Bonsoir. On va donc parler d'écologie de l'information. Si nous sommes ici tous ce soir, si on est ensemble, c'est parce qu'on partage un intérêt pour la connaissance, voire une passion pour la connaissance. Ça fait du bien d'apprendre. Ça nous grandit, ça nous libère, ça nous fait nous remettre en question. Mais imaginez. Imaginez que toutes les sources d'information que vous regardez soient polluées ; qu'en fait, leur objectif ne soit pas de vous informer mais soit de vous diminuer, de vous limiter de vous rapetisser, de vous renfermer sur vous-même. C'est cauchemardesque, non ? C'est vraiment un cauchemar. Je suis là pour ça ce soir, parce que je pense que c'est vraiment vers ça qu'on va. Notre système, notre écosystème informationnel est attaqué de toutes parts, et il est en danger. Il est attaqué par exemple, par les fake news, bien évidemment. Cette pollution massive, ordonnée, voulue, industrialisée, qui n'a pour seul objectif que de changer la façon dont nous pensons, dont nous voulons agir, bref, qui nous enlève notre libre-arbitre. Et on a vu les conséquences sur des élections très récemment. Cet écosystème est aussi attaqué dans sa diversité. Je n'ai même pas besoin de vous demander qui parmi vous a regardé Google, Twitter ou Facebook aujourd'hui, et qui a acheté un journal. Je sais très bien quelle est la proportion. L'information à laquelle nous accédons aujourd'hui passe par quelques portes très limitées et tous les médias, toutes les sources d'information doivent passer par ces portes pour pouvoir nous atteindre. Quelle est la conséquence logique, imparable ? Vous prenez les médias. Eh bien, énormément de médias, peut-être la majorité, demandent à leurs journalistes d'écrire pour Google, d'écrire pour l'algorithme de Google, d'employer les termes qui vont faire que les articles vont ressortir, d'employer les titres qui vont faire que nous allons cliquer dessus. Ça n'a plus rien à voir avec du journalisme, c'est même le contraire, des journalistes qui écrivent pour des algorithmes, au lieu d'écrire pour des hommes et des femmes. Une autre attaque se fait sur la circulation de l'information. Les algorithmes Facebook nous limitent, nous renferment dans des bulles en fonction de ce que l'algorithme pense être qui nous sommes. Du coup, on voit des choses qui nous renforcent dans ce que nous pensons, nous limitent, et en fait, nous empêchent de nous enrichir, nous empêchent d'apprendre. Et tout ça, ça a des conséquences dramatiques sur la façon dont nous évoluons, sur notre progrès humain, sur les démocraties entre autres. Et quand on remonte ça à Facebook, que nous répond Mark Zuckerberg ? « Mais, c'est une techno ! Facebook, c'est une techno ! On la met à disposition pour que les gens puissent communiquer entre eux. Ce que les gens échangent entre eux, ce n'est pas notre responsabilité ! » Quelle blague ! Vous avez le pouvoir d'influencer deux milliards de personnes et vous n'êtes pas responsable ? C'est absurde. Évidemment que Facebook est responsable. Évidemment que Mark Zuckerberg est responsable. Et cette responsabilité, évidemment à un niveau moindre, je la partage. Je suis moi-même entrepreneur, j'ai créé une entreprise avec mon associé qui s'appelle Sylabs et qui a développé un algorithme, un moteur de rédaction, qui permet de produire automatiquement des contenus, des textes, des articles. Ces articles, nous les vendons à nos clients qui peuvent être des médias - Le Monde, France TV, Radio France nous utilisent - qui peuvent être des sites web - e-commerce, tourisme, peu importe - et nous diffusons comme cela de l'information avec ces articles. On produit des centaines de milliers, des millions d'articles par an. Est-ce que je peux me permettre de dire : « Ah mais, c'est une techno ! Je ne suis pas responsable ! » Évidemment que je suis responsable. Évidemment que, à partir du moment où les articles que la technologie de mon entreprise produit sont lus, qu'ils peuvent influencer des gens, évidemment que je porte une responsabilité. Et donc, évidemment, je dois contrôler ce qui sort, ce que nous produisons, et essayer de le faire de manière équilibrée, saine, éthique. Certains cas sont simples. Quand on nous demande - on l'a fait à maintes reprises - de produire de faux avis - « Cet hôtel, il est génial, mais celui-là, il est complétement pourri » - évidemment qu'on ne peut pas faire ça. Pourtant, on nous l'a demandé à de nombreuses reprises. C'est simple : on dit non. Quand on nous demande de participer à la propagande d'un État qui se trouve très à l'ouest, on a été contacté - très à l'est, pardon - on a été contacté par un média - et j'étais très content. Mais quand j'ai compris que le but était la propagande d'un État qui évidemment n'a pas mes idéaux démocratiques : simple : « Non ! » Mais il y a d'autres questions dont on ne connaît pas la réponse. On ne sait pas, par exemple si on doit forcer nos clients à indiquer sur nos articles qu'ils ont été écrits par une machine. Ça se discute ! Est-ce qu'on peut accepter pour un média normal avec une orientation politique tout à fait légitime d'orienter nos articles pour suivre cette orientation politique ? Je ne sais pas. Et donc, comme je ne suis pas sûr, comme je ne veux pas décider, nous avons décidé de monter un comité d'éthique composé de chercheurs, sociologues, journalistes, pour nous aider à répondre à ces questions. Et je suis persuadé que tous les producteurs d'informations, les technologies de l'information, devraient avoir un tel comité d'éthique. Il faut même aller plus loin. Ces décisions-là nous concernent tous. Nous devrions donc avoir la possibilité de nous exprimer, de pouvoir dire : « Oui, OK, les experts ont dit quelque chose, mais, les experts ne vivent pas ma vie. Moi aussi, j'ai besoin d'exprimer mon opinion. » Et, on devrait donc ouvrir cette discussion à tout le monde. C'est-à-dire avoir un site web dans lequel nous posons des questions et tout le monde peut y répondre et tout le monde peut nous interpeller, vous pouvez nous interpeller. En nous posant des questions parce que vous vous demandez si ce qu'on fait est éthique ou pas. Et c'est normal, et ça devrait être fait partout. Parce qu'en fait, nous sommes tous responsables. Cet écosystème informationnel, c'est notre avenir, c'est la façon dont nous pensons c'est ce qui va définir nos enfants. Nous avons un devoir, une responsabilité, pour le protéger, pour le faire évoluer dans le bon sens. Nous avons une responsabilité en tant que consommateurs. On regarde des articles, on lit les articles Et puis quand l'article dit la même chose que ce qu'on pense, c'est cool, on est content, ça nous renforce dans ce qu'on pense, ça nous fait penser qu'on est intelligent en fait, puisque c'est écrit. Mais ce n'est pas parce que ça dit la même chose que ce qu'on pense que c'est vrai. Et donc au lieu de nous rendre intelligent, ça nous rend bête. Il est indispensable de réfléchir à l'information qu'on est en train de lire Est-ce que ça a été écrit pour nous informer ou est-ce que ça a été écrit pour nous conditionner ? Quelle est la source ? Qui a écrit ? Avec quel objectif ? Il est nécessaire de se poser ces questions-là. Il est nécessaire également de diversifier ses sources d'information. Je consomme beaucoup de médias, je suis abonné à six, parmi lesquels il y a MediaPart, Le Figaro On peut difficilement faire plus éloigné. Je ne suis pas toujours d'accord avec MediaPart, ni avec Le Figaro, mais le fait d'avoir ces deux points de vue, parfois très opposés, sur un même événement, je pense que ça m'enrichit. Je pense que ça me permet d'avoir une meilleure vision de ce qu'il se passe. On a aussi une responsabilité en tant que producteur. Quand vous faites un like, quand vous partagez un article ce n'est pas anodin. C'est un acte social, c'est un acte politique. Vous êtes responsable, nous sommes responsables, des articles que nous partageons. Parce que ces articles peuvent influencer les gens qui nous suivent. Et donc, nous sommes responsables de cette influence. Nous devons réfléchir à ce qui est fait quand on partage. Est-ce que la source est fiable ? Ou est-ce simplement cool de partager quelque chose qui dit comme je pense ? Et enfin, nous sommes responsables en tant que citoyens. Ne pensez pas qu'on n'a pas le pouvoir et la possibilité de faire changer les choses. Nous pouvons faire changer les choses. Je dirais même que nous devons faire changer les choses. Regardez ce qu'il s'est passé avec Facebook. Le Pew Research Center a fait un sondage quelques mois après la révélation du scandale Facebook. Quand on a révélé que Facebook avait été utilisé enfin, que les données Facebook, nos données, avaient été utilisées pour influencer de manière massive les élections américaines. Qu'a révélé le sondage ? 26 % des Américains qui avaient un compte Facebook se sont désabonnés. 26 %. Parmi eux, 44 % de jeunes se sont désabonnés de Facebook. Bravo ! C'est un vrai acte citoyen ! Facebook nous a trahis ! Facebook a donné les moyens de truquer nos élections. On s'en va. Et puis... En fait, on a les moyens d'agir. Rappelez-vous : on parle d'écosystème de l'information, mais parlons d'un autre écosystème, l'écologie. L'écologie, avant, c'était un truc de quelques hurluberlus qui criaient au loup dans le désert, tout seuls, mais petit à petit, ça a pris. Petit à petit, de plus en plus de gens se sont rendu compte qu'il y avait un vrai enjeu, qu'il y avait une catastrophe qui se préparait. Et petit à petit, les choses ont bougé : une très grande partie de la population mondiale a conscience que nous pouvons détruire notre environnement, que nous pouvons détruire le climat. Et cette conscience a fait bouger les politiques, a fait bouger les États. Évidemment, tout n'est pas parfait dans l'écologie, on le sait bien, mais ça a bougé. On peut faire la même chose pour l'information. On peut déjà agir sur nous, comme je l'ai dit. On peut en parler autour de nous, je suis là pour ça. Vous aussi. On peut apprendre à nos enfants comment traiter l'information qui leur arrive. On peut inventer ensemble une écologie de l'information. Et ça vaut le coup. Donc il n'y a plus qu'à y aller. Merci bien. (Applaudissements)