WEBVTT 00:00:03.310 --> 00:00:06.230 Salut, je suis Tony et voici 'Every Frame a Painting'. 00:00:08.290 --> 00:00:10.369 Il y a des réalisateurs tellement influents 00:00:10.460 --> 00:00:13.540 que, peu importe où l'on regarde, on peut voir leurs traces. 00:00:16.409 --> 00:00:19.830 Je vois le cadrage de ce réalisateur dans les oeuvres de Wes Anderson. 00:00:23.460 --> 00:00:26.080 Ses acrobaties & cascades dans celles de Jackie Chan. 00:00:28.460 --> 00:00:30.760 Et sa posture figée en Bill Murray. 00:00:34.760 --> 00:00:38.430 Ce réalisateur est Buster Keaton, l'un des 3 grands comédiens du cinéma muet. 00:00:38.649 --> 00:00:42.490 "Il était, comme nous commençons à le réaliser ... 00:00:42.890 --> 00:00:47.449 ... le plus grand de tous les clowns de l'histoire du cinéma." 00:00:47.900 --> 00:00:49.300 Et presque 100 ans plus tard, 00:00:49.330 --> 00:00:52.700 je pense qu'il a encore beaucoup à nous apprendre sur la comédie visuelle. 00:00:52.990 --> 00:00:56.320 Donc aujourd'hui, regardons comment le maître construit un gag. 00:00:56.890 --> 00:00:57.740 Prêt ? 00:01:00.230 --> 00:01:01.109 C'est parti. 00:01:07.270 --> 00:01:09.950 La première chose à savoir sur la comédie visuelle 00:01:09.980 --> 00:01:12.640 est qu'elle doit raconter l'histoire à travers l'action. 00:01:12.640 --> 00:01:15.220 Keaton était un conteur visuel, et il n'a jamais aimé 00:01:15.220 --> 00:01:19.060 quand d'autres réalisateurs racontaient leur histoire à travers des 'intertitres'. 00:01:19.090 --> 00:01:21.780 -"Un film moyen contenait environ 240 intertitres ... 00:01:21.800 --> 00:01:23.560 "... c'était à peu près la moyenne." 00:01:23.600 --> 00:01:27.300 -"240 était la moyenne ?" -"Oui. Et le + que j'en ai utilisé est 56." 00:01:27.690 --> 00:01:31.190 Il évitait les intertitres en se concentrant sur les gestes & le mime. 00:01:31.300 --> 00:01:34.550 Sur ce plan, on ne sait pas de quoi les 2 personnages discutent. 00:01:34.640 --> 00:01:38.569 Tout ce qu'on doit savoir est raconté grâce à la table & à leur langage corporel. 00:01:38.720 --> 00:01:40.900 "Mais il fallait dire, 00:01:40.190 --> 00:01:43.490 "communiquer aux spectateurs d'une seule façon." 00:01:45.800 --> 00:01:48.809 -"Par l'action" -"Exactement. On supprimait les sous-titres..." 00:01:48.819 --> 00:01:51.610 "...dès que c'était possible de le raconter par l'action." 00:01:52.100 --> 00:01:54.570 Keaton pensait que chaque geste devait être unique. 00:01:54.850 --> 00:01:56.620 Ne jamais faire la même chose 2 fois. 00:02:00.420 --> 00:02:01.700 Chaque chute 00:02:02.820 --> 00:02:04.100 est prétexte 00:02:05.660 --> 00:02:06.800 à la créativité. 00:02:07.889 --> 00:02:10.870 Mais une fois l'action déterminée, le 2ème problème apparaît : 00:02:11.000 --> 00:02:12.550 où mettre la caméra ? 00:02:18.060 --> 00:02:21.779 Les gags visuels fonctionnent généralement mieux depuis un angle spécifique. 00:02:22.380 --> 00:02:23.720 Et si on change l'angle ... 00:02:24.080 --> 00:02:26.879 on change le gag, et ça ne marche pas toujours aussi bien. 00:02:27.269 --> 00:02:30.080 Trouver le bon angle est une question d'erreurs et d'essais. 00:02:30.100 --> 00:02:33.480 Regardons donc 2 placements de caméra différents pour le même gag. 00:02:33.500 --> 00:02:35.000 Voici le premier placement. 00:02:42.880 --> 00:02:44.000 Et voilà le second. 00:02:51.590 --> 00:02:54.800 On voit que sur le 1er angle, la voiture occupe la majorité du cadre 00:02:54.830 --> 00:02:57.800 et on ne voit pas clairement Buster avant qu'il ne se retourne. 00:02:58.560 --> 00:03:01.480 Mais avec le 2ème angle, la voiture se trouve en arrière-plan 00:03:01.480 --> 00:03:03.810 et on a toujours une vision claire de son visage. 00:03:04.180 --> 00:03:07.600 Ce court instant où il ne sait pas ce qui se passe, mais nous oui ... 00:03:07.360 --> 00:03:09.550 ... est bien plus réussi depuis cet angle. 00:03:10.520 --> 00:03:13.330 De plus, sur le 1er plan, le cadrage divise notre attention. 00:03:13.380 --> 00:03:16.670 Nos yeux veulent regarder son visage et la pancarte en même temps. 00:03:16.950 --> 00:03:18.850 Mais après le recadrage de la scène ... 00:03:18.900 --> 00:03:21.079 nos yeux sont naturellement dirigés vers lui, 00:03:21.290 --> 00:03:22.680 et ensuite vers le panneau, 00:03:22.890 --> 00:03:25.529 puis de nouveau sur lui. Bien mieux. 00:03:28.690 --> 00:03:30.130 On arrive au 3ème problème ... 00:03:31.490 --> 00:03:33.900 Quelles sont les règles de ce monde particulier ? 00:03:35.130 --> 00:03:38.190 Le monde de Buster est plat, et gouverné par une seule loi. 00:03:43.120 --> 00:03:46.000 Si la caméra ne peut pas le voir, les personnages non plus. 00:03:46.030 --> 00:03:49.800 Dans le monde de Buster, les personnages sont limités par les bordures du cadre, 00:03:49.820 --> 00:03:52.300 et donc par ce qui est visible par nous, l'audience. 00:03:53.790 --> 00:03:56.910 Et cela lui permet de faire des gags qui ont visuellement un sens, 00:03:58.230 --> 00:03:59.230 mais pas logiquement. 00:03:59.930 --> 00:04:03.060 Beacoup de ses gags reposent sur le mouvement dans un monde plat. 00:04:03.620 --> 00:04:04.960 Il peut aller à droite ... 00:04:05.520 --> 00:04:06.410 à gauche ... 00:04:07.400 --> 00:04:08.400 vers le haut ... 00:04:09.200 --> 00:04:10.200 vers le bas ... 00:04:11.300 --> 00:04:12.590 loin de l'objectif ... 00:04:13.640 --> 00:04:14.500 ou tout près. 00:04:14.850 --> 00:04:16.170 Un sentiment de déjà-vu ? 00:04:24.090 --> 00:04:27.520 Comme Wes Anderson, Buster Keaton trouve du comique dans la géométrie. 00:04:30.550 --> 00:04:34.680 Il plaçait souvent la caméra en peu + loin pour qu'on puisse voir la 'forme' d'un gag. 00:04:34.810 --> 00:04:36.280 Il y a des cercles ... 00:04:37.000 --> 00:04:38.250 des triangles ... 00:04:39.100 --> 00:04:40.410 des lignes parallèles ... 00:04:40.710 --> 00:04:43.560 et bien sûr, la forme du cadre lui-même : un rectangle. 00:04:45.080 --> 00:04:49.159 Je pense que ce genre de mise en scène est géniale car elle encourage les spectateurs 00:04:49.160 --> 00:04:52.910 à regarder un peu partout dans le cadre, et voir le côté comique par eux-mêmes. 00:04:52.960 --> 00:04:56.080 Sur ce plan, réfléchissez à l'endroit où vos yeux se concentrent. 00:04:59.120 --> 00:05:00.500 Maintenant, où est-il ? 00:05:02.140 --> 00:05:04.459 Certains de ces gags proviennent du vaudeville 00:05:04.520 --> 00:05:06.639 et sont conçus comme des tours de magie. 00:05:10.959 --> 00:05:13.090 Et comme tous les grands tours de magie, 00:05:13.119 --> 00:05:16.450 une partie de l'amusement repose sur la recherche du trucage utilisé. 00:05:19.450 --> 00:05:23.530 Keaton avait un nom pour des gags comme ça : il les appelait des 'gags impossibles'. 00:05:26.120 --> 00:05:28.810 Ils sont parmi ses gags les + inventifs et surréels. 00:05:30.140 --> 00:05:32.669 Mais en tant que conteur, il les trouvait délicates 00:05:32.669 --> 00:05:34.200 car elles brisaient les règles de son monde. 00:05:34.669 --> 00:05:38.739 -"On a du arrêter les gags impossibles, ce qu'on appelait des 'gags de cartoon'. 00:05:39.640 --> 00:05:42.939 -"On a perdu tout ça quand on a commencé à faire des longs métrages." 00:05:43.210 --> 00:05:47.400 -"Ils devaient être crédibles pour que l'histoire tienne debout." 00:05:48.130 --> 00:05:51.479 A la place, il s'est concentré sur ce qu'il appelait le 'gag naturel'. 00:05:52.280 --> 00:05:55.650 La blague qui émerge organiquement du personnage et de la situation. 00:05:56.800 --> 00:05:58.500 Comme cette blague avec la porte. 00:06:03.740 --> 00:06:06.060 Keaton disait que pour la comédie visuelle ... 00:06:06.100 --> 00:06:08.300 il fallait rester ouvert à l'improvisation. 00:06:08.360 --> 00:06:12.170 -"Quel % de l'action était planifiée, combien des idées venaient pendant le tournage ?" 00:06:12.170 --> 00:06:13.950 -"Quel pourcentage était improvisé ?" 00:06:14.000 --> 00:06:17.030 -"Et bien, ma règle personnelle, c'était 50% d'idées préparées," 00:06:17.960 --> 00:06:20.550 -"que j'avais dans la tête avant le début du tournage," 00:06:20.650 --> 00:06:23.549 -"et le reste était développé pendant le tournage." 00:06:23.940 --> 00:06:26.390 Parfois il trouvait une blague qu'il aimait tellement, 00:06:26.410 --> 00:06:28.200 qu'il y faisait un rappel plus tard. 00:06:29.760 --> 00:06:33.769 Mais parfois, des gags qu'il avait prévu à l'avance ne marchait pas devant la caméra. 00:06:33.780 --> 00:06:35.830 Alors simplement, il s'en débarassait ... 00:06:36.090 --> 00:06:38.760 -"Elles ne sont pas marquantes, ou ne marchent pas bien." 00:06:38.800 --> 00:06:41.010 -"Et parfois, certaines arrivent par accident." 00:06:41.720 --> 00:06:43.430 Il était supposé réussir ce saut. 00:06:43.450 --> 00:06:44.880 Mais comme il l'a manqué ... 00:06:44.940 --> 00:06:48.070 il a décidé de le garder, et de continuer à partir de cette chute. 00:06:48.750 --> 00:06:52.300 -"Ce genre de scène ratée ne sera pas mieux en la retentant une 2ème fois." 00:06:52.300 --> 00:06:53.890 -"La 1ère est toujours la bonne." 00:06:53.920 --> 00:06:55.870 -"Peut-être que c'est pour cette raison ..." 00:06:55.900 --> 00:06:58.740 -"qu'on entendait tellement de rires dans la maison l'autre soir." 00:06:58.760 --> 00:07:00.640 -"Je veux dire, les plus jeunes et moi avion ce sentiment ..." 00:07:00.660 --> 00:07:03.720 -"que ce que nous voyions était vraiment en train de se passer." 00:07:04.430 --> 00:07:06.800 -"C'était quelque chose qui s'était passé 1 seule fois ..." 00:07:06.800 --> 00:07:09.620 -"et pas quelques chose qui avait était préparé, répété encore et encore." 00:07:09.630 --> 00:07:12.170 Et cela nous amène à la dernière chose à propose de Buster Keaton 00:07:12.170 --> 00:07:13.590 et sa règle la plus célèbre. 00:07:16.510 --> 00:07:17.700 Ne jamais truquer un gag. 00:07:17.990 --> 00:07:21.120 Pour Keaton, il y avait un seul moyen de convaincre l'audience ... 00:07:21.130 --> 00:07:22.780 que ce qu'ils voyaient était réel. 00:07:22.940 --> 00:07:24.620 Il devait vraiment le faire ... 00:07:28.000 --> 00:07:29.410 sans montage de la scène. 00:07:29.440 --> 00:07:32.140 Il était tellement strict à ce propos qu'il a dit une fois ... 00:07:32.170 --> 00:07:33.950 “Soit on le fait en 1 seul plan ... 00:07:37.780 --> 00:07:39.760 ... soit on jette ce gag à la poubelle." 00:07:40.000 --> 00:07:43.910 Et c'est pour ça que ses scènes semblent toujours aussi vivantes, 100 ans plus tard. 00:07:43.930 --> 00:07:47.030 Pas seulement grâce à son talent, mais aussi grâce à son intégrité ... 00:07:47.060 --> 00:07:48.910 C'est vraiment lui devant la caméra. 00:07:50.000 --> 00:07:53.020 Et aucune avancée technologique ne peut reproduire ce sentiment. 00:07:53.150 --> 00:07:57.310 Encore aujourd'hui, nous sommes époustouflés quand un réalisateur tourne 'vraiment' une scène. 00:07:57.500 --> 00:08:00.400 Mais je pense qu'il le faisait mieux il y a 95 ans. 00:08:00.550 --> 00:08:02.480 Donc aucune importance du nombre de fois ... 00:08:02.520 --> 00:08:04.670 où l'on a vu quelqu'un lui rendre hommage ... 00:08:13.689 --> 00:08:18.379 Rien ne surpasse l'original.