on met sous la peau.
Elle permet au vétérinaire
d'identifier l'animal
en approchant une antenne
à quelques dizaines de centimètres,
car le problème, la limitation
de cette technique,
c'est que l'identification se fait
en utilisant une radio-fréquence,
car il n'y a pas de batterie.
Et son absence est ce qui permet
d'avoir une puce aussi petite -
0,8 gr pour celle que nous utilisons.
Alors, on a évidemment commencé
par équiper de puces des manchots
dont la moitié d'entre eux
était baguée et l'autre non.
Le résultat a été effarant.
Nous étions au début des années 1990
quand nous avons commencé ce travail,
et nous avons publié en 2011.
Il a fallu dix ans.
Comment on a fait ?
On a installé des antennes,
dans le sol, sur leurs lieux de passage.
La première franchie
nous permet de savoir
si l'animal revient de la mer
ou quitte sa colonie,
la puce étant située le plus près du sol,
donc au niveau des pattes,
justement pour être à courte distance.
On peut suivre, ainsi, des milliers
d'oiseaux sans les perturber,
sauf qu'évidemment,
on en a équipé un certain nombre
pour étudier l'effet des bagues.
Et cet effet effarant, lié à la
gêne au déplacement en mer,
fait que lorsqu'ils vont partir,
par exemple, pour 20 jours,
ils vont mettre dix jours de plus -
résultat absolument effarant,
puisque le succès reproducteur
est diminué de 40 %
et la survie de 16 %.
C'est pour ça que nous avons
fait la couverture de Nature
avec les commentaires - vous voyez ces
petits mots choisis par les éditeurs :
« Marqués à vie ».
Dans ce cas évidemment,
le succès reproducteur qui avait été
suivi par de nombreux collègues,
dans le monde entier, par toutes
les équipes, y compris étrangères,
tous ces résultats avaient
été évidemment biaisés.
On ne peut pas utiliser
le succès reproducteur
comme un indicateur
du changement climatique
quand il est diminué de 40 % en dix ans.
Alors on s'en passe aujourd'hui,
puisqu'on met des puces
et, actuellement, nous suivons 18 000
manchots de différentes espèces,
notamment beaucoup de manchots
royaux, sans les perturber.
Mais, je voulais aller plus loin.
Mon ambition, c'était de comprendre
comment est structurée une telle
colonie de 20 000 couples.
Pas question évidemment qu'un homme
circule à pied dans la colonie,
pour s'approcher de chacun de ces
individus pour savoir s'il a une puce.
Donc,
j'ai eu cette idée, qui a fait sourire
certains de mes collègues en disant :
« C'est une lubie de pré-retraité,
ça ne marchera jamais »,
de construire des robots
pour les identifier.
Il fallait leur prouver
si l'approche par le robot
était susceptible
de provoquer une perturbation,
sinon ce n'était évidemment pas la peine.
Donc, pour ça, on a utilisé
ces espèces de montres
qui sont utilisées
dans le cas du jogging.
Ça mesure la fréquence cardiaque,
or la fréquence cardiaque
est un excellent indicateur du stress.
On a comparé l'évolution
de la fréquence cardiaque
avec une approche humaine
ou une approche réalisée par le robot.
L'approche dure 30 secondes,
ensuite, l'homme ou le robot s'immobilise.
L'augmentation de la fréquence
cardiaque avec le robot
est relativement faible : 16 %.
C'est exactement la valeur
que nous observons
quand des manchots transitent
dans la colonie à côté des couveurs -
donc, une perturbation minime,
puisqu'ils défendent leur territoire,
vous allez le voir.
Et dès que le robot s'immobilise,
la fréquence cardiaque
du couveur redescend
à sa valeur de fluctuation initiale.
Il en va tout autrement
lorsqu'il s'agit de l'homme.
On voit que l'augmentation de la fréquence
cardiaque est beaucoup plus élevée.
Et qui plus est, elle reste
à cette valeur très élevée
durant toute la présence
de l'homme, même immobile.
Et il faut même attendre six
ou sept minutes après son départ
pour que l'on retrouve
la valeur de fluctuation initiale.
C'est lié au fait que, contrairement
à la présence du robot,
l'homme, même parfaitement immobile,
provoque un écartement
de tous les manchots.
Ils reculent, avec leur œuf
sur les pattes,
ce qui déstructure la colonie.
Donc, c'est un stress énorme.
Vous imaginez, sur une colonie
de 20 000 couples, ce que ça provoquerait.
(Vidéo) (Cris de manchots)
Nous avons pu démarrer une étude
de ce manchot royal,
avec, vous allez le voir,
un robot qui s'approche,
qui provoque l'écartement
des individus qui n'ont pas d'œuf,
donc qui ne défendent pas leur territoire.
Par contre, ceux qui ont un œuf -
vous voyez un petit curieux
qui suit... (Rires)
... la progression du robot -
ceux qui ont un œuf
défendent leur territoire,
à coups de becs et à coups d'ailerons.
Alors, ça va nous permettre -
et on commence à le faire -
l'identification et la localisation
grâce à un GPS extrêmement perfectionné,
à quelques centimètres près,
de savoir comment les animaux
sont distribués dans la colonie,
donc comment elle est structurée
en fonction de leur expérience
et de leur âge,
ce qui nous permettra de comprendre,
pour la première fois,
le fonctionnement d'une colonie.
Je vais vous montrer maintenant,
lorsque le même robot
est équipé avec une caméra,
vous allez mieux voir ce comportement
de défense territoriale.
L'impression de plus grande rapidité -
en fait, c'est la même vitesse -,
c'est parce que la
caméra est sur le robot.
Vous voyez, avec leur bec -
c'est ce qui provoque cette augmentation
de 16 % de la fréquence cardiaque -
ils attaquent le robot.
Parfois, on avait du mal à passer,
donc on vient d'en construit un nouveau.
On a mis un an, parce qu'on est aux
limites de la miniaturisation possible.
Ce nouveau robot, étant un peu plus
petit, progressera plus facilement.
On va laisser ce robot se garer
près du biologiste qui le télécommande,
et nous allons passer chez le plus
proche parent du manchot royal
qui est le manchot empereur -
le manchot empereur, l'animal vedette
de « La marche de l'empereur ».
D'ailleurs, nous sommes dans la colonie
où le film a été tourné, en Terre Adélie.
Alors là, je suis tombé sur un os.
Pourquoi ?
Parce que le manchot empereur -
et vous l'avez probablement
vu dans ce film -
n'a pas de comportement
de défense territoriale.
C'est une exception dans le monde animal.
La plupart des animaux,
sauf quelques espèces
qui vivent comme par hasard
dans les régions froides,
ont un comportement
de défense territoriale.
Donc, ce qui se passe,
c'est que le manchot empereur,
alors qu'il est beaucoup plus
puissant que le manchot royal,
quand il voit approcher le petit robot,
il recule,
parce qu'il n'a pas
cette défense territoriale.
Il fait comme les manchots royaux
que vous avez vus tout à l'heure,
en limite de la colonie, qui se sont
poussés à l'arrivée du robot,
mais eux, c'est parce
qu'ils n'avaient pas d'œufs.
Pourquoi n'y a-t-il pas
de défense territoriale ?
En hiver, ils se serrent
les uns contre les autres.
C'est ce qui va leur permettre
de jeûner pendant quatre mois.
Ils réduisent de moitié
leur vitesse d'amaigrissement
en se serrant les uns contre les autres.
Et donc - j'ai fait un suspense, là -
je vais vous montrer la solution adoptée :
(Exclamations) (Rires)
en camouflant le petit robot
avec un faux poussin.
Et vous voyez cette attitude
de l'adulte et du poussin.
Non seulement ils ont
laissé approcher le robot,
mais leur mouvement indique
qu'ils sont en train de chanter
pour tenter de communiquer avec lui.
Et ce petit poussin peut même s'intégrer
(Exclamations)
à une crèche de poussins.
Mais, il fallait aller plus loin.
En effet, aux moments
les plus froids en Terre Adélie,
dans certaines colonies,
la température descend à moins 50.
Rien que pour avoir
l'autonomie suffisante,
il faudrait, à cette époque-là,
des batteries deux fois
plus grandes que ce robot.
Et avec un petit poussin,
on ne peut cacher qu'un petit robot.
Qui plus est, le faux petit poussin
n'est utilisable qu'à l'époque
des petits poussins.
(Rires)
Donc, je me suis lancé un autre défi,
qui est de construire un faux
manchot empereur adulte.
(Rires)
J'avais la preuve qu'on peut les tromper
en tout cas, vous en êtes témoins.
Mais, ça s'est révélé un vrai
challenge technologique.
Pas question de construire
un robot à stature verticale,
il tomberait tout de suite - on
a des vents de 150 à 200 km/h.
Donc l'idée, c'est de construire
un manchot toboggannant.
Vous ne l'entendez pas,
mais il y a un bruit de glissement.
(Léger bruit)
Voilà ! Écoutez. C'est le bruit
du glissement sur la banquise.
On a construit un premier prototype,
avec un magnifique costume
fait par les meilleurs experts
de l'industrie du cinéma.
Voilà l'équipe des jeunes
ingénieurs qui m'entourent.
Un manchot équipé de chenilles,
puisqu'on est sur la glace de mer,
sur la banquise.
On l'a envoyé en Terre Adélie.
(Rires)
Les résultats ont été mitigés,
parce que, comme vous le voyez,
il suscite la curiosité, l'intérêt...
(Rires)
... des inemployés.
Mais, les couveurs restent méfiants.
Nous avons deux explications probables.
Ce costume qui est magnifique, en fait,
ne donne pas l'image
qu'ils doivent avoir,
car ils voient
dans le spectre ultraviolet.
Et, par ailleurs, les chenilles
font trop de bruit.
Depuis deux ans,
on construit un nouveau robot
qui aura un vrai plumage -
on a ramené des cadavres intacts de
Terre Adélie, trouvés dans la colonie.
Les taxidermistes du muséum sont
en train de préparer actuellement la peau.
Il aura un vrai plumage,
ce qui nous donnera une vraie image
dans le spectre ultraviolet.
Il aura des mouvements des ailerons.
Il n'aura pas de chenilles.
Il glissera sur sa carène,
comme vous le voyez ici,
et le bruit du glissement masquera
le bruit des roues qui les gêne.
Il aura un haut-parleur parce qu'il
communiquera avec les vrais manchots.
Vous voyez,
alors que l'on oppose souvent
la technologie et la Nature,
il s'agit ici d'une démarche
où le développement technologique
va nous permettre
de mieux la comprendre,
pour mieux la conserver.
Nous sommes également à l'interface
entre l'éthique et la science,
puisqu'il s'agit de développer
nos connaissances scientifiques
en réduisant la perturbation des animaux,
ce qui, vous l'avez vu, réduit aussi
les risques de biais scientifique.
Je vous remercie pour votre attention.
(Applaudissements)