Je suis là pour vous parler de menteurs,
de procès
et de rires.
La première fois que j'ai entendu parler
du déni de l'Holocauste,
j'ai ri.
Le déni de l'Holocauste ?
L'Holocauste tristement connu
comme étant le génocide
le mieux documenté au monde ?
Qui donc pourrait le nier ?
Réfléchissez.
Pour que les négationnistes aient raison,
qui se serait trompé ?
Tout d'abord, les victimes,
les survivants qui ont fait
des témoignages poignants.
Qui d'autre se serait trompé ?
Les témoins.
Les personnes vivant dans les dizaines
de villages, de communes, de villes
du front de l'Est,
qui ont vu leurs voisins
être rassemblés --
hommes, femmes, enfants, jeunes, vieux --
et être escortés
à la périphérie des villes
pour être fusillés
et laissés pour morts dans des fosses.
Ou les Polonais
qui vivaient dans les communes et villages
autour des camps de concentration
et voyaient passer tous les jours
des trains remplis de personnes
qui revenaient ensuite vides.
Et surtout, qui d'autre se serait trompé ?
Les auteurs des crimes.
Ceux qui ont déclaré :
« Nous avons fait cela.
J'ai fait cela. »
Certes ils ont pu glisser un bémol,
en insinuant : « Je n'avais pas le choix.
On m'a forcé à le faire. »
Néanmoins, ils ont dit : « Je l'ai fait. »
Réfléchissez.
Il n'y a pas eu un seul procès
pour crimes de guerre depuis 1945
où les auteurs du crime aient affirmé :
« Cela n'a jamais eu lieu. »
Ils ont peut-être dit : « On m'a forcé »,
mais ils n'ont pas nié
ce qu'il s'est passé.
En y regardant de plus près,
j'ai décidé que le négationnisme
n'était pas un sujet.
Je devais écrire et faire des recherches
sur des sujets plus importants.
Je suis passée à autre chose.
Un peu plus de dix ans passent,
lorsque deux chercheurs universitaires,
des historiens reconnus de l'Holocauste
ont pris contact avec moi :
« Deborah, allons boire un café.
Nous avons un projet de recherche
qui serait parfait pour toi. »
Curieuse et flattée
qu'ils me contactent avec un projet
et qu'ils m'estiment à la hauteur,
j'ai demandé : « Quel est le sujet ? »
Ils m'ont répondu : « Le négationnisme ».
Pour la deuxième fois, j'ai ri.
Le négationnisme ?
Ceux qui croient que la Terre est plate ?
Ou qu'Elvis est vivant ?
Je devais vraiment y consacrer une étude ?
Les voilà qui insistent :
« Oui, nous souhaitons en savoir plus.
Qui sont-ils ?
Quels sont leurs objectifs ?
Comment réussissent-ils
à convaincre les gens ? »
Je me suis dit que s'ils pensaient
que ça en valait la peine,
cela pourrait être une courte distraction,
peut-être une année, ou deux,
ou trois, ou quatre.
Pour les universitaires, c'est court !
(Rires)
On prend notre temps.
(Rires).
J'ai donc pris la décision
de m'en occuper.
J'ai entamé les recherches
et fait plusieurs constatations,
dont deux que j'aimerais
partager avec vous.
D'abord :
les négationnistes
sont des loups déguisés en brebis.
Ils sont tous pareils :
nazis, néo-nazis --
vous décidez si vous utilisez
« néo » devant le mot.
En les étudiant,
je n'ai pas vu d'uniformes de SS,
de croix gammées sur les murs
ou de saluts nazis,
rien de tout cela.
Par contre, j'ai découvert
des personnes s'affichant
comme de respectables professeurs.
Ils disposaient d'un institut
« pour la Révision Historique ».
Ils avaient une revue, bien faite,
« la Revue pour la Révision Historique »,
avec des articles
plein de notes de bas de page.
Et ils avaient un nouveau nom.
Pas les néo-nazis,
ni les antisémites,
mais les révisionnistes.
Ils disaient :
« On est des révisionnistes,
notre seule mission
est de réviser
les erreurs de l'histoire. »
Mais il suffisait de gratter un peu
pour trouver
la même admiration pour Hitler,
l'éloge du Troisième Reich :
antisémitisme, racisme et préjugés.
Cela a attisé ma curiosité.
Tout était présenté sous format
de discours rationnel.
J'ai aussi découvert autre chose.
On nous a appris qu'il y a
des faits et des opinions.
Depuis mes recherches,
je pense autrement.
Il y a des faits,
il y a des opinions
et il y a des mensonges.
Les négationnistes se servent
de leurs mensonges
et les maquillent en opinion,
en opinions avant-gardistes
ou originales,
mais si ce sont des opinions
on peut les évoquer dans la conversation.
Ensuite, ils s'approprient les faits.
J'ai publié mes recherches,
le livre est sorti :
« Nier l'Holocauste : l'attaque croissante
de la Vérité et de la Mémoire ».
Il a été publié dans plusieurs pays,
dont le Royaume-Uni chez Penguin.
J'en avais fini et j'étais prête
à passer à autre chose.
Et là, j'ai reçu
une lettre de mon éditeur.
Et pour la troisième fois, j'ai ri.
A tort.
J'ai ouvert la lettre,
qui m'informait que David Irving
m'assignait en justice pour diffamation
au Royaume-Uni
pour l'avoir appelé négationniste.
David Irving m'assignait en justice ?
Qui était David Irving ?
C'était un auteur d'ouvrages historiques,
portant sur la 2ème guerre mondiale,
et la plupart de ces ouvrages indiquaient
que les Nazis n'étaient pas si méchants,
que les Alliés n'étaient pas si gentils.
Et les Juifs, quoi qu'il leur soit arrivé,
ils le méritaient sûrement.
Il connaissait les documents,
il connaissait les faits,
mais il les avait manipulés
pour arriver à cette opinion.
Il n'avait pas toujours été négationniste,
mais à la fin des années 80,
il avait pris cette position.
Ce que j'ai aussi trouvé ridicule,
c'est que cet homme
était non seulement négationniste
mais fier de l'être.
C'était un homme qui voulait, je cite :
« couler le navire d'Auschwitz ».
Un homme
qui pointait vers le numéro tatoué
sur le bras d'un survivant et disait :
« Combien avez-vous gagné
grâce à ce tatouage sur votre bras ?»
C'était un homme qui disait :
« Il y a eu plus de morts
dans la voiture du Sénateur Kennedy
à Chappaquiddick
que dans les chambres à gaz d'Auschwitz. »
Une référence à un fait divers
de la politique américaine.
C'était un homme qui ne semblait
ni honteux ni réticent
d'être un négationniste.
De nombreux collègues
universitaires m'ont dit :
« Deborah, ignore-le. »
J'ai rétorqué que je ne pouvais pas
ignorer un procès en diffamation.
Ils m'ont répondu :
« Qui le croira de toute façon ? »
Et c'est là le problème.
De par la loi britannique, c'était à moi
de prouver que j'avais raison,
que je disais la vérité,
à la différence des États-Unis
ou de beaucoup d'autres pays
où il aurait dû prouver la diffamation.
Qu'est-ce-que cela voulait dire ?
Si je ne me battais pas,
il gagnerait par défaut.
Et si il gagnait par défaut,
il pourrait alors dire légitimement :
« Ma version de l'Holocauste,
est la version légitime,
Deborah Lipstadt m'a diffamé
en me traitant de négationniste.
Donc, moi David Irving
je ne suis pas un négationniste. »
Et quelle était sa version à lui ?
Il n'y a pas eu de plan
pour assassiner les Juifs,
il n'y a pas eu de chambres à gaz,
il n'y a pas eu de fusillades de masse,
Hitler n'avait rien à voir
avoir les souffrances qui ont eu lieu,
les Juifs ont tout inventé
pour soutirer de l'argent à l'Allemagne
et obtenir un état,
et ils l'ont fait avec l'aide
et le soutien des Alliés.
Ils ont créé des documents et des preuves.
Je ne pouvais pas laisser passer ça
sans porter atteinte aux survivants
ou aux descendants de survivants.
Je ne pouvais pas laisser passer ça
et me considérer comme
une historienne responsable.
Alors on s'est battu.
Si vous n'avez pas vu
« Le Procès du siècle »,
je vous gâche la fin :
on a gagné.
(Rires)
(Applaudissements)
Le juge a estimé que David Irving
était un menteur,
un raciste,
un antisémite,
avec une vision de l'histoire partisane,
il a menti, il a falsifié
et surtout,
il l'a fait délibérement.
Nous avons découvert un schéma identique
dans plus de 25 cas.
Ce n'était pas des petites erreurs -
nous autres auteurs
qui écrivons des livres,
nous faisons des erreurs, c'est pourquoi
on aime les secondes éditions
corrigeant les erreurs.
(Rires)
Les siennes avaient toujours
le même thème :
accuser les Juifs,
innocenter les Nazis,
Comment avons-nous gagné ?
On a examiné les sources
dans les notes de bas de page.
Qu'avons-nous trouvé ?
Pas tout le temps,
ni de façon prépondérante,
mais à chaque fois qu'il faisait
référence à l'Holocauste,
ses soi-disant preuves étaient manipulées,
c'étaient des demi-vérités,
les dates étaient changées
ou le déroulement
des évènements était modifié,
un participant imaginaire à une réunion.
En d'autres termes,
il n'avait pas de preuves.
Ce dont il disposait ne prouvait rien.
Nous n'avons pas prouvé l'Holocauste,
nous avons prouvé que sa version,
et celle de tous les négationnistes,
puisqu'il les citait
ou utilisait leurs arguments,
était fausse.
Ils affirment des choses
sans aucune preuve.
Pourquoi donc mon histoire
ne se résume-t-elle pas juste
à un étrange, long et difficile procès
qui a duré six ans ?
Celle d'un professeur
américain traîné en justice
par un homme jugé par le tribunal
comme étant un polémiste néo-nazi ?
Quel est le message ?
Je pense que
dans le contexte de la vérité,
c'est un message très important.
Aujourd'hui,
comme nous le savons tous,
la vérité et les faits sont menacés.
Les médias sociaux,
malgré leurs côtés positifs,
ne permettent plus de faire la différence
entre faits avérés
et mensonges.
Troisièmement :
l'extrémisme.
Même sans les cagoules du Klu Klux Klan,
ou des croix en flammes
ou le discours des suprémacistes blancs,
il apparaît sous de nouveaux noms tels que
« alt-right » et « Front National »,
c'est le même extrémisme
que j'ai pu voir chez les négationnistes
sous le couvert d'un discours rationnel.
Nous vivons à une époque
où la vérité est sur la défensive.
Je pense à un dessin
dans la revue « New Yorker ».
Dans le cadre d'un jeu télévisé,
le présentateur dit
à une des participantes :
« Oui madame, c'était la bonne réponse,
mais votre adversaire
a crié plus fort que vous
donc il gagne les points. »
Que peut-on faire ?
D'abord,
ne nous laissons pas séduire
par les apparences rationnelles.
Il faut gratter un peu
et là, on découvre l'extrémisme.
Ensuite,
il faut comprendre
que la vérité n'est pas relative.
Et enfin,
il faut être sur l'offensive
et non sur la défensive.
Lorsqu'une personne fait
une affirmation scandaleuse,
même si elle occupe un des postes
les plus importants du pays
ou du monde,
nous devons lui dire :
« Où sont vos preuves ?
Faites-en la démonstration ! »
Nous devons les obliger
à nous rendre des comptes.
Ne pas faire comme si
leurs mensonges étaient des faits.
Comme je l'ai dit auparavant,
la vérité n'est pas relative.
Nombre d'entre nous issus
du milieu universitaire,
habitués à la pensée libérale éclairée,
estiment que tout est sujet à débat,
Mais ce n'est pas le cas.
Il y a des vérités.
Il y a des faits avérés --
des vérités objectives.
Galilée nous l'a appris il y a longtemps.
Après que le Vatican l'a forcé à nier
que la Terre tournait autour du Soleil,
il est ressorti
et on l'a entendu dire :
« Et pourtant, elle tourne. »
La Terre n'est pas plate.
Le changement climatique est réel.
Elvis n'est pas vivant.
(Rires)
(Applaudissements)
Et surtout,
la vérité et les faits sont menacés.
Le travail qui nous attend,
la tâche qui nous attend,
le défi qui nous attend
sont importants.
Nous avons peu de temps pour nous battre.
Nous devons agir maintenant.
Après, il sera trop tard.
Merci beaucoup.
(Applaudissements)