Je vous présente Henry. Un joli petit garçon. Mais à l’âge de trois ans, sa maman l’a trouvé sous l'emprise de convulsions fébriles. Ces convulsions surviennent quand on a de la fièvre. Le médecin lui a conseillé de ne pas s'inquiéter trop car ça allait disparaître en grandissant. À quatre ans, Henry a eu une crise de convulsions, le genre de crises qui cause une perte de conscience et des spasmes musculaires, appelée épilepsie généralisée. Le diagnostic d'épilepsie d'Henry n'était pas encore arrivé par la poste quand sa maman est allée le réveiller un matin. Mais en entrant dans sa chambre, elle a découvert son corps froid et sans vie. Henry avait succombé à une MSIE, une mort subite et inexpliquée en épilepsie. Qui parmi vous a déjà entendu parler de la MSIE ? Vous êtes tous très cultivés pourtant je vois peu de mains se lever. MSIE, c'est quand une personne en bonne santé mais souffrant d'épilepsie meurt et que l'autopsie ne permet pas de déterminer la cause de mort. Une personne meurt de MSIE toutes les sept à neuf minutes. Deux personnes vont en mourir pendant une TED Talk. Un cerveau sain a une activité électrique. Voici quelques ondes électriques qui sortent du cerveau sur l'illustration. Elles doivent ressembler à une activité électrique typique qu'un électroencéphalographe peut enregistrer. Toutefois, une crise est une activité électrique anormale, qui peut être localisée. Elle a lieu dans une petite région du cerveau. Quand la crise survient, on peut avoir une sensation étrange. Certains parmi vous pourraient en avoir une maintenant sans que leur voisin ne s'en aperçoive. Toutefois, quand la crise se répand dans tout le cerveau comme un feu de forêt, elle se généralise. Une épilepsie généralisée va causer la perte de conscience et des convulsions. Aux États-Unis, il y a davantage de personnes qui meurent de MSIE que de mort subite du nourrisson. Qui parmi vous a déjà entendu parler de la mort subite ? Voilà ! Presque toutes vos mains sont levées. Que se passe-t-il ? Pourquoi cette cause de mortalité si fréquente reste-t-elle si peu connue ? Que faire pour l'éviter ? La science a démontré que deux actions permettent d'éviter ou de réduire le risque de MSIE. La première : « Suivre les instructions du médecin et prendre son traitement. » Deux-tiers des personnes souffrant d'épilepsie les gardent sous contrôle avec les traitements médicamenteux. Deuxièmement, on peut réduire les risques de mortalité avec la présence d'un proche. C'est-à-dire une personne à vos côtés au moment de la crise. Bien que vous n'ayez finalement que peu entendu parler de MSIE c'est la deuxième cause de réduction d'espérance de vie parmi tous les troubles neurologiques. L'ordonnée de ce graphique représente le taux de mortalité multiplié par l'espérance de vie. Plus haut il est, plus l'impact est important. Contrairement aux autres maladies, le fait d'avoir quelqu'un à proximité réduit l'incidence de mortalité de MSIE. Pourquoi est-ce que moi, Roz Picard, chercheur en intelligence artificielle, je vous parle de ça ? Après tout, je ne suis pas neurologue. Je travaillais au Media Lab sur des mesures des émotions, pour rendre les machines plus perspicaces au sujet de nos émotions. Et nous réalisions beaucoup de recherches sur les mesures du stress. On a fabriqué tout un tas de capteurs qui le mesurent sous des critères différents. Mais une mesure précise a été développée à partir d'une ancienne mesure du degré d'humidité des paumes avec un signal électrique. C'est un signal de la conductivité de la peau connu pour augmenter avec la nervosité. En fait, il augmente aussi avec d'autres conditions. Tous ces câbles électriques sur les mains ne sont pas pratiques. Alors, on a inventé d'autres moyens au Media Lab du MIT. Avec des capteurs portables, on a collecté les premières données de qualité clinique 24 heures sur 24. Voici à quoi ressemblent les toutes premières mesures d'un étudiant qui a porté continuellement notre bracelet pendant une semaine. On va zoomer ici. Il s'agit de phases de 24 heures, en commençant par la gauche. Il s'agit donc des données pour deux jours. Ce qui nous a d'abord surpris, c'est que le taux le plus élevé apparaît durant le sommeil. Le capteur serait-il défectueux ? Quand on dort, on est calme, alors que se passe-t-il ? En fait, notre physiologie durant le sommeil est très différente de celle durant l'éveil. Nous n'avons pas encore percé le mystère pourquoi ces pointes sont les plus importantes pendant le sommeil mais nous pensons que c'est lié à la consolidation de la mémoire et à sa création pendant la phase de sommeil. Nous observons également des phénomènes qui répondent à nos attentes. Quand un étudiant du MIT est concentré sur son travail, ou fait ses devoirs, une charge cognitive s'ajoute au stress émotionnel. Finalement, la charge et l'effort cognitifs, l'engagement mental ou l'excitation d'apprendre des choses nouvelles, tout cela fait grimper le signal. Au grand dam des professeurs du MIT, (Rires) le creux de la courbe quotidienne correspond aux heures de cours. Il s'agit des données d'une seule personne mais hélas, cela reste globalement vrai. Le bracelet est équipé d'un capteur de conductivité de la peau fabriqué maison et un jour, un de nos étudiants est venu me voir à la fin du semestre, en décembre, pour me demander : « Professeur Picard, pourrais-je emprunter un des bracelets avec les capteurs ? Mon petit frère souffre d'autisme et il ne sait pas parler. Je souhaite voir ce qui le stresse. » Je lui ai proposé d'en emporter deux. À l'époque, ils étaient encore fragiles. Il les a emportés à la maison et posés sur son frère. J'observais les données depuis le labo. Le premier jour, j'ai trouvé étrange qu'il ait posé un bracelet sur chaque poignet simultanément. Il ne suivait pas mes instructions mais c'est ainsi, ai-je pensé. Heureusement qu'il ne l'a pas fait. Le deuxième jour : glacial, comme une activité en classe. (Rires) Il restait quelques jours. Le deuxième jour, le signal d'un des bracelets est tombé à zéro et l'autre a grimpé à une hauteur jamais atteinte. Je me suis demandé ce qu'il se passait. On a mis les gens du MIT sous toutes formes de pression imaginables mais je n'avais jamais observé ça. Et d'un seul côté. Comment peut-on être stressé d'un côté uniquement du corps ? J'en ai conclu qu'un voire deux des capteurs étaient défaillants. Je suis ingénieur en électronique de formation. J'ai donc tenté de réparer ça de plusieurs manières. Pour faire court, je n'ai pas réussi à le reproduire. J'ai donc eu recours aux moyens traditionnels. J'ai appelé mon étudiant en vacances : « Bonjour ! Comment va ton petit frère ? Vous avez passé un joyeux Noël ? Que s'est-il passé avec ton frère ? » Je lui ai donné la date, l'heure et les données. Il a dit ne pas savoir mais qu'il allait vérifier son journal de santé. Un journal ? Un étudiant du MIT tient un journal de bord ? J'ai attendu son retour. Il avait la même date et la même heure et il m'expliqua que c'était l'instant juste avant une crise épileptique. À l'époque, j'ignorais ce qu'était l'épilepsie. J'ai donc fait des recherches et appris que le père d'un autre étudiant était le chef neurochirurgien de l'hôpital pour enfants de Boston. Courageusement, j'ai appelé le docteur Joe Madsen : « Bonjour docteur, je suis Rosalind Picard. Est-il possible qu'une personne subisse un déferlement du système nerveux sympathique, ce qui induit la conductivité de la peau, 20 minutes avant une crise d'épilepsie ? » Il m'a répondu : « Sans doute pas. » Mais il a trouvé ça intéressant car des personnes ont la chair de poule sur un seul bras 20 minutes avant une crise. Je sursaute : « Un seul bras ? » Je ne voulais pas lui en parler au départ car je trouvais cela vraiment absurde. Il m’a expliqué comment cela pouvait se passer, ça l’a intéressé, je lui ai montré mes données. On a continué de développer des capteurs et on les a fait certifier. On a recruté 90 familles pour une étude toutes avec des enfants que nous allions suivre en continu avec un électroencéphalographe sur le cuir chevelu pour mesurer l’activité du cerveau, une vidéo pour observer les comportements, un électrocardiogramme et y coupler l’activité électrodermique pour mesurer d'éventuelles occurrences périphériques relatives à une crise d’épilepsie. Nous avons constaté le pic de conductivité de la peau dans 100% des cas de la première cohorte en proie à une crise épileptique. Dans le cadre bleu, c’est une phase de sommeil. Le pic devrait y être le plus élevé. Or, ces trois crises sont ostentatoires sur le graphique, trois immenses pics. De plus, en couplant la conductivité de la peau là où elle est la plus élevée avec les mouvements du poignet, on obtient beaucoup de données utiles pour l’apprentissage automatique. Cela permet de construire une intelligence artificielle qui détecte ces schémas bien plus efficacement qu’un détecteur de mouvements. On a compris qu’il fallait transférer la technologie en dehors du labo. Avec les études du doctorant Ming-Zher Poh et les améliorations incroyables apportées par Empatica, on a réalisé de grands progrès et la détection des crises est bien plus précise. Nous avons découvert dans la foulée d’autres choses sur la MSIE. Une d’elles est que la MSIE, bien que ça arrive rarement suite à une crise d’épilepsie généralisée, c’est dans ce cas précis qu’elle est la plus probable. Quand elle survient, ce n’est pas pendant la crise, ni juste après de manière générale, mais elle survient juste après quand la personne semble très calme et paisible, qu’elle risque de traverser une nouvelle phase qui bloque la respiration, et après que la respiration se soit arrêtée, le cœur s’arrête. Il y a donc un peu de temps pour secourir la personne. Nous avons aussi appris des choses sur l’amygdale, une région profonde du cerveau que nous avions beaucoup étudiée dans nos recherches sur les émotions. Nous avons deux amygdales et si on stimule celle de droite, on obtient une réaction de conductivité de la peau du côté droit. Il faut signer une décharge pour une craniectomie et faire le test, peu de chance d’avoir des volontaires, mais ça provoque une réaction du côté droit. En stimulant l’amygdale de gauche, la paume de la main gauche réagit. De plus, si on stimule votre amygdale alors que vous êtes assis en train de travailler par exemple, vous ne montrerez aucun signe de détresse mais vous arrêterez de respirer et vous serez incapable de recommencer à respirer sauf si on vous stimule. « Hé ! Roz, tout va bien ? » Vous ouvrez la bouche pour parler. L’aspiration qui précède la parole relance votre respiration. Donc, nous avions commencé nos recherches avec le stress. Ça nous a conduits à développer des capteurs qui collectent des données de qualité suffisante pour les sortir du labo et les disséminer dans la vraie vie. Par hasard, on a détecté une réaction aux crises d’épilepsie en forme de pic, une activation neurologique qui provoque une réaction bien plus forte que les sources de stress habituelles. On a des partenariats avec les hôpitaux et une unité de monitoring d’épilepsie, Principalement l'hôpital pour enfants de Boston et le Brigham. On ajoute une couche d’intelligence artificielle pour collecter beaucoup plus de données afin de comprendre ces crises et voir si on peut éviter la MSIE. Aujourd’hui, Empatica commercialise le dispositif, une start-up que j’ai eu l’honneur de co-fonder. L’équipe d’Empatica a réalisé un travail extraordinaire pour améliorer la technologie et concevoir un capteur très joli qui donne l’heure, qui est un podomètre, qui surveille le sommeil, tout ça, et qui surtout est une IA en apprentissage automatique en temps réel pour détecter les crises d’épilepsie généralisées et envoyer un appel à l’aide en cas de crise et de perte de conscience. L’administration américaine du médicament vient de l’approuver. C’est la toute première montre intelligente approuvée en neurologie. (Applaudissements) L’étape prochaine fait augmenter ma propre conductivité de la peau. Un matin, je dépouillais mes courriels et je découvre l’histoire d’une maman qui explique qu’elle prenait une douche et qu’elle avait posé son téléphone sur le lavabo. Le téléphone lui envoie une alerte au sujet de sa fille. Elle interrompt sa douche et se précipite dans la chambre de sa fille. Son visage dans l’oreiller est bleu et elle ne respire pas. Elle met sa fille sur le dos, stimulation humaine, et sa fille a pris une inspiration, une deuxième, son visage est redevenu rose et elle était sauvée. La lecture de ce message m’a rendue livide. Ma première réaction est que ce n’est pas parfait. Le Bluetooth pourrait être défectueux, la batterie à plat, ou autre chose. Elle ne devait pas s’y fier. Mais elle a dit : « C’est OK, je sais qu’aucune technologie est sûre à 100%. On ne pourra pas toujours arriver à temps. Mais avec cet instrument et l'intelligence artificielle, j'ai pu arriver à temps pour sauver la vie de ma fille. » J’ai évoqué les enfants, mais le pic de MSIE se situe dans les décennies des 20, 30 et 40 ans. Je vais sans doute mettre certains parmi vous mal à l’aise mais sans doute beaucoup moins que si un de nos proches succombait à la MSIE. Cela pourrait-il arriver à une de nos connaissances ? Si je pose cette question gênante, c’est parce que un individu sur 26 subira une crise d’épilepsie un jour. J’ai également appris que, souvent, les gens qui souffrent d’épilepsie n’en parlent pas à leurs amis ou à leurs voisins. Dites-leur que vous souhaitez qu’ils utilisent une IA par exemple pour vous appeler en cas de nécessité. Leur offrir votre disponibilité pourrait faire la différence dans leur vie. Pourquoi avons-nous persévéré pour fabriquer ces instruments ? Il y a plusieurs raisons : Il y a d’abord Natasha, la petite fille qui a survécu - sa famille a voulu que je vous dévoile son nom. Une autre raison est sa famille et toutes les personnes formidables qui sont prêtes à assister les personnes qui souffrent de ces crises dont elles n'ont jamais osé parler par le passé. Vous représentez une raison supplémentaire car l'avenir de l'IA est entre nos mains. Nous avons le pouvoir de la changer car nous en sommes les concepteurs. Construisons ensemble une IA qui rende meilleure la vie de chacun. Merci. (Applaudissements)